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L’image de l’origine à travers science et littérature (2/2): du XVIIIe siècle à aujourd’hui

Suite du billet L’image de l’origine à travers science et littérature (1/2): de Homère à Milton

Première grande rupture entre science et religion, le XVIIIe siècle, qui marque le début du mécanisme et du rationalisme scientifiques. L’emprise judéo-chrétienne faiblit, mais la science des origines est encore trop balbutiante pour proposer autre chose qu’une date de création du monde conforme aux écritures : 4004 avant Jésus-Christ. Un écrivain et un savant seront les premiers à remettre sérieusement en question le dogme. Benoît de Maillet, consul de France aux Indes et écrivain, auteur de Telliamed (anagramme de son patronyme), affirme dès 1720 l’immense durée du temps de la Terre : plusieurs millions d’années. Le savant Buffon n’ose reculer aussi loin, mais dans la Théorie de la Terre (1749) il fournit des preuves expérimentales: en mesurant le temps de refroidissement de boulets ferreux portés au rouge, il en déduit que notre globe terrestre doit dater de 72 832 ans (il était encore loin du compte, puisque l’âge de la Terre est estimé aujourd’hui à 4,56 milliards d’années).

La formation de la Terre et l’origine de l’Homme.
L’écrivain et diplomate Benoist de Maillet fit preuve, dans cet ouvrage d’abord paru clandestinement, d’une profonde originalité en prenant le parti de l’évolutionnisme contre le fixisme, imaginant notamment l’origine de la vie dans la mer.
Benoist de Maillet, Telliamed, ou Entretien d’un Philosophe Indien, Amsterdam, 1748

La théorie de l’attraction newtonienne s’impose au XVIIIe siècle. Toutefois, des glissements se produisent quant à la question des origines. Le cadre de pensée newtonien est un espace illimité dans un temps éternel. Le problème de la genèse hante les esprits qui ne se contentent plus des Écritures, et cet univers incréé (sinon par l’action divine) que leur offre Newton ne peut les satisfaire. Non contents de revoir à la hausse l’âge de l’univers, ils entrevoient des mécanismes de formation; avec la perte du géocentrisme, la terre, qui n’est plus ni centre ni sommet de la création, n’a plus de raison de naître avant toute chose. Les savants commencent à établir une nouvelle chronologie de la création : l’univers d’abord, puis le Soleil, puis la Terre.

Buffon, par exemple, ne se contente pas de refaire la chronologie, il propose des mécanismes de naissance. Pour le système solaire, il attribue l’impulsion première au choc d’une comète qui, arrachant au soleil des lambeaux en fusion, aurait projeté au loin les futures planètes, retenues enchaînées par l’attraction. Cette cosmogonie sera reprise au début du XXe siècle par l’Anglais James Jeans, mais sans succès. Notons que l’antagonisme de deux Forces – l’attractive et la centrifuge – remet en honneur un très vieux mythe remontant à Héraclite (et largement présent dans les Védas), celui de la Grande Pulsation. L’équilibre s’altère tour à tour au profit de chacune d’elles jusqu’à son triomphe total, suivi d’un renversement qui donnera l’avantage à sa rivale.

La formation des planètes selon Buffon.
La célèbre “Histoire naturelle” comprend une “Preuve de la théorie de la Terre”, dans laquelle le naturaliste examine le problème de la formation des planètes. Buffon récapitule les théories précédemment proposées par les Anglais Whiston, Burnet et Woodward, et propose ensuite sa propre hypothèse. Suite à ses expériences effectuées sur des boulets, il propose un tableau récapitulatif donnant le “commencement, la fin et la durée de l’existence de la nature organisée dans chaque planète”. Bien que Buffon ait été déclaré impie par l’Eglise, cette gravure illustrant son ouvrage, due à l’artiste londonien N. Blakey, représente Dieu le Père créant les cercles des planètes au milieu de nuées.

Vers le milieu du XVIIIe siècle, la conception d’un fluide élémentaire universel se généralise. Le philosophe Emmanuel Kant a le premier la vision grandiose d’un état premier de la matière emplissant l’espace infini, et d’où naîtront les mondes. Plongée dans l’ombre et le silence, cette matière diffuse est déjà grosse de tous les futurs.

