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Les péchés d’Isaac Newton, né le jour de Noël 1642

Ce jour de Noël 2016 est propice pour rappeler quelques éléments de la vie et de la personnalité pour le moins étrange du jeune Isaac Newton. Celui qui deviendra le plus grand et plus influent savant de l’Histoire est né en effet le jour de Noël 1642 au manoir de Woolsthorpe, près de Grantham dans le Lincolnshire. Cette date est celle du calendrier julien encore en vigueur en Angleterre. Il le restera jusqu’en 1752, les Anglais préférant, selon Johannes Kepler, « être en désaccord avec le Soleil plutôt qu’en accord avec le pape »! Dans le calendrier grégorien, auquel le reste de l’Europe était passée depuis 1582, le 25 décembre 1642 correspond en réalité au 4 Janvier 1643. Mais l’histoire est trop belle pour ne pas être racontée le jour de Noël, car cette date on ne peut plus symbolique a joué un rôle capital dans la construction de la structure mentale pour le moins curieuse d’Isaac Newton.

Ma photographie du manoir de Woolsthorpe prise en septembre 2014, à l’occasion du tournage d'un épisode de la série Entre Terre et Ciel pour la chaîne Arte.
Ma photographie du manoir de Woolsthorpe prise en septembre 2014, à l’occasion du tournage d’un épisode de la série Entre Terre et Ciel pour la chaîne Arte.

Newton est né le même jour que le Christ. Et comme lui, son père était déjà aux cieux. N’a-t-il donc pas été engendré par les puissances astrales, du moins symboliquement ? Et l’anagramme de son nom, Isaacus Neuutonus, n’est-il pas Ieoua Sanctus Unus, « Yahvé seul Saint », comme il l’a lui-même souligné dans ses écrits ?

De fait, Newton sera profondément religieux toute sa vie, et passera plus de temps à l’étude de la Bible que de la science. Mais, selon les historiens, il était hérétique, adepte du socinianisme, de l’arianisme et de l’antitrinitarisme, trois formes ancestrales de ce que l’on nomme aujourd’hui l’unitarisme. Il parvint à cette conclusion non pas sur des bases rationnelles ou des doutes sur la foi, mais en interprétant à sa façon les anciennes autorités religieuses. Il se persuada que les documents révélés ne donnaient aucun support aux doctrines de la Trinité, lesquelles étaient dues, selon lui, à des falsifications tardives des Pères de l’Eglise. Pour lui, le Dieu révélé était un seul et unique Dieu.

Voici comment, dans mon roman La Perruque de Newton, j’ai tenté de traduire les linéaments de sa pensée mêlant théologie, numérologie et chronologie biblique.

« Il lui faut relever les altérations commises par Athanase, Grégoire et Jérôme sur les écrits bibliques, ces faussaires qui ont osé tricher avec les Écritures. Tout est là, pense-t-il. Toute la grande apostasie s’est passée en cet an 325, au concile de Nicée, quand les évêques ont décidé que le Père et le Fils étaient de la même substance et ont inventé la Trinité, cette nouvelle forme de polythéisme, et ils ont excommunié Arius, qui prêchait que le Père était Un. Certes, Jésus avait reçu le Verbe divin au temps de la Passion, mais ce n’était qu’un homme, un prophète, fût-il le premier d’entre eux. Newton ajoute donc à cette date le temps de vie des deux « témoins », comme il est dit dans Apocalypse 11-3 : 1260 jours, qu’il faut bien sûr convertir en années. Mais le résultat donne une date sans signification réelle, même en y ajoutant les 3 jours, ou plutôt les 3 ans, que durerait leur mort. Newton se plonge alors dans l’histoire des siècles obscurs qui ont suivi la grande apostasie du concile de Nicée. Une date arrête son attention : l’an 380, quand l’empereur Théodose se convertit à l’hérésie trinitaire et ordonne qu’elle soit la religion de tout l’empire romain. Or, 380 + 1260 + 3 = 1643 : la date de naissance d’un certain Isaac Newton à Woolsthorpe, à quelques jours près !

Ce choc des dates l’effraye d’abord, puis dissipe tous ses doutes : il est bien le nouvel Élu, le nouveau Messie venu annoncer la fin des temps. Le nouveau Christ donc, fondateur sacrifié d’une nouvelle alliance entre l’homme et le monde…

Newton ne peut se contenter d’enregistrer passivement cette coïncidence. Il doit n’y avoir qu’un seul Isaac, un seul Élu né le jour de Noël, un seul Prophète de la nouvelle philosophie naturelle. Il entreprend alors de démontrer, par une de ces minutieuses reconstitutions chronologiques dont il a le secret, que Jésus est né non pas à la date fixée par la tradition, mais au printemps. Et dans le manuscrit explicatif qu’il rédige dans la foulée, mais qu’il enferme soigneusement dans sa malle secrète, il laisse des blancs au milieu des phrases pour ne pas avoir à écrire le nom de ce nouveau rival, le Christ ! »

Portrait de Newton par Kneller
Portrait de Newton par Kneller

A cette époque réputée pour son intolérance religieuse, il existe peu de traces de l’expression publique des vues théologiques radicales de Newton, les plus notables étant ses refus de l’ordination et, sur son lit de mort, celui du dernier sacrement. Toujours est-il que Newton adoptera « un positivisme méthodologique », en vertu duquel il reconnaîtra l’autonomie du discours scientifique sans impliquer pour autant un renoncement à l’arrière-plan métaphysique et théologique. C’est ainsi que, bien que la loi universelle de la gravitation soit sa découverte la plus connue, Newton met en garde ceux qui verraient l’Univers comme une simple machine (à cet égard il voua toute sa vie une véritable haine théologique envers Descartes). Il affirme ainsi : « La gravité explique le mouvement des planètes, mais elle ne peut expliquer ce qui les mit en mouvement. Dieu gouverne toutes choses et sait tout ce qui est ou tout ce qui peut être ».

Dans un précédent billet de blog, j’ai conté l’épisode semi-légendaire de la découverte de la gravitation universelle à la suite de l’observation de la chute d’une pomme dans son verger de Woolsthorpe. Du pommier de Newton, passons donc maintenant aux péchés de Newton (pardon pour le mauvais jeu de mots, j’ai écrit ce billet en pleine nuit, après un dîner de réveillon bien arrosé !).

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Contes de l’Outre-temps (5) : L’effaré

Suite de la série de brèves nouvelles fantastiques écrites au fil du temps, que j’envisage de réunir un jour en un recueil intitulé  “Contes de l’Outre-temps”, si un éditeur s’y intéresse. Celle-ci, datée du début des années 1970,  est l’une de mes toutes premières (l’indulgence est donc de mise). J’étais alors au lycée Thiers de Marseille, et avec les amis Jacques et Boris nous jouions souvent au “doigt-pistolet” sur les marches du grand escalier de la gare Saint-Charles – d’où cette extrapolation imaginée durant un cours de maths …

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L’effaré

Pourquoi ? … Mais pourquoi m’a-t-il fait aussi mal ?

C’était un bon copain… Parfois même, il devenait mon ami. On riait souvent tous les deux, surtout quand on s’amusait à se tirer dessus, comme si nos doigts étaient des revolvers… C’était comme dans les films que nous avions vus ensemble !

Il m’emmenait souvent chez lui… Une baraque toute noire au bord de la plage. Bien sûr, il avait une vraie maison, avec de vrais parents. Il avait même deux petites sœurs qui jouaient souvent avec moi. Elles me poursuivaient en courant autour de la table. Elles criaient Pan ! Pan ! et je faisais le mort, à leur grand ravissement.

Mais il me disait que ce n’était pas sa « vraie » maison. Il possédait un petit monde à lui : la baraque.

Il me disait que j’étais la seule personne qu’il admettait dans son domaine.

Il avait trouvé cette bicoque de pêcheurs abandonnée… Abandonnée des hommes, abandonnée du vent qui ne la faisait jamais craquer, délaissée même par la mer qui ne venait jamais lui lécher ses flancs. Un calme immuable régnait dans la cabane…

Quand nous nous y enfermions, nous buvions un peu d’une bouteille de bon marc enveloppée de poussière. Il en cachait quelques-unes derrière un tas de bois noir et sec ; c’était son petit trésor.

Le marc, on l’aimait beaucoup, mais les yeux nous piquaient et l’on se mettait à tousser, puis à rire. Il ne me laissait boire qu’un demi-verre, de peur que l’alcool ne me tournât la tête.

Notre grande passion était la musique. Il possédait une vieille guitare amputée de deux cordes, dont il tirait des sons rares et mystérieux.

Mais surtout, nous écoutions le chant des vagues, au loin. C’était le seul bruit qui animait un peu la cabane perdue dans le silence…

***

Mais pourquoi parler au passé ? Comme si tout cela était irrémédiablement perdu ?

Oh, comme j’ai mal… Il m’a frappé si durement !

