Rassemblés en un volume, les quatre grands romans de Jean-Pierre Luminet consacrés à ceux qui ont totalement changé notre vision de l’univers : Copernic, Kepler, Tycho Brahé, Galilée, Newton. « Au cours du XVIe et du XVIIe siècle, une poignée d’hommes étranges, des savants astronomes, ont été des précurseurs, des inventeurs, des agitateurs de génie. Ce qu’on ignore généralement – peut-être parce que leurs découvertes sont tellement extraordinaires qu’elles éclipsent les péripéties de leur existence – c’est qu’ils ont été aussi des personnages hors du commun, des caractères d’exception, des figures romanesques dont la vie fourmille en intrigues, en suspense, en coups de théâtre… » La série Les Bâtisseurs du ciel est un hymne à la science, au plaisir et à la hardiesse.
La correspondance AdS/CFT, et plus généralement les dualités holographiques, ont soulevé énormément d’enthousiasme dans la communauté des cordistes, suscité des milliers de publications et des centaines de thèses de doctorat – ce qui après tout constitue l’activité courante et « normale » de la recherche scientifique. On peut cependant rester perplexe devant un tel phénomène qui, au-delà de l’intérêt technique certain qu’il peut représenter, relève surtout d’une certaine dérive sociologique pointée du doigt par d’éminents chercheurs de la discipline[1].
Au crédit de la correspondance, il faut reconnaître qu’elle permet de troquer certains calculs difficiles, voire impossibles, contre des calculs plus faciles. A minima, la dualité holographique apparaît comme un intéressant outil de calcul en physique fondamentale. Le “dictionnaire” qu’elle propose entre le monde en espace-temps plat et le monde courbe où se trouve la gravitation fonctionne dans les deux sens. Certains calculs sont plus simples avec la supergravité que dans la théorie de jauge duale, de sorte qu’aucun de ces mondes n’est plus fondamental que l’autre. Mais ce n’est pas parce que l’on peut considérer des calculs plus simplement dans un espace-temps plat, sans gravitation et de plus basse dimension que celui de la théorie des cordes, qu’il en découle que la réalité cosmique est un hologramme ! On peut entièrement encoder la topographie 3D d’un terrain dans une carte 2D sur laquelle le relief est indiqué par des courbes de niveau (un encodage bien utile aux randonneurs), mais, selon le célèbre aphorisme d’Alfred Korzybski, il ne faut jamais perdre de vue que « la carte n’est pas le territoire »[2].
A son crédit également, et là je parle en ardent pratiquant de la théorie de la relativité générale classique dont nous célébrons cette année le centenaire[3], la dualité jauge/gravité a conféré à la théorie d’Einstein un statut beaucoup plus large. L’édifice intellectuel de la relativité générale a certes connu de remarquables succès au cours du siècle dernier, et fourni un édifice crucial pour toute la partie de la physique théorique traitant de la gravitation. La révolution conceptuelle qu’elle a entraînée sur la nature de l’espace et du temps a rendu la théorie populaire, au point qu’il serait difficile de trouver aujourd’hui une personne possédant un minimum de culture scientifique mais n’ayant jamais entendu parler de la théorie d’Einstein.
Des centaines de chercheurs ont exploré les conséquences de la conjecture de Maldacena, avec l’espoir que la dualité jauge/gravité, sous sa forme la plus générale, puisse établir une sorte de dictionnaire pratique entre les propriétés d’un système physique en gravitation quantique, décrit par la théorie des cordes dans un espace courbe de dimensionnalité élevée (la Matrice), et un autre système physique, plus simple celui-là, décrit quantiquement par une théorie de jauge sur l’enveloppe de la Matrice – espace plat de dimensionnalité moindre. Il existe notamment une approche en théorie M, développée en 1997 et baptisée BFSS[1], destinée à fournir une formulation numériquement calculable, qui a en outre le mérite d’établir un lien avec l’approche a priori différente de la géométrie non-commutative d’Alain Connes – pour plus de détails voir l’excellent billet de L. Sacco sur Futura Sciences.
L’avantage serait évident : certains calculs très complexes – voire impossibles – en gravité quantique pourraient être menés de façon plus simple dans le cadre de la théorie de jauge, comme on l’a vu dans le billet précédent pour l’évaporation quantique d’un trou noir dans AdS5. Inversement, quand les champs de la théorie quantique sont fortement couplés (comme dans le plasma quark-gluon, voir ci-dessous), ceux de la théorie gravitationnelle interagissent faiblement et pourraient être plus facilement appréhendés mathématiquement. Cette dualité forte/faible permet ainsi d’explorer des aspects complexes de la physique nucléaire et de la physique de la matière condensée, en les traduisant en termes de théorie des cordes à haut degré de symétrie, plus aisément traitable.