Relisons Diderot, dans sa Lettre sur les Aveugles (1749) :

« Combien de mondes estropiés, manqués, se sont dissipés, se reforment et se dissipent peut-être à chaque instant, dans des espaces éloignés… où le mouvement continue et continuera de combiner des amas de matière, jusqu’à ce qu’ils aient obtenu quelque arrangement dans lequel ils puissent persévérer. »

Ce n’est pas de Kant que Laplace tient la première idée de sa « nébuleuse primitive », mais des observations de l’astronome William Herschel. Son grand télescope l’a convaincu que certaines nébuleuses sont des nuées de matière diffuse, et que les étoiles doivent se former par condensation au sein de ces nuées. Ces observations, publiées en 1811, Laplace les reproduit au chapitre VI de son Système du Monde (édition de 1824). Lui qui, par ailleurs, ne cesse de répéter à l’instar de son maître Newton « Je ne forge pas d’hypothèses », lance la plus sensationnelle hypothèse du siècle : une première nébulosité presque imperceptible où se forme un noyau à peine brillant, des anneaux de vapeurs successivement abandonnés, tournant comme des cerceaux, puis se rompant en masses qui s’arrondissent à leur tour et où brillent d’autres petits soleils dans leur cocon brumeux… Le système solaire est né ! Les actuels modèles de formation du système solaire n’en diffèrent pas énormément.

Dessin original de William Herschel montrant divers objets nébuleux observés à travers son grand télescope.

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Astronomie et imaginaire collectif

Comment l’homme se forge-t-il des images mentales du cosmos, et quelle place ces représentations occupent-elles dans son imaginaire, qu’il soit scientifique, artistique, philosophique ou tout simplement populaire ?

Il est fascinant d’analyser les diverses façons d’imaginer le cosmos à travers la culture savante ou populaire, individuelle ou collective, et de les mettre en rapport avec le développement des connaissances astronomiques afin d’y déceler ce que Bachelard appelait des « archétypes de la pensée ». Nombre de thèmes astronomiques ont toujours été féconds pour l’imaginaire collectif et imprègnent l’univers quotidien de l’homme sous des formes diverses, comme le vocabulaire, l’usage qui en est fait et les représentations qu’il va créer.

place_d-orion_cropPrenons l’exemple basique de l’étoile – l’objet astronomique à la fois le plus familier et le plus transcendant. Le mot provient du latin stella, qui désignait tout ce qui scintille. Nous devons aux Arabes d’avoir baptisé la plupart des étoiles les plus brillantes. Qui n’a pas entendu parler d’Aldébaran, de Véga ou de Bételgeuse, ne serait-ce qu’à travers des marques de produits ou de slogans publicitaires ? Et on ne compte plus les lieux, places, rues, chemins, enseignes, marques baptisés Sirius, Antarès, Procyon, Rigel, Deneb, Capella ou Algol. Quant aux motifs étoilés à cinq, six, huit, dix branches ou davantage, ils se retrouvent dans un immense éventail de réalisations humaines : sculptures, architecture des espaces publics, guides touristiques, drapeaux, etc. Pensons aussi aux voûtes de tant de monuments – chapelles médiévales, cathédrales, tombeaux de rois et d’empereurs – qui rappellent la présence permanence de la voûte étoilée au-dessus de nos têtes. Continuer la lecture

La saga des constantes cosmologiques

L’étude de l’univers dans son ensemble, c’est-à-dire la cosmologie, requiert la connaissance  de certaines constantes fondamentales, même si certaines – comme la constante de Hubble –  peuvent varier sur de très longues périodes de temps.

couvIBB2014La cosmologie a émergé en tant que science il y a moins d’un siècle après la publication des premiers articles d’Einstein, Friedmann et De Sitter vers 1920, puis la découverte de l’expansion de l’Univers par Lemaître et Hubble. Jusqu’alors, beaucoup pensaient même que l’Univers se limitait à la Voie lactée et que les « nébuleuses spirales » étaient de simples nuages de gaz qui en faisait partie. Depuis, on a découvert que l’Univers – du moins celui que nous pouvons observer – a un diamètre un million de fois plus grand que celui de la Voie Lactée, qu’il est né il y a quatorze milliards d’années et qu’il est en expansion depuis, qu’il a une géométrie de courbure proche de zéro, et qu’après s’être ralentie, son expansion s’accélère depuis quelques milliards d’années. Mais toutes ces découvertes ne se sont pas faites sans mal, et elles ont été accompagnées de violentes controverses et de remises en cause parfois douloureuses. Continuer la lecture

Recension de livres scientifiques (4)

Quatrième livraison des recensions de livres de culture scientifique que j’avais rédigées entre 2001 et 2007 pour la défunte revue Vient de Paraître. Toujours disponibles et d’actualité!

