Les éclipses dans la littérature (1) : de Homère à Shakespeare

La prochaine éclipse de soleil du 20 mars 2015 (partielle en France, totale au Spitzberg) fait beaucoup parler d’elle. C’est que les éclipses ont toujours titillé l’imagination des peuples. Du Mexique à Babylone, les anciennes cosmogonies s’accordaient à prédire aux peuples consternés une longue période de ténèbres, qui semblait devoir régner à jamais. Cette période se terminait d’ailleurs toujours par le lever d’un Soleil rajeuni, et l’ouverture d’un nouveau cycle. Or, les ténèbres sont intérieures. L’angoisse quotidienne du crépuscule, rapprochée de l’expérience intime, suffit à suggérer l’image d’un Soleil qui ne se lève plus, ou qui s’éteint. Par cette concordance avec les secrets de l’imaginaire, les éclipses passent aisément sur le plan de la littérature et de la poésie. Suivant les tempéraments, la disparition du Soleil ou de la Lune dans les ténèbres est un rêve attirant ou un cauchemar. Ceci explique que ce rêve se retrouve si souvent exprimé de façons diverses dans l’expression poétique, voire dans l’expression graphique de certains malades mentaux: occultations, Soleil ou Lune sanguinolents, astres cadavériques, paysages pétrifiés. C’est le sujet traité dans ce billet (largement inspiré d’un chapitre de mon livre Eclipses, les rendez-vous célestes, publié en 1999).

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Les Éclipses dans la Littérature

La littérature sur les éclipses est surabondante. Elle ne forme d’ailleurs qu’un sous-ensemble d’une littérature bien plus vaste, consacrée au Soleil et à la Lune. C’est que le Soleil et la Lune ont derrière eux une longue carrière littéraire[1]. “Elle est poétique, la garce!“, écrivit Mallarmé à propos de la Lune, que par réaction contre le romantisme il avait juré de ne jamais évoquer dans sa poésie. Loin d’être exhaustifs, je ne mentionnerai  ici que quelques textes d’intérêt particulier sur les éclipses. Continuer la lecture

Recension de livres scientifiques (5)

Cinquième livraison des recensions de livres de culture scientifique que j’avais rédigées entre 2001 et 2007 pour la défunte revue Vient de Paraître. Toujours disponibles et d’actualité.

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VannucciFrançois Vannucci : Le miroir aux neutrinos

Éditions Odile Jacob (octobre 2003), 256 p. – ISBN: 2738113311

François Vannucci, professeur au Laboratoire de physique nucléaire et des hautes énergies de l’université Paris VII, spécialiste reconnu des neutrinos, s’est récemment fait remarquer dans le domaine de la littérature scientifique par un étonnant roman (Les neutrinos vont-ils au paradis ?, 2002) où, dans l’ambiance oppressante d’un laboratoire de physique, il initiait le lecteur au mystère des neutrinos, mais aussi au mystère des découvertes scientifiques et à ceux de la nature humaine.

Dans ce nouvel ouvrage, qui n’a plus rien de romanesque mais conserve la patte de l’écrivain de talent, Vannucci revient sur ces particules fantomatiques entre toutes – l’ouvrage est d’ailleurs sous-titré “ Réflexions autour d’une particule fantôme ”. Doués de propriétés fascinantes, capables de traverser des milliers de kilomètres de roches sans obstacle, les neutrinos, dont on sait depuis peu qu’ils possèdent une masse extrêmement faible, sont si abondants dans l’univers qu’ils “ pèsent ” dans le cosmos autant que l’ensemble des étoiles ! Ils jouent un rôle fondateur aussi bien dans la génération d’énergie nucléaire du Soleil que dans la genèse même de l’univers, expliquant notamment pourquoi la matière l’a finalement emporté sur l’antimatière.