Nous marchions tous les deux, et l’on riait car nous étions contents d’être ensemble. On parlait des arbres, du ciel, de la mer. De la cabane aussi. Et puis soudain il a lancé son pied dans mon visage… Il a fait un bond extraordinaire ! J’ai cru qu’il avait voulu faire une prouesse d’acrobate, et qu’il m’avait malencontreusement atteint. J’étais prêt à lui dire que ce n’était pas grave, que je n’avais pas mal, malgré mon front qui saignait, mais il saisit un bâton et m’asséna un coup terrible à l’endroit même où il m’avait déjà frappé.

Je ne comprenais plus, surtout que le sang brouillait ma vue. J’ai eu envie de pleurer. Il a écrasé mes doigts sous ses talons, il a lacéré mes vêtements. Après, je ne sais plus ce qui s’est passé car j’ai perdu connaissance… Peut-être a-t-il continué à me battre… J’ai si mal !

Et me voici dans la cabane, enfermé…

C’est mon copain pourtant, et même mon ami… Je suis sûr qu’il va revenir, les larmes aux yeux, pour me demander pardon. Je ne lui en veux pas. On rira et l’on continuera à s’amuser ensemble, à faire Pan ! Pan ! avec nos doigts, à écouter l’eau qui clapote sur la plage…

***

La porte s’ouvre… C’est lui…

Il ne pleure pas… Bien sûr, il a raison. C’est stupide de pleurer. En tout cas, il doit bien regretter de m’avoir battu ! Il pointe son doigt vers moi… Il veut jouer au revolver… Oh oui, on va jouer ! Je vais me lever, je ferai comme si je n’avais pas mal, et puis d’un coup, je tirerai avec mon doigt, il fera le mort et après on s’écroulera de rire, on recommencera tout comme avant… ça y est, je suis debout… J’ai mal, mais ça ne fait rien. Je suis heureux ! Maintenant on va se tirer dessus, on va éclater de rire et puis j’oublierai tout…

***

Dans la baraque noire que le vent faisait craquer en permanence et dont les flots furieux de la mer battaient sans cesse les flancs, deux jeunes garçons se tenaient face à face.

L’un tenait à peine sur ses jambes. Du sang ruisselait sur son visage, ses vêtements étaient déchirés. Il était le plus jeune des deux, mais son regard brillait d’une joie extraordinaire.

L’Autre se tenait bien droit, les yeux fixés devant lui.

Ils pointaient leurs doigts l’un vers l’autre…

La première balle atteignit l’enfant au cœur. Il s’écroula sans bruit, en écarquillant ses yeux bleus. Une larme claire roula lentement de sa joue sur ses lèvres.

La seconde balle lui brisa la tempe.

L’Autre baissa les yeux vers son index meurtrier, mais ses traits restèrent figés. Après quelques instants, il pivota. Son corps semblait voûté.

Il s’en alla doucement sur le sentier qui grimpait vers la lune blanche, laissant derrière lui la petite maison qui hurlait dans la tempête.

doigt-revolver

On n’est pas sérieux quand on a 17 ans ? Questions d’un lycéen

Il y a quelques semaines,  un étudiant espagnol de 17 ans  en préparation d’un double diplôme  du bachillerato espagnol et du bac français (le Bachibac), m’a écrit pour me dire qu’il avait choisi pour son travail de recherche le thème de l’énigme de l’univers.  Voici le questionnaire qu’il m’a envoyé, et les réponses que je lui ai données.  Cela peut servir pour tous les jeunes du même âge… au cas où ils liraient mon blog! On n’est pas sérieux quand on a 17 ans, écrivait Rimbaud. Vraiment ?

1/ Pour quoi êtes-vous devenu un scientifique ?

J’ai longtemps hésité entre les disciplines artistiques, que j’ai aussi beaucoup pratiquées (littérature, musique, peinture), et les sciences. J’ai fini par choisir ces dernières compte tenu de mes études de mathématiques, et lorsque j’ai compris que la recherche scientifique pouvait être aussi créative et imaginative que la pratique artistique.

2/ Si vous devriez recommencer à zéro vos études, est-ce que vous choisiriez le même domaine ?

Probablement oui. Mais, si les conditions familiales avaient été favorables, je serai peut-être devenu compositeur de musique, pianiste ou chef d’orchestre.

3/ À votre avis, quelle est la relation entre la physique et la philosophie ?

Relation variable selon les époques. Essentielle depuis l’Antiquité jusqu’au siècle des Lumières, séparée jusqu’au milieu du XXe siècle. Mais comme la physique quantique et la relativité générale remettent en cause les concepts même d’espace, de temps, de matière et de réalité, on assiste à un regain d’intérêt de certains philosophes pour la science, même s’ils n’ont généralement pas les outils techniques pour la comprendre vraiment.

4/Beaucoup des scientifiques affirment que pour arriver à découvrir, savoir comme répondre aux questions déjà formulées n’est pas assez, savoir comment les formuler est aussi nécessaire. Qu’est-ce que vous en pensez ?

C’est évident. J’ajouterai même qu’un grand scientifique doit être capable d’imaginer des questions qui n’avaient jamais été posées auparavant. Continuer la lecture

La métaphore par-delà l’infini

clivaz

  • par Clara Clivaz-Charvet
  • 198 pages
  • Editeur : Peter Lang Gmbh (septembre 2016)

Quatrième de couverture :

Comment penser un atome ?
Qu’est devenue la pomme de Newton ?
Sous quelles formes représenter l’Univers ?
Quelle imagerie est la préférée des scientifiques afin de décrire notre monde ?
Comment créer et utiliser les métaphores ?
Le changement de paradigme opéré par la physique au 20e siècle exige de transformer notre système de représentations et de repenser notre cadre référentiel. De la simple comparaison didactique à la métaphore heuristique, cet ouvrage recense les “images vedettes”  à l’œuvre dans la diffusion des connaissances et expose les huit bénéfices principaux inhérents à cette imagerie scientifique. L importance de faire un usage maîtrisé de ces réflexions dépasse largement un transfert d’informations. C’est la raison pour laquelle un guide à l’usage des scientifiques est proposé. Sous la forme de questions-réponses, ce guide pratique avertit des pièges à éviter tout en indiquant les emplois métaphoriques les plus pertinents pour comprendre et se faire comprendre.

Préface

par Jean-Pierre Luminet

(Astro)physicien, écrivain, amoureux de la langue française : j’ai toujours écrit, depuis mon plus jeune âge, poèmes, nouvelles, romans. Lorsque je suis devenu chercheur, un autre type d’écriture s’est imposé à moi par nécessité : la publication scientifique spécialisée. Ce n’est qu’après une dizaine d’années de recherche intensive que j’ai commencé à publier des ouvrages de « vulgarisation » – genre que je préfère qualifier de « culture scientifique ». Dans ces essais, dont certains traitent de sujets fort compliqués (les trous noirs, la forme de l’univers) mais adressés à un public assez large, je me suis toujours efforcé d’utiliser des techniques narratives empruntées à la littérature générale. C’est ainsi que mon premier essai sur les trous noirs avait la structure d’un roman policier : meurtre, enquête, identification des coupables.

Paul Valéry demandait à la littérature qu’elle lui procurât une « sensation d’univers ». De fait, c’est une telle sensation d’univers qui est à l’origine de ma double pratique d’astrophysicien et d’écrivain. Elle a pris un jour le visage d’une émotion déterminante par la grâce d’une métaphore lue dans un livre, dont je me souviendrai à jamais. J’avais une quinzaine d’années et je terminais la lecture d’une encyclopédie d’astronomie, d’une grande aridité de présentation. A la dernière page de l’ouvrage où se trouvait résumé un exposé de la relativité générale et du concept d’espace courbe – auxquels je ne pouvais à l’époque rien comprendre –, je suis tombé sur cette phrase qui m’a stupéfait : « L’espace a ici la forme d’un mollusque. » J’ai plus tard étudié les grilles de coordonnées souples dites du « mollusque de Gauss », qui ont donné après coup un sens mathématique à cette phrase. Je crois pouvoir dire aujourd’hui que c’est le mystère de cette phrase qui a en partie décidé de ma vocation de chercheur, par l’énigme à la fois poétique et scientifique qu’elle me posait. C’est pour expliciter les courbes et les bosses du mollusque universel que j’ai entrepris mes travaux sur la relativité générale, sur les trous noirs et les univers chiffonnés peuplés de galaxies fantômes. Oui, ma « sensation d’univers » m’aura été donnée par le mollusque d’espace-temps !

Aussi est-ce avec un intérêt certain qu’en novembre 2014 j’ai pris connaissance du courriel que Clara Clivaz m’a adressé, m’apprenant que dans le cadre de sa thèse de doctorat en sciences du langage tout juste soutenue à l’Université de Berne, elle avait analysé sous un angle linguistique un de mes livres (ainsi que ceux de quatre autres auteurs), lequel se trouvait être celui que je considère comme le plus abouti parmi mes écrits de culture scientifique. Elle précisait que sa thèse portait sur les différentes images rhétoriques procédant par analogie et permettant la visualisation, l’incarnation puis la compréhension de concepts ou de phénomènes abstraits ou invisibles auprès du grand public, ajoutant avoir eu le plaisir de découvrir dans nos écrits une invention à la fois remarquable et parfaitement adaptée, mais également des « visions du monde » très divergentes. Continuer la lecture

La mort de Tycho Brahe (24 octobre 1601)

Hommage à Tycho Brahe, astronome danois mort le 24 octobre 1601 à Prague.

