La Vallée des 10 00 Fumées, Alaska (3/9)

Suite du billet La Vallée des 10 00 Fumées, Alaska (2/9)
Carnet de voyage d’une expédition effectuée du 17 août au 7 septembre 1992 en Alaska

La vallée des Dix Mille Fumées (Valley of Ten Thousand Smokes) est située en Alaska, au  Sud du parc national de Katmai.  Elle tire son nom des nombreux panaches de vapeur d’eau qui s’échappaient du sol formé par l’éruption du volcan Novrupta en 1912. Accessible seulement après deux jours de marche à partir de Brooks Lodge – un camp tenu par des rangers-, elle offre des paysages extraordinaires. Avec un groupe de amis nous avons décidé de l’explorer sac à dos et en autonomie complète durant l’été 1992.

Participants:

Philippe A., médecin psychiatre
Arturo F., ingénieur
Marc L., astrophysicien
Jean-Pierre Luminet, astrophysicien
Didier P., astronome.

  EPISODE 3 : 23-24 août

 

Dimanche 23 août

Lever 7h. Il a plu toute la nuit, mais le matin la pluie a cessé, le vent est tombé et la vallée est dégagée. Fantastique panorama !

Gros petit déjeuner, on discute pas mal avec l’un des deux randonneurs américains qui sont revenus de la Vallée, c’est un ranger originaire du Kansas, très sympa.

Nous partons à 9h, en pleine forme. Température 12 °C, ciel à demi-couvert.

Au départ de Three Forks. L’aventure débute vraiment.

Descente d’une heure jusqu’à la rivière Windy Creek, à travers les taillis trempés par la pluie nocturne. Traversée en deux temps. Arturo, qui déteste l’eau froide,  préfère s’encorder dans la deuxième partie, bien que ce soit facile. J’adore pour ma part les traversées de rivière, l’inconvénient étant qu’elles détendent les élastoplasts et que des petits gravillons rentrent dessous.

« A travers les taillis trempés par la pluie nocturne »
Traversée de la Windy Creek. Arturo préfère s’encorder.

La marche continue. Suite à une nouvelle remarque désobligeante de Philippe, on a une discussion pour mettre les choses au point.  Chacun vide son sac (façon de parler !) et tout ira mieux par la suite.

Mon pied gauche me fait terriblement souffrir ; dans les innombrables petites descentes le bout d’un orteil est affreusement douloureux, et de plus le talon commence à me faire mal. Pourvu que je ne développe pas d’ampoules sanguines comme en Islande 1989 !

La marche d’aujourd’hui n’est pas très longue mais épuisante. Après avoir traversé plein de petits ruisseaux, marché dans le sable et la pierre ponce, longé le splendide canyon du Léthé (la rivière des Enfers), nous arrivons à 14h à l’emplacement de notre campement que nous baptisons 8 miles.

Dans un champ de pierre ponce
Paysage lunaire vers le camp 8 Miles

 

« On longe le canyon du Léthé »
Le camp « 8 miles »

Il fait froid à cause du vent mais le temps est splendide. Même le Mont Griggs se détache sur le bleu céruléen, ce qui doit être bien rare !

« Le Mont Griggs se détache sur le bleu céruléen »

Au camp nous sommes ivres de fatigue et moi de douleur aux pieds. Sans prendre le soin de protéger la nourriture, on s’affale dans les tentes et on dort.

A 16h, reposés, on va se laver puis Didier, Philippe et moi allons explorer les berges du Léthé afin de chercher un gué pour demain. Le temps est magnifique, le paysage grandiose, je nage dans le bonheur (à part les pieds). Après une heure d’exploration je rentre seul en passant par des solfatares éteints, jaunes, ocres, rouges, noirs, là où les explorateurs de la première expédition de 1916 avaient découvert un paysage d’enfer et ses dix mille fumées, spectacle fabuleux aujourd’hui assagi, hélas.

« Le Mont Griggs se détache sur le bleu céruléen »
Je découvre dans les parages cette étonnante formation rocheuse en forme de totem

Fin de journée. Il fait très froid. Nous mangeons à 200 mètres en aval des tentes, puis nous cachons notre nourriture en amont, sous un amoncellement de gros cailloux charriés par les rivières.