Fidèle à sa double culture scientifique et littéraire, Vannucci agrémente son récit d’un florilège de citations littéraires remarquablement choisies. Empruntées à Paul Morand, James Joyce, Shakespeare, Blaise Cendrars, Garcia Marquez, et même à Michel Houellebecq (chantre bien connu des … particules élémentaires), elles stimulent à la fois la réflexion et la rêverie du lecteur. Graphiques et photographies (dont celle du détecteur Superkamiokande) complètent l’ouvrage, ainsi que le remarquable et très poétique texte de John Updike “ They have no charge and have no mass ” (1973). Vannucci fait preuve une fois de plus de son originalité littéraire. Continuer la lecture

Les deux mages de Venise, par Philippe André

Richard Wagner,  Cosima et Franz Liszt en 1880. Anonyme, Musée Wagner à Bayreuth
Richard Wagner, Cosima et Franz Liszt en 1880. Peinture de W. Beckmann, Musée Wagner à Bayreuth

Le périple imaginaire de Liszt et Wagner dans Venise.

Le Palazzo Vendramin à Venise
Palazzo Vendramin à Venise

Courant 1882, Richard Wagner s’installe avec sa femme Cosima au Palais Vendramin-Calergi de Venise. Le compositeur de Tristan et Isolde a été conquis par la beauté du lieu au cours de voyages antérieurs. Quelques mois plus tard, en novembre 1882, le père de Cosima, Franz Liszt, rejoint le couple.

La lugubre gondole
La lugubre gondole

L’abbé Liszt, toujours vert, passe des heures à composer au piano quelques-unes de ses plus énigmatiques pages, ouvertes sur la « musique de l’avenir. » Son gendre, souffreteux, affaibli par la maladie, ne peut guère goûter aux plaisirs artistiques offerts par la cité des Doges. Liszt quitte Venise en janvier 1883, et un mois plus tard, le 13 février 1883, Richard Wagner meurt dans le Palais Vendramin. Son cercueil est acheminé sur l’une de ces « lugubres gondoles » que le génial Liszt avait mises en musique de façon prémonitoire au cours de son séjour vénitien – ce qui n’avait d’ailleurs pas manqué d’irriter son hypocondriaque gendre. Continuer la lecture

Un trou noir à Hollywood (3) : Pile et face

Suite du billet précédent : Retour aux bases

Le calcul de la trajectoire des rayons lumineux autour d’un trou noir suppose une bonne connaissance de la nature de la source lumineuse. Si les trous noirs existent réellement dans la nature (et il semble bien que ce soit le cas), ils ont de bonnes chances d’être éclairés par des sources extérieures de lumière. Une situation intéressante est celle où la source d’éclairage est une série d’anneaux matériels en orbite autour du trou noir. On pense que de nombreux trous noirs sont entourés de telles structures, nommées disques d’accrétion. Les anneaux de la planète Saturne sont un exemple célèbre de disque d’accrétion ; ils sont constitués d’un amalgame de cailloux et de glace qui réfléchit la lumière du Soleil lointain.

La planète Saturne et ses anneaux. On considère que le disque d'accrétion d'un trou noir, bien que constitué de gaz, a une forme similaire, c'est-à-dire des anneaux circulaires et une faible épaisseur.
La planète Saturne et ses anneaux. On considère que le disque d’accrétion d’un trou noir, bien que constitué de gaz, a une forme similaire, c’est-à-dire des anneaux circulaires et une faible épaisseur.

En revanche, dans le cas d’un trou noir, les anneaux d’accrétion se composent d’un gaz chaud qui rayonne lui-même. Ce gaz tombe peu à peu en spirale dans le trou noir, de façon analogue au mouvement de l’eau entraînée dans un tourbillon. Sa chute s’accompagne d’une élévation de sa température et d’une émission de rayonnement. Voilà donc une bonne source d’éclairage : les anneaux d’accrétion brillent et illuminent le trou noir central. On peut alors s’interroger : quelle est l’image apparente du disque d’accrétion autour d’un trou noir ? Continuer la lecture

Zazie dans le cosmos (4/4) : le langage réinventé

Suite du billet précédent: l’ordre dans le chaos

Finissons avec l’étude capitale du langage. L’art poétique de Lucrèce présupposait déjà un isomorphisme du réel et du langage. De la même façon chez Queneau, le contenu du poème prend une importance égale à la matière verbale ; il le décrit comme une sorte de mécanique où l’architecture des signes et des sons tend à reproduire la structure même du réel.