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MLRMarc Lachièze-Rey : Au delà de l’espace et du temps

Le Pommier, Collection : Essais (26 mars 2003)  – ISBN: 2746501066

Physicien théoricien et astrophysicien, Marc Lachièze-Rey est Directeur de recherche au CNRS. Il vient de publier un ouvrage sur la « nouvelle physique », qui traduit une profonde réflexion sur la manière dont se construit la connaissance, en particulier la cosmologie du XXe siècle et son ouverture vers une nouvelle physique du XXIe siècle.

Dans quel univers vivons-nous ? Y a-t-il une physique capable de décrire ses propriétés dont les grands intruments de mesure (télescopes, accélérateurs de particlues), ainsi que des arguments théoriques pertinents, nous suggèrent plus que jamais des aspects incoupçonnés ? Pour nous rendre accessibles les grands mystères du cosmos, l’auteur a choisi à juste titre la géométrie. L’efficacité de la description ainsi obtenue est étonnante : elle permet aussi bien d’expliquer la structure des noyaux et la physique des particules que la nature des galaxies et les modèles de big-bang. Elle met aussi en relief la mésentente sous-jacente qui oppose encore les concepts de l’infiniment grand et de l’infiniment petit : physique quantique et relativité se révèlent incompatibles. Aujourd’hui il faut inventer de nouvelles géométries pour tenter de décrire ce qui, dans l’Univers, nous échappe encore : vivons-nous par exemple dans un monde à 10 dimensions, ou granulaire ? Continuer la lecture

Edwin Hubble : une erreur de casting

Il y a une quinzaine de jours,  rentrant en voiture de mon travail (au Laboratoire d’Astrophysique de Marseille, Technopôle de Château-Gombert), et écoutant à la radio France Info pour patienter dans les inévitables bouchons marseillais, je suis tombé par hasard sur l’émission de l’excellent Emmanuel Davidenkoff « Un jour, une question ». J’ai toujours apprécié l’inlassable combat pédagogique que mène depuis tant d’années ce spécialiste de l’éducation, tant à travers ses chroniques radio que ses écrits sur la question. Je garde en outre un excellent souvenir de l’entretien radiophonique d’une heure qu’il avait eu la gentillesse de me consacrer en 2008 sur les ondes de  France Musique (émission Les enfants de la musique).

Le télescope spatial Hubble
Le télescope spatial Hubble

Le principe de “Un jour, une question”  consiste à poser une question de culture aux auditeurs, et de fournir le lendemain une réponse circonstanciée avec un(e) invité(e) compétent(e). La question posée la veille était : “L’actualité scientifique met régulièrement à l’honneur le satellite Hubble. Mais qui était Hubble ?” Ah, très bien, me dis-je,  voilà un beau sujet de culture, relatif à l’histoire de l’astronomie du début du XXe siècle sur laquelle j’ai beaucoup travaillé et publié. Voyons donc voir (plus exactement écouter) ce que l’on va en dire dans l’émission, par curiosité. D’autant que beaucoup de légendes courent autour du personnage, et qu’il n’est pas facile de trier l’information pertinente de celle qui ne l’est pas si l’on ne se plonge pas dans l’intégralité  du dossier – ce que peu d’historiens ont fait. Continuer la lecture

Recension de livres scientifiques (3)

Troisième livraison des recensions de livres de culture scientifique que j’avais rédigées entre 2001 et 2007 pour la défunte revue Vient de Paraître. Toujours d’actualité!

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bouquet-bbAlain Bouquet : Doit-on croire au big bang ?

Le Pommier (Les Petites Pommes du Savoir n°23), 2003 – 64 Pages – ISBN 2.74650119.8

Egalement auteur, dans la même collection, de Pourquoi le Soleil brille-t-il ?, le physicien Alain Bouquet (Laboratoire de cosmologie du Collège de France) explique ici de façon claire et concise l’état actuel de nos connaissances sur l’univers . Remarquant judicieusement qu’il faut cesser de nous polariser sur l’instant initial, il rappelle que le big bang est un outil, une commodité de langage pour expliquer comment l’Univers s’est développé, comment il s’est refroidi et, surtout, dilaté. En fait, ce sont les ennemis de la théorie qui l’ont affublée de ce nom, qu’ils espéraient ridicule. Bouquet retrace les étapes qui ont permis aux astrophysiciens de construire peu à peu une histoire du monde qui tienne debout. Après bien des controverses, le big bang triomphe aujourd’hui parce que ses conséquences sont crédibles et vérifiées par l’observation astronomique. Continuer la lecture