Les possibles réalisations de la dualité jauge-gravité font aujourd’hui l’objet d’ambitieux programmes théoriques, rattachés à trois vastes domaines de la physique :
physique nucléaire, avec notamment l’étude du plasma quark-gluon (programme AdS/QCD)
physique de la matière condensée, avec l’étude des états exotiques de la matière (programme AdS/CMT)
relativité générale et cosmologie, avec les programmes Kerr/CFT et dS/CFT.
Confrontés à la difficulté d’appliquer le principe holographique à un modèle d’univers réaliste, les physiciens se sont tournés vers des modèles d’univers simplifiés, dans lesquels le principe pourrait s’appliquer. La première réalisation concrète a été l’œuvre du jeune chercheur argentin Juan Maldacena qui, en novembre 1997, publia un résultat étonnant, assorti d’une audacieuse conjecture mathématique[1].
Considérant un trou noir dans un modèle d’espace-temps à cinq dimensions macroscopiques caractérisé par une géométrie dite anti-de Sitter, il montra que les détails des phénomènes se déroulant dans cet univers, décrits par la théorie des cordes et incluant donc la gravitation, étaient entièrement codés dans le comportement de certains champs quantiques (non gravitationnels) se déroulant sur la frontière quadridimensionnelle de cet univers.
L’espace-temps de de Sitter est une solution exacte des équations de la relativité générale ordinaire découverte dès 1917, vide de matière mais qui comprend une force répulsive appelée constante cosmologique, de valeur positive ; si maintenant on change le signe de la constante cosmologique, la force de répulsion devient attractive et le modèle se transforme en un espace-temps anti-de Sitter[2] . Ce dernier acquiert une géométrie spatiale hyperbolique (c’est-à-dire de courbure négative) et, bien qu’il soit infini, possède un « bord » bien défini. Pour représenter ce bord, on utilise la représentation de Poincaré du disque hyperbolique qui, à l’aide d’une transformation conforme conservant les angles mais pas les distances, ramène l’infini à distance finie. L’artiste néerlandais Mauritz Cornelius Escher a créé une célèbre série d’estampes intitulées Circle Limits dans lesquelles il utilise la représentation de Poincaré, voir par exemple [3].
Pour l’espace-temps anti-de Sitter en dimension 5, noté AdS5, le bord est de dimension 4 et, localement autour de chaque point, ressemble à l’espace de Poincaré-Minkowski, qui est précisément le modèle d’espace-temps plat utilisé en physique non-gravitationnelle. Cela signifie qu’un trou noir dans l’espace-temps anti-de Sitter 5D est strictement équivalent à un champ de particules et de rayonnement existant dans l’espace-temps plat 4D de la frontière. Or, cette dernière description fait appel à des théories de champs quantiques bien connues et maîtrisées, analogues aux champs de Yang-Mills utilisés par exemple en chromodynamique quantique (qui est la théorie de l’interaction forte). Notons cependant qu’aux cinq dimensions spatiales de l’espace-temps anti-de Sitter il faut rajouter cinq dimensions spatiales compactifiées en forme de sphère S5, afin de traiter le problème dans le cadre de la théorie des cordes standard à dix dimensions.
Dans le cadre de la théorie des cordes, il s’agissait dans un premier temps de retrouver les lois de la thermodynamique classique des trous noirs, c’est-à-dire savoir calculer, en termes de mécanique statistique quantique, leur entropie et leur température en fonction de leur aire et de leur gravité de surface. La tâche n’est pas aisée. Comme en thermodynamique, l’entropie mesure le nombre total d’états microscopiques internes correspondant à un état externe donné du trou noir, défini par ses trois paramètres (M, J, Q). Encore faut-il comptabiliser les « vrais » états microscopiques, c’est-à-dire les degrés de liberté ultimes sur lesquels il faut calculer l’entropie. Pour évaluer le contenu ultime en informations d’un élément de matière, c’est-à-dire son entropie thermodynamique, il faut en toute rigueur connaître ses constituants fondamentaux au niveau le plus profond de structuration. Dans le modèle standard de la physique des particules, les quarks et les leptons semblent suffisants pour coder toute l’information. Mais dans la théorie des cordes et sa théorie-mère (M-theory), les quarks et les leptons sont des états excités de supercordes, qui deviennent alors les constituants les plus élémentaires du monde physique.