Ainsi, dès les premiers vers du poème, on est littéralement plongés dans une matière verbale magmatique et bouillonnante, à l’image de notre planète à l’aube de son histoire géologique :

“La terre apparaît pâle et blette elle mugit
distillant les gruaux qui gloussent dans le tube
où s’aspirent les crus des croûtes de la nuit
gouttes de la microbienne entrée au sourd puits
la terre apparaît pâle et blette elle s’imbibe
de la sueur que vomit la fièvre des orages”
etc.

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Recension de livres scientifiques (4)

Quatrième livraison des recensions de livres de culture scientifique que j’avais rédigées entre 2001 et 2007 pour la défunte revue Vient de Paraître. Toujours disponibles et d’actualité!

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MLRMarc Lachièze-Rey : Au delà de l’espace et du temps

Le Pommier, Collection : Essais (26 mars 2003)  – ISBN: 2746501066

Physicien théoricien et astrophysicien, Marc Lachièze-Rey est Directeur de recherche au CNRS. Il vient de publier un ouvrage sur la « nouvelle physique », qui traduit une profonde réflexion sur la manière dont se construit la connaissance, en particulier la cosmologie du XXe siècle et son ouverture vers une nouvelle physique du XXIe siècle.

Dans quel univers vivons-nous ? Y a-t-il une physique capable de décrire ses propriétés dont les grands intruments de mesure (télescopes, accélérateurs de particlues), ainsi que des arguments théoriques pertinents, nous suggèrent plus que jamais des aspects incoupçonnés ? Pour nous rendre accessibles les grands mystères du cosmos, l’auteur a choisi à juste titre la géométrie. L’efficacité de la description ainsi obtenue est étonnante : elle permet aussi bien d’expliquer la structure des noyaux et la physique des particules que la nature des galaxies et les modèles de big-bang. Elle met aussi en relief la mésentente sous-jacente qui oppose encore les concepts de l’infiniment grand et de l’infiniment petit : physique quantique et relativité se révèlent incompatibles. Aujourd’hui il faut inventer de nouvelles géométries pour tenter de décrire ce qui, dans l’Univers, nous échappe encore : vivons-nous par exemple dans un monde à 10 dimensions, ou granulaire ? Continuer la lecture

La Prise de la Bastille

Retrouvé dans mes archives. J’avais quinze ans, je me prenais pour Victor Hugo ! Et en alexandrins, s’il vous plaît …

Prise de la Bastille et arrestation du gouverneur M. de Launay, le 14 juillet 1789.
Prise de la Bastille et arrestation du gouverneur M. de Launay, le 14 juillet 1789.
La prise de la Bastille
                                               I

Les vieillards devant pour protéger les valides,
Les femmes au centre qui rechargent les fusils,
Les enfants derrière exhortant les timides,
Les hommes partout, se battant au pont-levis,

Le peuple se rue sur ses murs glacés et nus.
Du haut de ses murailles six canons menaçants
Narguent le peuple hurlant qui partout afflue
Et brandit mille piques maculées de sang.

Tout à coup la porte cède, le bois se rompt.
Les révoltés d’un seul élan se précipitent,
Une averse de boulets jaillit des canons
Et balaye les hommes dont l’union est détruite.

Mais Paris est plus fort que six canons au feu.
Bientôt ils sont renversés, saisis, éventrés,
Crachant la défaite alors qu’ils crachaient le feu.
Six tonnes d’acier contre six mille affamés ! Continuer la lecture

Zazie dans le cosmos (3/4) : l’ordre dans le chaos

Suite du billet précédent : Oh jeunesse

Au-delà des éléments de décodage qui laissent entrevoir la profonde culture scientifique de Queneau agrémentée d’une remarquable intuition, analysons plus en détail la construction globale du poème[4]. Celui-ci présente trois sections fondamentales :

1. Un abrégé de cosmogonie astronomique comprenant le chant I, quelques vers du chant II, le chant III, et quelques vers du chant IV relatifs au système terre-lune.

2. Une partie consacrée à l’apparition de la vie, subdivisée en paléobiologie, botanique et biologie, évolutionnisme, répartie entre le chant I, le chant IV, l’intégralité du chant V et les deux premiers vers du chant VI relatifs à l’histoire de l’espèce humaine.

