Mes romans (1) : Le rendez-vous de Vénus

Le rendez-vous de Vénus

EDITION ORIGINALE

359 pages, JC Lattès, Paris, 1999 -ISBN 2-7096-2025-1

venus-JPLUne année, 1761. Un siècle, celui des Lumières. Un événement astronomique, hors du commun. Et trois jeunes mousquetaires de l’Académie des Sciences, prêts à tout pour être les premiers au Rendez-vous de Vénus … Ainsi commence la plus véridique et la plus folle des aventures scientifiques qui aura mis l’Europe des Encyclopédistes en ébullition. Grâce au double passage, à huit ans d’intervalle, de Vénus sur le Soleil, il ne s’agit pas moins que de mesurer la dimension de l’univers! Déjà, de toutes les capitales, des dizaines de savants sont partis aux quatre coins du monde, en observation. De Paris, Lalande, le narrateur, suit et orchestre le périple de Chappe qui court de la Sibérie au Mexique, les pérégrinations de Le Gentil qui erre, lui, dans l’océan Indien. Rivaux, les trois amis le sont en science mais surtout en amour. Lequel d’entre eux ravira le cœur de la belle Reine Lepaute, mathématicienne surdouée … et vénus bien terrestre? Tant il est vrai qu’à suivre la planète des amours, leur quête deviendra vite celle de la Toison d’Or.

Sur fond de guerre et d’inquisition, dans un tourbillon qui mêle Voltaire, Bougainville et Catherine de Russie, ambitions, intrigues, péripéties terrestres et maritimes, ce roman au souffle épique est aussi une formidable méditation sur la science et l’histoire.

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EDITION DE POCHE

Le Livre de Poche, Paris, 2001 -ISBN 2-253-15201-3

RVenuspPar deux fois, en 1761 et en 1769, le passage de Vénus entre la Terre et le Soleil met en ébullition scientifiques et encyclopédistes. L’enjeu n’est pas mince : en observant le phénomène depuis plusieurs points du globe, il sera possible d’établir la dimension du système solaire !
Trois jeunes astronomes, Lalande, Chappe et Le Gentil, vont se lancer dans cette fantastique aventure, qui les conduira de la Sibérie au Mexique et de Madagascar à Pondichéry. Pas tous trois, il est vrai, puisque le premier s’est arrangé pour rester à Paris, près de la géniale mathématicienne Reine Lepaute, qui est aussi une Vénus bien terrestre…
Sous la plume de Jean-Pierre Luminet, lui-même astrophysicien de renom, cette histoire authentique devient un roman à la Dumas. Elle nous entraîne dans un tourbillon de péripéties terrestres et maritimes, avec en toile de fond le Paris des Lumières.

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TRADUCTIONS

RvenusespCita con Venus             (traduction espagnole)

Apostrofo, Barcelona, 2001 – ISBN 84-666-1069-3

Un año, 1761. Un siglo, el de las luces. Un acontecimiento astronómico fuera de lo común. Y tres jóvenes de la Academia de las Ciencias de París, dispuestos a todo- por la ciencia y por el amor de una bella matemática- para ser testigos de excepción de las efímeras nupcias de Venus con el Sol…

venus_allRendezvous mit Venus (traduction allemande)

Beck, Munchen, 2005 -ISBN 3-406-52895-3

Es ist das Jahr 1761. Drei junge Wissenschaftler der Akademie der Wissenschaften in Paris erwarten ein besonderes Ereignis: das Rendezvous der Sonne mit der Venus. Nachdem sie zwei Jahre zuvor die Wiederkehr des Halleyschen Kometen auf den Tag genau berechnet hatten, wollen sie nun dieses Rendezvous von den verschiedensten Punkten der Erde aus exakt beobachten und die Erkenntnisse zusammentragen. Kein leichtes Unterfangen, in einer Zeit der Kriege und der katastrophalen Kommunikationswege. Sie erhoffen sich von diesem herausragenden astronomischen Ereignis neue wissenschaftliche Erkenntnisse und geraten dabei in einen Sog von Intrigen, wissenschaftlichen Streitigkeiten und Liebesaffaren É In seinem spannenden historischen Roman erzahlt Jean-Pierre Luminet unterhaltsam von den grossen Entdeckungen der Mathematik und Astronomie zur Zeit der Enzyklopadisten. Er lasst den Leser an den Geschicken der Grossen der Aufklarung, wie Diderot und d’Alembert, teilhaben und nimmt ihn mit auf eine spannende Reise in die Welt des 18. Jahrhunderts.