En 1993, Gerard t’Hooft (futur lauréat du prix de Nobel de physique 1999 pour ses travaux sur l’interaction électrofaible) fut le premier à revisiter le travail de Hawking sur la thermodynamique des trous noirs dans le cadre de la théorie des cordes. Il calcula que le nombre total de degrés de liberté dans le volume d’espace-temps intérieur au trou noir était proportionnel à la superficie de son horizon[1]. La surface bidimensionnelle du trou noir peut être divisée en unités quantiques fondamentales appelées aires de Planck (10–66 cm2). Du point de vue de l’information, chaque bit sous forme de 0 ou de 1 correspond à quatre aires de Planck, ce qui permet de retrouver la formule de Bekenstein-Hawking S = A/4 pour l’entropie. Tout se passe comme si l’information perdue pour un observateur extérieur – l’entropie du trou noir – portée initialement par la structure 3D des objets ayant traversé l’horizon des événements, était codée sur sa surface 2D à la façon d’un hologramme, et t’Hooft en conclut que l’information avalée par un trou noir devait être intégralement restituée lors du processus d’évaporation quantique.
Le paradoxe de l’information lié aux trous noirs reflète notre incapacité actuelle à élaborer une théorie cohérente de la gravité quantique. L’approximation semi-classique de Hawking cesse d’être valide quand le trou noir devient suffisamment petit pour que le rayon de courbure à l’horizon des événements atteigne la longueur de Planck, 10-33 cm, autrement dit lorsque non seulement la matière et l’énergie, mais aussi le champ gravitationnel doivent être quantifiés. La description finale de l’évaporation et la restitution partielle ou complète de l’information exigent donc un traitement complet en gravité quantique, branche fondamentale de la physique qui cherche à décrire la gravitation en utilisant les principes de la mécanique quantique.
L’application de la mécanique quantique aux objets physiques tels que le champ électromagnétique, qui s’étendent dans l’espace et le temps, a connu un succès éclatant avec la théorie quantique des champs[1]. Celle-ci forme la base de la compréhension du modèle standard de la physique des particules élémentaires, rendant compte des interactions électromagnétiques, nucléaire forte et nucléaire faible. Elle permet de calculer les probabilités d’événements en utilisant les techniques de la théorie des perturbations. Les diagrammes de Feynman décrivent les chemins de particules ponctuelles et leurs interactions. Chaque diagramme représente une contribution à un processus d’interaction. Pour leurs calculs, les physiciens additionnent en premier lieu les contributions les plus fortes, puis les plus petites, et ainsi de suite, jusqu’à atteindre la précision désirée.
Mais ce procédé ne marche que si les contributions deviennent réellement négligeables à mesure qu’un plus grand nombre d’interactions est pris en compte. Lorsqu’il en va ainsi, la théorie est dite “faiblement couplée” et les calculs convergent vers des valeurs physiques finies. S’il en va différemment, la théorie est dite “fortement couplée” et les méthodes standard de la physique des particules échouent. C’est notamment ce qui arrive avec le graviton, supposé être la particule médiatrice du champ gravitationnel. Le graviton, créant de la masse-énergie, interagit avec lui-même, ce qui crée de nouveaux gravitons, qui à leur tour interagissent, et ainsi de suite, jusqu’à la divergence. L’échec de la technique des perturbations pour quantifier la gravité a donc conduit les physiciens à explorer d’autres voies. Continuer la lecture de L’univers holographique (2) : La gravité quantique façon théorie des cordes→
Ce billet est le premier d’une série de 6 reprenant un article initialement publié en anglais dans la revue Inference : The International Review of Science, auquel j’ai rajouté des illustrations à caractère pédagogique.
Introduction
Lors d’un exposé donné le 25 août 2015 au KTH Royal Institute of Technology à Stockholm qui a fait l’objet d’un grand tapage médiatique, Stephen Hawking a annoncé avoir résolu un problème de la physique appelé paradoxe de l’information [1]. Ce dernier illustre un conflit potentiel entre la mécanique quantique et les modèles de trou noir décrits par la relativité générale ; à ce titre, il joue un rôle central en physique fondamentale et divise la communauté des théoriciens depuis quatre décennies. Selon Hawking, toute l’information sur la matière et l’énergie contenue dans le volume 3D du trou noir résiderait en réalité sur sa surface 2D, l’horizon des événements, codée sous forme d’hologramme.
Cette information pourrait ensuite être entièrement récupérée (bien que sous forme chaotique) grâce au rayonnement libéré lors de son évaporation quantique – un processus initialement prédit par le même Hawking quarante ans auparavant.
L’idée n’est pas nouvelle : elle fait appel à un modèle d’univers holographique précédemment étudié par des centaines de physiciens, et objet d’un tel engouement qu’il a conduit certains d’entre eux à imaginer des scénarios parfaitement surréalistes. Par exemple, S. Mathur a proposé qu’au lieu d’être détruit par des forces de marée gravitationnelles ou par un pare-feu quantique, un astronaute tombant dans un trou noir serait simplement converti en hologramme, sans se rendre compte de rien [2].
