Promenade artistique au Musée de Singapour (3) : 1950-aujourd’hui

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Entrons dans la seconde moitié du XXe siècle avec une tentative cubiste de l’Indonésien Mochter Apin (1923-1994) et, beaucoup plus réussi, de gracieuses jeunes femmes balinaises par le sino-indonésien Lee Man Fong (1913-1988). Farouche opposant au régime colonial japonais en Indonésie, le jeune Man Fong a été emprisonné à Djakarta  en 1942, mais un officier japonais amateur de peinture l’a fait libérer au bout de six mois. Après quelques péripéties il est devenu plus tard le peintre préféré du président Sukarno!

Mochter Apin (Indonésie), Winter 1953
Lee Man Fong, Vie à Bali, 1960-65

Comme il se doit , la Galerie Nationale offre une place de choix aux artistes singapouriens.

Lim Cheng Hoe (1912-1979) fut  un aquarelliste reconnu comme l’un des pionniers majeurs de l’école artistique Nanyang à Singapour,  aux côtés de Chen Chong Swee (1910-1985) et Cheong Soo Pieng (1917-1983).

Lim Cheng Hoe, Scène à Kampong, 1960
Chen Chong Swee – After Bath, 1952 (Encre de Chine et aquarelle)
Cheong Soo Pieng -Retour du marché, 1975

Née en Chine de riches parents antiquaires, Georgette Chen (1906-1993) a vécu à new York et à Paris avant de rejoindre l’Académie des Beaux-Arts Nanyang à Singapour et d’y enseigner.  Elle y est très populaire.

Georgette Chen (Singapour), Lotus dans la Brise, 1970

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Promenade artistique au Musée de Singapour (2) : 1900-1950

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F. De la Rosa, Portrait de José Rizal, 1902

Nous entrons de plain-pied dans le XXe siècle avec cette huile datée de 1902 du peintre philippin Fabián de la Rosa (1869-1937). C’est le portrait de José Rizal, artiste, poète et romancier philippin, véritable héros national fusillé en 1896 à Manille pour activités subversives. On lui voue encore aujourd’hui un véritable culte, comme j’ai pu le constater lors de mon récent passage à Manille : un musée dans la vieille ville d’Intramuros lui est entièrement consacré, sans compter les innombrables rues, parcs, places, statues et temples !

Exécution de José Rizal, fresque du Rizal Museum à Manille

Plusieurs peintres philippins sont  à l’honneur au Musée de Singapour, comme Fernando Amorsolo (1892-1972), reconnu comme peintre national, et Hernando Ocampo (1911-1978):

F. Amorsolo, Place du Marché sous l’Occupation, 1942
F. Amorsolo, Défends ton honneur, 1945
H. Ocampo -Danse Moro, 1946

Poursuivons avec un beau tableau de Victor Tardieu, né en France en 1870 et mort en 1937à Hanoï au Vietnam, qui n’est autre que le père du grand poète Jean Tardieu.

Victor Tardieu, La Tonkinoise au panier, 1923

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Hommage à Baptiste-Marrey (1928-2019)

Baptiste-Marrey, très grand écrivain de langue française, vient de nous quitter le 22 janvier 2019 à l’âge de 91 ans. Pratiquement inconnu du public, ignoré par une critique littéraire germanopratine souvent mafieuse qui, pour l’essentiel, ne fait l’éloge que d’indigents écrivaillons, ce romancier, essayiste, poète et « agitateur culturel » était mon voisin à la campagne en même temps qu’une connaissance proche et amicale.

Hommage à l’homme et à son œuvre.

Il y a une vingtaine d’années je suis devenu propriétaire d’une petite fermette dans le village de Chevillon, dans le Nord de l’Yonne. J’allais y passer mes fins de semaine et une partie des vacances d’été, essentiellement pour retaper une à une les pièces de ma longère, entretenir mon jardin et mes arbres fruitiers, faire les confitures d’automne et cultiver mon potager. Un jour le facteur, qui avait appris que j’étais chercheur et que j’avais publié quelques livres, me dit « vous savez que vous avez un voisin écrivain, comme vous ? ». Sur le moment j’ai cru qu’il faisait allusion à mon collègue astrophysicien et ami Hubert Reeves. Il n’était pas précisément mon voisin à Chevillon, mais sa belle propriété de Malicorne, où je me rendais régulièrement, n’est située qu’à une dizaine de kilomètres – ce qui, dans les vastes campagnes de cette région, s’apparente à un proche voisinage. Je ne prêtai donc guère attention à l’information, et quelques années passèrent sans plus de curiosité de ma part.

C’est alors qu’un samedi de printemps 2005, au matin, on frappa à la porte de ma longère. Un homme de petite taille, légèrement corpulent, l’air affable, se tenait devant le seuil. Il se présenta à peu près ainsi  : « Bonjour, je suis votre voisin, j’habite une maison à 500 mètres en haut de la rue. Je suis écrivain, je viens vous saluer pour faire votre connaissance. Je m’appelle Baptiste Marrey ».

J’avoue que je n’avais jamais entendu parler d’un écrivain nommé ainsi, et sur le moment j’ai pensé qu’il s’agissait probablement d’un de ces petits auteurs régionalistes dont la littérature, ancrée dans le terroir, reste généralement ignorée en dehors de leur province. Mais lorsque, par politesse, je lui demandai chez quel éditeur il avait publié et qu’il me répondit Actes Sud, je me dis que cette prestigieuse et exigeante maison d’édition ne pouvait avoir dans son catalogue un auteur de seconde zone, de sorte que ma curiosité fut enfin éveillée.

C’est ainsi que je fis la connaissance de Baptiste-Marrey – de son vrai prénom Jean-Claude — et de son épouse, la comédienne Alix Romero. Vivant à Gentilly, ils possédaient en bordure du village de Chevillon, à moins d’un kilomètre de chez moi, une très belle demeure de campagne, « La Marelle », bien mieux entretenue que ma très rustique longère. Nous commençâmes donc à nous fréquenter, échangeant naturellement quelques-uns de nos écrits respectifs.

Je dois dire que je ne m’attendais pas du tout au choc littéraire que j’éprouvai en lisant en 2006 le premier roman qu’il m’offrit : Les papiers de Walter Jonas. Un vrai chef-d’œuvre, sur lequel je reviendrai plus bas.

Plus tard il me fit présent d’autres titres, que je dévorai comme le premier : SMS, Elvira, Edda H, consacrés à la musique classique et à l’opéra, passions communes, et l’Atelier de Peter Loewen, autre chef-d’œuvre cette fois consacré à la peinture (j’eus plus tard l’occasion de rencontrer l’un de ses fils, l’excellent peintre Gilles Marrey, et d’en visiter une superbe exposition au Musée de Sens).

Pour en savoir plus sur le parcours de Baptiste-Marrey je renvoie le lecteur intéressé au bel article qui lui est consacré sur Wikipédia, assorti d’une bibliographie assez complète (douze romans, une vingtaine d’essais). En résumé, il est né à Paris, dans le quartier de Bercy, et y a passé ses jeunes années. « La peau de mon enfance », l’un de ses derniers ouvrages publié en 2016, est un pèlerinage bouleversant dans le territoire de son enfance irrémédiablement défiguré par l’urbanisation du quartier: “Pierre à pierre me fut arrachée la peau de mon enfance. De cette ville-là (Paris), il ne reste rien que je puisse montrer à mes propres enfants.”Continuer la lecture

Promenade artistique au musée de Singapour (1): XIXe siècle

La Galerie Nationale de Singapour (National Gallery Singapore) est un musée spécialisé dans l’art de l’Asie du Sud-Est. Il a ouvert en 2015 dans les anciens bâtiments coloniaux de la Cour Suprême et de la Mairie, situés côte à côte et classés monuments historiques. L’architecte français Jean-François Milou a remporté le projet parmi plus de 100 propositions et a entrepris des travaux pharaoniques de rénovation des bâtiments. Le résultat est une vraie réussite architecturale, reflétant tout à fait la puissance économique du Singapour d’aujourd’hui.

Deux vues de Singapour depuis la terrasse supérieure du Musée

Le musée s’étend au total sur une surface de 64 000 m2, soit l’équivalent du Musée d’Orsay. Il est très loin cependant d’abriter les immortels chefs-d’œuvre de la peinture occidentale que présente ce dernier. La National Gallery évoque en effet l’histoire de l’Art à Singapour des XIXe et XXe siècles – pour moi la partie intéressante. Il est en effet toujours instructif de voir ce qui se faisait ailleurs dans le monde aux temps où l’art européen atteignait un nouveau sommet, avec notamment l’impressionnisme et le post-impressionnisme.

Les deux anciens bâtiments, liés par une voile et bien mis en valeur.
Deux vues intérieures

Le musée de Singapour présente aussi, « exercice obligé » de tous les musées d’art moderne du monde, tout un panel de réalisations, installations et performances relevant le plus souvent de la pure escroquerie (c’est mon opinion personnelle, et je précise que je ne suis nullement « réactionnaire » en matière artistique, comme le prouve mon implication dans la création en musique contemporaine.)

Ayant eu la chance de visiter ce musée lors d’un récent et bref séjour à Singapour, et sachant que la grande majorité de mes lecteurs n’auront pas cette chance, je les invite à une petite promenade en images dans ce musée. Je me suis focalisé sur les œuvres qui m’ont le plus intéressé, et que j’ai moi-même photographiées avec mon Iphone – d’où la qualité parfois contestable des reproductions!

Commençons par deux vues de Singapour au milieu du XIXe siècle (on appréciera ou pas le changement!)

Charles Andrew Dyce, Old Bridge in Singapore, 1842
F.E.Paris & S. Himeley, Le port de Singapour en 1835

C’était une époque où les explorateurs européens comme Louis Delaporte (1842-1925, découvreur du site d’Angkor) et le Capitaine Robert Smith (1792-1882, découvreur de l’Ile Prince of Wales) dessinaient les merveilles naturelles de la région:

Delaporte, Intérieur de la grotte du Nam Hou, 1873
Cascade sur l’Ile Prince de Galles, gravure de William Daniell d’après une aquarelle du Capitaine Robert Smith, 1812.

Quand on pense à l’art d’Extrême Orient, on pense automatiquement aux estampes représentant la nature:

Découvrons maintenant quelques artistes asiatiques du XIXe siècle, très peu connus en Occident, comme les Indonésiens Jan Daniel Beynon (1830-1877) et Raden Kusumadibrata, les Philippins Juan Luna (1857-1899) et Félix Resurrection Hidalgo (1855-1913).  Continuer la lecture

L’année de la confusion

Selon le dictionnaire, le mot « confusion » désigne une situation embrouillée. Il a pour synonymes « désordre », « trouble ». Vous pensez probablement que l’année 2018 qui s’achève, avec ses gilets jaunes, sa Macronie en déroute, ses errements de Brexit, ses guerres commerciales, ses fantaisies trumpiennes et autres proliférations de moustiques, semble toute désignée pour faire l’objet du présent billet de nouvel an. Hé bien pas du tout ! Si le 1er janvier 2019 va bel et bien mettre fin à une année en effet plutôt confuse sur les plans politique et social (sans garantie aucune que la nouvelle année le soit moins !), je veux vous rappeler ici que le 1er janvier de l’an 709 du calendrier romain (soit le 1er janvier 45 av. J.-C.) a mis fin à une vraie année de totale confusion. Sous l’égide de Jules César, cette date-clé de l’histoire du monde a inauguré le calendrier dit julien, lequel a mis un peu d’ordre astronomique dans l’excessif désordre des affaires humaines. L’histoire est bien connue. Vous la trouverez fort bien racontée et dans tous ses détails sur divers sites web, mais je ne résiste pas au plaisir de vous en faire un petit résumé illustré.