Le texte qui suit conte les derniers jours de la vie de Tycho Brahe. Il reproduit, agrémenté d’images, le dernier chapitre de mon roman La discorde céleste, paru en  2008 aux éditions J.C. Lattès, repris en Livre de Poche en 2009 et dans l’ouvrage complet Les Bâtisseurs du ciel (J.C. Lattès, 2010). Il existe également une traduction en espagnol, titrée El Tesoro de Kepler (Ediciones B, 2009)

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 Afin de mieux suivre le déroulement du récit, je donne en préambule un bref rappel sur les personnages mis en jeu (parfaitement historiques, bien qu’il s’agisse d’un roman)

Personnages

tycho_brahe1Tycho Brahé (1546-1601). Astronome danois, qui se fit connaître par la description de l’étoile nouvelle apparue en 1572. Il put ensuite mener ses travaux grâce à l’octroi par le roi Frédéric II de Danemark d’un domaine sur l’île de Hven, où il fit construire le mythique observatoire d’Uraniborg. Là, entouré d’étudiants, de savants et de princes, Brahé accumula pendant vingt ans des mesures à l’œil nu d’une incroyable précision, notamment sur les positions de la planète Mars. N’admettant pas le système de Copernic, il chercha un compromis et le combina à l’ancien système de Ptolémée : pour lui, les cinq planètes connues tournaient autour du Soleil, l’ensemble faisant lui-même le tour de la Terre immobile. Dépossédé de ses biens, il quitta le Danemark et, en 1599, devint le mathématicien impérial de l’empereur Rodolphe II à Prague. C’est là qu’il fut assisté par Johann Kepler, au cours d’une collaboration orageuse. A sa mort brusquement survenue en 1601, il fut enterré en grande pompe à l’église Notre-Dame de Tyn à Prague. Johann Kepler lui succéda comme mathématicien impérial et utilisa ses données pour développer ses propres théories sur l’astronomie.
Christine Brahé, née Jorgensdatter (1549-1604), fille de paysan et épouse morganatique de Tycho, survécut trois ans à son mari et fut enterrée auprès de lui. Les fils de Tycho Brahé, Tyge (1581-1627) et Jorgen (1583-1640), ne tinrent pas les promesses que leur père avait placées en eux, Tyge s’occupant des finances et Jorgen d’alchimie et de médecine. Ses filles Madeleine (1574-1620), Sophie (1578-1655) et Cécile (1580-1640) eurent une jeunesse délurée, tandis qu’Elisabeth (1579-1613), mise enceinte par le secrétaire de Tycho, Franz Tengnagel, dut épouser ce dernier dans la quasi-clandestinité.

keplerJohannes Kepler (1571-1630). Mathématicien, astronome et physicien, le plus prolifique de l’histoire avec Newton et Einstein. Il est surtout connu pour avoir découvert que les planètes ne tournent pas en cercle autour du Soleil, mais en suivant des ellipses. Ses innombrables découvertes passèrent à peu près inaperçues des autres savants de son temps, notamment de Galilée. Mais Newton en comprit toute la valeur, et elles lui fournirent la base de la découverte du principe de la gravitation universelle.. Issu d’un milieu extrêmement défavorisé, et après une enfance difficile marquée par la pauvreté et les maladies, Kepler réussit à rejoindre l’université de Tübingen, où Michael Maestlin l’initia aux doctrines de Copernic. Après avoir enseigné les mathématiques à Gratz, il fut appelé à Prague auprès de Tycho Brahé pour devenir son principal assistant et donner forme à ses milliers d’observations astronomiques. Mais Tycho Brahé n’étant pas copernicien, leur collaboration fut une longue discorde. À la mort de ce dernier en 1601, Kepler lui succéda comme astronome de l’empereur Rodolphe II. Il conserva la même fonction auprès de l’empereur Mathias (1612-19), puis auprès de Ferdinand II en 1619, et en 1628 auprès du duc de Wallenstein. Pris dans la tourmente de la Guerre de Trente Ans, il mourut épuisé par la fatigue et la misère.

barbara-kepler-detailBarbara Kepler, née Mulleck ou Müller (1573-1611) épousa Johann Kepler en 1597 à l’âge de 24 ans, après avoir déjà été deux fois veuve. Sa fille Regine, issue d’un premier mariage, fut élevée par le couple. Barbara eut avec Johann cinq enfants, dont deux moururent au berceau. Fière et acrimonieuse, Barbara harcela Johann toute sa vie, devint folle et mourut en 1611, suivie de près dans la tombe par un de ses fils.

rudolfiiRodolphe II de Habsbourg (1552-1612), petit-fils de Charles Quint, roi de Bohème et de Hongrie, puis Empereur du Saint Empire romain germanique de 1576 à 1612. Protecteur des arts et des sciences (Arcimboldo, Tycho Brahe, Kepler) mais introverti et mélancolique, sujet à des accès de folie. Féru d’ésotérisme, il s’entoura d’une cour de mages, alchimistes et astrologues. Son incapacité à régner fut le prélude à la guerre de Trente Ans.

Thaddeus Hajek

Thaddeus Hajek, dit Hagecius (1525-1600), humaniste, astronome et médecin personnel de l’empereur Rodolphe II qui le fit chevalier. Après avoir publié des travaux sur la supernova apparue en 1572 dans la constellation de Cassiopée, il eut une correspondance scientifique suivie avec Tycho Brahe, et joua un rôle important en persuadant Rodolphe II d’inviter Brahe (et plus tard Kepler) à Prague.

jesseniusJan Jesensky, dit Jessenius (1566-1621), médecin, philosophe et homme politique. Professeur d’anatomie à l’Université de Wittenberg, puis doyen de l’université de Prague, il effectua la première dissection publique d’un corps humain en 1600, en présence de l’empereur Rodolphe. C’est lui qui prononça l’oraison funèbre de Tycho, mentionnant la rétention d’urine comme cause de sa mort.

Pierre de RosenbergPetr Vok, baron Pierre de Rosenberg  (1539 –1611), puissant seigneur de la Cour de Rodolphe, représentant de la noblesse tchèques faisant partie des catholiques modérés. En 1601, en proie à des difficultés financières, il dut vendre à Rodolphe II le célèbre château familial de Krumlov.

Minkowitz, conseiller impérial de Rodolphe II.

Franz Tengnagel  (1576-1622), noble de Westphalie, « intendant » de Tycho à partir de 1595 à Hven, Wandsbeck et Prague. Intriguant, il épousa sa fille Elisabeth Brahe après l’avoir mise enceinte. A la mort de Tycho, il mena une carrière politique auprès des Habsbourg. En 1609 il écrivit une brève et prétentieuse préface au génial traité de Kepler, Astronomia Nova.

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Tycho avait assisté, l’après-midi, en compagnie de l’empereur et d’une bonne partie de la cour, à la première dissection en public d’un cadavre humain, par son ami le doyen de la faculté de médecine de Prague : le professeur Jessenius. A la fin de la leçon d’anatomie, Rodolphe, en proie à une profonde mélancolie, avait désiré s’isoler au lieu de débattre de cette séance avec l’aréopage de savants et d’artistes qui l’entourait toujours. Kepler, trop sensible, avait dû quitter l’amphithéâtre au premier coup de scalpel. Or, c’était avec lui que Tycho aurait aimé philosopher sur le sujet. Depuis le retour de son assistant, un mois après le mariage très discret d’Elisabeth et de Tengnagel, il ne pouvait plus se passer de lui, goûtant sa conversation plus que tout au monde, d’accord sur tout, sauf bien sûr l’héliocentrisme, auquel il résistait farouchement. Il arrivait à l’improviste dans l’appartement de Johann, s’invitait à table, couvrait Barbara et Régine de cadeaux et d’attentions, veillant à ce qu’elles ne manquent de rien. Et quand l’empereur le convoquait, ce qui arrivait de plus en plus souvent, il forçait Kepler à l’accompagner, malgré le peu de goût que celui-ci avait pour le cérémonial.

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Eclipses intellectuelles

Ceci est, inhabituellement chez moi, un petit billet d’humeur. Je m’y élève  avec quelque retard contre les égarements de certains technocrates de l’éducation nationale. Ils sont si nombreux, ces égarements,  que je n’en citerai qu’un ici.  La scène s’est déroulée en mai dernier, lorsque fut annoncé un passage de Mercure devant le Soleil se produisant le 9 de ce mois, événement astronomique intéressant et pouvant faire l’objet d’activités ludiques,  pédagogiques – et donc instructives – pour nos chères têtes blondes, brunes ou rousses. J’y ai d’ailleurs à l’époque consacré deux billets sur ce même blog, ici et .