3. Une partie conclusive consacrée à la mécanique et à l’histoire des machines, au chant VI.

Ce découpage est apparemment chaotique ; les trois sections sont distribuées dans le texte de façon inégale, et l’évocation des événements de l’histoire de l’univers ne respecte pas la chronologie : « l’éclatement burlesque » du big-bang n’est introduit qu’après le passage relatif à la formation de la terre et de son satellite lunaire ; les ères géologiques paraissent aussi distribuées de façon sporadique. Continuer la lecture

Un trou noir à Hollywood (2) : Retour aux bases

Suite du billet précédent Interstellar : un trou noir à Hollywwod (1)

La plaque du foyer noir,
de réels soleils des grèves :
ah ! puits des magies.
Arthur Rimbaud, Illuminations

Depuis sa diffusion  le 5 novembre dernier sur les écrans du monde entier, le film  Interstellar de Christopher Nolan s’est imposé comme le blockbuster de l’année,  suscitant des centaines de débats et dicussions passionnées sur la toile,  alimentant des dizaines de blogs (la majorité anglo-saxons) qui ont, soit encensé, soit critiqué les exactitudes ou inexactitudes scientifiques  du film, la vraisemblance du scénario, etc.  Je rappelle que le conseiller scientique du film est mon collègue chercheur, le célèbre physicien américain Kip Thorne; avec son équipe de la compagnie  privée  Double Negative spécialisée dans les effets visuels, ils ont notamment concocté l’image du disque d’accrétion illuminant le trou noir “Gargantua”, censée être la plus précise jamais montrée, et qui a fait le tour du monde.

Pour accompagner la promotion du film, Kip Thorne a lui-même publié un livre de vulgarisation intitulé “The Science of Interstellar“, dans lequel il explique comment il a tenté de respecter le mieux qu’il pouvait l’exactitude scientifique, malgré les exigences parfois étranges du réalisateur, s’assurant en particulier que les despriptions visuelles des trous noirs et des effets relativistes associés soient les plus réalistes possibles.

destinPuisque, comme déjà rappelé dans le billet précédent, j’ai été en 1979 le premier chercheur au monde à effectuer des simulations numériques et à publier une image réaliste simulée d’un trou noir entouré d’un disque d’accrétion, dans les billets qui suivent je reviendrai aux bases de la visualisation des trous noirs, dans une visée non point critique mais pédagogique. Une bonne partie est adaptée d’un chapitre d’un de mes livres publié en français en 2006 chez Fayard, Le destin de l’univers, et repris en livre de poche en 2010 chez Folio/Gallimard. Continuer la lecture

Zazie dans le Cosmos (2/4) : Oh jeunesse

Suite du billet précédent : Lucrèce au XXe siècle

On ne peut pas lire la Petite Cosmogonie Portative sans se livrer à une sorte de jeu savant. Au premier abord, le sens semble très hermétique, même si l’on est d’emblée saisi par le plaisir jubilatoire des jeux du langage. Les glissements de sens ne cessent de conduire du domaine scientifique au domaine profane et vice-versa, faisant de l’évolution du monde un phénomène à la fois formidable et trivial. Mais on a du mal à comprendre ces vers qui abondent en métaphores et énigmes quasi impossibles à déchiffrer. Les tables synoptiques qui introduisent les six chants permettent toutefois d’identifier, vers après vers, les sujets traités et, par conséquent, de décoder même les passages les plus ardus. Le texte est donc agrémenté d’une véritable mode d’emploi sous la forme d’un système de lecture contraignant qui fonctionne comme une clef d’accès à ses significations.

En participant à ce jeu, le lecteur finit par découvrir que chaque métaphore contient des informations d’une justesse étonnante, brouillées par un réseau de déformations verbales et fantasmatiques produisant une syntaxe autre, génératrice de significations inattendues.