rvvenus_corLe rendez-vous de Vénus (traduction coréenne)

Munhakdongne, Seoul, 2001 -ISBN 89-8281-409-4

RVVenusgrTO PANTEBOY TES APHRODITES                      (traduction grecque)

Elektra, Athens, 2005 -ISBN 960-6627-21-7

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DOSSIER DE PRESSE

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EXTRAIT (CHAPITRE 2)

Examen de passage

Alexis Clairaut nous attendait à l’étage, dans un cabinet.

– Entrez, jeunes gens, dit-il. Installez vous.

Malgré ses trente-cinq ans, l’inventeur du calcul des perturbations avait un aspect fort juvénile, même si des poches sous les yeux, une légère couperose et une tendance à l’obésité prouvaient qu’à l’évidence, l’éminent géomètre ne menait pas vraiment la vie austère que l’on prête volontiers aux savants.

D’Auteroche me présenta à lui de façon encore plus élogieuse qu’il ne l’avait faite avec Le Gentil, exagérant même en disant qu’il ne m’avait fallu qu’un clin d’œil pour reconnaître sur ses papiers envolés les tables de Halley. Clairaut, en m’observant d’un air narquois, me tendit un verre rempli à ras bord d’un vin noir. Je lui dis que je préférerais une tasse de café, ” pour goûter ” ajoutai-je comme un sot. Chappe éclata franchement de rire, Clairaut se pencha en dessous de la table ” pour voir, précisa-t-il, si j’avais encore des sabots “, tandis que Le Gentil, outragé, demanda que l’on cessât de se moquer de moi. Bizarrement, son attitude protectrice m’agaça bien plus que les railleries des deux autres.

Je ne me souviens plus trop de ce qui se passa par la suite. Le café, puis le vin et le repas fort plantureux me mirent dans un état d’excitation telle que je me surpris à expliquer à Clairaut le calcul à trois corps qu’il avait inventé quelques années auparavant. J’affirmai doctement qu’en calculant les perturbations causées par Jupiter et Saturne à la comète dans son attraction vers le soleil, on démontrerait que Halley s’était trompé dans ses prévisions, qu’elle serait en retard au rendez-vous avec la Terre, fixé selon le défunt savant anglais en 1758. Dans dix ans…

Soudain je me tus et restai bouche bée. L’immensité des espaces infinis ne m’avait jamais effrayé plus que cela, mais la marche du temps en revanche… Dix ans me semblait toute une vie, ou plutôt ce n’était rien, cela n’avait aucun sens. Je serais dans dix ans plus vieux que Le Gentil qui me dévisageait férocement de l’autre côté de la table, plus vieux que Chappe qui me lançait des regards désespérés, visiblement terrorisé par l’audace de mes propos. Clairaut, lui, je le pense aujourd’hui, avait dû comprendre ma soudaine panique, puisque qu’il chassa l’ange qui passait en déclarant, non sans se départir d’une indolente ironie :

– Dix ans, mais ce ne sera pas trop, mon jeune ami, pour que vous acheviez le travail nécessaire à cette correction. Il s’agira en effet pour vous de calculer tous les degrés et, pour un siècle et demi, les distances et les forces de Jupiter et de Saturne par rapport à la dite comète. Travail de bénédictin plus qu’herculéen. Tout cela pour montrer que l’homme admirable que fut Halley s’était trompé de quelques mois ? Ne croyez-vous pas, mon cher, que vous feriez mieux de consacrer vos jeunes talents, qui me semblent grands, à d’autres calculs, à d’autres observations bien plus nécessaires au progrès humain ?

– Mais Newton … commençai-je à protester.

