Les Chroniques de l’espace illustrées (2) : La conquête imaginaire de l’espace

L’an dernier (2019), à l’occasion du cinquantième anniversaire de la mission Apollo 11 qui avait déposé pour la première fois des hommes sur la Lune, j’avais entrepris de retracer la fabuleuse épopée de l’exploration spatiale à travers quarante chroniques, diffusées tout l’été sur les ondes de France Inter.

Un livre était paru dans la foulée, se contentant de reprendre le texte de mes chroniques. Compte tenu de l’état déplorable du “marché”, une version illustrée a peu de chance d’être un jour publiée, ce qui est bien regrettable tant l’iconographie liée au sujet est d’une extrême richesse. Mon blog me permet de pallier ce manque.  Voici donc la seconde de ces « chroniques de l’espace illustrées ». Ceci dit, si vous souhaitez acquérir mon livre dans sa version papier d’origine, ne vous privez pas !

La conquête imaginaire de l’espace

Loin de la vision spatiale que nous en avons aujourd’hui, les premières fusées ont été des armes, inventées en Chine aux alentours du XIIIe siècle. Ce ne sont alors que des tubes de carton contenant de la poudre, dont les tirs très aléatoires sont dangereux même pour ceux qui les allument.

C’est en 1500 qu’aurait eu lieu la première tentative de lancement d’un être humain à l’aide de fusées. Wan-Hu, un fonctionnaire chinois, serait monté sur une chaise équipée de 47 fusées dans l’espoir d’atteindre la Lune. Il n’en est évidemment pas sorti vivant ! Par la suite, les Chinois améliorent la technique des fusées en leur ajoutant des baguettes de guidage et des ailettes de stabilisation, ou en utilisant des cylindres de fer plutôt que du carton, ce qui les rend plus sûres, stables et puissantes. Mais les développements de l’artillerie classique conduisent à des armes plus efficaces, et les fusées ne servent plus qu’à faire de jolis feux d’artifice.

Fonctionnaire de la cour impériale, Wan Hu rêvait de se rendre sur Lune; c’est en regardant un feu d’artifice qu’il a eu l’idée d’utiliser la propulsion de fusées pour s’élever dans le ciel. Il a équipé une planche de bois d’un système de 47 fusées. Le jour du lancement, vêtu de ses plus beaux atours, Wan-Hu a grimpé sur la chaise et ses assistants ont allumé en même temps les fusées. Après une énorme explosion, le navire et Wan Hu ont disparu… Son nom a été donné à un cratère lunaire.

C’est à la fin du XVIIIsiècle qu’en Occident la science et la technique triomphantes laissent entrevoir la possibilité concrète d’explorer le ciel, à l’aide d’appareils plus légers que l’air. L’aventure commence en France avec Pilâtre de Rozier. En 1783, il est le premier être humain à s’envoler à 1 000 mètres de hauteur et à revenir sain et sauf, à bord du ballon à air chaud inventé par les frères Montgolfier.

Le premier vol véritable en Montgolfière a lieu en novembre 1783 à Paris, avec Pilâtre de Rozier et le marquis François Laurent d’Arlandes ; il a duré une vingtaine de minutes. Pilâtre tente en 1785 de traverser la Manche en compagnie du scientifique Pierre-Ange Romain, mais le ballon se dégonfle et s’écrase sur le sol, provoquant la mort des deux aéronautes.
Cartes postales commémoratives du premier voyage aérien de Pilâtre de Rozier et du marquis d’Arlandes (à gauche), de la mort de Pilâtre de Rozier et de Pierre-Ange Romain (à droite). Imprimées entre 1890 et 1900.

Dès lors, la conquête de l’air se développe, les auteurs rivalisent d’imagination pour concevoir des moyens techniques de se rendre dans l’espace interplanétaire.

Les romans de Jules Verne en constituent les premiers exemples. Dans De la Terre à la Lune, publié en 1865, le héros, Michel Ardan, et deux amis américains sont lancés dans l’espace à l’aide d’un canon géant de 300 mètres de long. Si Jules Verne fait l’erreur de ne pas se rendre compte que les voyageurs seraient tués par l’énorme accélération due au tir, il explique à juste titre que le corps du chien accompagnant les spationautes, largué du vaisseau en mouvement dans l’espace, continue à se déplacer sur une trajectoire parallèle. Ce phénomène, exact mais peu intuitif, montre l’approche scientifique du sujet. Continuer la lecture

Les Chroniques de l’espace illustrées (1): Utopies célestes

L’an dernier (2019), à l’occasion du cinquantième anniversaire de la mission Apollo 11 qui avait déposé pour la première fois des hommes sur la Lune, j’avais entrepris de retracer la fabuleuse épopée de l’exploration spatiale à travers quarante chroniques, diffusées tout l’été sur les ondes de France Inter.