A l’annonce de Hawking la communauté scientifique a donc dans son ensemble réagi avec beaucoup de prudence et de scepticisme, pour ne pas dire d’embarras devant l’annonce prématurée d’une idée non élaborée sur le plan technique : comment l’information s’inscrit-elle dans l’horizon des événements, comment est-elle restituée au monde extérieur, aucun détail n’a encore été donné.[3]
Pour y voir plus clair, un retour en arrière sur la thermodynamique des trous noirs s’impose.
Thermodynamique des trous noirs et paradoxe de l’information
Au cours des années 1970 – âge d’or de la théorie des trous noirs en relativité générale classique -, il a été démontré d’une part que l’état final d’un trou noir à l’équilibre ne dépendait que de trois paramètres : sa masse M, son moment angulaire J et sa charge électrique Q, ce qui paradoxalement faisait de lui l’objet le plus simple de toute la physique ; d’autre part, que la dynamique des trous noirs en interaction se résumait en quatre lois présentant une analogie extrêmement frappante avec celles de la thermodynamique usuelle[4]. En particulier, la seconde loi stipule que l’aire d’un trou noir ne peut jamais décroître au cours du temps. Ce résultat fondamental suggère une connexion étroite entre l’aire d’un trou noir et l’entropie d’un système thermodynamique. Continuer la lecture de L’univers holographique (1) : le paradoxe de l’information→
La Perruque de Newton (Les bâtisseurs du ciel, tome 4)
EDITION ORIGINALE
354 pages, JC Lattès, Paris, 2010 – ISBN 978-2709624152
Que se cache-t-il sous la haute et lourde perruque d’Isaac Newton ? Un cerveau d’exception bien sûr, qui a dévoilé les lois de la gravitation universelle, et publié le plus grand livre scientifique de l’Histoire. Mais aussi un crâne dégarni, tant par les vapeurs de soufre et de mercure de ses expériences alchimiques que par les nuits d’insomnie passées à relire les Écritures pour calculer la date de l’Apocalypse. Le fondateur de la science moderne et rationnelle a, en effet, consacré plus de temps à mener des expériences alchimiques, à étudier la théologie qu’à pratiquer les sciences naturelles. La Perruque de Newton dresse le portrait stupéfiant d’un homme extraordinairement complexe qui, après une enfance solitaire, est devenu ombrageux, colérique, vindicatif, et profondément obsédé par Dieu. Cette figure de la raison, acclamée par les Lumières, également férue de recherches ésotériques, s’est révélée être un directeur impitoyable de la Monnaie et un président tyrannique de la Royal Society. Il sera enterré comme un roi après une longue vie de quatre-vingt-cinq ans où il n’aura jamais connu de femme. La face cachée d’un exceptionnel génie scientifique. Astrophysicien, romancier et poète, Jean-Pierre Luminet offre avec ce quatrièsme volume un nouvel épisode de sa grande série romanesque Les Bâtisseurs du ciel commencée avec Le Secret de Copernic, La Discorde céleste et L’Oeil de Galilée. Continuer la lecture de Mes romans (6) : La Perruque de Newton→
En novembre 2014, le film de science-fiction Interstellar (réalisation Christopher Nolan, Warner Bros Pictures, 169 minutes, 2014) sortait sur nos écrans. Véritable « blockbuster » hollywoodien, il a suscité un énorme battage médiatique, comme en témoignent les innombrables forums de discussion et articles de presse ayant fleuri au cours des jours, semaines et mois qui ont suivi. A la demande de la revue de langue anglaise Inference : International Review of Science, j’ai par la suite fait un travail d’analyse scientifique beaucoup plus développé et approfondi, publié au printemps 2015. Je vous en livre la traduction française, découpée en 6 billets. Celui-ci est le sixième et dernier. Merci de m’avoir lu jusqu’au bout!
L’équation ultime
Vers la fin d’Interstellar, on voit la scientifique Murph écrire une équation censée résoudre l’incompatibilité entre la relativité générale et la mécanique quantique. On aperçoit dans le fond une série de tableaux noirs couverts de diagrammes et d’équations supposées aboutir à l’équation ultime, celle d’une « Théorie de Tout ». Le sort de l’humanité en dépend. Mise à part la naïveté d’une telle représentation, il est intéressant de se demander si les équations fugitivement montrées dans la scène ont la moindre signification.