L’année de confusion, soit l’an 708 du calendrier romain dit A.U.C. (de la locution latine Ab Urbe condita, qui signifie littéralement « à partir de la fondation de la Ville »), a compté non pas 365 jours mais 445 répartis en quinze mois, afin de compenser le décalage pris au fil du temps entre le calendrier romain et l’année solaire, fondée sur le rythme régulier des saisons. Comment en était-on arrivé là ?

Calendrier républicain romain

Aux premiers temps de Rome, la mesure du temps se fondait sur les cycles de la Lune. Celle-ci tourne autour de la Terre en environ 29 jours et demi, de sorte qu’il n’y a pas un nombre entier de mois lunaires correspondant à la durée d’une année solaire. Le calendrier romain républicain en usage à Rome depuis Numa Pompilius, comportait 355 jours en année normale, répartis en douze mois de longueur inégale, allant de 28 à 31 jours. L’année débutait le 15 mars (les fameuses « ides »), considéré comme le début du printemps. Le premier mois, Martius, était dédié au dieu de la guerre. Le troisième, Maius, à une amante de Jupiter nommée Maïa (les chrétiens ont astucieusement dédié ce mois de mai à la Vierge Marie, sans changement phonétique). Le quatrième, Junius, à l’épouse de Jupiter. Le onzième, Ianuarius (janvier) à Janus, le dieu à double face. Le dernier mois (février) était le mois des morts, consacré à des purifications ; réputé néfaste, c’était le plus court (de 24 à 28 jours). Le nom des autres mois – Quintilis pour juillet, Sextilis pour août, September, October, November, December – correspondait aux rangs 5, 6, 7, 8, 9 et 10 qu’ils occupaient après Mars.

Dans cette mosaïque romaine du IIIe siècle av. J-C. figurent dans la première colonne le symbole des saisons, suivi pour chacune ds trois mois correspondants. A l’époque l’année débutait en mars.

Toutefois, pour que l’année coïncide mieux avec le cycle solaire et respecte le rythme des saisons, il fallait compléter de temps à autre (environ tous les deux ans) l’année normale par un mois intercalaire de 27 jours appelé Mercedonius, qui faisait passer l’année à 377 ou 378 jours. Il fallait alors raccourcir le mois de février à 23 jours pour les intercalaires courtes ou à 24 pour les intercalaires longues. Cela paraît un peu compliqué mais, selon le célèbre philosophe du IVe siècle Macrobe, ce cycle d’intercalation était le meilleur possible puisqu’il permettait de ramener la longueur moyenne de l’année à 365,25 jours sur une période de 24 ans, très proche de l’année solaire connue depuis au moins Hipparque, au IIIe siècle av. J.-C. (Dans sa définition moderne, l’année solaire, dite aussi tropique, est le temps que met la Terre pour faire une révolution autour du Soleil, égal en l’an 2000 à 365,2422 jours).

Pourquoi donc Jules César entreprit-il de réformer le calendrier ? Parce qu’en pratique, le système compensatoire n’était pas appliqué avec rigueur ; les mois ou jours intercalaires, déterminés par les prêtres responsables du calendrier et appliqués par les consuls, étaient effectués de façon hasardeuse, soit par négligence, par concussion (les premiers jours de chaque mois, appelés calendes, étaient ceux où les Romains devaient payer les loyers ainsi que les intérêts de leurs dettes. Le mot « calendrier » en découle, mais il a d’abord désigné le registre où étaient inscrits les comptes), ou encore en raison de guerres durant lesquelles les intercalations étaient omises. Continuer la lecture

Pourquoi s’intéresser aux étoiles ? (2/2)

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Un des mobiles les plus puissants qui poussent vers l’art et la science est le désir de s’évader de l’existence terre-à-terre avec son âpreté douloureuse et son vide désespérant, d’échapper aux chaînes des désirs individuels éternellement changeants. Il pousse les êtres aux cordes sensibles hors de l’existence personnelle, vers le monde de la contemplation et de la connaissance objective.
Albert Einstein

La connaissance pour la connaissance ?

Si notre connaissance du monde, des hommes et de leurs œuvres avait ce caractère définitif qui ne se rencontre que dans l’oubli ou la mort, c’en serait fait de notre capacité à questionner, à chercher, à connaître et à créer. L’art sait renaître sans cesse de lui-même, il sait nous protéger de l’oubli et nous parler de l’étrangeté du monde tout comme de sa beauté, il sait nous mener vers les ailleurs, les autrement et les avenirs ; il ne laisse pas de place à une éventuelle constitution définitive qui figerait sa matière.

Le « définitivement constitué » est tout autant étranger à la science. Celle-ci suit –différemment, certes – des chemins voisins de ceux de l’art et accentue encore cette réalité du caractère toujours provisoire qu’ont les acquis de la recherche. En s’accumulant, ceux-ci augmentent assurément notre connaissance du monde, mais, le plus souvent, ils entrouvrent des lucarnes sur les champs nouveaux à explorer, champs tellement vastes qu’il est permis de se demander si, finalement, notre activité de recherche nous rapproche d’une éventuelle connaissance ultime du « Grand Tout » ou si, au contraire, elle nous en éloigne.

Prenons pour exemple les mesures de la vitesse des étoiles dans les galaxies, données numériques qui augmentent utilement notre connaissance de l’Univers lointain. Voilà que, de cette liste de valeurs, surgit un fait insolite : pour chaque étoile, cette vitesse ne correspond pas du tout à celle que font prévoir les lois de la gravitation, en fonction de la distance donnée de l’étoile au centre de sa galaxie et de la quantité de matière visible dans cette galaxie : elle est beaucoup plus élevée. D’une accumulation intéressante mais routinière de mesures découle infiniment plus que la simple connaissance de celles-ci : s’ouvre en fait une passionnante page blanche dans le livre de la Nature. Ou bien il faut modifier les lois de la gravitation s’agissant d’étoiles éloignées du centre de leur galaxie ; ou bien – hypothèse plus plausible que la première, car le même type d’anomalies se découvre également à l’échelle de galaxies tout entières gravitant dans leurs amas – on doit admettre qu’il existe une quantité considérable de matière (95 % environ de la masse de l’Univers) qui, n’émettant pas de rayonnement, ne nous est pas directement connue, mais qui se manifeste cependant en ajoutant son action à celle de la matière visible : c’est la matière dite « sombre ».

Plus étonnant encore, nous croyons savoir depuis le début des années 2000 que le constituant principal de la partie sombre de notre Univers est largement dominé par une forme étrange d’énergie appelée « énergie noire ». Alors que des calculs théoriques simplifiés prédisaient un ralentissement de l’expansion de l’Univers sous l’effet de la matière gravitante (visible ou sombre), les observations indiquent que c’est l’inverse qui se produit : on constate une accélération. Passé l’effet de surprise, il a fallu trouver une explication : une énergie noire « répulsive », qui n’est ni astre invisible ni particule élémentaire, mais énergie « pure », diffuse dans tout l’espace, remplirait actuellement l’Univers aux deux-tiers et gouvernerait son évolution. Reste à savoir quelle est la vraie nature de cette énergie : énergie du vide quantique ? champs encore inconnus ? Le mystère reste entier et mobilise l’imagination fertile de quelques centaines de théoriciens. Il pourrait déboucher sur une nouvelle vision fondamentale des mécanismes de l’Univers.

J’insiste sur le fait que la quête de la connaissance « pure » justifie à elle seule la recherche scientifique, même lorsque aucune application pratique ne se profile à l’horizon de quelques générations humaines (au-delà, on ne peut jamais préjuger). Cela dit, la majorité des applications pratiques a pour origine des réponses à des questions qui n’avaient a priori rien à voir avec le but atteint. La découverte des rayons X n’a pas résulté d’un programme de détection des fractures osseuses, l’invention des ordinateurs n’est pas issue d’un projet d’amélioration des règles à calculer et l’invention de la radio et du téléphone n’est pas venue d’une tentative de perfectionnement des techniques des pigeons voyageurs. Qui sait si la compréhension, puis la maîtrise de l’énergie noire ne changeront pas le sort futur de l’humanité ?

Retour sur Terre…

Depuis deux générations, nous observons nettement des transformations dans notre vie quotidienne, issues des activités de recherche scientifiques et techniques. Tous les secteurs de l’activité humaine sont concernés : la santé, l’alimentation, la mobilité, l’habitat et la communication ont connu de fortes mutations, qui caractérisent nos sociétés développées. La raison en est simple : l’industrie et l’économie ne peuvent pas se développer sans une recherche active. Une bonne articulation entre recherche fondamentale et recherche appliquée, puis entre recherche appliquée et réalisation industrielle est évidemment nécessaire (moyennant certains contrôles nécessaires pour garantir un minimum d’éthique). Si une seule de ces étapes est négligée, la chaîne s’interrompt.

La responsabilité scientifique relève précisément de sa capacité à répondre aux besoins de la société. En retour de l’investissement dans la recherche publique et privée, les avancées scientifiques livrent des clés pour comprendre et transformer le monde. Il est vrai que certaines applications des sciences ou des technologies nouvelles suscitent la peur, la contestation ou le refus, notamment lorsqu’elles touchent au vivant et menacent potentiellement l’identité et l’intégrité de l’homme.

La recherche et ses applications peuvent enrichir notre vision du monde et nous conduire à porter un autre regard sur l’amélioration de la condition humaine. Prenons par exemple le développement de l’astronautique dans les années 1960. L’horizon s’est transformé : en s’éloignant, il est devenu courbe, puis la planète dans sa globalité s’est offerte aux caméras des satellites. Les vues de la Terre dans l’espace constituent l’une des principales retombées du programme Apollo. Dès lors, notre planète a cessé d’être assimilée à un monde infini, mais plutôt à un immense vaisseau spatial qu’il convient de protéger tant il semble fragile dans l’immensité du cosmos. Continuer la lecture

Pourquoi s’intéresser aux étoiles ? (1/2)

Écoutez! Si on allume les étoiles – alors – c’est donc utile à quelqu’un ? Alors – quelqu’un exige qu’elles existent ? Alors – quelqu’un les nomme perles ces petits machins? Et, forçant les tourbillons de poussière au zénith, il fonce vers Dieu, craint d’être en retard, pleure, baise sa main noueuse, demande qu’il y ait une étoile tôt ou tard, jure que vivre sans étoiles l’épuise. Et après le voilà dans les alarmes, mais l’air tranquille. Il arrête un passant : “Dis, maintenant ça va ? Tu n’as plus peur ? –Non !”
Écoutez ! Si on allume les étoiles – alors – c’est donc utile à quelqu’un ?
Alors il est indispensable que chaque soir, au-dessus des toits,
s’illumine au moins une étoile ?