Or, j’avais appris qu’une certain directeur académique des services de l’Éducation nationale pour la Haute Garonne, serviteur zélé du Ministère de la Déséducation Nationale, avait donné pour directive aux enseignants de garder les enfants en classe durant tout la durée du phénomène, par mesure de précaution cf. cette circulaire.

Le même genre de recommandation aberrante  émanant “d’en haut” – accompagnée d’un texte en tous points semblable – avait déjà été préconisée lors d’une éclipse solaire en  2015, et répercutée dans de nombreuses académies (dont celle de Nice) .

De nombreuses associations s’étaient élevées contre ce type de directives. Pour ma part, mon sang n’ayant fait qu’un tour, voici la lettre que j’avais illico adressée à ce gardien de l’ordre. Lettre évidemment restée sans réponse… Continuer la lecture

L’univers holographique (6) : Black Holism

Suite du billet précédent : L’univers holographique (5) : la quête des dualités ET FIN

Dans son livre, le brillant physicien canadien Lee Smolin s'élève contre l'hégémonie de la théorie des cordes et analyse les aspects sociologiques de la recherche fondamentale.
Dans son livre, le brillant physicien américain Lee Smolin s’élève contre l’hégémonie de la théorie des cordes et analyse les aspects sociologiques de la recherche fondamentale.

La correspondance AdS/CFT, et plus généralement les dualités holographiques, ont soulevé énormément d’enthousiasme dans la communauté des cordistes, suscité des milliers de publications et des centaines de thèses de doctorat – ce qui après tout constitue l’activité courante et « normale » de la recherche scientifique. On peut cependant rester perplexe devant un tel phénomène qui, au-delà de l’intérêt technique certain qu’il peut représenter, relève surtout d’une certaine dérive sociologique pointée du doigt par d’éminents chercheurs de la discipline[1].

Au crédit de la correspondance, il faut reconnaître qu’elle permet de troquer certains calculs difficiles, voire impossibles, contre des calculs plus faciles. A minima, la dualité holographique apparaît comme un intéressant outil de calcul en physique fondamentale. Le “dictionnaire” qu’elle propose entre le monde en espace-temps plat et le monde courbe où se trouve la gravitation fonctionne dans les deux sens. Certains calculs sont plus simples avec la supergravité que dans la théorie de jauge duale, de sorte qu’aucun de ces mondes n’est plus fondamental que l’autre. Mais ce n’est pas parce que l’on peut considérer des calculs plus simplement dans un espace-temps plat, sans gravitation et de plus basse dimension que celui de la théorie des cordes, qu’il en découle que la réalité cosmique est un hologramme ! On peut entièrement encoder la topographie 3D d’un terrain dans une carte 2D sur laquelle le relief est indiqué par des courbes de niveau (un encodage bien utile aux randonneurs), mais, selon le célèbre aphorisme d’Alfred Korzybski, il ne faut jamais perdre de vue que « la carte n’est pas le territoire »[2].

Une vue bien naïve de l'holographie appliquée à l'univers dans son ensemble, ce qu'on appelle en anglais du "wishful thinking"...
Une vue bien naïve de l’holographie appliquée à l’univers dans son ensemble, ce qu’on appelle en anglais du “wishful thinking”…

A son crédit également, et là je parle en ardent pratiquant de la théorie de la relativité générale classique dont nous célébrons cette année le centenaire[3], la dualité jauge/gravité a conféré à la théorie d’Einstein un statut beaucoup plus large. L’édifice intellectuel de la relativité générale a certes connu de remarquables succès au cours du siècle dernier, et fourni un édifice crucial pour toute la partie de la physique théorique traitant de la gravitation. La révolution conceptuelle qu’elle a entraînée sur la nature de l’espace et du temps a rendu la théorie populaire, au point qu’il serait difficile de trouver aujourd’hui une personne possédant un minimum de culture scientifique mais n’ayant jamais entendu parler de la théorie d’Einstein.

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L’univers holographique (5) : La quête des dualités

Suite du billet précédent : L’univers holographique (4) : la conjecture de Maldacena

Des centaines de chercheurs ont exploré les conséquences de la conjecture de Maldacena, avec l’espoir que la dualité jauge/gravité, sous sa forme la plus générale, puisse établir une sorte de dictionnaire pratique entre les propriétés d’un système physique en gravitation quantique, décrit par la théorie des cordes dans un espace courbe de dimensionnalité élevée (la Matrice), et un autre système physique, plus simple celui-là, décrit quantiquement par une théorie de jauge sur l’enveloppe de la Matrice – espace plat de dimensionnalité moindre. Il existe notamment une approche en théorie M développée en 1997 et baptisée BFSS[1], destinée à fournir une formulation numériquement calculable, qui a en outre le mérite d’établir un lien avec l’approche a priori différente de la géométrie non-commutative d’Alain Connes – pour plus de détails voir l’excellent billet de L. Sacco sur Futura Sciences.

L’avantage serait évident : certains calculs très complexes – voire impossibles – en gravité quantique pourraient être menés de façon plus simple dans le cadre de la théorie de jauge, comme on l’a vu dans le billet précédent  pour l’évaporation quantique d’un trou noir dans AdS5. Inversement, quand les champs de la théorie quantique sont fortement couplés (comme dans le plasma quark-gluon, voir ci-dessous), ceux de la théorie gravitationnelle interagissent faiblement et pourraient être plus facilement appréhendés mathématiquement. Cette dualité forte/faible permet ainsi d’explorer des aspects complexes de la physique nucléaire et de la physique de la matière condensée, en les traduisant en termes de théorie des cordes à haut degré de symétrie, plus aisément traitable.

Les possibles réalisations de la dualité jauge-gravité font aujourd’hui l’objet d’ambitieux programmes théoriques, rattachés à trois vastes domaines de la physique :

  • physique nucléaire, avec notamment l’étude du plasma quark-gluon (programme AdS/QCD)
  • physique de la matière condensée, avec l’étude des états exotiques de la matière (programme AdS/CMT)
  • relativité générale et cosmologie, avec les programmes Kerr/CFT et dS/CFT.

Développons brièvement chacun de ces programmes, en mentionnant leurs succès et leurs échecs. Continuer la lecture

L’univers holographique (4) : La conjecture de Maldacena

Suite du billet précédent : L’univers holographique (3) : De l’entropie à l’hypothèse holographique

Juan Maldacena en 2013
Juan Maldacena en 2013

Confrontés à la difficulté d’appliquer le principe holographique à un modèle d’univers réaliste, les physiciens se sont tournés vers des modèles d’univers simplifiés, dans lesquels le principe pourrait s’appliquer. La première réalisation concrète a été l’œuvre du jeune chercheur argentin Juan Maldacena qui, en novembre 1997, publia un résultat étonnant, assorti d’une audacieuse conjecture mathématique[1].

Considérant un trou noir dans un modèle d’espace-temps à cinq dimensions macroscopiques caractérisé par une géométrie dite anti-de Sitter, il montra que les détails des phénomènes se déroulant dans cet univers, décrits par la théorie des cordes et incluant donc la gravitation, étaient entièrement codés dans le comportement de certains champs quantiques (non gravitationnels) se déroulant sur la frontière quadridimensionnelle de cet univers.

Vue d'artiste de l'équivalence
Vue d’artiste de l’hypothèse de Maldacena

L’espace-temps de de Sitter est une solution exacte des équations de la relativité générale ordinaire découverte dès 1917, vide de matière mais qui comprend une force répulsive appelée constante cosmologique, de valeur positive ; si maintenant on change le signe de la constante cosmologique, la force de répulsion devient attractive et le modèle se transforme en un espace-temps anti-de Sitter[2] . Ce dernier acquiert une géométrie spatiale hyperbolique (c’est-à-dire de courbure négative) et, bien qu’il soit infini, possède un « bord » bien défini. Pour représenter ce bord, on utilise la représentation de Poincaré du disque hyperbolique qui, à l’aide d’une transformation conforme conservant les angles mais pas les distances, ramène l’infini à distance finie. L’artiste néerlandais Mauritz Cornelius Escher a créé une célèbre série d’estampes intitulées Circle Limits dans lesquelles il utilise la représentation de Poincaré, voir par exemple [3].

Poincaré representation of the hyperbolic disc.
Représentation de Poincaré du disque  hyperbolique.

Circular Limit III, zn engraving by M.C.E. Escher, using the Poincaré representation of hyperbolic space.
Circle Limit III, une gravure de M.C.E. Escher utilisant la représentation de Poincaré de l’espace hyperbolique.
L'esapce anti-de Sitter en dimension 3 se présente comme un empilement de disques hyperboliques, chacun représentant l'état d'un univers 2D à un instant donné. L'espace-temps 3D qui en résulte resemble à un cylindre solide.
L’esapce anti-de Sitter en dimension 3 se présente comme un empilement de disques hyperboliques, chacun représentant l’état d’un univers 2D à un instant donné. L’espace-temps 3D qui en résulte resemble à un cylindre solide.