– J’ai récemment démontré devant l’Académie que la loi de gravitation en carré inverse de la distance est inadéquate pour décrire le mouvement de la Lune, susurra-t-il…

J’allais cette fois m’insurger lorsque d’Auteroche me coupa la parole, moitié pour me sauver, moitié pour aborder le sujet qui l’avait fait venir à ce rendez-vous : les conclusions d’un mémoire qu’il voulait communiquer à l’Observatoire, mais qu’il préférait auparavant soumettre à Clairaut. À l’audition de sa lecture, interrompue seulement par quelques corrections de forme du ” maître ” et quelques questions de Le Gentil, je compris que j’avais beaucoup de chemin à faire avant d’atteindre le niveau de compétence de Chappe d’Auteroche, et a fortiori de Clairaut. Je n’intervins d’ailleurs pas quand les trois autres débattirent, une fois la lecture terminée, de la meilleure manière de présenter cet ouvrage à Jacques Cassini, car visiblement, le directeur de l’Observatoire se montrait très pointilleux et formaliste ; il avait ses exigences, ses manies dont mes nouveaux amis s’amusaient beaucoup. Les savants que j’admirais n’étaient donc pas de purs esprits, mais des hommes de chair et de sang, avec leurs passions terrestres, leurs ambitions, leurs avidités, leurs jalousies. Ils mangeaient, aimaient, dormaient et buvaient, parfois même plus que de raison.

Comme l’atmosphère semblait se détendre à nouveau, j’osai interrompre Le Gentil qui dissertait d’un ton badin sur une question que je considérais être de vulgaire mécanique. Clairaut leva la main sèchement pour me faire signe de me taire. Je rougis jusqu’aux oreilles, en comprenant brutalement que les trois hommes continuaient de travailler. Je me renfrognai dans mon coin, n’écoutant plus, les maudissant pour ne pas me maudire. Je sursautai quand Clairaut m’interpella, jovial :

– Vous avez tort, monsieur Lalande, de ne pas vous intéresser à la question de l’horlogerie. Elle est aussi essentielle que l’observation ou le calcul. D’ailleurs, maintenant que nos amis en ont fini, il faut nous pencher sur votre cas. Vous me paraissez fort doué, mais le don n’est jamais que de l’instinct. Nous devons mettre un peu d’ordre dans vos lectures brouillonnes et les leçons cahoteuses des pères jésuites de Lyon. Essayons, messieurs, de lui établir un programme d’études clair, méthodique et qui lui laissera le loisir de se déniaiser un peu. Je vous demanderai, mon cher Chappe, de ne pas intervenir dans cette deuxième partie de nos débats, où vous n’êtes guère compétent…

Chappe haussa les épaules. Et les voilà qui me dressent un emploi du temps pour le moins touffu, dans lequel j’étais censé passer mes journées et une partie de mes nuits entre l’Observatoire avec Cassini, le Collège royal pour écouter Le Monnier, l’hôtel de Cluny pour travailler avec Delisle. Le reste de mon temps – car il en restait – aurait été consacré à fréquenter les cabarets avec Clairaut, les salons à la mode avec Le Gentil et les philosophes avec Chappe.

– Mais, protestai-je, si mon père apprend que j’ai abandonné mes études de droit, il me fera revenir de force au pays.

– Il est vrai que le garçon est mineur, rappela Le Gentil, et qu’il n’a pas la chance, comme Jean-Baptiste, de pouvoir cacher son télescope sous une soutane.

– Vous devenez grossier, Le Gentil, protesta Chappe en riant. Je vous rappelle que vous aussi, jusqu’à votre majorité, vous passiez pour un séminariste fort dévot.

– … Et qui avait avec le ciel certains arrangements, ajouta Clairaut. C’est sans doute le Dieu des armées qui lui commanda un jour de me voler en un tournemain la pétulante petite vicomtesse de…

– Pas de nom, Clairaut, pas de nom ! s’exclama Le Gentil. Et puis, vous aviez déjà suffisamment profité des dites ardeurs de la donzelle.

Un peu effrayé de ces propos blasphématoires, je ricanai, surtout à voir les mines outrées que prenait Chappe d’Auteroche.

– Pour ce qui est de votre père, Lalande, dit Clairaut de nouveau sérieux, ne vous inquiétez pas. J’ai quelques amis à l’Université à qui je peux demander de faire croire à Bourg-en-Bresse que vous êtes le plus assidu des Sorbonnards. Votre pension ?

– Mon père se montre, je crois, généreux.