Vladimir Maïakovsky

Liminaire

Le blog de culture tous azimuts sur lequel vous me faites l’honneur de naviguer a pour objet de partager quelques-unes de mes multiples passions. A ce titre, il traite de sujets de recherche et de réflexion à l’intersection des sciences, de la littérature, de la musique, de l’art, de l’histoire,  de la philosophie.
Je prends en outre soin et plaisir à lire régulièrement les commentaires, parfois très développés et documentés, de certains lecteurs particulièrement assidus. Or, depuis quelque temps, je sens chez certains d’entre eux s’instiller le doute sur l’utilité de mon entreprise. Il est clair, mes billets sur l’histoire des pluies d’étoiles filantes, le voyage cosmique dans la littérature ou encore la révolution copernicienne chez les humanistes provençaux ne peuvent aucunement soulager les souffrances de ce bas monde. Ce n’est d’ailleurs pas leur but!

Un de mes commentateurs (ou commentatrice ?) notait récemment « Que reste-t-il de toute cette science incapable de soulager nos corps et nos âmes dans cette vallée de cendres et de larmes? Quid de ce savoir, de cette érudition sans bornes, si telle aventure livresque est incapable d’étancher notre soif dans cet enfer moderne? […] Les seules étoiles à portée de main sont celles de étalages de Noël où les marchands vendent du rêve à gogo et dans la chambre vide des décorations, il y a comme une absence […]. Les pauvres – car il y en a – restent sur leur faim et leur fin. […] Pensez que le prochain billet va y changer quelque chose? Faut pas rêver! Je vous en donne mon billet qu’il n’apportera rien au mendiant. »

Ces remarques, tout à fait compréhensibles et malheureusement pertinentes, donnent à réfléchir. Je ne nie pas, bien sûr, que la principale motivation de mon blog (qui m’est une charge assez lourde de travail s’ajoutant à mes nombreuses autres activités) n’est autre que mon propre (et narcissique ?) plaisir, davantage qu’une  noble philanthropie ou une empathie (que je possède réellement) envers les souffrances des moins favorisés que moi. Ce qui n’empêche de me poser régulièrement la question : la culture – scientifique, littéraire, artistique, philosophique, etc. – est-elle vraiment conçue pour soulager la misère du monde?
Déjà faudrait-il pour cela que les plus défavorisés – et il y en a beaucoup – aient les moyens d’accéder à ladite culture ; par exemple, un simple abonnement mensuel à l’internet haut débit permettant d’accéder à un blog comme le mien n’est pas à la portée de toutes les bourses. J’en ai pleinement conscience, tout comme du fait  que notre « belle France », bien que relativement favorisée par rapport à nombre d’autres pays de la planète, soit en plein processus de paupérisation des classes moyennes. Processus au demeurant savamment et patiemment calculé par les divers pouvoirs économiques et financiers, donc politiques. Or, je pense que la paupérisation et nombre de maux de la société moderne sont  intimement liés à l’inculture…
Dans le billet qui suit, je veux donc rappeler comment la culture – l’authentique, la « bonne », pas la bouillie que nous en donnent la plupart des médias, les réseaux sociaux et autres commentateurs auto-proclamés de la sous-culture politiquement correcte –  peut grandement aider à soulager l’inévitable fardeau de l’existence, par la seule élévation de l’âme qu’elle procure. J’entends aussi défendre – admettant que ce soit encore nécessaire – le rôle majeur des sciences fondamentales dans l’amélioration de la condition humaine.

Il s’agit de l’adaptation d’un texte jadis publié dans l’ouvrage collectif Plaidoyer pour réconcilier les sciences et la culture (Editions Le Pommier, 2010), preuve que le sujet me préoccupe depuis longtemps.

Recherche et société

Qu’est-ce que les connaissances en astrophysique apportent au corps social ? À quoi sert la recherche dans les sciences de l’Univers alors que tant de choses sont à faire pour assurer le mieux-être, sinon la survie de l’espèce humaine ? De grands défis menacent aujourd’hui la planète entière : la faim dans le monde, le manque d’eau potable, le pillage inconsidéré des matières premières, le réchauffement climatique, la pollution généralisée, la diminution drastique de la biodiversité qui en découle, l’organisation chaotique des finances mondiales, la paupérisation des classes moyennes, le retour de l’irrationnel et des fondamentalismes, les bouffées de violence qui éclatent un peu partout, et j’en passe ! La recherche scientifique est-elle le moyen de répondre à ces défis ? Un simple outil parmi d’autres ? Un luxe parfaitement inutile et dispendieux, comme le clament certains ?

Devant l’ampleur des problèmes posés, nous ne sommes pas assurés du succès, loin de là, en revanche nous pouvons être certains de l’échec si la recherche scientifique n’est pas mise au premier plan et considérée comme une priorité absolue. La recherche est en effet une activité stratégique qui concerne la société tout entière. Certes, pour beaucoup de chercheurs et de dirigeants avisés (il en reste, ne serait-ce qu’une petite poignée, notamment dans les pays asiatiques), l’investissement dans la recherche est une évidence. Mais devant le nombre de fois où la question « À quoi ça sert ? » est posée dans les médias, dans les parlements et le grand public, il est utile de rappeler avec force quelques vertus cardinales de la recherche, et d’illustrer chacune de ces vertus par des exemples puisés dans ma propre discipline, les sciences de l’Univers – lesquelles semblent pourtant, à première vue, les plus éloignées des préoccupations de ce « bas monde ». Continuer la lecture

Les Léonides, pluie céleste de novembre (2/2)

Suite du précédent billet

Dans les nuits d’automne, errant par la ville,
Je regarde au ciel avec mon désir,
Car si, dans le temps qu’une étoile file,
On forme un souhait, il doit s’accomplir.
François Coppée, Etoiles Filantes (1877)

Fontaine de flammèches et d’éclairs illuminant l’atmosphère durant la pluie de 1833.
Nom de baptème

Lors de la pluie de novembre 1833, les nombreux observateurs de la côte Est des Etats-Unis et de la région des Chutes du Niagara avaient vu les météores semblant provenir de la constellation du Lion (Leo). Le nom de Léonides fut alors donné à cet essaim.

A la mi-novembre 1799, un phénomène similaire à la pluie de 1833 avait déjà été observé au large des côtes du Vénézuela par le célèbre naturaliste allemand Alexander von Humboldt, en compagnie du botaniste français Aimé Bonpland (1773-1858) [deux jours après ils partirent explorer le fleuve Orénoque].

Gravure extraite du célèbre ouvrage de Humboldt “Cosmos. Essai d’une description physique du Monde, 1847-1859.
Hubert Anson Newton (1830-1896).  Son travail d’archives  sur les Léonides a été repris en 1958 par Susumu Imoto et Ichiro Hasegawa pour les textes anciens chinois, japonais et coréens, puis par Gary Kronk en 1988 et Donald Yeomans en 1991, qui ont dressé des catalogues descriptifs de toutes les pluies de Léonides observées, de l’an 901 jusqu’à nos jours.

Hubert Anson Newton, autre professeur de Yale, subodora donc une périodicité du phénomène. Il rechercha dans les chroniques astronomiques anciennes des allusions aux « météores de novembre ». Il en trouva treize mentions, allant de l’an 901 à 1833. Newton en déduisit une périodicité de 33 ans un quart, et en 1864 il prédit une grande nuit des Léonides pour novembre 1866, année du passage suivant. Sa prédiction fut vérifiée. En novembre 1866, des centaines de météores à la minute furent bel et bien observés partout en Europe, et de nombreux compte-rendus parurent dans les journaux.

On en vit encore en 1867 et 1868, quoique à un rythme moindre. De remarquables gravures de l’époque en attestent, comme celles du génial dessinateur et astronome de l’Observatoire de Paris Etienne-Leopold Trouvelot et celle figurant dans un bel ouvrage d’astronomie populaire d’Emmanuel Liais. [Ce dernier, expulsé de lʼObservatoire de Paris en 1858 par son irascible directeur Urbain Le Verrier, avait poursuivi sa carrière au Brésil].

A gauche, dessin de Trouvelot. A droite, deux gravures extraites de l’ouvrage publié par Liais en 1881, “L’espace céleste, ou, Description de l’univers”.
La comète Tempel-Tuttle, maman des Léonides

Restait à trouver la cause du phénomène. Le voile fut levé par la découverte d’une comète de magnitude 6 nommée Tempel-Tuttle, en hommage à ses deux découvreurs, Ernst Tempel et Horace Tuttle. Le premier la détecta le 19 décembre 1865, le second quelques jours plus tard, le 6 janvier 1866. Cette même année, l’Italien Giovanni Schiaparelli démontrait que l’orbite de cette comète était quasiment identique à celle qu’occupent les particules provoquant l’essaim des Léonides, faisant pour la première fois le lien qui manquait. Continuer la lecture

Les Léonides, pluie céleste de novembre (1/2)

Une étoile filante brille
Et tout tombe
                   Le ciel se ride
Les bras s’ouvrent
                   Et rien ne vient
Un cœur bat encore dans le vide

Pierre Reverdy :  Etoile filante (extrait),
dans Plupart du temps, 1915-1922.

Le mois de novembre est propice aux pluies d’étoiles filantes, appelées aussi essaims météoritiques. Trois d’entre eux connaîtront leur maximum d’activité. L’essaim météoritique des Taurides Nord, actif du 20 Octobre au 10 Décembre, aura son maximum le 12 novembre, avec un taux moyen de 5 météores à l’heure. L’essaim des alpha-Monocérotides est actif du 15 au 25 Novembre avec un maximum le 21 Novembre ; son activité est très variable d’une année à l’autre, pouvant monter à 400 météores à l’heure durant environ 30 minutes. Mais c’est surtout l’essaim des Léonides qui attirera l’attention. Actif du 6 au 30 Novembre, il atteindra son maximum le 17 avec un taux d’environ 15 à l’heure. Cela paraît modeste, mais comme on va le voir, au cours de certaines années passées ce taux a atteint le taux phénoménal  de 200 000 à l’heure. Ce n’était plus une pluie, mais une tempête!

Belle pluie des Orionides vue depuis la Mongolie intérieure

Avant de revenir sur ces pluies historiques qui ont marqué les mémoires, quelques petits rappels astronomiques s’imposent.

Éphémère progéniture de comète

Les belles mais fugitives étoiles filantes sont des grains cométaires microscopiques qui, en pénétrant dans l’atmosphère, s’échauffent par frottement. Leur température monte à 3 000° C, et elles se consument dans la haute atmosphère, à 80 km d’altitude, créant ces traînées lumineuses qui ne durent souvent qu’une fraction de seconde. En fait, ce n’est pas la combustion du grain porté à blanc que l’on voit à si grande distance, mais la traînée d’ionisation qu’il laisse dans l’atmosphère. Ces étincelles nomades sont la version miniaturisée et anodine des météores – le bonzaï du bolide ! Leur taille ne dépasse pas quelques millimètres. Ce sont des silicates analogues à des grains de sable.

