Tommaso Campanella, philosophe italien né en 1568 en Calabre et mort à Paris en 1639, a passé pratiquement la moitié de sa vie dans diverses geôles de l’Inquisition. Opposé à Aristote et adepte d’une philosophie qualifiée de « naturaliste », il a été accusé d’hérésie à plusieurs reprises, mais sa désobéissance et ses récidives lui ont valu en 1602 une condamnation à trente années de prison. Il en effectuera vingt-sept, au cours desquelles il rédigera plusieurs ouvrages, dont L’Apologie de Galilée (1611) et La Cité du Soleil (1623), tout en correspondant avec de nombreux savants, dont l’humaniste provençal Nicolas Fabri de Peiresc. Ce dernier deviendra son ami lorsque, quittant enfin l’Italie en 1634, Campanella se réfugiera en France.
L’Apologie de Galilée est un traité répondant à la question que lui posa en 1611 le Saint Office au sujet de la thèse copernicienne défendue par Galilée : « Le Soleil est le centre du monde, la Terre n’est pas immobile, mais elle tourne autour d’elle-même et autour du Soleil ». Il peut paraître étrange que, sur un sujet aussi sulfureux, l’Église ait demandé consultation à un philosophe qu’elle avait elle-même emprisonné pour sa pensée hérétique ! Mais c’est un signe que, une année seulement après la publication du Sidereus Nuncius où les observations astronomiques rapportées par le savant italien réfutaient la théorie géocentrique de Ptolémée, l’Eglise cherchait des avis éclairés extérieurs à sa congrégation. En outre, Campanella avait connu Galilée à Padoue.
Ce petit traité représente un tour de force dans la mesure où il fut composé en très peu de temps par un homme qui n’avait d’autres ressources que sa prodigieuse mémoire et les innombrables lectures qu’il avait retenues. Sous une forme polémique très virulente, il est néanmoins très persuasif en raison de sa grande érudition. C’est un document historique qui révèle d’une part une dévotion de Campanella envers le savant Galilée plus qu’envers la vérité astronomique ou philosophique elle-même, d’autre part le courage qu’il y avait à risquer une aggravation des maux déjà supportés par le philosophe incarcéré.
L’Apologie de Galilée se termine par une péroraison demandant qu’on n’interdise pas au savant de poursuivre ses études et qu’on ne supprime pas ses écrits, ce qui, annonce-t-il, ferait tomber le ridicule sur les Saintes Écritures. Nous savons que cela n’a guère plaidé favorablement la cause de Galilée, qui sera lui-même condamné pour hérésie en 1633. Nous savons aussi que ce dernier s’est bien gardé de faire le moindre commentaire sur cet ouvrage apologétique, de même qu’il s’était bien gardé de faire la moindre allusion aux écrits de Giordano Bruno, petites lâchetés qui lui seront plus tard reprochées par Johannes Kepler. L’ouvrage ne sera publié en Italie qu’en 1621. Il faudra attendre 2001 pour disposer d’une remarquable traduction en français de Michel Lerner – spécialiste mondialement renommé de cette période charnière de l’histoire de l’astronomie, déjà auteur d’un Nicolas Copernic d’un Monde des Sphères –, accompagnée de 150 pages d’introduction et de 117 pages de notes de premier ordre. A cette époque je présidais la commission scientifique au Centre National du Livre et j’avais chaudement recommandé l’octroi d’une subvention pour l’édition de l’ouvrage !
Bien plus connue est La Cité du Soleil, utopie sociale et politique composée en latin, à l’exemple de la République de Platon et de l’Utopie de Thomas More (1516). Continuer la lecture →
Ceci est la quatorzième de mes « Chroniques de l’espace illustrées ». Si vous souhaitez acquérir mon livre dans sa version papier non illustrée (édition d’origine 2019 ou en poche 2020), ne vous privez pas !
La navette spatiale
Début 1969, en pleine euphorie de la réussite des missions lunaires, la Nasa étudie la suite à donner au programme Apollo. Plusieurs propositions sont élaborées en interne : station spatiale, base lunaire, expédition vers Mars, navette spatiale. Mais la guerre du Vietnam pèse lourdement sur les budgets. La Nasa est consciente de la nécessité de baisser les coûts. Jusqu’à présent, les fusées, capsules et vaisseaux n’étaient prévus que pour une unique utilisation. L’agence américaine persuade le Congrès, dispensateur de crédits, qu’un véhicule spatial réutilisable va faire tomber le prix des lancements de fusées et stopper les ambitions des rivaux européens et soviétiques.
C’est ainsi que naît la navette spatiale, véritable chef-d’œuvre de technologie fondé sur un modèle d’avion classique avec ailes delta à profil évolutif.
Le décollage de la première navette Columbia, le 12 avril 1981, est un grand moment télévisuel. La puissance des boosters à la mise à feu est impressionnante. Après quelques manœuvres en orbite, l’avion-fusée atterrit deux jours plus tard sur une base aérienne. Pour la première fois, un équipage revient de l’espace et se pose de la même manière qu’un avion sur une piste. C’est un succès, malgré le grand nombre de tuiles de la protection thermique endommagées.
Cinq modèles de navettes seront fabriqués et voleront entre 1981 et 2011 : Columbia, Discovery, Challenger, Atlantis et Endeavour.
À leurs débuts, leur mission consiste essentiellement à lancer des satellites commerciaux civils et surtout militaires. Elles placent aussi en orbite haute d’importants télescopes spatiaux, comme le fameux Hubble Space Telescope et le satellite à rayons X Chandra.
En 1979, un article de l’historienne de l’art américaine Roberta Olson [1] affirmait que l’étoile de la Nativité, peinte par Giotto dans l’Adoration des Mages du cycle de fresques de la chapelle Scrovegni à Padoue, représente la comète de Halley. Le cycle, commandé par le marchand Enrico degli Scrovegni, a été commencé en 1303 et l’Adoration des Mages date probablement de la même année ou de l’année suivante.
Or, la comète qui portera bien plus tard le nom d’Edmund Halley après que celui-ci ait montré qu’elle revenait périodiquement tous les 76 ans dans les parages du Soleil et correctement prédit son prochain retour pour 1748, était précisément passée en 1301 et avait illuminé le ciel nocturne de tout l’hémisphère nord, comme l’attestent les annales d’astronomie chinoise.
Olson pense que le peintre en a été tellement impressionné qu’il en a dessiné une représentation résolument naturaliste, un astre bien concret et chevelu, c’est-dire une comète. C’est une première dans l’histoire de l’art. Bien qu’une partie importante de la tradition religieuse de l’époque associait effectivement l’étoile de Bethléem à une comète, la tradition iconographique se limitait à la représenter comme une petite étoile stylisée, souvent avec des rayons de lumière éclairant le nouveau-né divin.
Dans le chef-d’œuvre de Giotto, la comète, grande et étincelante, domine le ciel de la fresque. Sa voûte vibre d’énergie ; en son centre se trouve l’astre chevelu, exhibant un centre lumineux de condensation et une queue rayée donnant un sens dynamique à l’arc tracé par la comète dans sa trajectoire céleste. C’est ainsi que les comètes les plus spectaculaires apparaissent à l’œil nu, et c’est ainsi que la comète « de Halley » a pu se montrer au peintre.
La comète de Halley est la plus célèbre des comètes périodiques, revenant dans les parages du Soleil et de la Terre tous les 76 ans, le temps d’une vie humaine. La plus ancienne mention de son observation remonte à l’an 611 avant notre ère, en Chine, dans les Annales des Printemps et Automnes. Son passage en l’an – 164 a également été consigné dans une tablette d’argile babylonienne – voir l’article de Wikipedia pour plus de précisions.
Son plus récent passage, en 1986, offrait un spectacle visuel peu spectaculaire car la comète se trouvait alors à l’opposé du Soleil par rapport à la Terre, et n’était à peine visible à l’œil nu que depuis l’hémisphère sud. Mais, quittant notre planète, une flotte de cinq sondes spatiales s’est lancée à sa rencontre – deux Soviétiques, deux Japonaises, et une Européenne. Cette dernière fut judicieusement baptisée Giotto en hommage au peintre italien – preuve, s’il en fallait une, que tous les astronomes ne sont pas dépourvus de culture historique et artistique.