A première vue, la longue suite de formules paraît fastidieuse. Aujourd’hui, l’unification de la relativité générale et de la mécanique quantique n’est toujours pas résolue. Diverses approches du problème, comme la gravité quantique à boucles, la théorie des cordes et la géométrie non-commutative, font l’objet d’intenses recherches en cours[1]. Continuer la lecture de La physique étrange d’Interstellar (6/6) : l’équation ultime→
En novembre 2014, le film de science-fiction Interstellar (réalisation Christopher Nolan, Warner Bros Pictures, 169 minutes, 2014) sortait sur nos écrans. Véritable « blockbuster » hollywoodien, il a suscité un énorme battage médiatique, comme en témoignent les innombrables forums de discussion et articles de presse ayant fleuri au cours des jours, semaines et mois qui ont suivi. A la demande de la revue de langue anglaise Inference : International Review of Science, j’ai par la suite fait un travail d’analyse scientifique beaucoup plus développé et approfondi, publié au printemps 2015. Je vous en livre la traduction française, découpée en 6 billets. Celui-ci est le cinquième.
Gargantua, une machine à remonter le temps
Au cours d’une scène de la dernière partie du film, Cooper plonge dans Gargantua, de façon à s’assurer que le vaisseau Endurance puisse bien atteindre la troisième et dernière planète. En dépit de la menace posée par les forces de marée, Cooper survit. Il est donc chanceux, car les forces de marée deviennent infinies quand r tend vers 0. Ainsi, même pour un trou noir supermassif comme Gargantua, une fois passé sain et sauf l’horizon des événements, tout corps s’approchant de la singularité centrale doit être en fin de compte détruit. Heureusement, Gargantua est un trou noir en rotation rapide, et sa létale singularité a la forme d’un anneau évitable.
En novembre 2014, le film de science-fiction Interstellar (réalisation Christopher Nolan, Warner Bros Pictures, 169 minutes, 2014) sortait sur nos écrans. Véritable « blockbuster » hollywoodien, il a suscité un énorme battage médiatique, comme en témoignent les innombrables forums de discussion et articles de presse ayant fleuri au cours des jours, semaines et mois qui ont suivi. A la demande de la revue de langue anglaise Inference : International Review of Science, j’ai par la suite fait un travail d’analyse scientifique beaucoup plus développé et approfondi, publié au printemps 2015. Je vous en livre la traduction française, découpée en 6 billets. Celui-ci est le quatrième.
Dilatation temporelle
La théorie de la relativité restreinte d’Einstein prédit que des observateurs placés dans des référentiels différemment accélérés perçoivent le temps différemment. Ce phénomène bien connu de « dilatation » temporelle a été vérifié expérimentalement à un haut degré de précision. Les conséquences de la dilation temporelle se font sentir tout au long de l’histoire d’Interstellar.
Près de l’horizon des événements d’un trou noir, où le champ gravitationnel est énorme, la dilatation temporelle est également énorme. Les horloges sont fortement ralenties par rapport aux horloges lointaines. Une heure sur Miller (temps propre de Miller) équivaut à sept années sur Terre. Ceci correspond à un facteur de dilatation de 60 000. Bien que la dilatation temporelle tende vers l’infini quand l’horloge tend vers l’horizon des événements, un facteur de dilatation de 60 000 est impossible pour une planète en orbite stable autour d’un trou noir.
Dans son livre, The Science of Interstellar, Kip Thorne explique qu’un facteur de dilatation temporelle de cette grandeur était une exigence non négociable de la part du réalisateur[1]. Après quelques heures de calcul, Thorne est parvenu à la conclusion que le scénario, bien que très peu vraisemblable, était marginalement possible. Le facteur-clé est la période de rotation du trou noir. Un trou noir de Kerr (tournant) se comporte très différemment d’un trou noir de Schwarzschild (statique). L’équation de dilatation temporelle dérivée de la métrique de Kerr s’écrit:
En novembre 2014, le film de science-fiction Interstellar (réalisation Christopher Nolan, Warner Bros Pictures, 169 minutes, 2014) sortait sur nos écrans. Véritable “blockbuster” hollywoodien, il a suscité un énorme battage médiatique, comme en témoignent les innombrables forums de discussion et articles de presse ayant fleuri au cours des jours, semaines et mois qui ont suivi. A la demande de la revue de langue anglaise Inference : International Review of Science, j’ai par la suite fait un travail d’analyse scientifique beaucoup plus développé et approfondi, publié au printemps 2015. Je vous en livre la traduction française, découpée en 6 billets. Celui-ci est le troisième.
Visualisation du disque d’accrétion
Interstellar est le premier film long métrage d’Hollywood qui tente de représenter correctement un trou noir tel qu’il apparaîtrait à un observateur proche de lui. L’image sans doute la plus captivante du film est le spectacle de Gargantua et de son disque d’accrétion se déployant tout autour et devant lui.