EPSON scanner ImagePrenons quelques exemples dans le chant I, reproduit intégralement en fin de ce billet (cadeau de Noël). Continuer la lecture

Zazie dans le Cosmos (1/4) : Lucrèce au XXe siècle

 

Queneau2Féru de mathématiques et de sciences naturelles, Raymond Queneau (1903-1976) a adhéré à la Société mathématique de France en 1948 et commencé à appliquer des règles arithmétiques pour la construction d’œuvres littéraires. Il a fondé en décembre 1960, avec François Le Lionnais, un groupe de recherche littéraire qui allait très vite devenir l’Oulipo (Ouvroir de littérature potentielle). Sa soif de mathématiques combinatoires s’est étanchée avec la publication en 1961 de son livre-objet Cent mille milliards de poèmes, sorte d’hypertexte avant la lettre offrant au lecteur la possibilité de combiner quatorze vers de façon à engendrer 1014 combinaisons possibles. Il a aussi publié, en 1972, un article dans une revue pour chercheurs, Journal of Combinatorial Theory. Le succès littéraire lui était déjà venu en 1947 avec Exercices de style, inspirés par L’Art de la fugue de Jean-Sébastien Bach, et le succès populaire en 1959 avec Zazie dans le métro, adapté au cinéma par Louis Malle.

queneauCent mille milliards de poèmes est un livre composé de dix feuilles, chacune découpée en quatorze bandes horizontales, chacune portant sur son recto un vers. En tournant les bandes horizontales comme des pages, on peut donc choisir pour chaque vers une des dix versions proposées par Queneau, ce qui fait 100 000 000 000 000 poèmes potentiels.queneau1

Mais c’est sa Petite cosmogonie portative (1950), texte relativement peu connu, qui constitue à mon sens le sommet de son art. Cette merveille de la poésie scientifique fait l’objet de cette série de billets. Continuer la lecture

Edwin Hubble : une erreur de casting

Il y a une quinzaine de jours,  rentrant en voiture de mon travail (au Laboratoire d’Astrophysique de Marseille, Technopôle de Château-Gombert), et écoutant à la radio France Info pour patienter dans les inévitables bouchons marseillais, je suis tombé par hasard sur l’émission de l’excellent Emmanuel Davidenkoff « Un jour, une question ». J’ai toujours apprécié l’inlassable combat pédagogique que mène depuis tant d’années ce spécialiste de l’éducation, tant à travers ses chroniques radio que ses écrits sur la question. Je garde en outre un excellent souvenir de l’entretien radiophonique d’une heure qu’il avait eu la gentillesse de me consacrer en 2008 sur les ondes de  France Musique (émission Les enfants de la musique).

Le télescope spatial Hubble
Le télescope spatial Hubble

Le principe de “Un jour, une question”  consiste à poser une question de culture aux auditeurs, et de fournir le lendemain une réponse circonstanciée avec un(e) invité(e) compétent(e). La question posée la veille était : “L’actualité scientifique met régulièrement à l’honneur le satellite Hubble. Mais qui était Hubble ?” Ah, très bien, me dis-je,  voilà un beau sujet de culture, relatif à l’histoire de l’astronomie du début du XXe siècle sur laquelle j’ai beaucoup travaillé et publié. Voyons donc voir (plus exactement écouter) ce que l’on va en dire dans l’émission, par curiosité. D’autant que beaucoup de légendes courent autour du personnage, et qu’il n’est pas facile de trier l’information pertinente de celle qui ne l’est pas si l’on ne se plonge pas dans l’intégralité  du dossier – ce que peu d’historiens ont fait. Continuer la lecture

Le Songe de Kepler (3/3) : procès en sorcellerie et postérité

suite du billet précédent :  Récit et Structure
somniumEdition originale du Songe de KeplerSonge001Traduction française 
Le procès en sorcellerie

Une redoutable vague de chasse aux sorcières sévit en Europe au début du XVIIe siècle, en particulier dans les régions protestantes. Les dénonciations sont fréquentes pour assouvir des haines personnelles, et les tribunaux sont prompts à user de la torture pour obtenir des aveux aussi détaillés que fallacieux. Les victimes des procès en sorcellerie sont à 80 % des femmes, appartenant en majorité aux classes populaires – par conséquent illettrées et incapables de se défendre.

