Les Chroniques de l’espace illustrées (8) : Rêves d’univers

Ceci est la huitième de mes « Chroniques de l’espace illustrées ». Si vous souhaitez acquérir mon livre dans sa version papier non illustrée (édition d’origine 2019 ou en poche 2020), ne vous privez pas !

Rêves d’univers

« Nous rêvons de voyages à travers l’Univers, mais l’Univers n’est-il pas en nous ? » s’interroge en 1793 le poète allemand Novalis. Dans sa Poétique de l’espace de 1957, Gaston Bachelard évoque à son tour le double univers du cosmos et des profondeurs de l’âme humaine. Science et poésie peuvent faire bon ménage, l’astronomie et l’exploration spatiale étant particulièrement propices aux rêveries poétiques.

Je vous propose une brève promenade dans le jardin enchanté de la poésie cosmique avec quatre textes peu connus. Le premier est extrait d’un grand rêve cosmique intitulé La Comète, publié en 1820 par l’Allemand Jean Paul (de son vrai nom Johann Paul Friedrich Richter) :

« Bientôt ne resta plus de notre ciel que le soleil, semblable à une petite étoile, et les flammèches de quelques queues de comètes qui s’en approchaient. Nous passions maintenant entre les soleils d’un vol si rapide qu’à peine ils prenaient un instant à nos yeux la grandeur de lunes, avant de se fondre, derrière nous, en infimes nébuleuses ; et leurs terres, sur notre passage accéléré, ne nous apparaissaient pas. Enfin, le soleil de notre Terre, Sirius, toutes les constellations et la Voie lactée de notre ciel ne furent plus sous nos pieds qu’une claire nébuleuse au milieu de petites nuées plus lointaines. Ainsi traversions-nous les solitudes étoilées ; les cieux, successivement, s’épanouissaient devant nous et se resserraient derrière nous – et des Voies lactées s’accumulaient dans le lointain, comme l’Arc de Triomphe de l’Esprit Infini. »

Un choix des plus belles rêveries cosmiques de Jean Paul a été traduit en français et commenté par Albert Béguin. En particulier, le récit “La Comète” s’inspire du spectaculaire passage de la Grande comète de 1811 (C/1811 F1), qui resta visible pendant 9 mois à l’œil nu et marqua profondément ses contemporains. Sa conjonction avec une importante vague de chaleur a suscité des inquiétudes de fin du monde, dont on trouve l’écho dans la littérature de l’époque. De façon plus positive, elle est associée à une année d’excellents vins en Europe!

Le deuxième texte est dû à la plume féconde de Blaise Cendrars, grand poète et navigateur devant l’Éternel. En 1926, il écrit L’Eubage, voyage intersidéral au cours duquel des marins lèvent l’ancre et se rendent dans les parages du ciel :

« Nous quittâmes la Terre pour entrer dans cet océan de lumière solaire qu’est notre atmosphère respirable. Ayant atteint ses extrêmes limites, nous nous engageâmes résolument dans les rapides de la région de l’ozone. Nous allions si vite que nous ne pouvions estimer la vitesse acquise et qu’il nous semblait rester immobiles. La Terre était invisible dans notre sillage et devant nous, les astres n’existaient plus. Enfin, nous fîmes la grande chute dans le vide, éclaboussés par une écume d’étoiles. »

Pour Blaise Cendrars, l’exploration spatiale est une pure aventure poétique. Durant sa convalescence après ses blessures de guerre, Jacques Doucet – riche couturier ami des arts et des artistes- lui verse une petite rente mensuelle pour écrire les douze chapitres de “l’Eubage, Aux antipodes de l’Unité” (1926). Il s’agit d’un admirable voyage intersidéral dans lequel les marins lèvent l’ancre, quittent la Terre et se rendent dans les parages du ciel.

Dès l’envol du premier cosmonaute russe, en 1961, le poète Charles Dobzynski s’enthousiasme. Dans son Opéra de l’espace, sa description du décollage d’une fusée réconcilie la poésie la plus pure avec la technologie la plus aride – celle des propulseurs :

« Puissance de l’air lourd, musculature du métal dans le faisceau de la fusée attelée à la foudre, ramification d’éclats et d’explosions dans l’épiderme atmosphérique, avez-vous entendu la stridence de l’astronef striant ce que l’on nommait dérisoirement l’éther ? Oisellerie de flammes, l’astronef s’enfonce dans l’infini avec cet abandon tranquille du dormeur ou du noyé. Le vide est chair, et dans ce ventre sans parois l’astronef-graine fonde le futur. »

Ayant eu le privilège d’avoir eu avec lui des relations amicales dans les années 1990, je lui ai rendu hommage peu après sa disparition en 2014 dans ce billet de blog.