Pour l’espace-temps anti-de Sitter en dimension 5, noté AdS5, le bord est de dimension 4 et, localement autour de chaque point, ressemble à l’espace de Poincaré-Minkowski, qui est précisément le modèle d’espace-temps plat utilisé en physique non-gravitationnelle. Cela signifie qu’un trou noir dans l’espace-temps anti-de Sitter 5D est strictement équivalent à un champ de particules et de rayonnement existant dans l’espace-temps plat 4D de la frontière. Or, cette dernière description fait appel à des théories de champs quantiques bien connues et maîtrisées, analogues aux champs de Yang-Mills utilisés par exemple en chromodynamique quantique (qui est la théorie de l’interaction forte). Notons cependant qu’aux cinq dimensions spatiales de l’espace-temps anti-de Sitter il faut rajouter cinq dimensions spatiales compactifiées en forme de sphère S5, afin de traiter le problème dans le cadre de la théorie des cordes standard à dix dimensions.

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Contes de l’Outre-temps (4) : L’espion

Suite de la série de brèves nouvelles fantastiques écrites au fil du temps, que j’envisage de réunir un jour en un recueil intitulé  “Contes de l’Outre-temps”, si un éditeur s’y intéresse.  Celle-ci date de mon adolescence,  époque où je dévorais la littérature de science-fiction. Elle repose sur un calembour qui vaut ce qu’il vaut (un peu d’indulgence est donc requise).  Avec le recul je pense que j’ai été influencé par les brèves nouvelles humoristiques d’un maître du genre, Fredric Brown (voir ma nouvelle “L’univers en folie“).

L’espion

L’Espion marchait dans la Cité indifférente et aveugle. Un rictus de joie barrait d’une empreinte diabolique sa face jaune. Parfois, il se mettait à glousser, si bien que les passants le regardaient d’un air effaré, se demandant qui pouvait être ce type aux cheveux verts qui se permettait de rire en pleine rue et se convulsionnait tous les dix pas.

Rire ? Il faut dire qu’il y avait de quoi !

L’Espion venait de réussir le coup le plus fameux de sa carrière.

Ce coup, il l’avait longuement préparé, avec la minutie d’un horloger atomique.

Élaboré au cours du long voyage intersidéral qui l’avait conduit sur Terre, le plan s’était déroulé sans faille. Une fois débarqué (« car l’espace est une immense mer où se perdent parfois quelques rivages… », comme écrivit le grand poète Arzdaded), l’Espion avait revêtu l’apparence d’un Humain ordinaire.

Malgré ses cheveux virides, il n’avait eu aucun mal à se faire embaucher comme « introducteur » dans les bureaux administratifs d’une grande société scientifique et technologique. Sa tâche n’était pas bien difficile ; elle consistait à ouvrir les portes, et, de temps en temps, à les refermer.

Mais, dans l’ombre, l’Espion œuvrait pour sa planète ! Les administrateurs de la société Terrienne l’avaient vite pris en affection. C’est que l’Espion était bien sympathique, avec sa chevelure couleur de printemps et son visage d’œuf cassé.

À mesure qu’il marchait, les images de sa mission défilaient rétrospectivement dans son cerveau…

Chez lui, là-haut, une hystérie du Savoir s’était emparée des scientifiques. On ne sait trop pourquoi, ces derniers tenaient absolument à découvrir tous les secrets de l’Univers, en décortiquer les plus petites ficelles.

Mais avant de pénétrer les mystères des êtres et des choses, « il faut leur donner un nom, il faut les cataloguer », comme l’avait enseigné le grand philosophe Selestoris.

Par exemple, en astronomie, leur catalogue d’étoiles était incomparable, et faisait la fierté de l’Institut d’Astrophysique. Ils possédaient des appareils d’observation prodigieusement puissants. Sans cesse à l’écoute de la Terre et de ses congrès scientifiques, ils avaient décidé d’y installer sur place une petite colonie d’espions fort discrets, dont le seul rôle consistait à glaner toutes les découvertes scientifiques faites par les Terriens.

Ces derniers temps, ils n’avaient pas eu grand chose à se mettre sous la dent. Il est vrai que les Terriens étaient sacrément en retard. Ainsi, le 25 novembre de l’année Terrienne 1915, un obscur employé d’un bureau de brevets de la petite ville de Berne avait publié l’ébauche d’une nouvelle théorie sur l’espace et le temps, qu’il avait appelée la relativité. Or, là-haut, sur sa planète, cela faisait longtemps que les savants connaissaient tous les mystères de la gravité. Ils maîtrisaient même ces entonnoirs de l’espace qui permettent de voyager entre les étoiles.

Enfin, vint la merveilleuse surprise. La veille du Noël des Terriens, l’Espion avait appris qu’une nouvelle étoile était née au firmament. Ce fut la stupeur au bureau des Espions. Les Terriens avaient donc découvert une étoile avant eux ! De surcroît, ce devait être un astre bien important, puisqu’ils le surnommaient déjà « La Vedette ».

Mais il manquait à l’Espion l’information principale : le véritable nom de l’étoile, le nom officiel ! Continuer la lecture

L’univers holographique (3) : De l’entropie à l’hypothèse holographique

Suite du billet précédent L’univers holographique (2) : la gravité quantique façon théorie des cordes

Dans le cadre de la théorie des cordes, il s’agissait dans un premier temps de retrouver les lois de la thermodynamique classique des trous noirs, c’est-à-dire savoir calculer, en termes de mécanique statistique quantique, leur entropie et leur température en fonction de leur aire et de leur gravité de surface. La tâche n’est pas aisée. Comme en thermodynamique, l’entropie mesure le nombre total d’états microscopiques internes correspondant à un état externe donné du trou noir, défini par ses trois paramètres (M, J, Q). Encore faut-il comptabiliser les « vrais » états microscopiques, c’est-à-dire les degrés de liberté ultimes sur lesquels il faut calculer l’entropie. Pour évaluer le contenu ultime en informations d’un élément de matière, c’est-à-dire son entropie thermodynamique, il faut en toute rigueur connaître ses constituants fondamentaux au niveau le plus profond de structuration. Dans le modèle standard de la physique des particules, les quarks et les leptons semblent suffisants pour coder toute l’information. Mais dans la théorie des cordes et sa théorie-mère (M-theory), les quarks et les leptons sont des états excités de supercordes, qui deviennent alors les constituants les plus élémentaires du monde physique.

Gerard 't Hooft, né en 1946 aux Pays-Bas, est professeur à l'Institut de physique théorique de l'université d'Utrecht depuis 1977.
Gerard ‘t Hooft, né en 1946 aux Pays-Bas, est professeur à l’Institut de physique théorique de l’université d’Utrecht depuis 1977.

En 1993, Gerard t’Hooft (futur lauréat du prix de Nobel de physique 1999 pour ses travaux sur l’interaction électrofaible)  fut le premier à revisiter le travail de Hawking sur la thermodynamique des trous noirs dans le cadre de la théorie des cordes. Il calcula que le nombre total de degrés de liberté dans le volume d’espace-temps intérieur au trou noir était proportionnel à la superficie de son horizon[1]. La surface bidimensionnelle du trou noir peut être divisée en unités quantiques fondamentales appelées aires de Planck (10–66 cm2). Du point de vue de l’information, chaque bit sous forme de 0 ou de 1 correspond à quatre aires de Planck, ce qui permet de retrouver la formule de Bekenstein-Hawking S = A/4 pour l’entropie. Tout se passe comme si l’information perdue pour un observateur extérieur – l’entropie du trou noir – portée initialement par la structure 3D des objets ayant traversé l’horizon des événements, était codée sur sa surface 2D à la façon d’un hologramme, et t’Hooft en conclut que l’information avalée par un trou noir devait être intégralement restituée lors du processus d’évaporation quantique.

L’entropie d’un trou noir est proportionnelle à la surface de son horizon. Un trou noir dont l’horizon est constitué de A aires de Planck a une entropie de A/4 unités. Une aire de Planck (10–66 cm2) est l’unité quantique fondamentale de surface. Du point de vue de l’information, tout se passe comme si l’entropie était inscrite sur l’horizon du trou noir et que chaque bit d’information, sous forme de 0 ou de 1, correspondait à quatre aires de Planck.
L’entropie d’un trou noir est proportionnelle à la surface de son horizon. Un trou noir dont l’horizon est constitué de A aires de Planck a une entropie de A/4 unités. Une aire de Planck  est l’unité quantique fondamentale de surface. Du point de vue de l’information, tout se passe comme si l’entropie était inscrite sur l’horizon du trou noir et que chaque bit d’information, sous forme de 0 ou de 1, correspondait à quatre aires de Planck.

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Le Météore du 13 Août

« A la seconde où tu m’apparus, mon cœur eut tout le ciel pour l’éclairer. Il fut midi à mon poème. Je sus que l’angoisse dormait.»
René Char : Le Météore du 13 Août (Fureur et Mystère,  1948).

Des dizaines d’excellents billets de blog ici et sont consacrés à l’actualité des Perséides, cette pluie d’étoiles filantes qui illumine chaque année le ciel de la mi-août. Pour ne pas faire redondance, je me contenterai ici de quelques notes astronomico-poétiques.