Un livre était paru dans la foulée, se contentant de reprendre le texte de mes chroniques. Mes éditeurs espéraient que le succès attendu de ce petit livre accessible à tous et qui avait fait l’objet d’une forte promotion radiophonique, leur donneraient l’occasion de publier ultérieurement une version « de luxe », c’est-à-dire illustrée par une riche iconographie. Or, contrairement aux attentes et pour des raisons encore obscures, mon livre a été le pire bide commercial de toute ma production littéraire (25 ouvrages) alors qu’il aurait normalement dû en être le sommet ! Une version illustrée n’a donc aucune chance de voir le jour, et c’est bien dommage car l’iconographie, je  le répète, est d’une extrême richesse. Ce blog va me permettre de rattraper un peu cette déception. Voici donc la première de ces « chroniques de l’espace illustrées ». Ceci dit, si vous souhaitez acquérir mon livre dans sa version papier d’origine, ne vous privez pas !

Utopies célestes

Le rêve de quitter la Terre et de voyager dans l’espace a toujours existé. Souvenez-vous du mythe d’Icare, le premier homme à s’élever dans les airs pour s’évader du labyrinthe. Mais son orgueil le fait se rapprocher trop près du Soleil : ses ailes collées à la cire se mettent à fondre, et Icare retombe vertigineusement… Profonde et cruelle métaphore de la condition humaine !

Deux représentations picturales de la Chute d’Icare. A gauche : “Chute d’Icare” de Carlo Saraceni (1580-1620), Musée Capodimonte de Naples. A droite : “Pleurs pour Icare” de Herbert Draper, 1898, Tate Britain.

Dans deux romans rédigés au IIsiècle, le Grec Lucien de Samosate conte de manière fantaisiste des voyages sur la Lune, mais à aucun moment les trajets relatés n’ont recours à une technologie vraisemblable. Ce n’est pas encore de la science-fiction, c’est une utopie, exercice philosophique permettant de prendre du recul pour critiquer la société de son époque.

A gauche : gravure du buste de Lucien de Samosate par William Faithorne. A droite: une édition moderne des œuvres de Lucien comprenant notamment “Histoire véritable”, où le personnage voyage sur la Lune.

Au Moyen-Âge, le voyage céleste devient un exercice mystique. Il s’agit de rejoindre l’empyrée – la demeure des dieux et des bienheureux. Voilà pourquoi dans sa Divine Comédie, le poète Dante traverse le ciel sans même le regarder…

A gauche : une édition illustrée de la Divine Comédie datant du XVe siècle. A droite : une représentation du système cosmographique de Dante, conforme à la conception chrétienne médiévale

   À la Renaissance, l’attitude de l’Homme face au ciel se fait plus hardie. Le philosophe Giordano Bruno exprime pour la première fois l’ivresse du vol, la joie du voyage sans retour : « C’est donc vers l’air que je déploie mes ailes confiantes. Ne craignant nul obstacle, je fends les cieux et m’érige à l’infini. Et tandis que de ce globe je m’élève vers d’autres globes et pénètre au-delà par le champ éthéré, je laisse derrière moi ce que d’autres voient de loin », écrit-il avant d’être brûlé vif par l’Inquisition en l’an de grâce 1600.

Ce numéro de la revue Europe auquel j’ai participé compare les conceptions cosmologiques de Giordano Bruno et de son contemporain Galilée, très différentes en ce qui concerne la question de l’infinité de l’univers.

Voir ici le long billet de blog que j’ai récemment consacré à Giordano Bruno.

Peu après, Galilée découvre à la lunette astronomique le relief de la Lune, prouvant qu’elle est de même nature que la Terre. Son contemporain, le génial Johannes Kepler, s’enthousiasme et entrevoit les voyages interplanétaires. Il lui écrit : « Créons des navires et des voiles adaptés à l’éther, et il y aura un grand nombre de gens pour n’avoir pas peur des déserts du vide. En attendant, nous préparerons, pour les hardis navigateurs du ciel, des cartes des corps célestes ; je le ferai pour la Lune et toi, Galilée, pour Jupiter. » Continuer la lecture