Un bolide

Il existe un lien entre la masse du grain et sa luminosité, donné par une formule dite de Hughes. A la vitesse typique de 70 km par seconde, cela donne une luminosité égale à celle d’une étoile de première grandeur comme Sirius pour un grain de seulement 3 millimètres, et une intensité tout juste visible à l’œil nu pour un grain de 0,3 millimètre.

Pour que nous puissions voir une si petite poussière à 80 km de distance, il faut qu’elle ait mis toutes ses forces dans la bataille. Parler de chant du cygne n’est rien. Il faudrait parler de la flambée de l’étoile filante. Les scientifiques se contentent de dire que « le rendement de la combustion est très élevé ».

Un grain cométaire

Lorsque, par une nuit quelconque, vous observez une étoile filante, il s’agit d’un météore sporadique. Par ciel dégagé, on peut en voir quelques-uns par heure, en principe davantage après minuit qu’avant, et davantage en automne qu’au printemps (pour l’hémisphère nord).

Si de nombreux météores apparaissent la même nuit et semblent provenir du même endroit du ciel, il s’agit d’une pluie d’étoiles filantes. On verra alors dix, voire cinquante météores et plus par heure, dans un ciel sombre sans Lune, loin des lumières des villes.

Cet essaim de météores résulte du passage annuel de la Terre dans la traînée de poussières laissée par une comète. Dans sa course folle, l’astre vagabond véhicule et éjecte autour de lui une grande quantité de matière, allant de la poussière au caillou. Une traînée composée de myriades de particules jalonne sa trajectoire elliptique dans le vide interplanétaire.

Ces sillages remplis de grains s’étendent sur des centaines de millions de kilomètres pour quelques dizaines de milliers de kilomètres de largeur, ce qui leur confère une forme de tube tordu.

Les poussières flottent dans ce tube, obscures, et la Terre, en les bousculant de son atmosphère, les enflamme. Dans un certain sens, c’est plutôt la Terre qui tombe sur elles qu’elles sur nous. Si ce n’est que notre planète, en croisant un tube, agit comme un aspirateur gravitationnel et engloutit ce qui traîne à la ronde.

Durant les plus belles pluies météoritiques annuelles on peut voir jusqu’à cent météores à l’heure. Et beaucoup plus encore lors de certaines années exceptionnelles – les grands crus -, où l’événement prend l’allure d’une véritable tempête. Continuer la lecture

Douze vignettes astropoétiques (7-12)

Suite du billet Douze vignettes astropoétiques (1-6)

7- La lumière 

Quel être vivant, doué de sens, qui n’aime plus que tout les merveilleux phénomènes de l’espace répandu autour de lui, la lumière qui réjouit tout – avec ses couleurs, ses rayons, et ses ondes.
Novalis 

Et voici que mes yeux s’ouvrirent, je vis une immense mer de lumière où soleils et planètes étaient dispersés, comme de simples îles rocheuses; et j’étais dans la mer, non point à sa surface; nulle part ne m’apparaissait un fond, nulle part une rive. Tous les espaces d’une Voie Lactée à l’autre étaient remplis de lumière, et il semblait que l’on vît passer des mers retentissantes sous les mers et sur les mers; on entendait un roulement comme celui de la marée, puis un chant de flûte comme celui des cygnes qui passent; mais ces deux bruits ne se mêlaient pas. La lumière et les sons s’emparaient délicieusement du cœur; j’étais empli de sentiments joyeux, sans savoir d’où ils venaient à moi, c’était comme une joie d’être et d’éternité; un ineffable amour, sans que je susse pourquoi, me pénétrait lorsque, autour de moi, je contemplais ce nouvel univers de lumière.
Jean Paul Richter

Ces clartés que sur nous leurs disques éclatants
Versent incessamment dans l’étendue immense,
Remplissent l’univers qu’anime leur présence.
Sans corps, sans pesanteur, et pourtant colorés,
Élancés de leur source, et non pas attirés,
Ces filets déliés d’impalpable lumière,
Prodige de vitesse à l’homme révélé
Que son œil ne peut suivre, et qu’il a calculé,
Viennent du fond du ciel frapper notre paupière.
Ils tracent dans leur route un sillon radieux;
L’éclair est moins rapide; et, tandis qu’à nos yeux
Le balancier du temps mesure une seconde
Vingt fois ils franchiraient l’axe de notre monde.
Pierre Daru 

Bien avant que la Terre fût même une nébuleuse, des astres brillaient depuis une sorte d’éternité, mais, hélas! si éloignés, si éloignés d’elle, que leur radieuse lueur, en parcourant près de cent mille lieues par seconde, n’est arrivée que récemment à la place occupée par la Terre dans le Ciel. Et il se trouve que plusieurs de ces astres se sont éteints depuis longtemps, avant qu’il ait été possible à leurs mortels de distinguer cette Terre. Cependant le rayon sorti de ces astres refroidis devait leur survivre. Il continua sa marche irrévocable dans l’étendue. C’est ainsi qu’aujourd’hui le rayon de quelques-uns de ces foyers en cendres est parvenu jusqu’à nous. De sorte que l’homme qui contemple le Ciel y admire souvent des soleils qui n’existent plus et qu’il y aperçoit quand même, grâce à ce rayon fantôme, dans l’Illusion de l’univers.
Villiers de l’Isle Adam

Chaque homme dans sa nuit s’en va vers sa lumière
Victor Hugo

8- Nébuleuses

Entre les étoiles semble régner le noir absolu. Mais au XIXe siècle, les astronomes possesseurs de télescopes ont commencé à distinguer entre les étoiles des sources de lumière d’aspect diffus. Il s’agissait de petites taches floues, de formes et dimensions variées. Evoquant à première vue des nuages, elles ont été nommées nébuleuses. Les astronomes ont ensuite entrepris de classer tous ces objets, et avec le perfectionnement constant des instruments, leur nature a fini par être comprise. Le terme « nébuleuse » est désormais réservé aux objets formés de gaz et de poussières situés dans notre propre galaxie, comprenant de grands nuages moléculaires où se forment les étoiles, et des vestiges de l’évolution stellaire comme les nébuleuses planétaires et les restes de supernovas. D’autres « nébuleuses », de forme spirale ou elliptique, se sont quant à elle révélées être des galaxies à part entière et ne sont plus nommées ainsi.

Il fut un moment où tout dormait en germe dans l’œuf d’or du soleil, ma vie, celle de tous les êtres, fils de la terre, le monde organique et l’inorganique, les océans, les continents, les forêts, le bien et le mal, le ciel et l’enfer d’ici-bas, et la lune et les autres êtres, filles du soleil, avec leur évolution vitale, leur longue histoire, splendide ou sombre. Or, de naissance en naissance, ne pourrions-nous remonter jusqu’à une heure première, où les voies lactées et les énormes nébuleuses, l’univers immense, reposaient aussi, comme des rêves près d’éclore, en la nuit muette de mon cerveau ?
Jean Lahor, La Gloire du Néant Continuer la lecture

Douze vignettes astropoétiques (1-6)

1- Exoplanètes

Une exoplanète, dite aussi planète extrasolaire, est une planète en orbite autour d’un étoile autre que le Soleil. Depuis Kepler et Galilée, qui au début du XVIIe siècle avaient compris que les étoiles devaient être d’autres systèmes solaires, les astronomes savaient qu’elles pouvaient exister, mais aucune technique d’observation ne permettait de le prouver. Les distances immenses qui les séparent de nous, ainsi que l’infime luminosité de ces corps célestes si petits en comparaison des étoiles autour desquelles ils gravitent, rendaient leur détection impossible. Ce n’est qu’en 1995 que les premières exoplanètes ont été observées, d’abord de manière indirecte, puis à partir de 2008 de manière directe.

La plupart gravitent autour d’étoiles situées dans la banlieue proche du Soleil. A ce jour, plus de 2000 exoplanètes ont été confirmées, et des centaines supplémentaires sont en attente de confirmation. En réalité, il existerait au moins 100 milliards de planètes rien que dans notre galaxie, dont 17 milliards de « taille terrestre ».

On a d’abord détecté majoritairement des planètes assez particulières comparées à celles présentes dans le Système solaire, en l’occurrence des planètes gazeuses très massives et très proches de leur étoile hôte, des « Jupiters chauds » qui ont forcé les astronomes à revoir les modèles de formation des systèmes planétaires qu’ils avaient élaborés en se basant sur notre seul Système solaire alors connu.

Depuis que les méthodes de détection se sont affinées, les astronomes visent à mettre en évidence des planètes ressemblant à la Terre, des « exoterres », en particulier celles qui orbitent dans la zone potentiellement habitable de leur étoile, et peuvent donc héberger des formes de vie comparables (ou pas) à celles connues ici-bas.

Les astres sont de grands animaux
les planètes naissent des soleils
écume dégorgée
ce sont les amours du fer et de l’aimant
(J.-P. Luminet, Itinéraire Céleste, 2004))

2- L’expansion de l’univers

Dans les années 1920, les astronomes ont découvert que les galaxies s’éloignaient de nous, animée d’une « vitesse de fuite », et qu’elles fuyaient d’autant plus vite qu’elles étaient plus lointaines. « Vives les nébuleuses se trissaient en formant un espace au nez creux », écrivit plus tard Raymond Queneau dans sa Petite cosmogonie portative. Oui, mais comment des objets aussi massifs que les galaxies pouvaient-ils avoir réellement des vitesses de 5 000, 10 000 ou 50 000 km/s ? Ce fut une énigme jusqu’à ce que le génial savant belge Georges Lemaître, en 1927, comprenne que ce ne sont pas les galaxies qui s’éloignent réellement de nous, mais c’est l’espace qui nous en sépare qui est en expansion. Le contenant se dilate, donnant l’illusion que les galaxies lointaines – le contenu – s’éloignent les unes des autres. Il s’agit en fait d’une conséquence incontournable de la théorie d’Einstein, la relativité générale. Mais Einstein lui-même était passé à côté !

La différence entre vraie vitesse des galaxies et dilatation de l’espace est fondamentale. D’une part, l’univers est en expansion en chacun de ses points et pas seulement autour de nous, de sorte qu’il n’y a pas de centre d’expansion particulier. D’autre part, il peut se dilater à une vitesse arbitrairement grande et emporter les galaxies à des vitesses apparentes supérieures à la vitesse de la lumière, sans contrevenir aux lois de la relativité.

« L’espace était permanent. Il n’était pas invariant. Même il variait constamment. Pendant longtemps il fut en augmentation », a écrit Henri Michaux. On se demande aujourd’hui si « l’augmentation » de l’espace se poursuivra à jamais, ou bien si un jour l’univers se recontractera pour s’effondrer dans un « Big Crunch ». Aux dernières nouvelles, non seulement l’espace est en expansion perpétuelle, mais il accélère sa vitesse d’expansion. Ce faisant, il refroidit. Irons-nous jusqu’au zéro absolu ?