Un trou noir engendre des déformations extrêmes de l’espace-temps. Il crée aussi les déviations de rayons lumineux les plus fortes possibles. Cela engendre de spectaculaires illusions d’optique de type « mirage gravitationnel ». Pour les représenter, la compagnie en charge des effets spéciaux du film, Double Negative, a développé en collaboration avec Kip Thorne un logiciel capable d’intégrer les équations de propagation de la lumière dans l’espace-temps courbe du trou noir[1]. Les équations produites pour le film ont permis de décrire le mirage gravitationnel produit sur les étoiles d’arrière-plan, tel qu’il serait vu par une caméra proche de l’horizon des événements[2].
Compte tenu des immenses distances mises en jeu dans l’observation astronomique des trous noirs et de la trop faible résolution de nos télescopes actuels, aucune image détaillée de disque d’accrétion n’a encore été obtenue[3]. Mais en 1979, j’ai été le premier à simuler (en noir et blanc) l’aspect d’un disque d’accrétion mince gravitationnellement déformé par un trou noir sphérique, tel qu’il serait vu par un observateur lointain ou saisi par une plaque photographique[4]. Continuer la lecture de La physique étrange d’Interstellar (3/6): disque d’accrétion et forces de marée→
405 pages, JC Lattès, Paris, 2009 – ISBN 978-2709629027
Le 21 août 1609, à Venise, Galilée monte les escaliers du campanile de la place Saint-Marc : derrière lui les princes de la ville, de l’église et de la famille Médicis. La première démonstration officielle de sa lunette astronomique va fasciner toute l’Europe. Bientôt il fait appel aux meilleurs verriers de Murano pour ciseler des lentilles et perfectionner l’invention. Les astronomes du monde entier vont découvrir, tantôt émerveillés tantôt consternés, le spectacle des satellites de Jupiter, la surface de la Lune et les profondeurs du cosmos, qui mettent à bas l’enseignement d’Aristote au profit du système de Copernic… Pendant ce temps, à Prague, le mathématicien impérial de Rodolphe II, Johann Kepler, n’a pas attendu la lunette pour révolutionner l’astronomie. Il a déjà découvert les lois mathématiques des mouvements planétaires et les principes de base de l’optique. Lui seul comprend le fonctionnement de la lunette astronomique et peut attester de la réalité des observations de son confrère italien. L’œil de Galilée, c’est lui, Kepler. Dans son nouveau roman, Jean-Pierre Luminet conte comment ces deux géants de la science se sont progressivement apprivoisés sans jamais se rencontrer : Kepler, aux prodigieuses capacités mathématiques mais fasciné par les mondes occultes ; Galilée et son génie rationnel de la mécanique, prudent sous le regard menaçant du Saint-Office. Après Le Secret de Copernic et La discorde céleste, Jean-Pierre Luminet continue à nous faire découvrir l’histoire de ces bâtisseurs du ciel, qui ont définitivement changé notre façon de voir l’univers. Continuer la lecture de Mes romans (5) : L’Œil de Galilée→
En novembre 2014, le film de science-fiction Interstellar (réalisation Christopher Nolan, Warner Bros Pictures, 169 minutes, 2014) sortait sur nos écrans. Véritable “blockbuster” hollywoodien, il a suscité un énorme battage médiatique, comme en témoignent les innombrables forums de discussion et articles de presse ayant fleuri au cours des jours, semaines et mois qui ont suivi. A la demande de la revue de langue anglaise Inference : International Review of Science, j’ai par la suite fait un travail d’analyse scientifique beaucoup plus développé et approfondi, publié au printemps 2015. Je vous en livre la traduction française, découpée en 6 billets. Celui-ci est le deuxième.
Un trou noir supermassif en rotation rapide
Ayant franchi sans encombre le trou de ver artificiel d’Interstellar, le vaisseau spatial Endurance émerge dans un système de trois planètes gravitant autour de Gargantua, un trou noir supermassif. A première vue, une telle proximité entres les planètes et le trou noir semble invraisemblable.
Les trous noirs supermassifs, dont les masses courent de quelques millions à plusieurs milliards de masses solaires, sont censés occuper le centre de la plupart des galaxies[1]. Notre propre Voie lactée abrite un tel objet, Sagittarius A*, dont la masse mesurée indirectement vaut quatre millions de fois celle du soleil[2]. D’après Thorne, Gargantua serait semblable au trou noir encore plus gros qui se trouve au centre de la galaxie d’Andromède, rassemblant 100 millions de masses solaires[3].