Après un trajet de 150 millions de km parcourus en 8 mois, la sonde s’approche à 600 km du noyau cométaire pour en déterminer la taille et la forme – une sorte de cacahuète sombre – et sa nature physique. Et elle prend ce film extraordinaire où l’on voit lentement avancer un rocher irrégulier de 16 km de long sur 8 km de large. Mais derrière les images apparemment sereines, les astronomes devinent une surface criblée de geysers, des poches de glace congelée qui se vaporisent et jaillissent de tous côtés à mesure que le noyau se rapproche du soleil…
Toujours est-il que la comparaison entre l’astre chevelu peint par Giotto en 1303 et la photographie prise « de près » par la sonde éponyme est spectaculaire : même structure, même rapport entre la taille de la tête et le développement de la queue…
Toutes les missions astronomiques consacrées au passage de Halley/1986 n’ont pas été aussi heureuses. Ainsi, la navette spatiale Challenger s’était envolée le 28 janvier 1986 avec dans l’équipage une jeune institutrice censée donner des cours en direct depuis l’espace sur la comète. On se souvient que l’explosion de la navette pendant le décollage avait tué les sept membres de l’équipage.
***
Outre que très séduisante, l’hypothèse d’Olson paraît convaincante. Mais, aussi bien en science fondamentale qu’en histoire des sciences, cela vaut toujours la peine de creuser davantage, et il est légitime de se poser les deux questions suivantes :
1/ L’astre représenté par Giotto a-t-il vraiment été la comète de Halley passée en 1301 ?
2/ Et, pour en revenir au sujet de fond de ces billets de blog, l’étoile de la Nativité qui a guidé les rois Mages a-t-elle vraiment été une comète ?
L’étude d’Olson a été approfondie par l’astronome et vulgarisateur italien Paolo Maffei dans une magistrale fresque historique sur la comète de Halley [2]. Selon lui, l’attribution pose des problèmes car, alors que la comète peinte par Giotto est rouge, celle de Halley en 1301 était blanche, du moins selon les chroniques chinoises. De plus, une autre comète est apparue en 1301, qui a été vue en décembre et janvier, c’est-à-dire juste autour des festivités liées à la fresque en question (alors que celle de Halley était visible entre mi-septembre et fin octobre). Maffei estime probable que Giotto ait confondu les deux comètes dans son souvenir, les prenant pour une seule, et il cite le chroniqueur Giovanni Villani, qui parle en fait d’une seule apparition cométaire qui a duré de septembre à janvier. Maffei examine également les descriptions d’apparitions d’autres comètes entre 1293 et 1313 et en conclut qu’elles étaient soit imaginaires, soit trop discrètes pour avoir servi de “modèle” à la représentation de Giotto.
Dans une étude de 1999, Gabriele Vanin, astronome amateur italien et président de l’Unione Astrofili Italiani (qui, entre parenthèses, m’a attribué en 2008 son prix international « Lacchini »), ajoute quelques critiques d’ordre strictement astronomique à l’hypothèse d’Olson ainsi qu’à certaines conclusions de Maffei. Tout d’abord, la comète de Halley était-elle vraiment “grande et brillante” lors de son passage de 1301 ? Selon le catalogue de Ho Peng Yoke, qui compile d’anciennes observations chinoises, japonaises et coréennes [3], la queue de la comète atteignait une longueur maximale de dix pieds chinois, soit environ 15°. Quant à la brillance de la couronne de la comète, il n’existe pratiquement aucune estimation dans les sources orientales. L’hypothèse de Maffei selon laquelle la phrase, rapportée par Ho, “atteignant la grande étoile de Nan-Ho [Raccoon]” signifie que Halley a égalé Raccoon (magnitude 0,34) en brillance, n’est pas convaincante, car l’attribution concerne le déplacement dans le ciel de la comète, apparue initialement dans la partie sud des Gémeaux (Tung-Ching). Très approximativement, en tenant compte de la distance minimale de la Terre atteinte lors de ce passage (0,18 unité astronomique, soit 27 millions de kilomètres), et du fait qu’elle ait été observée en septembre 1301 environ un mois avant son périhélie, supposant en outre que les paramètres photométriques étaient similaires aux paramètres actuels, on peut estimer que la comète a atteint une magnitude comprise entre 1 et 2, ce qui ne l’a pas rendu plus éclatante que les dizaines d’étoiles d’éclat comparable.
Dans ces conditions il est très difficile d’observer le noyau de la comète à l’œil nu aussi clairement que Giotto le représente, même dans le cas de grandes comètes passant près de la Terre, comme ce fut le cas des spectaculaires apparitions des comètes Hyakutake en 1996 et Hale-Bopp en 1997, auxquelles j’avais à l’époque consacrées des documentaires de télévision.
On peut se demander combien de grandes comètes la critique d’art Roberta Olson avait personnellement vues pour croire avec une si grande certitude qu’elles ressemblent à la représentation de Giotto. Il est certain que Hyakutake et Hale-Bopp ne correspondaient guère au paradigme de Giotto, avec leur énorme tête et leurs queues qui commençaient larges et s’effilaient progressivement. Même les autres grandes comètes qu’Olson aurait pu observer personnellement entre les années 1950 et 1970, comme Arend-Roland, Seki-Lines, Ikeya-Seki, Bennett et West, ne s’apparentaient pas à la comète de Giotto.
Quant à la seconde comète de 1301, même si elle a réellement existé , elle a dû être beaucoup moins voyante que celle de Halley, si l’on considère que les très complètes chroniques orientales ne la recensent même pas (seul l’astronome français Alexandre-Guy Pingré (1791-1796) la mentionne, et en citant des observations exclusivement européennes, sachant à quel point les descriptions médiévales des phénomènes célestes étaient peu fiables).
Ces doutes astronomiques sont renforcés par des considérations purement artistiques. Dès 1985, un court mais incisif essai de Claudio Bellinati [4] démontait littéralement l’interprétation iconographique d’Olson. Son auteur soutient que la représentation “naturaliste” de la comète est un fait typiquement padouan, car elle n’est pas répétée dans trois autres représentations plus tardives (de Giotto ou de son école) de l’histoire de l’enfance du Christ (basilique inférieure d’Assise, 1315-16) et de l’Adoration des Mages (1320, Metropolitan Museum de New York), où l’étoile de la Nativité a des formes stylisées.
La représentation padouane n’aurait donc pas été influencée par une vision directe de la comète de Halley ou de toute autre comète apparue dans ces années-là, mais par la lecture de l’Evangile du Pseudo-Matthieu et l’inspiration provenant de Pietro D’Abano et des maîtres physiciens de la cathédrale de Padoue. Continuer la lecture →
Comme vous le savez, l’étoile de Bethléem, ou étoile de la Nativité, est le signe qui, dans la tradition chrétienne, a annoncé à des mages orientaux la naissance de Jésus et les a guidés vers Bethléem pour rendre hommage au Messie annoncé par les Prophéties. L’Epiphanie, le 6 janvier, célèbre précisément le jour de l’Adoration des Mages, scène réelle ou fictive qui a au moins l’immense mérite d’avoir suscité de nombreux chefs-d’œuvre de l’histoire de l’art. Notons cependant que, sur les quatre évangiles dit canoniques, seul celui de Matthieu (chap. II, versets 1-10) évoque l’étoile et la visite des Mages.
La nature de l’étoile de la Nativité a fait l’objet d’innombrables spéculations au cours des siècles. Les propositions d’explications vont du pur miracle à la fable pieuse, en passant par les tentatives de conférer une base rationnelle au récit de Mathieu par le biais d’un événement astronomique réel. Vous ne serez pas étonné si je m’en tiens ici aux hypothèses astronomiques, malgré une petite surprise que je vous réserve pour la toute fin… Compte tenu de l’ampleur du sujet et de la riche iconographie, je sépare cet article en deux billets distincts. J’y fais un résumé de plusieurs de mes textes disséminés çà et là dans mes écrits passés, fondés comme toujours sur une documentation rigoureuse et des recherches effectuées par quelques éminents collègues en histoire des sciences.
Il y a essentiellement trois sortes d’événements célestes suffisamment spectaculaires pour faire office de candidats :
une conjonction exceptionnelle de planètes,
l’arrivée d’une comète brillante,
l’apparition d’une étoile nouvelle (fin explosive d’une étoile en nova ou supernova)
Eliminons d’emblée la troisième hypothèse, malgré quelques articles ayant tenté de la soutenir. Les « étoiles nouvelles », dont l’éclat peut en effet augmenter au point de devenir visibles à l’œil nu durant quelques jours, quelques semaines ou quelques mois, ont été soigneusement consignées durant plus de deux millénaires dans les annales d’astronomie d’Extrême-Orient (Chine, Corée, Japon). Or, aucune mention d’une telle apparition durant la période supposée de la naissance de Jésus ne ressort de la compilation de ces annales.