3- Les galaxies  

Au XVIIIe siècle, à mesure que les astronomes ont scruté le ciel avec des télescopes de plus en plus puissants, ils se sont aperçus que les étoiles n’étaient pas les seuls objets brillants du ciel, mais qu’il y avait aussi de faibles taches de lumière ressemblant à des nuages, qu’ils nommèrent des nébuleuses. Ils ont remarqué que beaucoup de nébuleuses avaient l’aspect de minuscules tourbillons constitués de spirales lumineuses. Certains ont alors fait l’hypothèse que l’espace, tel un vaste océan, était rempli d’une multitude « d’îles » semblables à notre propre Voie lactée, chaque île regroupant de grandes quantités d’étoiles, séparée des autres îles par de vastes zones vides.

Ce n’est qu’en 1924 que les astronomes ont prouvé définitivement que les nébuleuses spirales étaient bien des galaxies indépendantes de la nôtre. Dès lors, notre propre Voie Lactée est devenue une galaxie parmi d’autres. On en connaît à présent des dizaines de millions, et l’Univers observable en contient probablement mille milliards, chacune comprenant des étoiles -cent milliards en moyenne-, du gaz et des poussières interstellaires.

Mais toutes les galaxies n’ont pas la forme de spirale. Il y en a des elliptiques, des lenticulaires, des spirales barrées, des irrégulières et des « particulières ». Comment se sont-elles formées dans l’histoire de l’univers ? Comme le dit le poète :

Pour scintiller au large
les galaxies prennent souffle de lumière
dans le magma silencieux des origines.
(Maurice Couquiaud)

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L’éclipse lunaire du siècle

Ce vendredi 27 juillet, une éclipse de Lune sera visible en France métropolitaine dès le crépuscule, soit à partir de 21h dans le sud de la France pour ceux qui auront la possibilité d’observer l’astre des nuits dès son émergence sur l’horizon. Pour les autres le spectacle sera décalé de quelques minutes.

Avec une durée de totalité de 1 h 42 min et 57 s, proche du maximum possible de 1 h 47 min, ce sera la plus longue éclipse de Lune du XXIe siècle ! Un événement à ne pas rater, dont vous trouverez une description précise dans cet article de Xavier Demeersman sur Futurascience.

Je reproduis ici une carte de cette éclipse déjà publiée il y a près de vingt ans dans mon livre « Eclipses, les rendez-vous célestes » (Bordas, 1999) en collaboration avec l’ami Serge Brunier.

L’éclipse de Lune totale et centrale du 27 juillet 2018 sera au zénith de Madagascar, de l’ïle de la Réunion et de l’Ile Maurice, mais elle sera aussi visible en totalité ou en partie en Europe, en Afrique, en Asie et en Australasie.

Lors d’une précédente éclipse totale de Lune (28 septembre 2015), j’avais déjà posté sur ce blog un billet assez développé sur les éclipses de Lune qui ont marqué l’histoire des hommes et des civilisations. Je vous invite à lire ou relire ces éclipses de lune mémorablesEt si le sujet vous passionne, pourquoi ne pas relire également les deux billets de mars 2015 que j’avais consacrés aux éclipses dans la littérature !

Pour honorer la présente éclipse du 27 juillet 2018, j’ajoute quelques compléments de mon cru d’ordre historique et pratique, adaptés de mon livre.

Empêchements et défaillances

Dans les Institutions astronomiques, premier livre d’astronomie rédigé en français et publié en 1557, le poète et savant Jean-Pierre de Mesmes (1516-1578), proche de la Pléiade, a proposé un vocabulaire scientifique emprunté à la langue vulgaire au lieu du grec et du latin. Il suggérait d’appeler “empêchements” les éclipses de Soleil et “défaillances” les éclipses de Lune. Si ces termes poétiques n’ont pas été adoptés, ils marquent bien la différence essentielle entre les deux phénomènes.

Bien que toute éclipse soit causée par l’interception d’un astre – la Lune ou la Terre- devant le Soleil, les éclipses solaires et lunaires diffèrent en effet sur plusieurs points. Dans une éclipse solaire, la Lune masque le Soleil en totalité ou en partie, mais seulement pour certains points de la surface de la Terre : ici, le long d’une bande longue et étroite, elle est totale ou annulaire ; là, elle n’est que partielle, et la partie cachée du Soleil est plus ou moins grande ; ailleurs, on ne voit nulle trace d’éclipse. Dans une éclipse lunaire, au contraire, notre satellite cesse en totalité ou en partie d’être éclairé par le Soleil parce qu’il traverse l’ombre de la Terre, et cet aspect de la Lune est le même pour tous les habitants de l’hémisphère terrestre qui ont la Lune au-dessus de l’horizon.

Quoi qu’il en soit, les éclipses mettent en scène ces trois acteurs aux rôles bien distincts que sont la Terre, le Soleil et la Lune. Une éclipse de Soleil se produit quand la Lune passe devant le Soleil au moment de la nouvelle lune, une éclipse de Lune se produit quand la Lune passe dans l’ombre de la Terre au moment de la pleine lune. Dans les deux configurations, les trois corps sont alignés.

Une éclipse de Lune est visible en tout point de la Terre où la Lune est au-dessus de l’horizon. Au contraire, une éclipse de Soleil n’est visible que dans une zone de la Terre relativement réduite. Ces schémas sont extraits d’un atlas du XVIIIe siècle.
Claude Buy de Mornas. Atlas méthodique et élémentaire de géographie. Paris 1761.

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30 juin, Journée de l’astéroïde

Le 6 décembre 2016, l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté une résolution déclarant le 30 juin Journée internationale des astéroïdes « afin de commémorer chaque année, au niveau international, l’anniversaire de l’explosion de Tunguska (Sibérie, Fédération de Russie) survenue le 30 juin 1908 et de sensibiliser la population aux risques d’impact d’astéroïdes. »

La Journée internationale de l’astéroïde (Asteroid Day) vise à sensibiliser le grand public aux menaces que représentent les astéroïdes, l’informer des mesures qui seraient prises pour assurer la communication de crise au niveau mondial en cas de risques liés aux géocroiseurs, mais aussi (et surtout) à mieux connaître ces fascinants résidus de la formation du système solaire.

Retour sur l’événement du 30 juin 1908, à partir d’extraits de mon livre paru en 2012, « Astéroïdes, la Terre en danger »

Le 30 juin 1908 à 7 h du matin, une effroyable explosion ravage la Tunguska, lointaine vallée pratiquement inhabitée qui étend ses forêts de conifères entre la ville d’Omsk et le lac Baïkal, en Sibérie occidentale. Accompagné d’une lueur aveuglante, le souffle couche au sol tous les arbres dans un cercle de cent kilomètres, décime des milliers de rennes, se propage, atteint les villages, brise des vitres, ébranle des immeubles. La déflagration est entendue à 1500 km à la ronde, jusqu’au cercle arctique.

Un habitant de Vanarava, à 60 km de l’endroit, aperçoit juste avant l’explosion un objet énorme et étincelant, gros comme la moitié du Soleil, fendre le ciel à la vitesse de l’éclair. Suivi par un sillage de poussière et de fumée, l’objet dégage une chaleur telle que la chemise de l’homme commence à prendre feu. Terrorisé, il a juste le temps de courir se réfugier dans sa maison afin d’éteindre les flammes.

D’autres témoins affirment avoir vu s’élever un énorme champignon de fumée noire coupant le ciel en deux. Vingt kilomètres au nord de Varanava, les nomades des tribus Tungouzes transhumant dans les forêts croient que la fin du monde est venue.Leurs huttes, arrachées du sol comme des fétus de paille, s’envolent aux quatre vents, et ils perdent des centaines de leurs rennes, gravement brûlés.

Région parmi les plus hostiles, la Tunguska compte alors très peu d’habitants. Si les dégâts matériels sont énormes, on ne déplore heureusement que quelques blessés et brûlés. Un vrai miracle. D’autant que d’incroyables phénomènes lumineux se produisent. Ce soir-là, la nuit ne se couche pas dans presque toute l’Europe. La Grande-Bretagne est éblouie par un coucher de Soleil étincelant ; la nuit, sillonnée de nuages de lumière rose, est si claire que les Londoniens peuvent lire leur journal dans la rue à minuit, sans avoir recours à l’éclairage de la ville. Des nuits d’une blancheur irréelle s’installent plusieurs semaines durant.

Enregistrée par les sismographes du monde entier, l’énergie libérée est estimée à 15 millions de tonnes de TNT. C’est mille fois la bombe atomique qui détruira 37 ans plus tard Hiroshima.

Du fait des événements qui secouent le début du siècle (purge politique en Russie, Première Guerre mondiale), les savants soviétiques ne commencent à explorer le site de la Tunguska qu’en 1927. Les arbres sont encore brûlés, couchés radialement autour du centre de l’explosion.

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Le Voyage Cosmique dans la Littérature et la Poésie (2/2)

Suite du billet “Le Voyage Cosmique dans la Littérature et la Poésie (1/2)”

De l’aéronautique à la science-fiction

La Terre est le berceau de l’humanité,
mais nul ne reste éternellement dans son berceau.
Konstantin Tsiolkovski (1920)

A la fin du XIXe siècle, — période de confiance ingénue en la Science, — le voyage cosmique est remis en honneur, mais dans un univers assez différent de celui des “Nuits” de Young (voir billet précédent). Univers plus précaire où poudroient les brouillards mystérieux de lointaines galaxies, où partout des astres agonisent et où rôdent d’invisibles soleils noircis. Sully Prudhomme (premier lauréat du prix Nobel de littérature en 1901, mais ce n’est pas forcément une référence!) met en scène Faustus et Stella dans Le Bonheur (1888). Les astres sont les îles des Bienheureux. La rapidité extraordinaire du vol des deux amants est rendue sensible par le recul et l’évanouissement des corps célestes:

« Sur leurs têtes ils voient de vertiges étourdis
Fondre Cassiopée et le Lion grandis…
La grande Ourse à son tour, subitement énorme
Tombe, et n’est bientôt plus qu’un point blême et sans forme…
Le Zodiaque épars s’effondre sous leur vol!
Ils montent, étreignant la Mort qui les entraîne
Là-bas, là-haut où germe une lueur sereine;
Et tout le peuple astral que l’homme a dénombré,
Ce qu’il nommait le ciel sous leurs pieds a sombré.
A cette nébuleuse une autre nébuleuse
Succède, puis une autre en la mer onduleuse.
De l’impalpable éther, océan sans milieu
Dont blanchissent au loin les archipels en feu…
Ils franchissent, après ces milliers de soleils
De plus hauts firmaments de plus en plus vermeils,
Jusqu’au zénith où meurt l’ascension stellaire,
Où l’astre originel et dernier les éclaire
De l’aube enchanteresse, espoir de leur regard… »

Bien avant lui, Pierre-Claude-Victor Boiste – plus connu comme lexicographe et éditeur de dictionnaires – a livré un long poème de facture très classique, L’Univers délivré, (1809), où il imagine l’âme se détachant de la Terre pour rejoindre les célestes intelligences. L’idée n’est pas nouvelle puisqu’elle remonte au moins à Pythagore! Mais chez Boiste, la pesanteur du corps et de l’entendement afflige le poète, lequel semble regretter d’être vieux dans un monde où l’aéronautique est naissante (il a assisté aux premiers envols des frères Montgolfier et de Pilâtre de Roziers)  :

« Que mes chants eussent été sublimes si j’avais pu, dans ces heureux moments, contempler le grand spectacle de la nature! Si, porté sur les ailes de l’aéronaute, j’avais pu m’élever au-dessus du globe et voir l’hémisphère à mes pieds diminuer et disparaître dans un océan de nuages! Errant alors dans l’espace, au sein du vaste empire du silence, j’aurais joui d’un spectacle nouveau pour les mortels; j’aurais vu le dieu du jour dégagé des vapeurs qui obscurcissent pour nous son éclat lancer des torrents de lumière dans l’espace. J’aurais contemplé de plus près les astres, et peut-être aurais-je découvert un corps céleste qui promènerait éternellement mon nom et ma gloire dans l’immensité. Orgueilleuse pensée! »

Le portraitiste de Pierre Boiste a visiblement voulu imiter Rembrandt !