Pour Charles Dobzynski, l’âge interplanétaire ouvre de nouvelles formes du rêve. Il le prouve magistralement avec son Opéra de l’Espace (1963), où il dément avec brio ceux qui pensaient que le Voyage Cosmique, en tant que genre littéraire, deviendrait stérile dès lors que l’homme l’aurait matériellement accompli.

Mais tous les poètes ne sont pas aussi sensibles à l’aventure spatiale. L’exploit d’Apollo 11, en 1969, attriste même certains, à l’instar de Claude Roy qui, une fois piétinée,  juge la reine de la nuit désormais “démodée”  :

La lune est belle et grande cette nuit
Le vent d’ouest en août est tiède et parle doux
La lune presque ronde est une orange claire
On distingue très bien le monsieur qui l’habite

Si on le fixe un moment le monsieur bouge un peu
Mais si on sait qu’il n’y a pas d’homme dans la lune
que c’est pure invention   conte à dormir debout
il n’y a plus personne dans la lune
que seulement la lune

La vraie lune        avec ses océans    ses canaux  ses cratères
et sa face cachée   où d’ailleurs rien n’arrive
la lune un peu fâchée de ne plus être intéressante
cherchant le nom de cet Américain qui marchait sur sa croûte

C’était nouveau    C’est très vieux maintenant
Malgré le voisinage d’étoiles assez nombreuses
et de galaxies à ne savoir qu’en faire
la lune se sent bien seule dans le ciel de l’été

Il n’y a plus de Bonhomme habitant de la lune
Aucun Américain ne marche sur son sol
La lune est démodée      Elle le fut toujours
Mais cette grande orange est belle dans la nuit


Vision désabusée qui contraste avec celle de l’astronaute William Anders. Lors de la mission Apollo 8, de décembre 1968, il prend la célèbre photographie montrant un lever de Terre à partir de la surface lunaire et commente :

« Nous avons fait tout ce chemin pour explorer la Lune, mais le plus important, c’est que nous avons découvert la Terre. »

Belle et profonde formule qui fait écho à la parole poétique de Novalis.

L’histoire universelle de la poésie montre bel et bien que, de Dante à René Char, en passant par Ronsard, Shakespeare ou Victor Hugo, les poètes de tous les temps et de tous les pays n’ont cessé d’interroger le ciel pour y trouver des réponses aux questions que l’on se pose sur Terre. N’est-ce pas finalement la même démarche que celle de l’exploration spatiale ?

Vous retrouverez tous ces textes et bien d’autres rêveries cosmiques dans mon anthologie de 1996 “Les Poètes et l’Univers”, plusieurs fois rééditée et toujours disponible!

6 réflexions sur “ Les Chroniques de l’espace illustrées (8) : Rêves d’univers ”

  1. Bonsoir!

    Ah, cher Monsieur Luminet! Ce billet me rappelle un si généreux correspondant, auteur de “Chroniques” , celles de l’étonnement.
    Il me faut ici faire un petit retour en arrière avec cette présentation de Madame Duclos, à la portée des gens qui ont Internet . La voici in extenso :