Avant de dormir nous mettons au point une stratégie en cas d’attaque d’ours : trois coups de sifflet, cris, lampes, spray répulsif. Demain nous devrons partir très tôt, pour que la rivière qui coule des glaciers soit moins puissante.

Protections anti-ours. Comme le récipient cylindrique est trop petit, on cache aussi la nourriture sous un amoncellement de pierres.

Lundi 24 août

Lever 6h30, départ 8h. R.A.S. pour les ours. Le temps est magnifique, pas un souffle de vent. Mon pied me fait de plus en plus souffrir.

Il fait beau. Le Mont Katmai se découpe dans le ciel
A travers les champs de solfatare

A la recherche d’un gué pour traverser le Léthé…

Au bout d’une heure on arrive au gué du Léthé. Il faut traverser une cinquantaine de mètres dans une eau glacée au débit assez violent.  Pas facile.

 Je récolte des petits cailloux sous l’élastoplast et je manque trébucher plusieurs fois.

Le gué du Léthé
Après le gué, une pause bien méritée. Au fond, le volcan Martin fume.
D’autant que Marc souffre terriblement des pieds !

Après la pause, montée au refuge de Baked Mountain.

Fatigante montée de Baked Mountain en terrain sablonneux

On y arrive à 12h30. Il y a deux cabanes, dont l’une est occupée par des allemands. On s’installe dans l’autre. Banquette de bois, on trouve ça très confortable ! Mais le temps s’est dégradé. En fait dans le refuge il fait très froid, humide, bien plus que sous la tente. Mais dans la pluie et le vent on ne peut pas trouver mieux.

Au refuge de Baked Mountain

Nous aurons finalement traversé la Vallée des 10000 Fumées sans un souffle de vent et au soleil, c’est une chance incroyable. Mais le temps s’est gâté.

A 13 heures nous repartons à quatre (sans Marc, qui a un talon à vif, que Philippe a bien soigné), sans sac, en direction de Novarupta – le volcan dont l’éruption de 1912 avait donné naissance à la Vallée. Un pur bonheur, tant le paysage est beau dans sa désolation sauvage.

Vers Novarupta

L’extrusion magmatique fume encore. Nous en faisons le tour, puis on rentre en contournant le gros monticule de la Baked Mountain.

« L’extrusion magmatique fume encore »

A un moment je fais une grosse erreur de chemin qui m’entraîne, avec Philippe, dans une interminable marche à mi-pente totalement éreintante et massacreuse de pied gauche, où chaque pas dans le sable mou fait perdre l’équilibre et redescendre de 20 cm.

Difficile retour vers le refuge, au sommet de la butte

Après deux heures d’efforts et d’atroces douleurs au pied (doigts et talon) nous parvenons au refuge à 17h. En hypothermie subite après avoir énormément transpiré sous mon Goretex, j’enfile mes deux Lifas, ma fourrure polaire, mon bonnet, et m’enfonce une heure dans le duvet après avoir bu deux litres d’eau chaude. Mais rien n’y fait, je suis toujours gelé. En fait la température n’est pas très basse mais l’air est très humide.

Le mauvais temps est arrivé. La pluie tombe. C’est le retour à la normale, en quelque sorte. Dehors il fait un froid glacial, du vent, et le Mont Griggs (qui porte le nom du vulcanologue et premier explorateur de la vallée en 1916) se couvre de neige à mi-pente. Ce sera dur d’aller en altitude à cause du froid, de la neige, du vent et de la légèreté de notre équipement. Nous adapterons nos projets en fonction du temps.

Ce soir, dîner. Je fais une partie d’échecs avec Marc et j’essaie de soigner mon doigt de pied qui me fait atrocement mal. Je plante à plusieurs reprises une aiguille dans la chair pour faire sortir le liquide d’une ampoule formée sous un calle, ça n’améliore guère la situation. On verra bien demain.  C’est 21h30, tout le monde dort déjà, je n’ai pas sommeil et il fait froid, humide et noir.

Nuit mauvaise, glaciale. Au matin nous sommes tous réfrigérés.

 

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