Comme chacun sait (ou devrait savoir), ces belles mais fugitives étincelles nomades sont des grains cométaires microscopiques qui, en pénétrant dans l’atmosphère, s’échauffent par frottement. Leur température monte à trois mille degrés, et elles se consument dans la haute atmosphère, à quatre-vingts kilomètres d’altitude environ, créant ces traînées lumineuses qui ne durent souvent qu’une fraction de seconde. En fait, ce n’est pas la combustion du grain porté à blanc que l’on voit à si grande distance, mais la traînée d’ionisation qu’il laisse dans l’atmosphère. Les étoiles filantes sont la version miniaturisée et anodine des météores, le « bonzaï » du bolide.

Les étoiles filantes, si elles ne font pas d’argent ni ne répondent aux vœux, font parfois de beaux  poèmes:

A la pointe où se balance un mouchoir blanc
Au fond noir qui finit le monde
Devant nos yeux un petit espace
Tout ce qu’on ne voit pas
Et qui passe

Le soleil donne un peu de feu

Une étoile filante brille
Et tout tombe
Le ciel se ride
Les bras s’ouvrent
Et rien ne vient
Un cœur bat encore dans le vide

Un soupir douloureux s’achève
Dans les plis du rideau le jour se lève

Pierre Reverdy, Etoile filante (dans Plupart du temps, 1915-1922)

Leur taille ne dépasse pas quelques millimètres. Ce sont des silicates, analogues à des grains de sable. La luminosité des grains est fonction de leur masse. À la vitesse typique de soixante-dix kilomètres par seconde, un grain de seulement trois millimètres présente une luminosité égale à celle d’une étoile de première grandeur comme Sirius, mais pour un grain caractéristique d’un tiers de millimètre, l’intensité est tout juste visible à l’œil nu.

meteore_bolideLorsque, par une nuit quelconque, vous observez une étoile filante, il s’agit d’un météore sporadique. Par ciel dégagé, on peut en voir quelques-uns par heure, en principe davantage après minuit qu’avant, et davantage en automne qu’au printemps – du moins pour l’hémisphère nord.

Si de nombreux météores apparaissent la même nuit et semblent provenir du même endroit du ciel, il s’agit d’une pluie d’étoiles filantes. On voit alors dix, voire cinquante météores et plus par heure, dans un ciel sombre sans Lune et loin des lumières des villes. Continuer la lecture

L’univers holographique (2) : La gravité quantique façon théorie des cordes

Suite du billet précédent L’univers holographique (1) : le paradoxe de l’information

Le paradoxe de l’information lié aux trous noirs reflète notre incapacité actuelle à élaborer une théorie cohérente de la gravité quantique. L’approximation semi-classique de Hawking cesse d’être valide quand le trou noir devient suffisamment petit pour que le rayon de courbure à l’horizon des événements atteigne la longueur de Planck, 10-33 cm, autrement dit lorsque non seulement la matière et l’énergie, mais aussi le champ gravitationnel doivent être quantifiés. La description finale de l’évaporation et la restitution partielle ou complète de l’information exigent donc un traitement complet en gravité quantique, branche fondamentale de la physique qui cherche à décrire la gravitation en utilisant les principes de la mécanique quantique.

Richard Feynman (1918-1988), prix Nobel de physique 1965, auteur des diagrammes du même nom.
Richard Feynman (1918-1988), prix Nobel de physique 1965, auteur des diagrammes du même nom.

L’application de la mécanique quantique aux objets physiques tels que le champ électromagnétique, qui s’étendent dans l’espace et le temps, a connu un succès éclatant avec la théorie quantique des champs[1]. Celle-ci forme la base de la compréhension du modèle standard de la physique des particules élémentaires, rendant compte des interactions électromagnétiques, nucléaire forte et nucléaire faible. Elle permet de calculer les probabilités d’événements en utilisant les techniques de la théorie des perturbations. Les diagrammes de Feynman décrivent les chemins de particules ponctuelles et leurs interactions. Chaque diagramme représente une contribution à un processus d’interaction. Pour leurs calculs, les physiciens additionnent en premier lieu les contributions les plus fortes, puis les plus petites, et ainsi de suite, jusqu’à atteindre la précision désirée.

Diagramme de Feynman. Lorsque deux particules (ici deux électrons venant du bas) interagissent, elles peuvent le faire « simplement », en échangeant un seul photon (schéma du haut). Mais ce photon peut lui-même se matérialiser puis de dématérialiser en chemin. Sur le schéma du bas, par exemple, il crée une paire électron-positron qui recrée ensuite le photon. Si l’on tient compte de cette aventure, la description de l’interaction des deux électrons de départ n’est plus la même. Cela n’est en fait que la « première correction ». En effet, il peut arriver au photon des histoires beaucoup plus compliquées qui représentent des corrections d’ordre 2,3,4… La physique quantique exige de tenir compte de l’infinité de ces corrections pour le moindre calcul. Cette difficulté considérable a conduit à incorporer à la physique quantique l’idée de renormalisation.
Diagramme de Feynman. Lorsque deux particules (ici deux électrons venant du bas) interagissent, elles peuvent le faire « simplement », en échangeant un seul photon (schéma du haut). Mais ce photon peut lui-même se matérialiser puis de dématérialiser en chemin. Sur le schéma du bas, par exemple, il crée une paire électron-positron qui recrée ensuite le photon. Si l’on tient compte de cette aventure, la description de l’interaction des deux électrons de départ n’est plus la même. Cela n’est en fait que la « première correction ». En effet, il peut arriver au photon des histoires beaucoup plus compliquées qui représentent des corrections d’ordre 2,3,4… La physique quantique exige de tenir compte de l’infinité de ces corrections pour le moindre calcul. Cette difficulté considérable a conduit à incorporer à la physique quantique l’idée de renormalisation.

 

Mais ce procédé ne marche que si les contributions deviennent réellement négligeables à mesure qu’un plus grand nombre d’interactions est pris en compte. Lorsqu’il en va ainsi, la théorie est dite “faiblement couplée” et les calculs convergent vers des valeurs physiques finies. S’il en va différemment, la théorie est dite “fortement couplée” et les méthodes standard de la physique des particules échouent. C’est notamment ce qui arrive avec le graviton, supposé être la particule médiatrice du champ gravitationnel. Le graviton, créant de la masse-énergie, interagit avec lui-même, ce qui crée de nouveaux gravitons, qui à leur tour interagissent, et ainsi de suite, jusqu’à la divergence. L’échec de la technique des perturbations pour quantifier la gravité a donc conduit les physiciens à explorer d’autres voies. Continuer la lecture

L’univers holographique (1) : le paradoxe de l’information

Ce billet est le premier d’une série de 6 reprenant un article initialement publié en anglais dans la revue Inference : The International Review of Science, auquel j’ai rajouté des illustrations à caractère pédagogique.

Introduction

Lors d’un exposé donné le 25 août 2015 au KTH Royal Institute of Technology à Stockholm qui a fait l’objet d’un grand tapage médiatique, Stephen Hawking a annoncé avoir résolu un problème de la physique appelé paradoxe de l’information [1]. Ce dernier illustre un conflit potentiel entre la mécanique quantique et les modèles de trou noir décrits par la relativité générale ; à ce titre, il joue un rôle central en physique fondamentale et divise la communauté des théoriciens depuis quatre décennies. Selon Hawking, toute l’information sur la matière et l’énergie contenue dans le volume 3D du trou noir résiderait en réalité sur sa surface 2D, l’horizon des événements, codée sous forme d’hologramme.

hologram1
Un hologramme est une photographie d’un type particulier qui engendre une image tridimensionnelle quand on l’éclaire de façon appropriée ; toute l’information décrivant une scène en trois dimensions est encodée dans le motif de zones claires et sombres inscrit sur un film à deux dimensions.

Cette information pourrait ensuite être entièrement récupérée (bien que sous forme chaotique) grâce au rayonnement libéré lors de son évaporation quantique – un processus initialement prédit par le même Hawking quarante ans auparavant.

L’idée n’est pas nouvelle : elle fait appel à un modèle d’univers holographique précédemment étudié par des centaines de physiciens, et objet d’un tel engouement qu’il a conduit certains d’entre eux à imaginer des scénarios parfaitement surréalistes. Par exemple, S. Mathur a proposé qu’au lieu d’être détruit par des forces de marée gravitationnelles ou par un pare-feu quantique, un astronaute tombant dans un trou noir serait simplement converti en hologramme, sans se rendre compte de rien [2].

A l’annonce de Hawking la communauté scientifique a donc dans son ensemble réagi avec beaucoup de prudence et de scepticisme, pour ne pas dire d’embarras devant l’annonce prématurée d’une idée non élaborée sur le plan technique : comment l’information s’inscrit-elle dans l’horizon des événements, comment est-elle restituée au monde extérieur, aucun détail n’a encore été donné.[3]

Pour y voir plus clair, un retour en arrière sur la thermodynamique des trous noirs s’impose.