Le procès de Katharina Kepler à Leonberg
Le procès de Katharina Kepler à Leonberg

C’est ainsi qu’en 1615, tandis que Kepler travaille à son ouvrage Harmonices mundi, sa mère Katharina, alors âgée de 68 ans, est accusée de pratiques sataniques et de sorcellerie dans sa ville natale de Leonberg, dans le grand-duché de Wurtemberg. Katharina Kepler, née Guldenmann, que son fils qualifie lui-même de « petite, maigre, sinistre et querelleuse », avait été élevée par une tante qui avait déjà fini sur le bûcher pour sorcellerie. L’affaire est sérieuse ; les autorités religieuses commandent d’emprisonner et de juger toute personne soupçonnée d’avoir commerce avec le diable, et le prévôt de justice de Leonberg s’y applique avec zèle : cinq « sorcières » de la petite ville de Leonberg sont brûlées dans l’année. Continuer la lecture

Interstellar : un trou noir à Hollywood (1)

Certains d’entre vous auront sans doute noté une certaine effervescence médiatique à la veille de la sortie (le 5 Novembre) du film Interstellar. Fruit de la collaboration entre le réalisateur Christopher Nolan et mon collègue physicien Kip Thorne, Interstellar raconte les aventures d’un groupe d’explorateurs qui utilisent un trou de ver pour parcourir des distances jusque-là infranchissables et trouver une nouvelle planète habitable à coloniser pour l’humanité. A noter que Kip Thorne, conseiller scientifique du film mais aussi producteur exécutif, avait déjà été consulté dans les années 1980 par Carl Sagan lorsque ce dernier, pour son roman Contact (ultérieurement adapté au cinéma), cherchait une méthode scientifiquement plausible pour faire voyager ses héros dans l’hyperespace ; Thorne, spécialiste de la relativité générale et des trous noirs, lui avait alors suggéré ces hypothétiques racourcis de l’espace-temps que sont les trous de ver.

Mais pour espérer emprunter un trou de ver, encore faut-il d’abord pouvoir naviguer dans les parages d’un trou noir géant (comme celui qui réside au centre de notre Voie lactée, dont la masse est estimée à 4 millions de fois celle du Soleil) et y plonger. A quoi donc ressemblerait visuellement un tel panorama cosmique, vu par le hublot d’un vaisseau spatial ? Continuer la lecture

Un premier pas raté vers l’exploitation minière des astéroïdes

Le démonstrateur Arkyd-3, embarqué sur le vol du Cargo Cygnus le 28 octobre.
Le démonstrateur Arkyd-3, embarqué sur le vol du Cargo Cygnus le 28 octobre.

Hier 28 octobre à 22h20 TU, la start-up Planetary Resources, basée à Seattle, espérait lancer  avec succès son premier engin spatial en orbite terrestre – une étape préliminaire dans l’ambitieux projet de la compagnie privée visant à l’exploitation des ressources minières des astéroïdes (métaux, hydrogène, oxygène, glace d’eau). Baptisé Arkyd-3, le nano-vaisseau spatial (33 centimètres de longueur sur 10 cm de large)  était embarqué sur une fusée Antarès aux côtés du cargo spatial Cygnus, chargé d’assurer le ravitaillement de la Station Spatiale Internationale en pièces de rechange et consommables.

Lanceur et cargo spatial ont tous deux été développés par la société privée Orbital Sciences Corporation, sélectionnée par la NASA pour assurer une partie des taches jadis prises en charge par la Navette spatiale américaine jusqu’à son retrait en 2012. Quant au nano-satellite Arkyd-3 développé par Planetary Resources, son objectif est de tester la technologie que la compagnie projette d’utiliser pour sa future flotte de télescopes spatiaux consacrés à la détection des géocroiseurs, c’est-à-dire les astéroïdes circulant sur des orbites proches de la Terre, donc aussi facilement accessibles que la Lune. Continuer la lecture

Le pommier de Newton

La légende selon laquelle la théorie de l’attraction universelle aurait été inspirée à Newton par la chute d’une pomme n’en est pas tout à fait une, puisqu’elle est fondée sur le récit qu’en fit son médecin et confident William Stukeley (le même qui, à la mort du savant anglais en 1727, aurait dit à Voltaire que le grand homme n’avait jamais connu de femme…).

Porteait de newton en 1726, par Seeman. Alors âgé de 84 ans, il raconte à sa façon comment, soixante ans auparavant, lui est venue l'idée de l'attraction universelle.
Portrait de Sir Isaac Newton en 1726, par Seeman. Alors âgé de 84 ans, il a raconté à sa façon comment, soixante ans auparavant, lui serait venue l’idée de l’attraction universelle.