Consacrons donc ce premier billet à l’hypothèse d’une rare conjonction planétaire. C’est ma préférée pour la bonne (et très subjective !) raison qu’elle a été avancée pour la première fois par mon astronome préféré : le génial Johannes Kepler, auquel j’ai consacré deux romans historiques et maints articles ! Elle a aussi l’avantage d’être associée de curieuse manière à l’apparition d’une étoile nouvelle survenue un an plus tard.
Nous sommes en 1604. Depuis la mort de Tycho Brahe trois années auparavant, Johann Kepler a pris sa succession comme mathématicien et astrologue impérial auprès de Rodolphe II de Habsbourg, à Prague. Il travaille d’arrache-pied sur les données de son défunt maître pour accoucher les lois des mouvement planétaires, qu’il ne finalisera que des années plus tard dans son Astronomia Nova puis son Harmonices Mundi.
C’est alors qu’à l’automne une étoile nouvelle, une «Nova Stella » selon la terminologie de l’époque, surgit dans la constellation d’Ophiucus, à l’époque nommée Serpentaire. Elle va rester visible à l’œil nu près d’une année, si bien que des dizaines d’astronomes à travers l’Europe peuvent suivre son évolution.
Mais, de par sa position auprès de l’empereur, Kepler est le plus sollicité de tous. De toutes les universités du vieux monde on lui écrit pour lui faire part de ses propres observations et de ses interprétations. On vient le voir, on le questionne, on est inquiet. Les demandes les plus pressantes viennent du palais impérial : la cour l’accable de demandes d’horoscopes personnels, de prédictions sur le destin des royaumes et de l’empire. Tous veulent connaître la traduction de ce message divin, qui semble vouloir s’inscrire dans un contexte bien particulier. Un an plus tôt en effet, en 1603, a eu lieu dans le ciel une conjonction planétaire exceptionnellement rare entre Jupiter, Saturne et Mars. Ce « trigone flamboyant » avait déjà suscité toutes sortes de prédictions, telles que la conversion des Indiens d’Amérique, une émigration généralisée vers le Nouveau Monde, la chute de l’Islam ou encore et comme toujours dans ces cas-là, le retour du Christ… Continuer la lecture →
« Mais je reviens à ma journée du Dimanche. C’était avec plaisir que je voyais Papa venir nous chercher. En revenant je regardais les étoiles qui scintillaient doucement et cette vue me ravissait… Il y avait surtout un groupe de perles d’or que je remarquais avec joie trouvant qu’il avait la forme d’un T (voici à peu près sa forme), je le faisais voir à Papa en lui disant que mon nom était écrit dans le Ciel et puis ne voulant rien voir de la vilaine terre, je lui demandais de me conduire ; alors sans regarder où je posais les pieds, je mettais ma petite tête bien en l’air, ne me lassant pas de contempler l’azur étoilé ! »
Thérèse de Lisieux, Manuscrit A, folio 17/18
Orion est pour beaucoup la plus belle constellation du ciel. Visible l’hiver sous les latitudes européennes, la figure du géant Orion se dessine par neuf étoiles principales : quatre (dont Bételgeuse et Rigel sont de première grandeur) forment un rectangle et trois sont alignées dans le Baudrier, appelées aussi les Trois Rois. Chez les Égyptiens, Orion était identifié au dieu Osiris, dieu de la Mort et de l’outre-monde : son sarcophage du dieu, figuré par les trois étoiles alignées au centre, formant le Baudrier, était veillé par les quatre fils d’Horus, symbolisés par Saïph, Bételgeuse, Bellatrix et Rigel.
Dans la mythologie grecque, le chasseur géant Orion poursuit les Pléiades, tenant de la main gauche une peau de bête ou un bouclier, brandissant de l’autre une massue ou une épée pour combattre le Taureau qui se précipite sur lui. Orion est donc un thème de choix pour les cartographes du ciel.
On pourrait écrire pour le moins un livre entier sur les mythes et légendes du monde entier liés à cette configuration stellaire exceptionnelle, et plus encore sur la richesse d’informations astronomiques que l’on tire de son observation et de son étude. On se contentera ici de quelques aperçus.
Le premier recensement scientifique connu des étoiles d’Orion figure dans L’Almageste de l’astronome grec d’Alexandrie Claude Ptolémée (vers 150 ap. J.-C.). La première ligne désigne non pas une étoile mais une nébuleuse. La deuxième décrit Bételgeuse, donne sa longitude et sa latitude, et lui assigne une magnitude de 1. Dans la dernière colonne, Ptolémée assigne en effet une grandeur aux étoiles, le nombre 1 étant attribué à la plus brillante et 6 à la plus faible. L’autre étoile de première grandeur, qui sera ultérieurement connue sous le nom de Rigel, est décrite quelques lignes plus bas comme « l’étoile brillante qui est dans le pied gauche en contact avec l’eau ».
Suite à l’acquisition d’un manuscrit d’Aratus datant du ixe siècle dans la version de Germanicus, aujourd’hui conservé à la Reijksuniversitet de Leyde, Hugo de Groote, dit Grotius (1583-1645) entreprit une belle édition des Phénomènes d’Aratus qui vit le jour en 1600. Les illustrations représentent le chasseur Orion de dos, le bras gauche couvert d’une peau de lion. Les étoiles qui courent le long de sa colonne vertébrale sont une pure invention du graveur. Dans Hyginus, Poeticon astronomicon (Venise, 1482), la gravure représente Orion vu de face, armé d’un bouclier et d’une massue. Bien que les positions des étoiles soient indiquées, elles ont peu de rapport avec les positions décrites par Hyginus, et encore moins avec la réalité.
Les représentations figuratives de la constellation d’Orion ont beaucoup changé tout au long de l’histoire de l’Uranométrie (discipline qui traite des cartes du ciel), jusqu’à la disparition des figures mêmes des constellations et l’apparition de la photographie, au XIXe siècle.
À partir des années 1950, les cartes du ciel ont été réalisées photographiquement à l’aide d’instruments à large champ, utilisant des émulsions soigneusement calibrées en fonction des différentes longueurs d’onde. Les atlas de l’ESO (European Southern Observatory), tout comme celui réalisé au mont Palomar (Palomar Sky Survey), existent en version « souple » sous forme de films servant principalement à la préparation des observations, ou en version « dure » sous forme de plaques de verre destinées à des mesures de grande précision.
La nébuleuse d’Orion
La première mention de cet objet en tant que nébuleuse est due à Fabbri de Peiresc, en 1611, cf. le billet de blog que je lui ai consacré en 2017. Je rappelle juste ici que dès novembre 1610, l’humaniste provençal commence ses observations à la lunette astronomique depuis la terrasse de son hôtel, et le 26 novembre il découvre ensemble la nébuleuse d’Orion, décrite par ces mots : « In Orione media… Ex duabus stellis composita nubecula quamdam illuminata prima fronte referabat coelo non oio sereno » (« Au centre d’Orion, une nébulosité comprise entre deux étoiles en quelque sorte vue de face et éclairée par devant, le ciel n’étant pas parfaitement clair »).
Ceci est la treizième de mes « Chroniques de l’espace illustrées ». Si vous souhaitez acquérir mon livre dans sa version papier non illustrée (édition d’origine 2019 ou en poche 2020), ne vous privez pas !
Femmes en orbite
Pionnière de la conquête spatiale, Valentina Terechkova est non seulement la première femme à être allée dans l’espace, mais elle reste, aujourd’hui encore, la seule femme à avoir effectué un vol solitaire en orbite. Son nom, pourtant, ne s’est pas véritablement inscrit dans l’histoire aux côtés de ceux de Iouri Gagarine ou Neil Armstrong.
Nous sommes le 15 juin 1963. Les Russes ont lancé conjointement les deux vaisseaux spatiaux Vostok 5 et 6 pour un vol jumelé. Dans l’un d’entre eux, la robuste Valentina Terechkova, parachutiste d’essai surnommée « la Mouette », établit la liaison radio avec son homologue masculin. « Nous naviguons à une distance rapprochée. Tous les systèmes de nos vaisseaux fonctionnent normalement. Nous nous portons bien. » Suivent les mots de Nikita Khrouchtchev, premier secrétaire du Parti communiste : « On vous appelle “Mouette”, mais permettez-moi de vous appeler “Valia”. Je suis très fier qu’une fille de chez nous, une jeune fille du pays des soviets, soit la première à voler dans l’espace en possession des moyens techniques les plus perfectionnés. »
Une femme en orbite, c’est un choc pour l’opinion publique mondiale. Les Russes marquent un nouveau point dans la course à l’espace. Il faut néanmoins attendre dix-neuf ans pour qu’une seconde femme aille dans l’espace. Une Russe encore, Svetlana Savitskaya, qui en août 1982 passe une semaine à bord d’un vaisseau Saliout.