Thermodynamique des trous noirs et paradoxe de l’information

Au cours des années 1970 – âge d’or de la théorie des trous noirs en relativité générale classique -, il a été démontré d’une part que l’état final d’un trou noir à l’équilibre ne dépendait que de trois paramètres : sa masse M, son moment angulaire J et sa charge électrique Q, ce qui paradoxalement faisait de lui l’objet le plus simple de toute la physique ; d’autre part, que la dynamique des trous noirs en interaction se résumait en quatre lois présentant une analogie extrêmement frappante avec celles de la thermodynamique usuelle[4]. En particulier, la seconde loi stipule que l’aire d’un trou noir ne peut jamais décroître au cours du temps. Ce résultat fondamental suggère une connexion étroite entre l’aire d’un trou noir et l’entropie d’un système thermodynamique. Continuer la lecture

Hommage à Yves Bonnefoy, poète inquiet du cosmos

yves-bonnefoyAvant de se consacrer à la poésie, Yves Bonnefoy avait fait des études de mathématiques, d’histoire des sciences et de philosophie. J’aime souligner les relations privilégiées du mathématicien avec le poète. La question du langage y est déterminante, notamment la recherche d’une économie maximale au service de l’expression la plus forte. Il s’agit toujours de condenser une formulation, de trouver “l’équation”, l’algorithme en quelque sorte. Gilbert Lély a défini la poésie de la façon suivante : “A chaque interrogation du monde extérieur, la réponse la plus rapide, la plus nettement articulée, la plus libre, la plus dévorante.” On ne saurait mieux définir la quête du mathématicien. En mathématiques comme en poésie, la forme et le fond sont indissociables. C’est par là sans doute que le poème se différencie de la prose. La vérité du poème se joue là, même si elle renferme, comme en mathématiques, sa part d’inconnu. Dans Entretiens sur la poésie 1972-1990 (Mercure de France), Yves Bonnefoy parlait de cet effort de limpidité qui l’animait lorsqu’il écrivait, et qu’il comparait à une équation qu’on réduirait à sa “forme canonique”, laquelle contient toujours l’inconnu(e).

Une excellente introduction à la lecture de l’œuvre poétique d’Yves Bonnefoy est due à Jean-Michel Maulpois et se lit ici.

Pour ma part je me contenterai d’une brève remarque prises dans l’anthologie “Les poètes et l’univers” que j’ai publiée en 1996 et dans laquelle Yves Bonnefoy figurait en bonne place. Continuer la lecture

Evénements ondes gravitationnelles : un résumé en images

Les événements GW150914 et GW151226

Résumé en 5 images extraites d’une de mes présentations powerpoint sur les trous noirs
DiapoGW1
Le mystère des ondes gravitationnelles, posé il y a un siècle par Albert Einstein dans un article paru en mars 1916, met en jeu les infimes variations de courbure de l’espace-temps engendrées par le mouvement d’objets relativistes. En haut à gauche : vue d’artiste figurant les ondes gravitationnelles engendrées par un système binaires d’étoiles compactes (étoiles à neutrons et/ou trous noirs). En haut à droite : vue d’artiste des ondes gravitationnelles engendrées par l’effondrement (non sphérique) d’une étoile en trou noir. En bas au centre : rappel du fait que l’existence des ondes gravitationnelles a d’abord été prouvée indirectement en 1974 grâce à l’analyse d’un pulsar binaire (couple d’étoiles à neutrons), dont la période orbitale décroît à la suite de la perte d’énergie due aux ondes gravitationnelles.

 

DiapoGW2
Les premières détections directes des ondes gravitationnelles ont été effectuées le 14 septembre 2015 (événement GW150914) et le 26 décembre 2015 (événement GW151226) par les deux détecteurs du programme LIGO situés aux Etats-Unis. Séparés par 3000 km, les détecteurs reçoivent le même signal à un centième de seconde d’intervalle, puisque les ondes gravitationnelles se déplacent à la vitesse de la lumière dans le vide, 300 000 km/s.

 

DiapoGW3
La comparaison entre le calcul théorique (en haut) et les données reçues (en bas) montre sans ambiguïté que le signal gravitationnel provient de la fusion de deux trous noirs en un trou noir unique, en trois phases extrêmement brèves (le tout durant moins d’une seconde dans la bande de fréquence dans laquelle les détecteurs sont sensibles): phase d’approche des deux trous noirs, fusion (signal maximum), vibration et stabilisation du trou noir final.

 

La modélisation des événements GW150914 et GW152612 permet notamment de déduire les masses des trous noirs mis en jeu. Il s’agit en l’occurrence de trous noirs “stellaires”, bien que dans l’événement du 14 septembre 2015 les masses sont sensiblement plus élevées que la “normale”, ce qui soulève d’intéressantes questions sur la formation de tels couples. La masse du trou noir final est, dans les deux cas, inférieure à la somme des masses des trous noirs parents : en vertu de la formule E=mc2, la différence a précisément été évacuée sous forme d’énergie gravitationnelle propagée par les ondes. Dans les deux cas aussi, ces événements se sont produits il y a près de 1,5 milliards d’années dans le passé. Notons qu’un troisième événement similaire, semblant lui aussi émaner d’une fusion de trous noirs situés cette fois à plus de 3 milliards d’années-lumière, a été observé le 12 octobre 2015, mais sa signification statistique n’est pas suffisante pour le qualifier. Cela implique d’une part que les couples de trous noirs sont beaucoup plus nombreux que ce que prédisaient les modèles conventionnels, d’autre part que ces détections pourraient être faites à un rythme de quelques dizaines par an, bien plus grand que prévu.

 

DiapoGW5

Et pour approfondir le sujet des ondes gravitationnelles, voir ma suite de 4 billets de février dernier consacrés au sujet :

https://blogs.futura-sciences.com/luminet/2016/02/10/la-lumiere-gravitationnelle-1/

https://blogs.futura-sciences.com/luminet/2016/02/10/la-lumiere-gravitationnelle-22/

https://blogs.futura-sciences.com/luminet/2016/02/13/la-lumiere-gravitationnelle-34-levenement-gw150914/

https://blogs.futura-sciences.com/luminet/2016/02/20/la-lumiere-gravitationnelle-44-le-futur-est-dans-lespace/

Toutous célestes

chien-chez-textuelCe billet est une adaptation illustrée d’un article initialement paru dans le collectif Chien, sous la direction d’Hervé Le Tellier et Philippe  di Folco  (Textuel Éditions, 2010).
Encyclopédie bizarre et décalée, ce livre étrange se propose de faire découvrir le chien comme on ne l’a encore jamais vu;

Toutous célestes

Le Grand, Major, suit Orion qui pourchasse le lièvre. Il porte au cou l’étoile la plus brillante du ciel, Sirius, sa médaille brillante. Sa tête forme un triangle peu reluisant au-dessus, les pattes arrières se prolongent pour encadrer la colombe. Murzim, Muliphen, Wezen, Adhara, Furud, Aludra sont les noms que les peuples d’Arabie ont donné à sa queue et ses pattes.

Le Petit, Minor, est le caniche de Major. Chaque matin il se lève avant lui. Procyon et Gomeisa sont ses yeux, le gauche est plus brillant que le droit.

Les constellations du Grand Chien et du Petit Chien suivent le chasseur Orion dans le célèbre Atlas Coelestis de John Flamsteed, publié à titre postume en 1729.
Les constellations du Grand Chien et du Petit Chien suivent le chasseur Orion dans le célèbre Atlas Coelestis de John Flamsteed, publié à titre postume en 1729.

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Contes de l’Outre-temps (3) : L’assassin originel

Suite de la série de brèves nouvelles fantastiques écrites au fil du temps, que j’envisage de réunir un jour en un recueil intitulé  “Contes de l’Outre-temps”, si un éditeur s’y intéresse.  Celle-ci, inspirée d’une bande dessinée dont j’ai oublié titre et auteur, est la première que j’ai écrite. J’avais 19 ans (cela se sent dans le style un peu grandiloquent) et je l’ai rédigée d’un trait en plein cours de Maths Sup, au grand dam de mes camarades qui n’avaient d’yeux que pour les équations du tableau noir ! En effet je commençais déjà à trouver navrant le clivage entre mathématiques et littérature, que pour ma part je respirais à délices égales.    

L’assassin originel

L’Homme brandit son javelot vers le ciel rougeoyant. Il poussa un rugissement terrible, mêlé de colère et de désespoir. Puis, ses bras torturés de muscles et de poils retombèrent le long de son corps, et sa tête hirsute se tourna vers le paysage désert : il n’y avait partout que blocs rocailleux et arides, que cascades de pierres fendues par la foudre, que sable et poussière. Nulle trace de vie, nul gibier.

L’Homme était vêtu d’une peau d’aurochs. Son faciès simiesque reflétait une expression hagarde et vorace. Il cherchait de la nourriture dans cette étendue désolée. Un bouc des montagnes lui aurait suffi, ou même un gros lièvre sauvage. Il devait à tout prix rapporter de la viande à ses parents, en rapporter plus que l’Autre.