Gargantua est décrit comme un trou noir supermassif en rotation rapide. Sa rotation dépend de deux paramètres: la masse M et le moment angulaire J. Contrairement aux étoiles qui sont en rotation différentielle, les trous noirs tournent de façon parfaitement rigide. Tous les points de leur surface, l’horizon des événements, se meuvent à la même vitesse angulaire. Il y a cependant une valeur critique du moment angulaire, Jmax, au-dessus de laquelle l’horizon des événements se disloque. Cette limite correspond à une surface tournant à la vitesse de la lumière. Pour de tels trous noirs dits « extrémaux », le champ de gravité à l’horizon des événements serait annulé, l’attraction gravitationnelle étant contrebalancée par d’énormes forces centrifuges répulsives. Il est bien possible que la plupart des trous noirs formés dans l’univers réel aient un moment angulaire proche de cette limite critique[4]. Continuer la lecture de La physique étrange d’Interstellar (2/6)→
Il y a tout juste un an, en novembre 2014 donc, le film de science-fiction Interstellar (réalisation Christopher Nolan, Warner Bros Pictures, 169 minutes, 2014) sortait sur nos écrans. Véritable “blockbuster” hollywoodien, il a suscité un énorme battage médiatique, comme en témoignent les innombrables forums de discussion et articles de presse ayant fleuri au cours des jours, semaines et mois qui ont suivi. Moi-même, sollicité par la presse, j’y ai un peu sacrifié de mon temps, par exemple ici sur slate.fr ou là sur figaro.fr .
A la demande de la revue de langue anglaise Inference : International Review of Science, j’ai par la suite fait un travail d’analyse scientifique beaucoup plus développé et approfondi, publié au printemps 2015. Je vous en livre ici la traduction française, découpée en 6 billets.
Petit rappel pour les lecteurs qui n’ont pas vu le film (c’est tout à fait permis!). Interstellar conte les aventures d’un groupe d’astronautes partis en quête de planètes habitables situées dans une autre galaxie, dans l’espoir d’une colonisation future. Sur Terre en effet, ravages climatiques et famines ont conduit l’humanité à chercher un nouvel habitacle dans les mondes lointains.
Le scénario d’Interstellar s’appuie en grande partie sur des développements de la physique contemporaine. Le film se réfère constamment à une vaste palette de sujets relevant de l’astrophysique, de la relativité générale et de la cosmologie, allant de concepts relativement bien établis comme les trous noirs en rotation, les disques d’accrétion, les forces de marée et les distorsions temporelles, à des idées beaucoup plus spéculatives comme les trous de ver, les dimensions spatiales supplémentaires et la « Théorie de Tout ».
La promotion d’Interstellar a beaucoup insisté sur le réalisme et la crédibilité scientifiques du film. Mention particulière a été faite de l’implication de Kip Thorne comme conseiller scientifique et producteur exécutif. Thorne a écrit un ouvrage de vulgarisation expliquant comment il avait tenté d’assurer au film la plus grande exactitude scientifique possible, malgré les exigences parfois exorbitantes des scénaristes. Selon ses dires, il a fait de son mieux[1]… Continuer la lecture de La physique étrange d’Interstellar (1/6)→
La discorde céleste : Kepler et le trésor de Tycho Brahé (Les Bâtisseurs du ciel, tome 2)
EDITION ORIGINALE
514 pages, JC Lattès, Paris, 2008 – ISBN 978-2709625678
Tycho Brahé, Johann Kepler… tout les opposait : l’âge, la naissance, la fortune, le caractère, jusqu’à leur apparence physique. Le premier, un lion, est né au Danemark ; de ses ancêtres vikings, il a gardé le cheveu flamboyant, la gloutonnerie d’un ogre, la violence barbare, prête à éclater à la moindre occasion. L’autre, un renard, est né vingt-cinq ans plus tard, en 1571, dans une misérable auberge en Forêt-Noire ; son visage est grêlé par la vérole, mangeant peu, buvant moins encore et ne riant jamais. L’un avec sa fortune va bâtir le plus grand observatoire de tous les temps sur l’île de Venusia et devient le despote du royaume d’Uranie – il accumule comme un maniaque des milliers d’observations célestes. L’ autre, frémissant d’une sorte de fièvre qui avait pour nom ” révolte “, rusant avec les puissants, courant les universités et les palais, révèle des capacités prodigieuses de penseur et de calculateur… jusqu’â la rencontre entre les deux hommes : un choc violent, passionnel, presque cruel. De ce duel sortit pourtant un grand vainqueur : la vérité sur l’Univers. Après Le Secret de Copernic, et avec ce nouveau volume de la série Les Bâtisseurs du ciel, Jean-Pierre Luminet, astrophysicien, romancier et poète, fait revivre l’affrontement de ces deux génies qui va changer la vision du monde. Continuer la lecture de Mes romans (4) : La discorde céleste→