L’agence spatiale soviétique a reconnu par la suite qu’une tentative d’accouplement humain avait eu lieu à bord, entre Svetlana et l’un des occupants de la station. Ils étaient quatre, on ne sait pas lequel fut l’élu… ou la victime ! Le test était d’essayer de concevoir le premier enfant de l’espace… De retour sur Terre, Svetlana déclara que pendant ce vol « elle s’était bien amusée ! », sans donner plus de précisions, et elle n’aborda plus le sujet par la suite. Elle était déjà mariée avec un pilote d’essai, avec lequel elle eut deux filles bien après l’expérience. Elle volera à nouveau en 1984, devenant aussi la première femme à effectuer une sortie dans l’espace.
Les Américains, plus misogynes que les Soviétiques, n’ont envoyé leur première astronaute dans l’espace qu’avec la navette spatiale. Ce fut Sally Ride, astrophysicienne de profession, qui vola à bord de Challenger vingt ans après la Mouette. Continuer la lecture →
Les grandes manifestations du génie doivent faire l’office du soleil: illuminer et féconder. Franz Liszt
Depuis sa naissance en 1811, placée sous le signe de la Grande Comète, jusqu’à sa mort en 1886, date de célèbres expériences scientifiques relatives à l’éther, Liszt a été l’exact contemporain de découvertes majeures en astronomie. Et même si le compositeur n’a pas exprimé directement son intérêt pour l’exploration scientifique du cosmos, sa passion pour le ciel spirituel, son rapport à la lumière et à l’éther et un certain nombre de ses compositions comprenant lieder, transcriptions, oratorios et œuvres pianistiques, rendent pertinent d’inscrire une partie de sa trajectoire humaine et artistique dans les étoiles. Et puis n’a-t-il pas été lui-même l’une des plus grandes « stars » de son époque, et n’a-t-il pas fréquenté la plupart des autres stars littéraires et artistiques de son temps ?
Dans se second billet reprenant en partie le dernier chapitre de mon livre “Du piano aux étoiles” en l’agrémentant de son et d’image, aventurons-nous donc en des terres fertiles mêlant musique, science, histoire, et littérature.
Sous le signe de la comète (1811)
Liszt naît le 22 octobre 1811 à Raiding, près de la frontière austro-hongroise (aujourd’hui Doborján, en Autriche). La sage-femme, une bohémienne, lui prédit gloire et prospérité, car une comète passe cette année-là dans le ciel. Elle déclare: « Franzi roulera un jour dans un carrosse d’apparat”.
La Grande Comète de 1811 fut en effet découverte au mois de mars par un astronome amateur vivant en Ardèche. Visible pendant neuf mois à l’œil nu, elle atteint une magnitude voisine de 0, soit celle des plus brillantes étoiles du ciel comme Véga. Ses caractéristiques extrêmement spectaculaires ont profondément marqué les contemporains. Sa conjonction avec une vague de chaleur estivale inédite a suscité des inquiétudes de fin du monde, dont on trouve des échos dans la littérature de l’époque, et même plus tard : dans Guerre et Paix, Léon Tolstoï la décrit comme un présage de mauvais augure. Mais elle est aussi restée associée à une année d’excellents vins, de sorte qu’on la trouve mentionnée dans la Physiologie du goût de Brillat-Savarin, publiée en 1825.
L’astronomie à l’aube du XIXe siècle
En 1781, William Herschel découvre au télescope la première planète invisible à l’œil nu : Uranus. Avant de devenir l’un des plus grands astronomes de son temps, Herschel (1738-1822) avait été compositeur. Durant sa jeunesse passée à Hanovre, il avait reçu une éducation musicale de son père, violoniste et hautboïste. Lui-même devenu hautboïste militaire, il est appelé en Grande-Bretagne en 1756. Libéré de ses obligations militaires, il obtient la direction des concerts d’Édimbourg, puis se retrouve organiste à Bath, dont il va organiser la vie musicale pendant dix ans. Entre 1759 et 1770 il compose 24 symphonies, une douzaine de concertos, des sonates pour clavecin et de la musique religieuse, je dois dire pas toujours très écoutables.
Par bonheur féru d’astronomie, en 1776 il construit un télescope qui grossit 227 fois, le place dans le jardin de sa maison à Bath et, dans la nuit du 13 mars 1781, découvre par hasard la planète Uranus, croyant d’abord avoir affaire à une comète.
En 1796, le marquis de Laplace publie L’Exposition du système du monde, synthèse de toute la science de son temps qui lui vaudra d’être appelé le « Newton français ». Son ouvrage connaîtra cinq éditions successives jusqu’en 1835. Laplace y lance notamment de nouvelles hypothèses cosmogoniques, dont celle de la « nébuleuse primitive », à l’origine de tous les modèles actuels de formation des systèmes solaires et planétaires. On lui doit aussi la description d’un astre suffisamment massif pour emprisonner la lumière, que l’on appellera un siècle et demi plus tard « trou noir ». J’y reviendrai à la toute fin en évoquant la dernière pièce de Franz Liszt, Unstern, l’étoile du désastre.
On connaît la célèbre réplique que Laplace a adressée à l’empereur Napoléon lorsque ce dernier, après avoir lu son ouvrage, lui ait posé la sempiternelle question : « Et Dieu dans tout ça ? » – « Sire, je n’ai pas eu besoin de cette hypothèse ». Je gage que le très fervent catholique Franz Liszt n’aurait guère apprécié ce point de vue…
Enfin, le premier jour du XIXe siècle voit la découverte du premier astéroïde par le moine sicilien directeur de l’Observatoire de Palerme, Giuseppe Piazzi. Il sera baptisé (1) Cérès. Comme dit dans le billet précédent, Liszt n’aura « le sien », (3910) Liszt, qu’en 2015.
Naissance d’une étoile (1822-1827)
L’autoritaire père de Franz, Adam Liszt, en digne successeur de Leopold Mozart, enseigne le piano à son fils dès son plus jeune âge, lequel, on s’en doute, révèle très vite d’exceptionnelles capacités à la fois techniques et musicales.
En 1822-1823, Franz travaille à Vienne, auprès de Salieri pour la composition et le chant, et de Czerny pour la technique pianistique. C’est ce dernier qui, le 13 avril 1823, organise une rencontre entre son élève et Beethoven. Le vieux lion étant devenu complètement sourd, on ne sait ce qu’il retint vraiment de l’audition. Mais on sait que pour Liszt cette rencontre, au cours de laquelle il exécuta devant Beethoven une des œuvres du maître, fut inoubliable. Il lui voua toute sa vie un culte, devint l’un de ses plus grands interprètes, et à partir de 1835, organisa de nombreux concerts de ses œuvres dans toute l’Europe.
En 1824, la famille Liszt s’installe à Paris. On connaît l’histoire de la candidature de Franz au Conservatoire, refusée par son directeur italien Luigi Cherubini, qui invoque un article du règlement en vertu duquel les étrangers ne peuvent pas s’inscrire.
Franz reçoit alors des leçons privées de composition d’Anton Reicha et de Ferdinando Paër. En parallèle il mène des tournées européennes d’enfant prodige ; la presse parisienne l’affuble du sobriquet de « petit Litz ».
En 1827, son père meurt à Boulogne-sur-Mer de la fièvre typhoïde, il n’ a que cinquante ans. Franz, qui en a quinze, fait venir sa mère, qui passera le reste de jours en France.
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Combien ça coûte ?
Combien de fois n’entend-on pas dire que l’argent mis en jeu dans l’exploration spatiale serait mieux dépensé sur Terre, à combattre la pauvreté, la faim dans le monde, les maladies, le réchauffement climatique, la pollution et autres fléaux du monde moderne ?
Plusieurs commentateurs de ce blog, au demeurant prolifiques et pleins de sapience, ne se privent pas de me faire régulièrement remarquer la misère de la condition paysanne dans la France d’aujourd’hui.
La question se posait déjà il y a cinquante ans… En 1970, en plein succès du programme Apollo, le directeur scientifique de la Nasa, Ernst Stuhlinger, reçoit une lettre de sœur Mary Jucunda, officiant en Zambie, qui lui reproche de dépenser des milliards de dollars pour la recherche spatiale alors que tant d’enfants meurent de faim. Dans une réponse d’anthologie, Stuhlinger détaille longuement les arguments justifiant les dépenses spatiales.