Dans ses Mémoires sur la vie de Sir Isaac Newton, que la Royal Society of London n’a rendu publiques qu’en 1752, Stukeley rapporte en effet la conversation qu’il a eue avec Newton le 15 avril 1726 à Kensington, après le dîner  :

Le temps devenant chaud, nous allâmes dans le jardin et nous bûmes du thé sous l’ombre de quelques pommiers, seulement lui et moi. Au cours de la conversation, il me dit qu’il s’était trouvé dans la même situation lorsque, longtemps auparavant, la notion de gravitation lui était subitement venue à l’esprit, tandis qu’il se tenait assis dans une humeur contemplative. Pourquoi cette pomme tombe-t-elle toujours perpendiculairement au sol, pensa-t-il en lui-même. Pourquoi ne tombe-t-elle pas de côté ou bien vers le haut, mais constamment vers le centre de la Terre ? Et si la matière attire ainsi la matière, cela doit être en proportion de sa quantité ; par conséquent, la pomme attire la Terre de la même façon que la Terre attire la pomme.

Portrait de Catherine Barton, nièce de Newton, qui a fait tourner bien des têtes.
Portrait de Catherine Barton, nièce de Newton, qui a fait tourner bien des têtes.

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Entre Terre & Ciel : sur les traces d’Isaac Newton

La longue et riche vie d’Isaac Newton (1642-1727) mérite d’être contée de diverses manières. De nombreux auteurs l’ont fait sous forme de très sérieuses biographies historiques, la référence en la matière étant l’ouvrage de Richard Westfall. Pour les lecteurs intéressés, je recommande tout particulièrement deux livres en français bien moins connus, mais passionnants car ils éclairent des aspects méconnus  du savant anglais : La Malle de Newton par Loup Verlet, et Newton ou le triomphe de l’alchimie par Jean-Paul Auffray. Ces ouvrages et bien d’autres m’ont servi de documentation pour mon propre récit de la vie de Newton, qui prend toutefois la forme d’un roman : La Perruque de Newton.

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Le Songe de Kepler (2/3) : Récit et Structure

Suite du billet précédent  : Genèse et Influences
somniumEdition originale du Songe de KeplerSonge001Traduction française 
Le Récit

Le Songe [1] est le récit d’un rêve que fait Kepler une nuit après avoir observé la Lune et les étoiles. Il dit avoir rêvé d’un livre qui parle d’une aventure vécue par un certain Duracotus.

Le célèbre astronome danois Tycho Brahe (1546-1601) dont Duracotus, alias Kepler, a été l'assistant
Le célèbre astronome danois Tycho Brahe (1546-1601) dont Duracotus, alias Kepler, a été l’assistant

Duracotus, par les hasards d’une vie baignée de magie et d’un peu de sorcellerie, se retrouve adopté par Tycho Brahé pour y apprendre l’astronomie. Devenu érudit, il retourne dans sa patrie pour y retrouver sa mère, Fiolxhilde qui, avant de mourir, lui révèle certains secrets, et plus particulièrement la possibilité qu’elle a d’invoquer certains esprits, notamment un démon qui permet une sorte de voyage astral particulièrement efficace. Avec lui, elle effectue un dernier voyage pour aller retrouver une île nommée Levania, qui n’est autre que la Lune. Seulement, pour s’y rendre, il faut remplir certaines conditions :
« A une distance que cinquante mille milles allemands dans les hauteurs de l’éther se trouve l’île de Levania. La route qui va d’ici à cette île ou de cette île à notre Terre est très rarement praticable. Quand elle l’est, il est aisé pour ceux de notre race de l’emprunter, mais il est extrêmement difficile de transporter des hommes et ils risquent leur vie.
Sorciere-LuneNous n’admettons personne qui soit sédentaire, ou corpulent, ou délicat; nous choisissons ceux qui passent leur vie à monter les chevaux de chasse ou vont fréquemment aux Indes en bateau, accoutumés à se nourrir de biscuit, d’ail et de poisson fumé. Mais surtout nous conviennent les petites vieilles desséchées, qui depuis l’enfance ont l’habitude de faire d’immenses trajets à califourchon sur des boucs nocturnes, des fourches, de vieux manteaux. Les Allemands ne conviennent pas du tout, mais nous ne refusons pas les corps secs des Espagnols. » Continuer la lecture