L’Autre, c’était son frère. Et ils vivaient tous les quatre ensemble : les deux vieillards blanchis par le temps, et les deux mâles chasseurs. Tandis que les Anciens restaient dans la grotte, les Fils, bouillant d’un sang jeune, partaient pour de longues journées de chasse.

Il s’était établi une sorte de rivalité entre eux. Leur esprit était encore confus, mais ils savaient pourtant discerner entre les degrés d’une affection, d’un amour.

L’Homme, tout en ayant repris sa marche, pensait à tout cela, et des larmes de rage lui vinrent au bord des yeux. Car il savait que l’Autre était le Préféré. Pourtant, il ne rapportait pas plus de gibier que lui. Bien au contraire. C’est pour cela que l’Homme ne comprenait pas la raison de cette préférence. Mais il pensait qu’en faisant une chasse miraculeuse – quelque bouquetin, c’est tout ce que l’on pouvait espérer tuer sur ce territoire –, il deviendrait bientôt l’égal de son frère dans le cœur des Anciens.

Il poursuivait donc son exploration, malgré une journée vaine d’attentes et de marches interminables.

**

L’Autre chassait à quelque distance de là.

Il n’avait rien trouvé non plus, durant cette journée si dure et accablante. Soudain, sur un escarpement rocheux, il aperçut un superbe animal. C’était un bouc des montagnes d’une taille peu ordinaire.

L’Autre s’accroupit dans les rochers et rampa, tel un félin, vers sa proie. Alors son cri de guerre perça le silence des pierres, en même temps que le sifflement de sa sagaie déchirait l’espace. L’animal s’abattit, frappé à la tête. L’Autre leva les bras au ciel en signe de triomphe. Un sourire illumina ses lèvres dures et crevassées, et il bondit sur le cadavre de sa victime. Une joie confuse envahit son esprit. Son frère ne pourrait jamais faire mieux, et la vie continuerait comme avant : il serait toujours le Préféré, celui sur qui se poseraient le plus souvent les regards attendris des Anciens.

Il chargea la bête sur ses rudes épaules. Il s’apprêtait à descendre des rochers lorsqu’un bruit étrange lui fit lever la tête. Il aperçut la Chose dans le ciel, qui lui sembla être un Oiseau Géant.

Il se cacha vite derrière une saillie du rocher et examina l’Oiseau. Il était immense et brillait au Soleil. On distinguait à peine ses ailes, et   semblait avoir des yeux énormes, globuleux et transparents.

L’Oiseau, ayant hésité au-dessus de la vallée, se stabilisa dans les airs.

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Les passages de Mercure (2/2) : de Halley à aujourd’hui

Suite du billet précédent Les passages de Mercure (1/2) : de Kepler à Gassendi et fin

Après la première observation du transit de Mercure du 7 novembre 1631 par Pierre Gassendi, les passages suivants vont susciter un intérêt astronomique de plus en plus grand. Celui du 9 novembre 1644 est toutefois invisible en Europe. Idem pour celui du 3 novembre 1651, mais il est observé par Jeremy Shakerley à Surat (Inde). Le passage du 3 mai 1661 est observé par le célèbre Hevelius à Dantzig (Gdansk), en Pologne. Celui du 4 novembre 1664 n’est pas documenté, et celui du 7 novembre 1674 est invisible en Europe.

N’arrêtez pas votre lecture à cette fastidieuse énumération : le cours de l’histoire de l’astronomie va changer avec le transit de Mercure du 7 novembre 1677 ! Voici pourquoi.

La distance Terre-Soleil par la méthode des transits

La troisième loi du mouvement planétaire formulée par Kepler en 1618, qui donne une relation entre la période de révolution d’une planète et le demi-grand axe de son orbite, permet de connaître la taille du système solaire à un facteur d’échelle près. La connaissance d’une seule distance entre planètes ou entre une planète et le Soleil suffit donc pour calculer toutes les autres.

La parallaxe solaire est l’angle sous lequel on voit le rayon de la Terre depuis le Soleil. La connaissance de la parallaxe est donc équivalente à la connaissance de la distance Terre-Soleil.

parallaxe-solaireLe problème pratique est que l’angle est si petit qu’il est extrêmement difficile à mesurer (on sait aujourd’hui qu’il est égal à 8,794 secondes d’arc, soit 1/200 le diamètre apparent de la Lune). Les mesures et calculs effectués depuis l’Antiquité surestimaient considérablement cet angle, donc sous-estimaient la valeur réelle de la distance Terre-Soleil.

Cette pièce de 50 pence célèbre le voyage de Halley à Sainte-Hélène en 1576 et montre le passage d'une comète qui le rendra mondialement célèbre.
Cette pièce de 50 pence célèbre le voyage de Halley à Sainte-Hélène en 1676 et montre le passage de la comète de 1682 à qui il donnera son nom et qui le rendra mondialement célèbre.

Or, en 1677, sur l’île de Sainte-Hélène où il s’est rendu pour établir un catalogue des étoiles du ciel austral, le grand astronome anglais Edmund Halley (1656-1742) observe le passage de Mercure qui a lieu le 7 novembre. Il bénéficie d’un beau temps inespéré, et d’une durée de transit de  5h 14m. De retour en Angleterre, Halley  imagine une méthode simple mais géniale pour déterminer la parallaxe solaire. Sa méthode est basée sur la comparaison des temps de transit de Mercure ou de Vénus, mesurés depuis plusieurs lieux terrestres situés à des latitudes différentes. La différence des temps de passages observés donne accès à la parallaxe du Soleil. On remplace ainsi une difficile mesure de très petit angle par des mesures de temps. Continuer la lecture

Les passages de Mercure (1/2) : De Kepler à Gassendi

Le 9 mai, la planète Mercure va traverser le disque solaire d’est en ouest en environ sept heures et demi, et sera visible sous forme d’une minuscule tache noire – un phénomène astronomique appelé transit. Il va de soi que, pour qu’une planète transite sur le disque solaire, elle doit passer entre la Terre et le Soleil. Seules Mercure et Vénus peuvent donc être observées de la Terre lors de leur transit. Il y a en moyenne 13 passages de Mercure et deux passages de Vénus par siècle.

Mercure apparaît tout en bas du disque solaire sur cette image du transit du 7 mai 2003 (à ne pas confondre donc avec la tache solaire proche du centre, de taille apparente beaucoup plus grande).
Mercure apparaît tout en bas du disque solaire sur cette image du transit du 7 mai 2003 (à ne pas confondre donc avec la tache solaire proche du centre, de taille apparente beaucoup plus grande).

Tous les passages de Mercure se produisent aux mois de mai et novembre, aux alentours respectivement du 7 et du 9 du mois, le phénomène se répétant à des intervalles de 13 ou 33 ans en mai, ou tous les 7, 13 ou 33 ans en novembre. C’est donc une observation relativement rare, ce qui explique son intérêt pour les astronomes. Le transit de Mercure du 9 mai 2016 sera le premier depuis le précédent, en novembre 2006, et avant le prochain qui aura lieu en novembre 2019.

Comme le montre la carte de visibilité ci-dessous, il sera observable (moyennant un ciel dégagé !) depuis l’Europe, l’Afrique, les Amériques et une partie de l’Asie.

Transit Mercure 2016

Nombre d’excellents blogs, comme ceux de Futura Sciences ou celui de Guillaume Cannat intitulé Autour du Ciel, consacreront ou ont déjà consacré des billets détaillés à cet événement astronomique pas si fréquent. Mon présent billet ne sera donc pas consacré à l’actualité du transit mercurien, mais à sa très intéressante histoire.

De Kepler à Gassendi

La prévision des passages de Mercure et de Vénus devant le Soleil nécessite une bonne connaissance des mouvements orbitaux des planètes intérieures. Les tables dont disposaient les astronomes au début du XVIIe siècle n’étaient que peu fiables, qu’il s’agisse des classiques Tables Alphonsines fondées sur le système de Ptolémée, ou des plus récentes Tables Pruténiques fondées sur le système de Copernic. Lorsque Gaultier de la Valette (1564 – 1617), vicaire général d’Aix et excellent astronome amateur qui, en 24 novembre 1610 et en compagnie de Nicolas Fabri de Peiresc avait été le premier en France à observer à la lunette les quatre satellites de Jupiter, essaye de calculer le moment d’une conjonction du Soleil avec Mercure en mai 1631, il se retrouve presque au désespoir. Le 12 avril 1631 il écrit à Peiresc « L’on ne peut deviner quelles tables seront plus véritables. Je ne manquerai pourtant, durant ces trois ou quatre jours, faire tout mon possible si nous pouvons voir cette belle observation, qui nous découvrirait de belles choses en la nature, nous assurerait du mouvement de ladite planète, de sa distance au soleil, de la grandeur de son orbe, de sa révolution et de son cours suivant l’opinion de Copernic, et nous faisait encore voir de quelles tables les Astronomes ou Astrologues se doivent plus assurément servir : des Pruténiques, Daviques, Rudolphines ou Alphonsines ». Continuer la lecture