Le voyage aérien est en effet dans l’heureuse période de ses débuts. Les moyens utilisés pour vaincre la pesanteur et autres résistances physiques ont encore une fantaisie qui fait leur charme. La littérature d’anticipation, plus tard baptisée “science-fiction” se développe avec Jules Verne (De la Terre à la Lune), Albert Robida (Le Vingtième siècle) et Herbert George Wells (La Guerre des mondes). Cette littérature, à mesure que le problème du vol spatial paraît plus proche d’une solution, prend un caractère toujours plus positif, peu favorable à la poésie, et elle ne figurera pas dans cette brève anthologie. La science-fiction a toutefois fourni de belles pages de poésie pure. Dans les années 1930, les voyages spatiaux vécus par les héros de Clive Staple Lewis (Hors de la planète silencieuse, Le Voyage à Vénus), et celui, plus grandiose, imaginé par Olaf Stapledon (Créateur d’étoiles), sont prétextes à de superbes pages dans lesquelles les écrivains, débarrassés de la technique, se consacrent à ce qui est pour eux l’essentiel: l’aspect psychologique, philosophique et poétique de l’aventure.

Le Voyage cosmique est un film muet soviétique réalisé par Vassili Zouravlev en 1936. L’image mise en avant de ce billet en est extraite.  Afin de répondre au souhait d’exactitude scientifique exigé par le  gouvernement soviétique (qui lui avait passé la commande), le réalisateur prit contact avec le célèbre théoricien Konstantin Tsiolkovski pour devenir le consultant scientifique du futur projet. Le père de l’astronautique russe accepta et travaillé à la préparation du film en rédigeant un cahier  de consignes, l’album des voyages spatiaux, contenant une trentaine de pages de schémas, dessins, explications. Sorti sur les écrans onze années après le fameux film de science-fiction russe Aelita (1924), le film raconte un premier voyage vers la Lune en 1946.

Si vous avez le temps et la curiosité pour ce type de cinéma, on le trouve ici sur l’inépuisable youtube:

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Le Voyage Cosmique dans la Littérature et la Poésie (1/2)

Le mythe d’Icare rappelle combien l’homme a toujours rêvé de s’affranchir de la pesanteur et de conquérir l’espace. Initié dans l’Antiquité grecque, le voyage imaginaire dans l’espace est devenu un genre littéraire en soi, dont le succès témoigne de ses racines profondes dans la sensibilité. Pour nombre d’explorateurs cosmiques, l’essentiel n’est cependant pas le trajet spatial, mais les contrées visitées.

La littérature est si riche qu’il est impossible d’en faire ici une compilation exhaustive. Citons au moins quelques études profondes: Gaston Bachelard bien sûr (L’Air et les Songes, 1943 ; Le Livre de Poche, 1992) et sa disciple Hélène Tuzet (Le Cosmos et l’Imagination, José Corti 1988), mais aussi Lucien Boia (L’exploration Imaginaire de l’Espace, La Découverte 1987), Stephen Dick (La pluralité des mondes, Actes Sud 1992), et pourquoi pas mon anthologie astropoétique Les Poètes et l’Univers (Le Cherche-midi, 1992).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Quant aux œuvres littéraires elles-mêmes relevant du genre, elles peuvent être classées d’après la forme du voyage. Le voyage mythique est accompli par des êtres surnaturels ou par des hommes placés sous leur conduite. Le voyage mystique décrit le ravissement de l’âme débarrassée du corps. Le voyage en pensée est celui où seule l’intelligence humaine parcourt les cieux. Enfin, le voyage astronautique est né le jour où la présence de l’homme dans l’espace est devenue effective : la conquête spatiale des cinquante dernières années restera l’un des achèvements scientifiques, technologiques et culturels les plus marquants du XXe siècle.

Dans ce billet je me cantonnerai aux navigateurs célestes qui, pratiquant davantage le vers que la prose, s’exaltent à parcourir le plus vaste des océans. S’ils font halte parfois dans les îles lumineuses, ils repartent toujours, ou bien se contentent de les frôler, de les saluer au passage, dans leur avidité d’aller toujours plus loin.

Dans le carcan des sphères aristotéliciennes


Ils assuraient qu’ils apercevaient distinctement les bornes du ciel, ils mesuraient le soleil, ils marchaient dans l’espace au-dessus de la lune.
Lucien de Samosate, Icaroménippe (vers 160)

Le voyage mythique traduit en termes de fictions issues de rêves a été traité dans l’Antiquité, avec notamment Le Songe de Scipion de Cicéron au Ier siècle avant l’ère chrétienne ou Le Songe de Macrobe au Ve siècle. Le premier écrit connu abordant le voyage physique (et non pas mental) dans l’espace est L’Histoire Vraie, composée en 160 après J.-C. par le grec Lucien de Samosate (que plus tard Johann Kepler traduira en latin afin d’apprendre le Grec !). Lucien raconte comment la nef d’Ulysse, aspirée en mer par une effroyable tornade, a vogué sept jours à travers l’espace pour se poser enfin sur la Lune. Mais Lucien expédie son équipée céleste en quelques lignes, son véritable propos étant de faire une satire des historiens qui présentent comme véridiques des récits invraisemblables et mensongers. D’ailleurs, un autre récit de Lucien, l’Icaroménippe, raconte un voyage dans la Lune, mais là encore, à aucun moment le voyage relaté n’a recours à une technologie « vraisemblable », et Lucien ne le présente jamais comme réalisable à l’aide de la science.

 

 

 

 

 

 

 

Je ne mentionnerai  pas ici ses innombrables imitateurs qui, rimeurs ou non, n’auront pas davantage le goût de l’aventure cosmique.

Dans le Moyen-Age chrétien, la traversée céleste a pour seul objectif de rejoindre l’Empyrée – le séjour divin. La cosmologie aristotélicienne régnante, enfermée dans une suite de coquilles sphériques, bloque tout intérêt pour l’espace. La Divine Comédie de Dante (vers 1320) n’est pas un contre-exemple de cette emprise paralysante si l’on réalise que le poète traverse le ciel sans le regarder… C’est une belle chose que son envol: le regard de Béatrice, rivé aux astres, y puise la force ascensionnelle que le poète à son tour boit dans les yeux de sa bien-aimée. Mais les sphères que le Florentin traverse en leur tournant le dos n’ont pour lui aucun intérêt. L’abîme des espaces n’existe pas. Comme dans une ascension mystique, la montée est d’une promptitude surnaturelle, le trajet d’un astre à l’autre presque instantané.

Cette conception de l’espace perdure en pleine Renaissance. La traversée céleste ne pose toujours aucun problème à Ludovico Arioste, auteur du Roland Furieux (1516). Au chant XXXIV, Astolphe, conduit par Saint Jean l’Evangéliste, emprunte le char d’Elie pour monter dans la Lune. Il y découvre un vallon dans lequel est rassemblé tout ce qui a été perdu sur terre :

« On y voit tous les vœux et toutes les prières que les malheureux pécheurs adressent au Ciel. Là se trouvent encore les larmes et les soupirs des amants, le temps perdu au jeu ou dans l’oisiveté, les vains projets laissés sans exécution, les frivoles désirs dont le nombre immense remplit presque le vallon. Enfin on aperçoit là-haut tout ce qui a été perdu sur la terre ».

Au chant xxxiv du poème Roland Furieux de l’Arioste, Astolphe s’élève vers la Lune sur le char d’Elie.

Un siècle plus tard, le chevalier Giambattista Marino (Adone, 1623) enlève tout aussi facilement son héros (Adonis) dans le char de Vénus et l’emporte dans les sphères célestes pour le conduire au « Théâtre du Palais d’Amour », dont l’architecture baroque contient rien de moins que la figure de l’univers :

« Là une salle immense, à travers cent fenêtres
De limpide cristal, prend la lumière du jour
Et dans un beau décor de fines mosaïques
Elle contient la figure de l’univers ».

Dans ces deux récits, la visite des mondes planétaires est bien plus intéressante que le vol lui-même – lequel se réduit à quelque chose d’aussi étriqué que le cosmos aristotélicien, borné par une sphère des étoiles fixes à peine plus grande que l’orbe de Saturne.

Dans son long poème Adone, Giambattista Marino fait l’éloge des récentes découvertes télescopiques de Galilée.
La Renaissance et l’ivresse de l’infini

Cependant, la Renaissance a donné aux esprits un nouvel élan: sans que l’architecture du monde ait encore changé, l’attitude de l’Homme face au ciel se fait plus hardie, plus confiante. L’humanité a reçu en héritage le monde pour l’explorer et le dominer, dès cette vie. Un tel enthousiasme est proche de la tentation d’orgueil. Si les poètes y échappent, le philosophe Giordano Bruno y cède à la façon d’un hardi explorateur. L’ivresse du vol, sans appréhension ni hésitation aucune, c’est chez lui que nous la trouvons pour la première fois, et la joie du voyage sans fin, sans espoir de retour (De l’Infinito, Universo e Mondi 1584) :

« C’est donc vers l’air que je déploie mes ailes confiantes.
Ne craignant nul obstacle, ni de cristal, ni de verre,
Je fends les cieux et m’érige à l’infini.
Et tandis que de ce globe je m’élève vers d’autres globes
Et pénètre au-delà par le champ éthéré,
Je laisse derrière moi ce que d’autres voient de loin »

Giordano Bruno a été condamné par l’Inquisition à être brûlé vif pour avoir notamment affirmé l’infinité du monde.

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Stephen Hawking (1942-2018) : ses travaux

Complément au billet précédent Stephen Hawking (1942-2018) : Souvenirs personnels

Les travaux de Stephen Hawking tournent essentiellement autour d’une interrogation aussi vieille que l’humanité : l’éternité du temps. Pour tenter d’y répondre de façon pertinente, le physicien britannique  a utilisé l’arsenal de la physique contemporaine : la relativité générale (théorie de la gravitation), la mécanique quantique (théorie des particules élémentaires et de leurs interactions) et le problématique mariage des deux (la gravitation quantique), concentrant sa stratégie sur deux domaines clés de la recherche théorique : les trous noirs et la cosmologie.