– Parfait ! Demain, je vous habille. Pourquoi un apprenti savant porterait-il nécessairement des vêtements de défroqué ?

– Peuh, soupira Le Gentil.

– Le chevalier Don Quichotte de La Galaisière et autres lieux peut se permettre d’avoir des traces de tabac sur un pourpoint froissé ; pas le fils du maître de poste Lalande.

– Vous avez raison, opina Le Gentil. Comme toujours.

Le lendemain matin, à l’aurore, je me réveillai avec un abominable mal de tête. Mes excès de la veille ne m’avaient guère réussi. Je m’apprêtais, grognon, à partir pour mon cours de droit romain, quand on frappa à ma porte. Clairaut entra. Malgré mes protestations de timidité, il me traîna jusqu’aux appartements et à l’observatoire de Delisle qui logeait à l’hôtel de Cluny, à deux pas de ma garçonnière.

L’éminent professeur nous fit attendre quelque peu dans l’antichambre. Voyant que je m’impatientais, Clairaut me prévint:

– Vous savez sans doute que notre homme a passé vingt-deux ans à Saint-Pétersbourg, où il fut appelé par Pierre le Grand pour organiser l’astronomie dans ce pays et y fonder un grand observatoire. Il en est revenu il y a quelques mois à peine. Depuis lors, il cherche à vendre au gouvernement français la considérable bibliothèque qu’il a acquise là-bas à moindres frais, et il est fort occupé à cette affaire…

Au même instant, un homme à la grise allure de clerc, portant sous le bras des liasses de documents, sortit de chez Delisle. Ce dernier nous accueillit enfin dans son bureau. Je crus au premier regard que nous le dérangions dans un rude travail, car il se montra fort bougon. Puis, pendant qu’il bavardait avec Clairaut de la pluie, du beau temps et de sa bibliothèque, je remarquai que sa table était vide de tout papier à l’exception d’un seul, vierge, qu’il avait sous les yeux ; la plume qu’il tenait en main gouttait sur le buvard, prouvant qu’il venait de la tremper dans l’encrier. Ses joues étaient grises de barbe, sa perruque de travers et ses bas de chausse godaillaient sur des pantoufles éculées. Il émanait de lui une vague odeur de fauve. À l’évidence, le vénérable savant n’était pas, comme il voulait le faire croire, au bureau depuis l’aube. Tout au contraire, notre visite l’avait fait tomber du lit. Cette constatation me ravit au plus haut point.

– On m’a rapporté, dit Clairaut à Delisle, que ton secrétaire t’avait quitté.

– Quitté ? Ah ouiche ! Je l’ai flanqué dehors à coups de bottes. Cet abruti, au lieu de reporter sur papier mes observations, se livrait à des considérations métaphysiques sur ce prétendu Grand Horloger sans qui l’univers ne serait qu’un chaos. Tu vois le genre ? Il n’avait qu’une seule qualité, sa fort belle écriture. Mais voilà qu’un jour, il me déclama que ce serait pour moi la consécration que d’ôter aux planètes et aux étoiles leur toponymie païenne pour les baptiser du nom des apôtres, des archanges, des prophètes et des saints. Tu connais ma patience, Alexis. Aussi lui montrai-je fort aimablement la porte. Ne riez pas, monsieur Lalande, ça n’a rien de drôle. C’est à ce genre de choses que l’on s’attache, en France, et à de pires encore, tandis qu’à Londres ou à Berlin, seules comptent la science et la vérité. Si je comprends bien, Alexis, tu veux me proposer cet enfant comme secrétaire. Possède-t-il une belle écriture, au moins ?

– Cela, maître, je peux vous le montrer tout de suite, répliquai-je en tendant la main vers la plume qui s’asséchait.

– Très bien, très bien, grogna Delisle. Mais dis-moi, Alexis, ton protégé a-t-il aussi quelques notions de mathématiques ?

– Je te le promets, répliqua Clairaut. Ce garçon me semble plus un calculateur, comme moi, qu’un observateur ou un géographe, comme toi. Lalande est un géomètre dans l’âme.

– Ça lui passera, rétorqua Delisle. Jaugeons-le un peu. Voyons … Savez-vous ce qu’est la parallaxe ?