    “Maurice Couquiaud, par Michèle Duclos 25 avril 2009 Maurice Couquiaud, Chroniques de l’Etonnement, de la science au poème, chez l’Harmattan. Préface de Charles Dobzynski et Avant-propos de Basarab Nicolescu Gaston Bachelard, historien et philosophe des sciences, menait parallèlement mais séparément son analyse épistémologique de la rationalité appliquée et son exploration chez les poètes des “images matérielles”, éléments du cosmos présents dès les penseurs poètes présocratiques mais dédaignées par la Modernité dualiste. Maurice Couquiaud, de formation littéraire et philosophique, poète et essayiste, outre une très solide connaissance des poètes, se passionne pour les avancées voire les bouleversements qu’a connus la science contemporaine, tout au long du siècle écoulé, amenés surtout par l’astrophysique et l’exploration quantique, et qui fertilisent l’imagination des “rêveurs d’univers” des “deux cultures” (littéraire et scientifique) ; deux modes aujourd’hui reconnus d’exploration de l’univers qui parfois se croisent puisqu’il est aujourd’hui accepté qu’à degrés divers l’intuition et l’imagination jouent un rôle non négligeable dans la découverte des lois de l’univers tout comme la réflexion distanciée, lucide, est présente dans le travail du plasticien, du musicien ou du poète à travers les créations desquels se manifestent le cosmos, mieux, le chaosmos, terme dont se réclament à la fois le poly-scientifique Edgar Morin retrouvant le “paradigme perdu” et le “géo-poète” Kenneth White en son “monde ouvert”. “Nous pouvons constater que toutes les grandes théories scientifiques ont besoin d’être rêvées avant d’être construites puis vérifiées” écrit Couquiaud (p.91). “Une visite à l’inconnu me régénère. / J’y trouve avec des mots à moudre/ un levain silencieux pour des étincelles” écrivait-il y a peu dans L’éveil des eaux dormantes (le nouvel Athanor). De la double appartenance et pertinence de ses essais témoignent la Préface d’un poète et essayiste reconnu et l’Avant-propos d’un grand physicien quantique grand poète aussi à sa manière. Pour Charles Dobzynski, c’est grâce à la “Chronique de l’étonnement” que Couquiaud donnait régulièrement à Aujourd’hui Poème, “au cœur même d’un foyer multiforme de poésie [que] l’idée même de transdisciplinarité put trouver sa place et briller de son éclat propre”. Pour Basarab Nicolescu, “Maurice Couquiaud s’est mis, à sa manière, à tenter l’aventure de l’ascension du Mont Analogue [… Il est] un des précurseurs de [la] nouvelle culture [transdisciplinaire]”. Couquiaud fut de 1984 à 2001 rédacteur en chef de la très belle revue Phréatique “revue trimestrielle du groupe de recherche polypoétiques (GRP), abordant des disciplines aussi éloignées au départ que l’art, la philosophie, la science et la sémiologie”, écrivait l’astrophysicien également poète Jean-Pierre Luminet ; puis il a apporté à partir de 2004 sa contribution régulière à une autre revue majeure également défunte, Aujourd’hui Poème. Dans Chroniques de l’Etonnement il reprend vingt essais qu’il y a publiés entre octobre 2004 et novembre 2007, ici dans leur entièreté non contrôlée par des considérations d’espace matériel. Chacune de ses chroniques, placées sous l’invocation d’une citation poétique, passe en revue des parutions scientifiques et philosophiques qui ont retenu son attention et il les illustre d’autres citations poétiques qui corroborent les éléments conceptuels des livres présentés. Car “Le poète et le musicien peuvent reconstituer l’homme/ dans une résonance… à partir de son chaos.” Il, le poète également penseur “cultive les appels soucieux/ de tout ce qui fait signe et réunit.” Le premier essai, “Une particule de conscience”, s’ouvre par un vigoureux rejet des divisions étanches des disciplines scientifiques par Auguste Comte et de la dérive positiviste que le compartimentage a encouragé, et par une dénonciation de la logique aristotélicienne du tiers exclu ; hommage est rendu à Basarab Nicolescu et au Centre International d’Etudes et de Recherche Transdisciplinaire et aux poètes, penseurs et scientifiques qui gravitent autour de lui ou l’ont inspiré : Michel Camus, Roberto Juarroz, Stéphane Lupasco, Edgar Morin, Gödel, Michel cassé, Jean-Pierre Luminet, Bernard d’Espagnat… Dans le second essai, “La Respiration de l’Ombre”, l’annonce du LHC, (Large Hadron Collider, aujourd’hui en activité) est indirectement salué par Philippe Jaccottet et St John Perse, tandis qu’avec le quatrième essai, sous l’intitulé de “Passagers du Temps” se voient réconciliés Bachelard et Bergson, Jankelevitch et Yves Bonnefoy. En un autre essai, autour de Gödel et de son “principe d’ incertitude” interviennent Guillevic, Pierre Emmanuel et Christian Bobin. Tous les poètes convoqués ne sont pas des contemporains : ainsi Novalis autour de “la nuit étoilée”, Gautier sur “La Lune”, Cyrano de Bergerac lui aussi mais différemment, Agrippa d’Aubigné autour de La Mer, Baudelaire et Verhaeren pour “un nouveau sentiment cosmique”, Blake pour les deux Infinis et Hugo pour qui, dans Les Misérables “Tous les oiseaux qui volent ont à la patte le fil de l’infini”. Toutes les chroniques ne sont pas motivées par l’actualité éditoriale : certaines sont des hommages à des amis présents au départ puis disparus. Ainsi “La Mort…Aujourd’hui peut-être” i. m. André Parinaud (p.99) laisse la part belle aux poètes, à leur imaginaire et à leurs réactions et diverses visions du phénomène ultime. Une autre chronique part d’une anthologie d’ Yves La Prairie, Les plus beaux poèmes sur la mer ; une autre a pour point de départ le thème du Rire, laissant peu de place à la science. Mais l’essai suivant tourne autour de la linguistique. Un autre, “Du rêve à la rêverie” illustre les théories récentes sur le rêve. “Sens ou non-sens ?” explore la question de la tolérance religieuse à l’occasion d’une conférence donnée par André Comte-Sponville à la Sorbonne le 25 avril 2007. Suivent quelques textes inédits, des contributions toujours pluridisciplinaires : une communication donnée au Colloque transdisciplinaire “Science et conscience” et intitulée “Une Ecoute poétique de la Nature” ; une autre, pour “Une Transculture européenne” donnée au Pen Club européen (dont Couquiaud assume la vice-présidence) ; enfin un long entretien avec Rodica Draghincescu (paru dans Poésie/Première en 2005) qui permet aux deux poètes de développer leurs approches très proches placées sous l’invocation d’un “réenchantement du monde” : “écrire est un devoir quand on en ressent le besoin ! Parce que cela répond alors à un besoin intérieur et contribue, comme j’aime à le répéter, à donner un sens à la vie, la sienne et celle des autres” confie Couquiaud. Mission accomplie. ”
    (Fin de citation)
    J’ai un ami, qui fut archevêque, auteur de “L’étonnement de croire”. Un jour, dans une salle publique d’un bourg, nous avons ensemble parlé du rapport d’un autre ami, qui fut commandé, à cette époque, par le Ministre de l’Éducation nationale.
    Mais nous n’avons fait que parler…Comme tant d’autres!
    A nos tables, Madame, Monsieur, et maintenant à nos claviers, je ne vois point de miracle de l’Univers dans l’Homme et la béance dans le ciel reste à combler…
    C’est une chose belle et sans doute nécessaire que d’écrire des chroniques, c’en est une autre, peut-être, que d’utiliser le temps pour en faire quelque chose!
    Par quelle belle anagramme, Madame, Monsieur, chers lecteurs de ce petit commentaire rédigé d’un fin fond de campagne, en ce premier jour d’hiver, peut-on répondre à ce constat bien connu et mille fois répété :
    “On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve”.
    Une jolie petite phrase en quarante-deux lettres que je vous laisse découvrir et composer à votre manière, en parfaite et harmonieuse exactitude, tel un solennel adagio pour célébrer la saison nouvelle.
    Bien à vous tous.
    Gérard