Le secret de Copernic (Les Bâtisseurs du ciel, tome 1)
EDITION ORIGINALE
381 pages, JC Lattès, Paris, 2006 – ISBN 978-2709625968
“Le trait de lumière qui éclaire aujourd’hui le monde est parti de la petite ville de Thorn. ” C’est ainsi que Voltaire saluait le génie d’un homme dont l’esprit a effectivement révolutionné notre vision du monde. Et pourtant, en ce début de XVIe siècle en Pologne, lorsque Nicolas Copernic exerce ses multiples fonctions d’astronome, de médecin et de chanoine, les ombres sont menaçantes. Les Chevaliers teutoniques livrent leurs derniers combats, les royaumes cherchent de nouvelles alliances, la Réforme commence à fissurer l’Eglise… Au cœur de ces turbulences, Copernic va renverser les théories établies par Ptolémée et Aristote : la Terre n’est plus le centre de l’Univers, mais le Soleil ! Des ruelles de Cracovie aux universités de Bologne et de Florence, des ateliers de Nuremberg aux couloirs du Vatican, des voyages avec Dürer aux intrigues conduites par les Farnèse, ce roman qui mêle avec vivacité la science et l’histoire nous propulse dans une époque de grands changements et nous éclaire sur les débats théologiques et scientifiques de ce temps. Continuer la lecture de Mes romans (3) : Le Secret de Copernic→
En 642, les troupes du général Amrou investissent Alexandrie. Elles doivent brûler le million de livres que recèle sa célèbre Bibliothèque. Car, à Médine, le calife Omar leur a donné l’ordre d’éliminer tout ce qui va à l’encontre de l’Islam. Un vieux philosophe chrétien, un médecin juif et surtout la belle et savante Hypatie, mathématicienne et musicienne, vont tenter de dissuader Amrou de détruire le temple du savoir universel. Ils vont lui raconter la vie des savants, poètes et philosophes, qui ont vécu et travaillé dans ces murs : Euclide, mais aussi Archimède, Aristarque de Samos qui découvrit que la Terre tournait autour du Soleil, Ptolémée et tant d’autres qui payèrent de leur vie leur combat pour la vérité. Le général Amrou obéira-t-il à Omar ? Les Arabes ont-ils vraiment brûlé la Bibliothèque ? Ou bien n’a-t-elle été victime, au fil des siècles, que de la folie des hommes ? En racontant le destin exceptionnel de ces grands esprits de l’Antiquité, Jean-Pierre Luminet alterne l’épopée, la nouvelle et le conte philosophique, dissimulant son érudition derrière une plume inspirée par l’humour et la poésie. Continuer la lecture de Mes romans (2) : Le bâton d’Euclide→
Une année, 1761. Un siècle, celui des Lumières. Un événement astronomique, hors du commun. Et trois jeunes mousquetaires de l’Académie des Sciences, prêts à tout pour être les premiers au Rendez-vous de Vénus … Ainsi commence la plus véridique et la plus folle des aventures scientifiques qui aura mis l’Europe des Encyclopédistes en ébullition. Grâce au double passage, à huit ans d’intervalle, de Vénus sur le Soleil, il ne s’agit pas moins que de mesurer la dimension de l’univers! Déjà, de toutes les capitales, des dizaines de savants sont partis aux quatre coins du monde, en observation. De Paris, Lalande, le narrateur, suit et orchestre le périple de Chappe qui court de la Sibérie au Mexique, les pérégrinations de Le Gentil qui erre, lui, dans l’océan Indien. Rivaux, les trois amis le sont en science mais surtout en amour. Lequel d’entre eux ravira le cœur de la belle Reine Lepaute, mathématicienne surdouée … et vénus bien terrestre? Tant il est vrai qu’à suivre la planète des amours, leur quête deviendra vite celle de la Toison d’Or. Continuer la lecture de Mes romans (1) : Le rendez-vous de Vénus→
Septième et dernière livraison des recensions de livres de culture scientifique que j’avais rédigées pour la défunte revue Vient de Paraître. Toujours disponibles et d’actualité.
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Pierre Cassou-Noguès : Les démons de Gödel, logique et folie
Kurt Gödel (1906-1978) fut l’un des plus grands logiciens de l’histoire. Son théorème d’incomplétude, publié en 1931 à l’âge de vingt-cinq ans, est peut-être la proposition mathématique la plus significative du XXe siècle. Il a bouleversé les fondements des mathématiques et fait l’objet de commentaires philosophiques sans fin, comme d’exploitations abusives sans nombre.
J’eus le vertige et je pleurai car mes yeux avaient vu cet objet secret et conjectural dont les hommes usurpent le nom, mais qu’aucun homme n’a regardé : l’inconcevable univers. Jorge Luis Borges, L’Aleph (1949)