100 Questions sur l’Univers (2014)

 

  • Couv100QuestionsEditeur : La Boetie (11 septembre 2014)
  • Collection : 100 QUESTIONS
  • 238 pages
  • ISBN-13: 978-2368650356

J’ai pris beaucoup de plaisir à rédiger cet essai qui m’a été commandé par François-Guillaume Lorrain, directeur de la collection 100 Questions aux Editions La Boétie, filiale du magazine hebdomadaire Le Point. Le défi consistait à choisir des questions recouvrant l’ensemble des nombreuses thématiques relevant des sciences de l’univers  : planètes, étoiles, galaxies, big bang, trous noirs, vie dans l’univers, instruments et télescopes, lumière et particules, etc., de formuler ces questions de façon simple, à la manière d’un enfant curieux de douze ans, enfin d’y répondre de la façon la plus claire et synthétique possible. Certaines  sont très simples (“pourquoi les planètes sont-elles rondes?”), d’autres plus sophistiquées (“y a-til des alternatves à la théorie des cords?”; mais dans tous les cas mes réponses, bien que forcément partielles, sont, je crois,  accessibles à tout esprit curieux des choses de la nature. Ce livre s’adresse donc à tous les lecteurs dans toutes les tranches d’âge et, contrairement à certains autres de mes essais comme L’univers chiffonné ou Le destin de l’univers, il ne requiert aucune connaissance préalable. Il est divisé en 5 grands chapitres : Astronomes, lumières et télescopes (14 questions), Soleil, planètes et Système solaire (29 questions), Voie lactée, étoiles et trous noirs (22 questions), Galaxies, Univers et Big Bang (24 questions), La vie dans l’Univers (11 questions). Continuer la lecture

Le Songe de Kepler (1/3) : Genèse et influences

Autour du « Songe » de Kepler

Johann Kepler (1571-1630) est parfois considéré comme un précurseur des romans de science-fiction avec l’écriture de Somnium, sive opus posthumum de astronomia lunaris [1]. Dans cet ouvrage publié à titre posthume en 1634 par son fils Ludwig, Kepler essaie de diffuser la doctrine copernicienne en détaillant la perception du monde pour un observateur situé sur la Lune. Il explique : « Le but de mon Songe est de donner un argument en faveur du mouvement de la Terre ou, plutôt, d’utiliser l’exemple de la Lune pour mettre fin aux objections formulées par l’humanité dans son ensemble, qui refuse de l’admettre. Je pensais que cette vieille ignorance était bien morte, et que les hommes intelligents l’avaient arrachée de leurs mémoires, mais elle vit toujours, et cette vieille dame survit dans nos Universités. »

somniumEdition originale du Songe de KeplerSonge001Traduction française 

Kepler n’est certes pas le premier à faire le récit fantastique d’un voyage de la Terre à la Lune pour faire « passer un message ». Mais son Songe se singularise sous de nombreux aspects. En premier lieu, son auteur figure parmi les plus grands génies de l’histoire des sciences. Voir à ce sujet les deux biographies (romanesques mais justes sur le plan historique) que je lui ai consacré.

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En second lieu, il constitue le « chaînon manquant » entre les textes d’imagination pure de Lucien de Samosate, au IIe siècle, et les aventures appuyées sur les découvertes scientifiques d’un Jules Verne, à la fin du XIXe siècle. En troisième lieu, le texte complet présente une extraordinaire structure en récits emboîtés, construite au fil des ans à mesure que l’astronomie nouvelle progressait. Il faut aussi retenir le rôle dramatique que sa diffusion, bien que confidentielle du vivant de Kepler, a eu sur sa propre vie de famille, ainsi que l’influence très profonde qu’il a exercée sur tout un courant de la littérature spéculative axée sur le voyage spatial. Continuer la lecture

J’eus le vertige et je pleurai car mes yeux avaient vu cet objet secret et conjectural dont les hommes usurpent le nom, mais qu’aucun homme n’a regardé : l’inconcevable univers. Jorge Luis Borges, L’Aleph (1949)