  2. Je le commanderai avec plaisir, mais au demeurant je n’ai pas fini de lire “l’Ecume de l’espace temps”, livre qui me plait toujours autant.
    Je vous souhaite de bonnes fêtes, à vous Jean-Pierre et vos enfants de tous âges, à vous Michel, Gérard et les autres…
    Déplaçons-nous ensemble (en dormant) dans l’espace interstellaire avec une phrase :
    … limpide à 9 années-lumière

  3. Une vie entière pour lire “l’écume de l’espace-temps” ne me suffirait pas pour en retirer toute la saveur, le travail de toute une vie de son auteur, une joie intense qui nous relie au spectacle en fait de notre monde, celui de notre esprit si intimement lié à nos origines. Vous êtes notre mémoire, m. Luminet, tout ce que nous y avons vécu et tout ce que nous avons espéré comme les étoiles elles-mêmes ont pu rêver de votre naissance. Puissiez-vous nous émerveiller toujours sans perdre cette patience dans l’azur qui nous habite. Un grand merci pour tout!

  4. Très beau billet, plein de force et de poésie, illustré merveilleusement par la Pluie d’étoiles (1995) d’Anselm Kiefer.

    Cette toile me rappelle une phrase de Gaston Bachelard :

    “La rêverie travaille en étoile. Elle revient en son centre pour lancer de nouveaux rayons”. (La psychanalyse du feu)

    Tant de choses encore à apprendre, à découvrir…en notre “maison d’univers”.

    Merci à vous.

    M

  5. Bonsoir!

    On pourrait, en effet, en dire des choses sur les complexes d’une écriture-promenade où le feu sert de principal élément à l’imagination, palsambleu! Suivez sans complexe le guide dans ce présent billet et sans oublier ceux de Prométhée, d’Empédocle et de Novalis qui ont voix aux chapitres de la charmante cosmogonie du faune rêveur, adopté par la Sorbonne.

    En écrivant ces mots, je ne fais que répéter et je n’invente rien; je fais tapisserie en variant les contours, c’est tout!

    Enfin juste pour répondre à l’invitation de Gérard, je veux bien me jeter à l’eau, en esquissant un petit pas de côté, par l’exactitude de cette anagramme :

    “La vague sans fin modifiée emmène nos jeux de sable”

    Étoile et toile sur la toile étiolée…Mon bon seigneur, pour quoi faire?

    J’avais oublié de vous dire que je danse seul et que la piste est fermée pour cause de confinement.

    Me reste une autre vague…bleue.

    Kalmia

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