Il explique, par exemple, comment le satellite terrestre artificiel, en orbite autour du globe à très haute altitude, peut observer de vastes aires de terrain en un temps très court, mesurer une grande variété de facteurs indiquant l’état des cultures, du sol, les sécheresses, les précipitations, la couverture de neige, et communiquer ces informations aux stations au sol afin d’améliorer les programmes de production de nourriture.
Il souligne ensuite que, chaque année, un millier d’innovations techniques générées par le programme spatial sont recyclées dans les technologies terrestres. On lui doit, par exemple, les ordinateurs modernes, l’imagerie médicale, la téléphonie mobile et les chaînes de télévision par satellite, les prévisions météo, le guidage automobile par GPS, les mousses à mémoire de forme, les détecteurs de fumée, les airbags de sécurité dans les voitures, des médicaments mis au point en microgravité, et ainsi de suite. Au final, un programme spatial à quelques milliards de dollars apporte tellement de nouvelles technologies que ses retombées au bénéfice de l’humanité dépassent de loin le coût de sa mise en œuvre. Continuer la lecture →
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De Mir à la Station spatiale internationale
À la fin des années 1960, deux objectifs se présentent aux explorateurs de l’espace : d’une part la Lune, qui est facilement accessible depuis la Terre après un voyage de trois jours ; d’autre part, faire vivre des Hommes dans l’espace pour les préparer aux vols de plusieurs mois, voire plusieurs années vers la planète Mars. Les Soviétiques sont convaincus que cette dernière option est la plus importante sur le long terme, d’autant qu’ils doivent bien admettre leur défaite dans la course à la Lune.
C’est ainsi qu’en 1971, en plein déroulement du programme Apollo, la Russie place discrètement en orbite terrestre un nouveau véhicule spatial du nom de Saliout, qui veut dire « salut ». Ce gros satellite de 19 tonnes, offrant un espace habitable de 100 mètres cubes pour trois cosmonautes, est la première station spatiale orbitale.
Deux ans plus tard, l’Amérique suit la même voie en plaçant en orbite permanente le troisième étage de sa grande fusée lunaire Saturn 5, rhabillée pour l’occasion en une station orbitale baptisée Skylab.
Dans ces espaces réduits, les astronautes éprouvent le stress du confinement et de la promiscuité, aggravée par les malaises du début du vol en apesanteur et les difficiles conditions hygiéniques, qui rendent invivables les séjours de longue durée.
C’est avec le lancement de la station orbitale Mir, en 1986, que les Soviétiques marquent un pas décisif dans les opérations de survie d’équipages. Avec l’arrimage de cinq modules, la station s’agrandit de façon importante, et une quantité d’améliorations de tous ordres, comme la relève d’équipage et les cargos de ravitaillement, permet d’envisager des vols de plus de six mois.
La station s’ouvre alors aux vols internationaux, dans lesquels les Américains prennent une part très active. Mir sera une grande réussite. Restée quinze ans en orbite, elle a accueilli 103 passagers appartenant à 13 nations, et a permis de faire 23 000 expériences scientifiques dans l’espace.
Mais avec le vieillissement de la station et l’effondrement économique de la Russie, Mir est abandonnée en 2000 et se désintègre lors de son retour sur Terre, l’année d’après. Continuer la lecture →
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Piétons du cosmos
Nous sommes le 18 mars 1965. L’URSS lance le vaisseau spatial Voskhod 2 en orbite terrestre avec deux cosmonautes à bord, dont l’ingénieur Alexeï Leonov. Son nom va entrer dans la grande histoire de l’exploration spatiale. Par l’intermédiaire d’un sas ouvert sur le vide, Leonov, équipé d’un scaphandre, effectue la première sortie dans l’espace. Il y passe une vingtaine de minutes, accroché au vaisseau par un simple cordon.
La télévision soviétique retransmet des images en temps réel de l’exploit. On voit le cosmonaute flotter à côté du sas dans l’espace cosmique. La mission frôle cependant le drame. Une fois dans l’espace, la combinaison de Leonov, trop gonflée par la pression, devient rigide et l’empêche de rentrer par la trappe de sortie. Après dix minutes de lutte fébrile, il réussit à ouvrir une valve pour la dégonfler et peut retourner à bord, pris de vertiges dus à la baisse de pression, mais sain et sauf.
L’événement fait grand bruit. Trois mois plus tard, Edward White fait la première sortie américaine dans l’espace durant seize minutes, s’aidant d’un pistolet à air comprimé pour maîtriser ses mouvements.
Ces deux exploits marquent le début des sorties extravéhiculaires, c’est-à-dire les activités réalisées à l’extérieur d’un véhicule spatial par un astronaute revêtu d’une combinaison. Par la suite et pour des raisons de sécurité, les astronautes effectueront leurs sorties en binôme et resteront attachés au véhicule spatial par un câble, jusqu’à ce qu’en 1984 Bruce McCandless soit le premier à réaliser une sortie autour de la Terre sans être relié au vaisseau, se mouvant dans l’espace au moyen d’un fauteuil équipé de petits propulseurs – auxquels il fallait faire pleinement confiance !
L’Homme n’étant pas du tout fait pour vivre dans le vide hostile de l’espace sans équipements spéciaux, la combinaison est cruciale. L’équipement doit fournir à l’astronaute l’oxygène, évacuer le dioxyde de carbone et la vapeur d’eau expirés, et assurer une protection thermique tout en autorisant une mobilité maximale. S’ajoutent généralement à ces fonctions un système de communications, une protection partielle contre les rayons cosmiques et les micrométéorites, et la possibilité pour son occupant de boire. Le piéton de l’espace dispose alors d’une autonomie de huit heures au maximum pour mener à bien des tâches extravéhiculaires nécessitant un outillage adapté au port de la combinaison.
Les premières femmes à sortir dans l’espace ont été une Russe et une Américaine, et en 1988 ce fut le tour d’un Français, Jean-Loup Chrétien, sorti six heures lors d’une mission de la station spatiale russe Mir.
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Anecdotes spatiales
Il y a la grande histoire de l’exploration spatiale, et puis il y a la petite, celle qui se raconte plaisamment, qui met en avant des détails secondaires mais inattendus de l’action principale. En voici quelques anecdotes.
En 1961, la rentrée atmosphérique du vaisseau russe Vostok 2 manque de tourner à la catastrophe. Le module de service ne se détache pas du module de descente et la séparation n’a lieu que tardivement. Guerman Titov réussit de justesse à s’éjecter, mais son parachute manque de débouler sur un train de marchandises en marche. Arrivé enfin au sol sain et sauf, il s’empare d’une grosse canette de bière et, devant un comité d’accueil médusé, il la siffle d’une traite pour se remettre de ses émotions.
Autre incartade au strict règlement alimentaire due à l’Américain John Young au cours de la mission Gemini 3 : il emporte en cachette dans la poche de sa combinaison un sandwich au corned-beef et commence à le manger sous les yeux effarés de son copilote Gus Grissom. L’affaire fait scandale, John Young est réprimandé, ce qui ne l’empêchera pas quelques années plus tard de commander la mission Apollo 16, au cours de laquelle il restera soixante et onze heures à la surface de la Lune ! Et après moult rapports et commissions d’experts, le corned-beef sera officiellement autorisé dans les navettes spatiales en 1981.
Autres fantaisies qui ne sont plus d’ordre culinaire : Neil Armstrong, le héros impavide de la mission Apollo 11 et premier homme à marcher sur la Lune, a pour sa part secrètement emporté un ours en peluche. Continuer la lecture →
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Rêves d’univers
« Nous rêvons de voyages à travers l’Univers, mais l’Univers n’est-il pas en nous ? » s’interroge en 1793 le poète allemand Novalis. Dans sa Poétique de l’espace de 1957, Gaston Bachelard évoque à son tour le double univers du cosmos et des profondeurs de l’âme humaine. Science et poésie peuvent faire bon ménage, l’astronomie et l’exploration spatiale étant particulièrement propices aux rêveries poétiques.