La relativité générale prédit que les étoiles très massives s’effondrent sur elles-mêmes sans limite. Leur champ gravitationnel devient alors si grand qu’il emprisonne la matière et la lumière à l’intérieur d’un « trou noir », zone de non-retour délimitée par une surface appelée horizon des événements. À la fin des années 1960, Hawking et son mentor Roger Penrose ont démontré qu’au-delà de l’horizon, l’effondrement gravitationnel doit inévitablement se poursuivre pour atteindre un stade « singulier » où la densité devient infinie. A la question « le temps a-t-il une fin ? », la réponse est donc oui dans le cadre de la relativité générale classique : le futur s’arrête aux singularités cachées au fond des trous noirs.

On doit à Roger Penrose (né en 1931) de nombreuses contributions à la physique des trous noirs, à la cosmologie et aux mathématiques.

Hawking s’est ensuite attaché, en collaboration avec d’autres chercheurs, à la mise en place d’une « thermodynamique des trous noirs » calquée sur les lois de la thermodynamique usuelle, autrement dit à les modéliser comme des systèmes physiques capables d’interagir avec le milieu extérieur et d’évoluer au cours du temps. Hawking a notamment démontré la loi de croissance irréversible de l’aire d’un trou noir, qui peut être mise en parallèle avec la loi de croissance de l’entropie. En outre, la gravité de surface d’un trou noir doit jouer le rôle d’une température. Un paradoxe, pointé par Jacob Bekenstein de l’Université de Princeton, surgit alors : si le trou noir possède réellement une température et une entropie, il doit être capable de rayonner de l’énergie, ce qui entre en conflit avec sa définition classique.

En 1970, Stephen Hawking et le physicien grec Demetrios Christodolou ont démontré qu’au cours de son évolution, un trou noir ne peut qu’accroître sa surface. Si deux trous noirs entrent en collision, ils forment un seul trou noir dont la surface A3 est plus grande que la somme des surfaces A1 et A2 des trous noirs parents.

Le dilemme a été résolu en 1974 par Hawking (un peu par hasard a-t-il plus tard reconnu), lorsqu’il a entrepris d’étudier l’interaction d’un trou noir avec le vide quantique. Dans la conception classique du trou noir, rien ne peut sortir de l’horizon. En mécanique quantique, au contraire, en raison du principe d’incertitude, une particule a toujours une probabilité non nulle de franchir une barrière de potentiel par effet tunnel. Appliqué à la théorie des trous noirs microscopiques, le principe d’incertitude crée des sortes de « tunnels quantiques » à travers l’horizon gravitationnellement infranchissable, permettant à des particules de s’en échapper et au trou noir de s’évaporer. Cette évaporation quantique du trou noir se manifeste sous forme d’un rayonnement dont la température est bien fixée par la gravité régnant à la surface du trou noir.

Une explication de l’évaporation d’un micro trou noir par polarisation du vide quantique.

L’évaporation quantique est totalement négligeable pour les trous noirs astrophysiques de masse stellaire ou galactique, lesquels s’accroissent au cours du temps, mais Hawking a montré qu’elle deviendrait dominante pour les « mini-trous noirs » de la taille d’un proton et moins massifs qu’un milliard de tonnes, leur temps d’évaporation devenant plus court que l’âge de l’univers (quatorze milliards d’années). De tels objets auraient pu se former au cours du Big Bang, lorsque la densité d’énergie ambiante était si élevée que la moindre fluctuation aurait pu se condenser en trou noir microscopique.

Cette découverte théorique du rayonnement quantique des trous noirs – appelé depuis « rayonnement Hawking » – a permis de comprendre que les trous noirs, outre leur intérêt astrophysique, jouent le rôle d’une pierre de Rosette dans le déchiffrage des liens énigmatiques entre gravité, quantas et thermodynamique. C’est à ce titre qu’elle restera la contribution la plus importante de Hawking à la physique théorique moderne. Continuer la lecture

Stephen Hawking (1942-2018) : Souvenirs personnels

Stephen Hawking (8 janvier 1942-14 mars 2018) rappelait souvent avec malice qu’il était né 300 ans jour pour jour après la mort de Galilée. Il ne se doutait probablement pas qu’il mourrait un 14 mars, jour anniversaire de la naissance d’Albert Einstein. Cette belle photo le montre à la fin des années 1970 en compagnie de son épouse Jane et deux de ses enfants.

 

Mon premier contact avec les travaux de Stephen Hawking remonte à 1975, année où j’ai quitté mes études de mathématiques pures à l’Université de Marseille pour suivre un D.E.A. de physique théorique et de cosmologie à la faculté de Montpellier sous la direction du professeur Andrillat. De fait je n’ai guère fréquenté les cours, car durant les précédentes vacances d’été j’avais déjà lu et assimilé l’excellente monographie sur la relativité générale et la cosmologie qu’Andrillat avait publiée en 1970. Du coup, j’ai pris l’initiative de me lancer dans la lecture de deux tout nouveaux ouvrages de haut vol parus en 1973 : The large scale structure of space-time de Stephen Hawking et George Ellis, et Gravitation de Charles Misner, Kip Thorne et John Wheeler. Ces livres émanant des deux grandes écoles anglo-saxonnes de physique théorique de l’époque, celle de Cambridge en Angleterre et celle de Princeton aux Etats-Unis,  allaient vite devenir de vraies bibles de la discipline, en  traitant la théorie d’Einstein selon des angles différents mais complémentaires.

Si la partie technique de ces livres était trop ardue pour ma formation de l’époque, j’en avais quand même retiré un immense intérêt pour les méthodes de physique mathématique développées par l’école de Cambridge, créée par Dennis Sciama dans les années 1960 et dont les plus remarquables disciples étaient Roger Penrose, Stephen Hawking, Brandon Carter et George Ellis. Ces méthodes permettaient notamment de traiter de manière originale des sujets comme la structure globale de l’espace-temps, les propriétés des trous noirs et les singularités inhérentes à la théorie de la relativité générale.

De gauche à droite : Dennis Sciama (1926-1999), Roger Penrose (né en 1931), Stephen Hawking (1942-2018), Brandon Carter (né en 1942) et George Ellis (né en 1939)

A la fin de cette année de DEA j’ai d’ailleurs rédigé un gros mémoire intitulé « Groupes d’isométries en relativité générale ». C’était en fait de la pure « géométrie différentielle » appliquée à la théorie gravitationnelle d’Einstein, directement inspirée par la lecture du livre de Hawking et Ellis. C’est alors que le professeur Andrillat m’a vivement conseillé d’aller poursuivre mes études à l’Observatoire de Paris-Meudon, où existait depuis peu un « Groupe d’astrophysique relativiste ». Recruté par le CNRS, Brandon Carter venait de quitter Cambridge pour en prendre la direction, et il sut faire confiance au jeune étudiant enthousiaste que j’étais. Collègue et ami personnel de Stephen Hawking, il m’a dirigé vers un sujet de thèse riche mais complexe concernant les singularités qui apparaissent dans certains modèles de la cosmologie relativiste. C’est ainsi que l’on désigne les points de l’espace-temps où certains paramètres physiques deviennent infinis. Le centre des trous noirs est une singularité de l’espace-temps, un point où la gravité devient infinie, ainsi que le début de l’Univers tel qu’il est décrit par la théorie du Big Bang. Par essence, on ne peut appréhender les singularités avec les outils de l’astrophysique, seulement avec ceux de la physique mathématique. Hawking et Penrose avaient justement démontré l’occurrence inévitable de singularités en relativité générale, moyennant quelques hypothèses plausibles. Ce sujet me convenait parfaitement !

Au bout d’un an, j’ai obtenu une bourse du British Council me permettant d’aller travailler trois mois à l’université de Cambridge, dans le laboratoire de Stephen Hawking. Il était déjà connu dans le petit monde des physiciens mais sans plus, et j’étais très impressionné d’avoir un bureau au DAMTP (Department of Applied Mathematics and Theoretical Physics), laboratoire prestigieux situé à l’époque dans une ancienne usine reconvertie, rue Silver Street. Encore plus impressionné le premier jour où, assistant à un séminaire au DAMTP, j’ai vu arriver Stephen Hawking en fauteuil roulant, la tête inclinée de côté, rictus sur le visage mais le regard toujours extraordinairement vif.

Le D.A.M.T.P. dans ses anciens locaux de Silver Street, avant son déménagement en 2002 dans des bâtiments modernes.

Dans les mois qui ont suivi j’ai eu l’occasion de mieux connaître Stephen. Je me souviens notamment d’un repas à la cantine de l’université, montrant les extraordinaires difficultés auxquelles Stephen était en permanence confronté pour accomplir les actes les plus simples de l’existence. Je me souviens aussi du jour où, voulant assister à un séminaire se tenant loin du DAMTP et nécessitant un déplacement en voiture, Stephen avait demandé si je pouvais le conduire avec mon propre véhicule. Je l’avais donc soulevé de son fauteuil roulant et pris dans mes bras pour le déposer sur le siège avant, m’étonnant de son poids qui ne devait guère dépasser les 40 kilos. Mais mon incapacité à communiquer vraiment avec lui était embarrassante. A cette époque en effet son élocution était déjà fortement altérée par sa maladie, de sorte que seules les personnes le connaissant très bien pouvaient comprendre ses paroles, ce qui pouvait créer des malentendus. Continuer la lecture

L’image de l’origine à travers science et littérature (2/2): du XVIIIe siècle à aujourd’hui

Suite du billet L’image de l’origine à travers science et littérature (1/2): de Homère à Milton

Première grande rupture entre science et religion, le XVIIIe siècle, qui marque le début du mécanisme et du rationalisme scientifiques. L’emprise judéo-chrétienne faiblit, mais la science des origines est encore trop balbutiante pour proposer autre chose qu’une date de création du monde conforme aux écritures : 4004 avant Jésus-Christ. Un écrivain et un savant seront les premiers à remettre sérieusement en question le dogme. Benoît de Maillet, consul de France aux Indes et écrivain, auteur de Telliamed (anagramme de son patronyme), affirme dès 1720 l’immense durée du temps de la Terre : plusieurs millions d’années. Le savant Buffon n’ose reculer aussi loin, mais dans la Théorie de la Terre (1749) il fournit des preuves expérimentales: en mesurant le temps de refroidissement de boulets ferreux portés au rouge, il en déduit que notre globe terrestre doit dater de 72 832 ans (il était encore loin du compte, puisque l’âge de la Terre est estimé aujourd’hui à 4,56 milliards d’années).