– Monsieur, je ne serais point digne de vous être présenté si j’ignorais que la parallaxe est la mesure d’une distance à partir de celle d’un angle…

– Poursuivez …

– Si je puis me permettre une image simple … fis-je en hésitant sur le ton à adopter dans cet examen improvisé.

– Faites, faites. Admettons un instant que je sois votre jeune élève.

Clairaut, qui s’était confortablement installé dans un large fauteuil pour nous écouter et avait fermé les yeux, esquissa un sourire amusé.

– Hé bien, continuai-je, supposons que j’observe la flamme d’une bougie située à dix pieds de moi, d’abord avec mon seul œil droit, ensuite avec mon seul œil gauche. J’aurai l’impression que la position de la flamme bouge par rapport à l’arrière-plan. Si j’éloigne la bougie, disons à cinquante pieds, et si je ferme à nouveau et alternativement l’œil gauche puis l’œil droit, le déplacement de la flamme me paraîtra cinq fois plus petit. La parallaxe varie en effet en raison inverse de la distance.

– Fort bien, mais encore ?

– La parallaxe, repris-je d’un voix plus affermie, la parallaxe est donc l’angle sous-tendu à la bougie par l’écartement de mes yeux. Si cet angle est connu et l’écart de mes yeux mesuré, j’en déduis la distance de la bougie. Remplacez la bougie par le Soleil, l’arrière-plan par les étoiles fixes, mes yeux par deux stations d’observation à la surface de la Terre, et j’obtiens la distance du Soleil !

– Mon jeune ami, vous me semblez avoir quelque facilité à expliquer simplement la géométrie. A défaut de devenir astronome, vous ferez peut-être un honorable précepteur…

Je sentis un peu de raillerie dans le ton du maître. Comprenant que j’avais peut-être parlé avec trop d’assurance, je me fis à nouveau humble:

– Je vous remercie, monsieur, mais à dire vrai, je n’ai fait que répéter comme un perroquet les explications de mon bon maître Béraud.

– Allons, pas de fausse modestie. Dans toute l’histoire de l’astronomie, à laquelle je m’intéresse fort, il n’y a guère de quête plus profonde que celle que vous me racontez-là. Mesurer la distance de la Terre à la Lune, au Soleil et aux étoiles, les plus grands astronomes de l’histoire s’y sont essayés en vain. Eratosthène d’Alexandrie a mesuré correctement le diamètre terrestre, mais Aristarque, Hipparque et Ptolémée ont grossièrement sous-estimé la parallaxe solaire. Même Tycho, le grand Tycho, a commis une erreur considérable.

– L’angle de visée est en effet très faible, murmurai-je.

– Et les longitudes, que faites-vous des longitudes?

– Je crois comprendre que pour apprécier avec justesse la parallaxe solaire, il faut connaître avec précision les positions des stations d’observation en longitude, rapportées au même méridien. Celui de Paris, par exemple.

– Et cela, nous ne savons toujours pas le faire ! rugit Delisle. Je me tue à le répéter au ministère depuis mon retour de Pétersbourg, il faut combiner l’Horlogerie, la Mécanique, la Géométrie, l’Astronomie et la Marine ! Mais ces imbéciles …

– Voyons, Delisle, intervint Clairaut comme s’il se réveillait, ce jeune homme n’est pour rien dans le désintérêt actuel de la Cour pour nos disciplines, et vous allez l’effrayer avec vos colères!

– Vous avez raison, fit Delisle d’un ton radouci. Mais, enchaîna-t-il aussitôt en enflant de nouveau la voix, la déclinaison de l’aiguille aimantée varie, comme tout le monde sait, suivant les lieux et les temps, et partant les cartes magnétiques seront toujours insuffisantes. Le compas de route ni le loch n’indiquent pas si la marche du vaisseau a été accélérée ou retardée, s’il a été détourné par la dérive ou par quelque courant. Avec ces instruments, le navigateur ne peut se passer de l’Astronomie. L’Astronomie peut se passer d’eux. La découverte des satellites de Jupiter, en perfectionnant les cartes marines, a suffi pour produire une révolution dans l’esprit humain et dans les relations commerciales et diplomatiques.