Je vous propose une brève promenade dans le jardin enchanté de la poésie cosmique avec quatre textes peu connus. Le premier est extrait d’un grand rêve cosmique intitulé La Comète, publié en 1820 par l’Allemand Jean Paul (de son vrai nom Johann Paul Friedrich Richter) :
« Bientôt ne resta plus de notre ciel que le soleil, semblable à une petite étoile, et les flammèches de quelques queues de comètes qui s’en approchaient. Nous passions maintenant entre les soleils d’un vol si rapide qu’à peine ils prenaient un instant à nos yeux la grandeur de lunes, avant de se fondre, derrière nous, en infimes nébuleuses ; et leurs terres, sur notre passage accéléré, ne nous apparaissaient pas. Enfin, le soleil de notre Terre, Sirius, toutes les constellations et la Voie lactée de notre ciel ne furent plus sous nos pieds qu’une claire nébuleuse au milieu de petites nuées plus lointaines. Ainsi traversions-nous les solitudes étoilées ; les cieux, successivement, s’épanouissaient devant nous et se resserraient derrière nous – et des Voies lactées s’accumulaient dans le lointain, comme l’Arc de Triomphe de l’Esprit Infini. »
Le deuxième texte est dû à la plume féconde de Blaise Cendrars, grand poète et navigateur devant l’Éternel. En 1926, il écrit L’Eubage, voyage intersidéral au cours duquel des marins lèvent l’ancre et se rendent dans les parages du ciel :
« Nous quittâmes la Terre pour entrer dans cet océan de lumière solaire qu’est notre atmosphère respirable. Ayant atteint ses extrêmes limites, nous nous engageâmes résolument dans les rapides de la région de l’ozone. Nous allions si vite que nous ne pouvions estimer la vitesse acquise et qu’il nous semblait rester immobiles. La Terre était invisible dans notre sillage et devant nous, les astres n’existaient plus. Enfin, nous fîmes la grande chute dans le vide, éclaboussés par une écume d’étoiles. »
Dès l’envol du premier cosmonaute russe, en 1961, le poète Charles Dobzynski s’enthousiasme. Dans son Opéra de l’espace, sa description du décollage d’une fusée réconcilie la poésie la plus pure avec la technologie la plus aride – celle des propulseurs :
« Puissance de l’air lourd, musculature du métal dans le faisceau de la fusée attelée à la foudre, ramification d’éclats et d’explosions dans l’épiderme atmosphérique, avez-vous entendu la stridence de l’astronef striant ce que l’on nommait dérisoirement l’éther ? Oisellerie de flammes, l’astronef s’enfonce dans l’infini avec cet abandon tranquille du dormeur ou du noyé. Le vide est chair, et dans ce ventre sans parois l’astronef-graine fonde le futur. »
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Objectif Lune
1962. La guerre froide bat son plein, exacerbée par la crise des missiles de Cuba. Les activités spatiales militaires permettent de développer au pas de charge toute la panoplie des technologies nécessaires pour envoyer un Homme sur la Lune. Côté américain, les programmes Gemini et Apollo se voient attribuer des budgets colossaux. Côté russe, la station orbitale permanente devient l’objectif à long terme, sans toutefois écarter la Lune des projets immédiats.
Une cinquantaine de missions lunaires américaines et soviétiques vont ainsi se dérouler dans les quinze années qui suivent. Certaines placent en orbite lunaire des satellites transmettant des photographies détaillées de la surface, d’autres font atterrir des modules capables d’analyser le sol de notre satellite naturel.
En 1966, Luna 9 réussit la très délicate manœuvre de l’alunissage en douceur. Le premier drapeau à « flotter » sur la Lune est soviétique !
Pour ne pas rester en arrière, les Américains réussissent à leur tour l’alunissage avec la sonde Surveyor 1, et à peine un an plus tard Surveyor 6 est le premier module capable de redécoller.
Cinq sondes Lunar Orbiter sont placées en orbite pour cartographier 99 % de la surface lunaire et définir les sites d’atterrissage des missions Apollo.
Pour des raisons de mécanique céleste, le voyage Terre-Lune aller-retour se présente de façon optimale lors de certaines fenêtres de tir périodiques et prévisibles. Une fenêtre se présente fin décembre 1968. Le premier vol humain en orbite lunaire est réalisé par le vaisseau Apollo 8, dont les trois membres d’équipage passent Noël à 380 000 kilomètres de chez eux. Les missions s’enchaînent avec succès.
En mai 1969, Apollo 10 se met en orbite lunaire et teste toutes les manœuvres conçues pour l’alunissage.
Enfin le 21 juillet 1969, Apollo 11 dépose le module Eagle sur la mer de la Tranquillité. Continuer la lecture →
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Animaux dans l’espace
Avant que des êtres humains soient embarqués dans l’espace, ce sont nos amis les animaux qui ont servi de cobayes. Le 19 septembre 1783 déjà, un coq, un mouton et un canard font l’expérience du premier vol habité en montgolfière. Cela se passe devant le château de Versailles, en présence du roi Louis XVI. Leur nacelle s’élève jusqu’à 480 mètres de hauteur avant de redescendre, ils sont recueillis bien vivants.
L’aventure spatiale du XXe siècle offre un scénario identique, à ceci près qu’un vol à bord d’une fusée ou d’un satellite artificiel est autrement périlleux qu’une simple ascension en ballon dans la basse atmosphère. Au départ, les scientifiques ne savent pas si l’être humain peut survivre aux fortes accélérations de départ et aux longs séjours en apesanteur. Dès 1948, Américains et Soviétiques commencent donc à expérimenter avec des animaux. Les Russes utilisent d’abord des lapins, des rats et des souris pour des vols sans retour, puis des chiennes, qu’ils tentent de ramener vivantes sur Terre. Les Américains préfèrent les singes, dont la physiologie est plus proche de celle de l’Homme. Nombre d’entre eux sont sacrifiés au nom de la science, lors des phases de décollage, de retour au sol des fusées, ou dans les vols orbitaux.
C’est ainsi que le 3 novembre 1957, une chienne noir et blanc nommée Laïka embarque à bord de Spoutnik 2. Le lancement est effectué sans tests préliminaires et dans la précipitation, s’agissant de damer le pion aux Américains. Le satellite atteint effectivement son orbite, Laïka est le premier être vivant à voyager dans l’espace interplanétaire. Las, il n’a jamais été prévu que Spoutnik 2 revienne. Équipée d’une combinaison de cosmonaute et enfermée dans un petit habitacle, Laïka s’affole au décollage, son cœur bat la chamade. Après la mise sur orbite, la température de la capsule monte à 41 degrés. Laïka met cinq heures à mourir de déshydratation, de chaleur et de convulsions. Spoutnik 2 se consumera dans l’atmosphère quelques mois plus tard. Quarante ans après, une statue a été érigée à Moscou en l’honneur de Laïka. On lui devait bien cela.
Heureusement, beaucoup d’animaux ont survécu. C’est notamment le cas avec la mission Spoutnik 5, en 1960, qui embarque 2 chiennes nommées Belka et Strelka, 40 souris, 2 rats, des centaines d’insectes, des végétaux tels que maïs, blé, oignons et champignons, des bactéries et des préparations de peau humaine. Tous sont récupérés sur Terre en parfait état. Strelka a plus tard donné naissance à 6 chiots, dont l’un a été offert à John Kennedy pour son fils ! Continuer la lecture →
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De Gagarine à Kennedy
Après la récupération réussie d’animaux envoyés dans l’espace, toute l’attention est désormais tendue vers un seul objectif : l’Homme. Aux États-Unis le programme Mercury fait l’objet d’une propagande effrénée. On se pose la question de savoir qui embarquer : un condamné à mort gracié, un acrobate de cirque, un voltigeur aérien ? On se rabat finalement sur le pilote de chasse, dont la discipline est à toutes épreuves. Le film L’étoffe des héros de Philip Kaufman est un document très réaliste sur les problèmes de la sélection. La NASA prévoit le lancement d’une capsule habitée pour la fin avril 1961.
Le programme russe, lui, est beaucoup plus discret mais suit le même chemin en sélectionnant le profil du candidat idéal: un bon soldat avant tout. Il est vrai que les chances de réussite du lancement ne sont à l’époque que de 50 %. Après une sélection féroce, le pilote de chasse russe Youri Gagarine fait partie, avec son collègue German Titov, des deux derniers candidats au premier vol humain orbital de l’histoire. La commission tranche en faveur de Gagarine, dont les origines plus modestes symbolisent « l’idéal de l’égalité soviétique ». Déçu, Titov ne bronche pas mais il ne félicite pas Gagarine comme il serait d’usage.
Le 12 avril 1961 à 08:40, l’agence Tass annonce qu’un homme a pris place à bord de Vostok 1, un vaisseau spatial de 4 tonnes et demi. Gagarine a accompli une révolution complète autour de la Terre durant 108 minutes, en orbite basse montant jusqu’à 327 km d’altitude, et il a été récupéré vivant sur le territoire de l’URSS. La grande Histoire de l’exploration spatiale a désormais son Christophe Colomb.