La formation de la Terre et l’origine de l’Homme.
L’écrivain et diplomate Benoist de Maillet fit preuve, dans cet ouvrage d’abord paru clandestinement, d’une profonde originalité en prenant le parti de l’évolutionnisme contre le fixisme, imaginant notamment l’origine de la vie dans la mer.
Benoist de Maillet, Telliamed, ou Entretien d’un Philosophe Indien, Amsterdam, 1748

La théorie de l’attraction newtonienne s’impose au XVIIIe siècle. Toutefois, des glissements se produisent quant à la question des origines. Le cadre de pensée newtonien est un espace illimité dans un temps éternel. Le problème de la genèse hante les esprits qui ne se contentent plus des Écritures, et cet univers incréé (sinon par l’action divine) que leur offre Newton ne peut les satisfaire. Non contents de revoir à la hausse l’âge de l’univers, ils entrevoient des mécanismes de formation; avec la perte du géocentrisme, la terre, qui n’est plus ni centre ni sommet de la création, n’a plus de raison de naître avant toute chose. Les savants commencent à établir une nouvelle chronologie de la création : l’univers d’abord, puis le Soleil, puis la Terre.

Buffon, par exemple, ne se contente pas de refaire la chronologie, il propose des mécanismes de naissance. Pour le système solaire, il attribue l’impulsion première au choc d’une comète qui, arrachant au soleil des lambeaux en fusion, aurait projeté au loin les futures planètes, retenues enchaînées par l’attraction. Cette cosmogonie sera reprise au début du XXe siècle par l’Anglais James Jeans, mais sans succès. Notons que l’antagonisme de deux Forces – l’attractive et la centrifuge – remet en honneur un très vieux mythe remontant à Héraclite (et largement présent dans les Védas), celui de la Grande Pulsation. L’équilibre s’altère tour à tour au profit de chacune d’elles jusqu’à son triomphe total, suivi d’un renversement qui donnera l’avantage à sa rivale.

La formation des planètes selon Buffon.
La célèbre “Histoire naturelle” comprend une “Preuve de la théorie de la Terre”, dans laquelle le naturaliste examine le problème de la formation des planètes. Buffon récapitule les théories précédemment proposées par les Anglais Whiston, Burnet et Woodward, et propose ensuite sa propre hypothèse. Suite à ses expériences effectuées sur des boulets, il propose un tableau récapitulatif donnant le “commencement, la fin et la durée de l’existence de la nature organisée dans chaque planète”. Bien que Buffon ait été déclaré impie par l’Eglise, cette gravure illustrant son ouvrage, due à l’artiste londonien N. Blakey, représente Dieu le Père créant les cercles des planètes au milieu de nuées.

Vers le milieu du XVIIIe siècle, la conception d’un fluide élémentaire universel se généralise. Le philosophe Emmanuel Kant a le premier la vision grandiose d’un état premier de la matière emplissant l’espace infini, et d’où naîtront les mondes. Plongée dans l’ombre et le silence, cette matière diffuse est déjà grosse de tous les futurs.

Relisons Diderot, dans sa Lettre sur les Aveugles (1749) :

« Combien de mondes estropiés, manqués, se sont dissipés, se reforment et se dissipent peut-être à chaque instant, dans des espaces éloignés… où le mouvement continue et continuera de combiner des amas de matière, jusqu’à ce qu’ils aient obtenu quelque arrangement dans lequel ils puissent persévérer. »

Ce n’est pas de Kant que Laplace tient la première idée de sa « nébuleuse primitive », mais des observations de l’astronome William Herschel. Son grand télescope l’a convaincu que certaines nébuleuses sont des nuées de matière diffuse, et que les étoiles doivent se former par condensation au sein de ces nuées. Ces observations, publiées en 1811, Laplace les reproduit au chapitre VI de son Système du Monde (édition de 1824). Lui qui, par ailleurs, ne cesse de répéter à l’instar de son maître Newton « Je ne forge pas d’hypothèses », lance la plus sensationnelle hypothèse du siècle : une première nébulosité presque imperceptible où se forme un noyau à peine brillant, des anneaux de vapeurs successivement abandonnés, tournant comme des cerceaux, puis se rompant en masses qui s’arrondissent à leur tour et où brillent d’autres petits soleils dans leur cocon brumeux… Le système solaire est né ! Les actuels modèles de formation du système solaire n’en diffèrent pas énormément.

Dessin original de William Herschel montrant divers objets nébuleux observés à travers son grand télescope.

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L’image de l’origine à travers science et littérature (1/2): de Homère à Milton

On trouve chez tous les peuples, dans le fonds le plus ancien de leurs traditions, des récits relatifs à l’origine de la terre et du ciel, c’est-à-dire des récits de cosmogonie. La plupart de ces traditions recherchent un Principe créateur à la source de toute chose : Dieu(x), Idée ou Élément. Comment la perfection première a-t-elle produit le continuum spatio-temporel, comment le parfait, l’éternel et l’incorruptible ont-t-il engendré l’imparfait, le changeant, le corruptible ? Aucun sujet n’a plus agité l’imagination humaine. L’origine de toutes choses est le mystère des mystères, et toute civilisation a tenté de trouver une explication.

En Europe, plus exactement dans le bassin méditerranéen, les premières sources littéraires grecques placent l’origine dans l’Eau. Ainsi Homère, dans l’Iliade, affirme que l’Océan est le père de tout. La Théogonie d’Hésiode (VIIIe siècle) est déjà plus complexe, car elle fait une première synthèse de traditions plus anciennes. Son récit de procréation sexuelle entre les forces cosmiques et des batailles entre géants fut extrêmement populaire. Hésiode use de son intuition poétique et de son expérience intérieure pour « inventer » l’Origine du Monde à partir du Vide:

« Donc, avant tout, fut le Vide ; puis Terre aux larges flancs, assise sûre à jamais offerte à tous les vivants, et Amour, le plus beau parmi les dieux immortels, celui qui rompt les membres et qui, dans la poitrine de tout dieu comme de tout homme, dompte le cœur et le sage vouloir. Du Vide naquirent Erèbe et la noire Nuit. Et de Nuit, à son tour, sortirent Éther et Lumière du Jour. Terre, elle, d’abord enfanta un être égal à elle-même; capable de la couvrir tout entière, Ciel Étoilé, qui devait offrir aux dieux bienheureux une assise sûre à jamais. »

La Théogonie d’Hésiode (poème en 1 022 hexamètres grecs, VIIIe-VIIe s. av. J.-C.) est une généalogie des dieux qui débute avec Gaïa, la Terre, élément primordial d’où naquirent les races divines. Elle enfanta seule le Ciel et l’Océan, Ouranos et Pontos, puis, unie à ces fils, donna naissance à d’innombrables divinités parmi lesquelles les Titans, les Titanides, les Cyclopes, les Géants, Cronos et Zeus. Le récit s’attache ensuite à la conquête de l’univers par Zeus, après les batailles décisives contre les Titans et le monstre Typhée.
Ce récit de la Création du monde à travers la bataille entre les forces de l’ordre (cosmos) et les puissances du désordre (chaos), a fortement influencé la pensée cosmogonique grecque.
Dans cette édition d’art illustrée par Georges Braque, l’artiste a représenté le poète grec recevant de Moïse le flambeau de la tradition hébraïque.
Hésiode, Théogonie, Paris, Maeght, 1955.

Il est intéressant de noter que trois mille ans plus tard, la cosmologie quantique, qui est la forme actuellement la plus élaborée de la cosmogonie scientifique, fondée sur les théories de la relativité générale et de la physique quantique, met en équations le surgissement spontané de l’univers à partir des fluctuations du Vide.

L’inflation chaotique.
En 1988, le physicien russe Andrey Linde a émis l’hypothèse que les conditions initiales de l’Univers sont chaotiques, c’est-à-dire que le vide quantique est très inhomogène. Dans un tel scénario, des fluctuations différentes engendrent une multitude d’univers distincts, parallèles ou enchâssés les uns dans les autres, sans communication possible entre eux, possédant chacun leurs lois physiques propres. Dans des simulations sur ordinateur, les univers dont le développement initial a connu une phase d’expansion très rapide (inflation) sont les plus probables, et occupent donc les pics de ce diagramme. Ceux en expansion modérée – tel le nôtre – sont beaucoup moins probables, et gisent au fond des vallées.
Simulation d’ordinateur, A. Linde, Stanford University

Dans le Timée, Platon présente une déité – « Grand Architecte de toutes choses » – donnant une extension physique à une Idée :

« Lorsque Dieu entreprit d’ordonner le tout, au début, le feu, l’eau, la terre et l’air portaient des traces de leur propre nature, mais ils étaient tout à fait dans l’état où tout se trouve naturellement en l’absence de Dieu. C’est dans cet état qu’il les prit, et il commença par leur donner une configuration distincte au moyen des idées et des nombres. Qu’il les ait tirés de leur désordre pour les assembler de la manière la plus belle et la meilleure possible, c’est là le principe qui doit nous guider constamment dans toute notre exposition. »

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L’astronomie dans l’imaginaire collectif

Comment l’homme se forge-t-il des images mentales du cosmos, et quelle place ces représentations occupent-elles dans son imaginaire, qu’il soit scientifique, artistique, philosophique ou tout simplement populaire ?

Dans cet ouvrage d’épistémologie publié en 1938, Bachelard met l’accent sur le rôle des archétypes de la pensée dans la transition entre l’esprit « préscientifique » et l’esprit « scientifique ».

Il est intéressant d’analyser les différentes façons dont le cosmos est représenté dans la culture savante ou populaire, individuelle ou collective, et de les mettre en rapport avec le développement des connaissances astronomiques, afin d’y déceler ce que Bachelard appelait des « archétypes de la pensée ».

L’astronomie a souvent fécondé l’imaginaire collectif, au point d’imprégner notre quotidien, par le biais de mots de vocabulaire, des usages et représentations qui leur sont liés.

Prenons l’exemple de l’étoile – l’objet astronomique à la fois le plus familier et le plus transcendant. Le mot provient du latin stella, qui désignait tout ce qui scintille.

Nous devons aux Arabes d’avoir baptisé la plupart des étoiles les plus brillantes. Qui n’a pas entendu parler d’Aldébaran, de Véga ou de Bételgeuse, ne serait-ce qu’au travers de noms de marques ou de slogans publicitaires ? Et on ne compte plus les lieux, places, rues, chemins, enseignes, baptisés Sirius, Antarès, Procyon, Rigel, Deneb, Capella ou Algol. Quant aux motifs étoilés à cinq, six, huit, dix branches ou davantage, ils se retrouvent dans un immense éventail de réalisations humaines : sculptures, architecture des espaces publics, guides touristiques, drapeaux. Pensons aussi aux voûtes de tant de monuments – chapelles médiévales, cathédrales, tombeaux de rois et d’empereurs – qui rappellent la présence permanence de la voûte étoilée au-dessus de nos têtes. Notons l’utilisation très répandue du mot « zénith » pour baptiser salles de spectacles et centres de congrès. Le zénith astronomique est le point de la sphère céleste situé à la verticale au-dessus de la tête d’un observateur, tandis qu’au figuré, il désigne le degré le plus élevé. Peu de rapport a priori avec les vastes édifices de rassemblement populaire, sinon que les spectacles qui s’y déroulent mettent en scène des « stars » brillant de façon éphémère au firmament de leur carrière…

 

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J’eus le vertige et je pleurai car mes yeux avaient vu cet objet secret et conjectural dont les hommes usurpent le nom, mais qu’aucun homme n’a regardé : l’inconcevable univers. Jorge Luis Borges, L’Aleph (1949)