Il se tut un instant, songeur. Je ne savais quelle contenance adopter. Mais mon examinateur revint à son affaire :

– Bon, bon, voilà que je m’emporte encore. Reprenons notre petit examen. Voyons, sauriez-vous calculer à quelle distance correspond, à la surface de la terre ou en mer, une imprécision d’un demi-degré en longitude ? Telle est notre incertitude actuelle, comme vous le savez peut-être …

Il me désigna la plume et l’unique feuille de papier blanc qui se trouvaient sur son bureau. Je griffonnai en hâte quelques chiffres. Mon cœur battait à tout rompre dans la crainte de commettre une erreur, qui aurait été due davantage à l’émotion qu’à mon ignorance. Au bout de deux minutes, je répondis enfin :

– Ce demi degré équivaut à dix lieues sous l’équateur; à huit lieues deux tiers sous le parallèle de trente degrés; à sept, sous celui de quarante-cinq.

Delisle parut surpris.

– Comment vous prénommez-vous ?

– Jérôme-Joseph, monsieur

– Ah, comme moi. Bien, bien … Alors, monsieur Joseph ou Jérôme qui savez tout, vous aurez peut-être une petite idée sur la façon de procéder pour mesurer l’univers mieux que nos maîtres du passé ?

– Cela je l’ignore, monsieur. Je ne suis qu’un modeste apprenti.

– Hé bien moi je vous le dis, il faut pointer les planètes inférieures, vous entendez, les planètes inférieures!

– Vous voulez parler de Mercure sans doute…

Delisle haussa les épaules.

– Bah, il y a plus de vingt-cinq ans, j’ai observé le passage de Mercure devant le Soleil, mais je n’ai pu déterminer sa parallaxe.

– Cette planète bouge trop vite peut-être, avançai-je.

– Bien vu, jeune homme. Je me suis rendu à Londres pour en discuter avec Halley. Ce gentilhomme m’accueillit fort bien. Il me donna une copie de ses tables astronomiques inédites. Celles-là même que j’ai publiées l’an dernier, et qui vous intriguèrent tout récemment, à ce que l’on m’a dit…

– Je voue la plus vive admiration aux prédictions de Monsieur Halley sur le retour de la comète. Et plus encore, à la loi de la gravitation universelle de Monsieur Newton, sans laquelle cette prédiction n’eût pas été possible.

– Je dois dire que Newton lui-même m’a réservé un accueil fort aimable, fit Delisle avec une certaine suffisance. Le vieux lion était assez imbu de sa personne. Savez-vous ce qu’il m’a offert en souvenir de notre rencontre? Un portrait de lui ! Plus exactement, une copie de portrait, car il était fort avare. Tenez, le voici.

Je sursautai, m’attendant à voir paraître, tel un fantôme, l’ombre immense du savant que je déifiais. Delisle me désignait simplement un portrait joliment encadré, posé sur le tablier de la cheminée.

– Oui mais voilà, nos deux grands hommes sont morts, et nous allons passer le siècle à vérifier leurs théories. Sans ennui si possible ! ajouta-t-il en partant d’un gros rire accompagné d’un clin d’œil à Clairaut.

Le mathématicien haussa les épaules, un brin agacé. Sur le moment, je crus qu’il manifestait sa réserve à accepter complètement les théories de l’Anglais. Je ne compris que plus tard le calembour de Delisle, lorsque je racontai mot pour mot cet entretien à Chappe d’Auteroche. Il m’expliqua qu’au retour de l’expédition en Laponie, à laquelle Clairaut avait participé, Voltaire, déjà ennemi de Maupertuis, lui avait adressé cette perfide paire d’alexandrins : “Vous allâtes en des lieux pleins d’ennui vérifier / Ce que Newton trouva sans sortir de chez lui”.

– Mais revenons à nos planètes. Exit Mercure! Que reste-t-il ?

– Il reste Vénus, fis-je.

– Vénus, précisément. Et j’y songe, à Vénus, j’y songe. Mais nous aurons le temps d’en reparler.

– Alors, le verdict? fit Clairaut qui s’impatientait.

– Vous êtes embauché, Joseph Lalande. Je ne doute point que vous saurez tirez profit de mes enseignements. Puissiez-vous participer, un jour, au progrès de la Science et de la Raison.

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