Dans le monde c’est la stupeur. Après le camouflet de Spoutnik 1, L’URSS a de nouveau damé le pion aux Américains. En toute hâte, ces derniers expédient le 5 mai Alan Shepard à 180 km d’altitude, mais dans un petit bond balistique d’à peine 15 minutes. Les Russes, eux, frappent encore plus fort au mois d’août. Gagarine n’a séjourné dans l’espace que le temps d’une orbite. Le deuxième vol de Vostok, lui, va durer 25 heures, soit 17 orbites. Titov tient sa revanche, mais la mission ne se déroule pas sans quelques péripéties. Au bout de quelques tours de Terre le cosmonaute ressent pour la première fois le mal de l’espace. Il parvient malgré tout à filmer durant 10 minutes l’horizon courbe de notre planète. Un grande première à nouveau. Son état s’améliore, il boucle la dernière orbite, s’éjecte du module de descente et regagne le sol en parachute et en parfaite santé. Il a 25 ans, Titov reste à ce jour le plus jeune être humain à être allé dans l’espace.
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Spoutnik, Pioneer, Lunik et les autres
« À toute chose malheur est bon », dit le proverbe. La course à l’espace des années 1960 en est une illustration. Conséquence d’un terrible conflit politique entre les États-Unis et l’Union soviétique, elle aurait probablement été remplacée par une guerre nucléaire si les deux superpuissances n’avaient pas trouvé l’arène spatiale pour croiser symboliquement le fer.
Dans cette rivalité technologique, les premières victoires sont russes. Le 4 octobre 1957, un satellite de 85 kilos est mis en orbite autour de la Terre par le puissant lanceur mis au point par Korolev. Dédié à la géophysique il se nomme Spoutnik 1, ce qui signifie « voyageur 1 ». C’est le premier engin à atteindre la vitesse de satellisation, il va tourner plusieurs mois dans l’espace.
À peine un mois plus tard, Spoutnik 2 crée à son tour la sensation. Non seulement sa masse atteint la demi-tonne, mais il a embarqué la chienne Laïka. Elle restera vivante quelques heures avant de mourir par arrêt du système permettant la survie à bord. Le sacrifice de l’animal est caché par les autorités russes, mais l’information essentielle passe : un être humain pourra vivre au moins quelques jours dans l’espace.
Pour les Américains, qui ne croyaient pas l’URSS aussi avancée, c’est un choc, une blessure d’orgueil, un Pearl Harbor technologique. Ils tentent de riposter aussitôt, mais le lancement de leur minisatellite Pamplemousse est un désastre. C’est finalement le 31 janvier 1958 que, grâce à la fusée Jupiter, de l’ex-ingénieur nazi Wernher von Braun – entre-temps naturalisé américain –, ils réussissent à mettre en orbite un petit satellite de 14 kilos, Explorer 1.
Dès lors, la compétition bat son plein. En mai 1958, l’énorme Spoutnik 3, soviétique, 1 400 kilos, découvre une zone de fortes radiations située entre 700 et 10 000 kilomètres d’altitude, invivable pour les humains s’ils doivent y rester sans protection : les ceintures de Van Allen.
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Quitter le berceau
« La Terre est le berceau de l’humanité, mais nul ne reste éternellement dans son berceau. »
Vous avez probablement déjà entendu cette phrase célèbre. On la doit à Konstantin Tsiolkovski, un instituteur russe du début du xxe siècle, ardent partisan de l’exploration et de la colonisation de l’espace : « L’Homme ne restera pas sur Terre à jamais, mais, toujours en quête de lumière et d’espace, il se hasardera d’abord timidement hors de l’atmosphère, puis fera la conquête du système solaire tout entier », ajoute-t-il. En 1903, il publie le premier traité de fuséologie et explique comment quitter la gravité terrestre pour atteindre le vide de l’espace. Véritable père de l’astronautique moderne, il imagine les fusées à étages, les stations spatiales et l’utilisation de combustibles liquides en remplacement de la poudre qui ne peut pas brûler dans le vide de l’espace.
Quelques années plus tard, un professeur d’université américain nommé Robert Goddard passe à la pratique et s’attache à la réalisation de fusées à propulsion liquide. Il dépose des brevets, on le prend pour un fou, sa première fusée s’élève néanmoins avec élégance vers le ciel en 1932.
En Europe centrale, Hermann Oberth, après s’être passionné pour les romans de Jules Verne, rédige en 1923 une thèse intitulée « La Fusée dans les espaces interplanétaires », pour un doctorat qui lui est refusé. En 1935, il réussit pourtant le lancement d’une fusée à combustible liquide.
L’armée nazie l’engage pour travailler sur les missiles balistiques, aux côtés de jeunes ingénieurs allemands passionnés. Wernher von Braun est le plus brillant d’entre eux. Le 3 octobre 1942, il réussit le tir de la première fusée militaire. Baptisée V2, elle franchit pour la première fois le seuil du domaine spatial, c’est-à-dire 80 kilomètres d’altitude. Mais c’est une arme de destruction. Durant la guerre, 3 000 exemplaires sont lancés contre les populations de Londres et de Belgique, tuant des milliers de civils.
À la chute de Hitler, les Alliés mettent la main sur les stocks de V2 et la documentation technique. Désireux de rattraper leur retard sur l’Allemagne dans le domaine spatial, les États-Unis exfiltrent von Braun pour le faire travailler à leur compte. Sans lui, le programme Apollo n’aurait pas réussi à poser des hommes sur la Lune ! Continuer la lecture →
L’an dernier (2019), à l’occasion du cinquantième anniversaire de la mission Apollo 11 qui avait déposé pour la première fois des hommes sur la Lune, j’avais entrepris de retracer la fabuleuse épopée de l’exploration spatiale à travers quarante chroniques, diffusées tout l’été sur les ondes de France Inter.
Un livre était paru dans la foulée, se contentant de reprendre le texte de mes chroniques. Compte tenu de l’état déplorable du “marché”, une version illustrée a peu de chance d’être un jour publiée, ce qui est bien regrettable tant l’iconographie liée au sujet est d’une extrême richesse. Mon blog me permet de pallier ce manque. Voici donc la seconde de ces « chroniques de l’espace illustrées ». Ceci dit, si vous souhaitez acquérir mon livre dans sa version papier d’origine, ne vous privez pas !
La conquête imaginaire de l’espace
Loin de la vision spatiale que nous en avons aujourd’hui, les premières fusées ont été des armes, inventées en Chine aux alentours du XIIIe siècle. Ce ne sont alors que des tubes de carton contenant de la poudre, dont les tirs très aléatoires sont dangereux même pour ceux qui les allument.
C’est en 1500 qu’aurait eu lieu la première tentative de lancement d’un être humain à l’aide de fusées. Wan-Hu, un fonctionnaire chinois, serait monté sur une chaise équipée de 47 fusées dans l’espoir d’atteindre la Lune. Il n’en est évidemment pas sorti vivant ! Par la suite, les Chinois améliorent la technique des fusées en leur ajoutant des baguettes de guidage et des ailettes de stabilisation, ou en utilisant des cylindres de fer plutôt que du carton, ce qui les rend plus sûres, stables et puissantes. Mais les développements de l’artillerie classique conduisent à des armes plus efficaces, et les fusées ne servent plus qu’à faire de jolis feux d’artifice.
C’est à la fin du XVIIIe siècle qu’en Occident la science et la technique triomphantes laissent entrevoir la possibilité concrète d’explorer le ciel, à l’aide d’appareils plus légers que l’air. L’aventure commence en France avec Pilâtre de Rozier. En 1783, il est le premier être humain à s’envoler à 1 000 mètres de hauteur et à revenir sain et sauf, à bord du ballon à air chaud inventé par les frères Montgolfier.
Dès lors, la conquête de l’air se développe, les auteurs rivalisent d’imagination pour concevoir des moyens techniques de se rendre dans l’espace interplanétaire.
Les romans de Jules Verne en constituent les premiers exemples. Dans De la Terre à la Lune, publié en 1865, le héros, Michel Ardan, et deux amis américains sont lancés dans l’espace à l’aide d’un canon géant de 300 mètres de long. Si Jules Verne fait l’erreur de ne pas se rendre compte que les voyageurs seraient tués par l’énorme accélération due au tir, il explique à juste titre que le corps du chien accompagnant les spationautes, largué du vaisseau en mouvement dans l’espace, continue à se déplacer sur une trajectoire parallèle. Ce phénomène, exact mais peu intuitif, montre l’approche scientifique du sujet. Continuer la lecture →
L’an dernier (2019), à l’occasion du cinquantième anniversaire de la mission Apollo 11 qui avait déposé pour la première fois des hommes sur la Lune, j’avais entrepris de retracer la fabuleuse épopée de l’exploration spatiale à travers quarante chroniques, diffusées tout l’été sur les ondes de France Inter.
Un livre était paru dans la foulée, se contentant de reprendre le texte de mes chroniques. Mes éditeurs espéraient que le succès attendu de ce petit livre accessible à tous et qui avait fait l’objet d’une forte promotion radiophonique, leur donneraient l’occasion de publier ultérieurement une version « de luxe », c’est-à-dire illustrée par une riche iconographie. Or, contrairement aux attentes et pour des raisons encore obscures, mon livre a été le pire bide commercial de toute ma production littéraire (25 ouvrages) alors qu’il aurait normalement dû en être le sommet ! Une version illustrée n’a donc aucune chance de voir le jour, et c’est bien dommage car l’iconographie, je le répète, est d’une extrême richesse. Ce blog va me permettre de rattraper un peu cette déception. Voici donc la première de ces « chroniques de l’espace illustrées ». Ceci dit, si vous souhaitez acquérir mon livre dans sa version papier d’origine, ne vous privez pas !
Utopies célestes
Le rêve de quitter la Terre et de voyager dans l’espace a toujours existé. Souvenez-vous du mythe d’Icare, le premier homme à s’élever dans les airs pour s’évader du labyrinthe. Mais son orgueil le fait se rapprocher trop près du Soleil : ses ailes collées à la cire se mettent à fondre, et Icare retombe vertigineusement… Profonde et cruelle métaphore de la condition humaine !
Dans deux romans rédigés au IIe siècle, le Grec Lucien de Samosate conte de manière fantaisiste des voyages sur la Lune, mais à aucun moment les trajets relatés n’ont recours à une technologie vraisemblable. Ce n’est pas encore de la science-fiction, c’est une utopie, exercice philosophique permettant de prendre du recul pour critiquer la société de son époque.
Au Moyen-Âge, le voyage céleste devient un exercice mystique. Il s’agit de rejoindre l’empyrée – la demeure des dieux et des bienheureux. Voilà pourquoi dans sa Divine Comédie, le poète Dante traverse le ciel sans même le regarder…
À la Renaissance, l’attitude de l’Homme face au ciel se fait plus hardie. Le philosophe Giordano Bruno exprime pour la première fois l’ivresse du vol, la joie du voyage sans retour : « C’est donc vers l’air que je déploie mes ailes confiantes. Ne craignant nul obstacle, je fends les cieux et m’érige à l’infini. Et tandis que de ce globe je m’élève vers d’autres globes et pénètre au-delà par le champ éthéré, je laisse derrière moi ce que d’autres voient de loin », écrit-il avant d’être brûlé vif par l’Inquisition en l’an de grâce 1600.
Peu après, Galilée découvre à la lunette astronomique le relief de la Lune, prouvant qu’elle est de même nature que la Terre. Son contemporain, le génial Johannes Kepler, s’enthousiasme et entrevoit les voyages interplanétaires. Il lui écrit : « Créons des navires et des voiles adaptés à l’éther, et il y aura un grand nombre de gens pour n’avoir pas peur des déserts du vide. En attendant, nous préparerons, pour les hardis navigateurs du ciel, des cartes des corps célestes ; je le ferai pour la Lune et toi, Galilée, pour Jupiter. » Continuer la lecture →
Au début du XXe siècle, le poète et philosophe Paul Valéry a écrit dans ses Cahiers « Les événements sont l’écume des choses. Mais c’est la mer qui m’intéresse ».
L’aphorisme est vertigineux. Il dit tout de ce que cherche le physicien sous la chair aride des équations. Ce que cherche aussi le poète sous la cape de velours de ses mots. Symbole de la profondeur, la mer est dépositaire de l’essentiel. Mais qu’est-ce que l’essentiel ? Pour le scientifique ordinaire, c’est la « réalité » du monde – si tant est que l’expression fasse sens. Mais pour le physicien théoricien, tout comme pour l’artiste et le créateur en général, la vraie réalité du monde n’est-elle pas plutôt la vie de l’esprit, elle qui s’écarte de toute sollicitation passagère liée aux événements extérieurs ?
Dans la pensée de Valéry, la profondeur de la vitalité marine est suffisamment riche pour accueillir les manifestations les plus ténues et les plus éphémères de l’expérience. « Un petit fait d’écume, un événement candide sur l’obscur de la mer », note-t-il encore. Le contraste entre la mer et l’écume exprime le décalage saisissant entre l’unité associée à la permanence et l’accident associé à l’évanescence. Dans d’autres contextes, comme celui sur lequel je travaille actuellement, à savoir la physique théorique moderne qui tente d’unifier les lois de la gravitation et de la mécanique quantique, il traduit plutôt une complémentarité par laquelle les parties constituantes ne sont plus décalées, mais concordantes.
Je prends pour exemple une brillante hypothèse avancée par le grand physicien John Wheeler dans les années 1950. Les esprits les plus créatifs fonctionnent souvent par analogie. Wheeler imagine donc qu’au niveau microscopique, la géométrie même de l’espace-temps n’est pas fixe mais en perpétuel changement, agitée de fluctuations d’origine quantique. On peut la comparer à la surface d’une mer agitée. Vue de très haut, la mer paraît lisse. À plus basse altitude, on commence à percevoir des mouvements agitant sa surface, qui reste cependant continue. Mais, examinée de près, la mer est tumultueuse, fragmentée, discontinue. Des vagues s’élèvent, se brisent, projettent des gouttes d’eau qui se détachent et retombent. De façon analogue, l’espace-temps paraîtrait lisse à notre échelle, mais scruté à un niveau ultramicroscopique, son « écume » deviendrait perceptible sous forme d’événements évanescents : des particules élémentaires, des micro-trous de ver, voire des univers entiers. Tout comme la turbulence hydrodynamique fait naître des bulles par cavitation, la turbulence spatio-temporelle ferait surgir en permanence du vide quantique ce que nous prenons pour la réalité du monde.
Tout ceci est superbement poétique, mais n’implique pas pour autant que ce soit physiquement correct. Cinquante ans après sa formulation, le concept d’écume du vide quantique posé par Wheeler fait toujours débat ; d’autres approches de la « gravitation quantique » se sont développées (gravité à boucles, cordes, géométrie non commutative, etc.) proposant des visions différentes de l’espace-temps à son niveau le plus profond – la mer – et de ses manifestations à toutes les échelles de grandeur et d’énergie – l’écume. Même si aucune d’entre elles n’a encore abouti à une description cohérente, ces diverses théories ont au moins le mérite de montrer combien l’investigation scientifique de la nature est une prodigieuse aventure de l’esprit. Déchiffrer les fragments de réel sous l’écume des astres, c’est se détacher des limites du visible, se déshabituer des représentations trompeuses, sans jamais oublier que la fécondité de l’approche scientifique est souterrainement irriguée par d’autres disciplines de l’esprit humain comme l’art, la poésie, la philosophie.
Ceci nous ramène à Paul Valéry. La prescience de son propos n’a pas lieu de nous étonner lorsqu’on connaît son parcours. Curieux de tout, Valéry s’intéressait notamment à la façon dont les grands scientifiques travaillaient mentalement. Lui-même fourmillait d’idées, et pour n’en laisser échapper aucune il noircissait à longueur de temps les pages de son carnet. Au cours des années 1920, il rencontra à plusieurs reprises Albert Einstein, qu’il admirait, et réciproquement. Le facétieux père de la théorie de la relativité s’est souvenu plus tard d’un débat public au Collège de France en présence de Paul Valéry et du philosophe Henri Bergson : « Au cours de la discussion, raconte-t-il, [Valéry] m’a demandé si je me levais la nuit pour noter une idée. Je lui ai répondu : ‘’Mais, des idées, on n’en a qu’une ou deux dans sa vie’’ ».
Lorsque ce fut au tour d’Einstein d’interroger un autre poète, Saint-John Perse, sur la façon dont il travaillait, l’explication qu’il reçut ne manqua pas de le satisfaire : « Mais c’est la même chose pour le savant. Le mécanisme de la découverte n’est ni logique ni intellectuel. […] Au départ, il y a un bond de l’imagination ». Dans son discours de remise du prix Nobel de Littérature en 1960, Saint-John Perse a appelé cela le « mystère commun ».
J’eus le vertige et je pleurai car mes yeux avaient vu cet objet secret et conjectural dont les hommes usurpent le nom, mais qu’aucun homme n’a regardé : l’inconcevable univers. Jorge Luis Borges, L’Aleph (1949)