Lu récemment cet extraordinaire mais peu connu conte de Guy de Maupassant, paru en 1887. Maupassant s’est sans doute inspiré d’un passage de “Terres du ciel” de Flammarion, dont on retrouve toutes les données scientifiques précises, à peine reformulées. L’astronome y disait, entre autres : “II est bien probable qu’en raison de la disposition toute particulière des choses, la série zoologique martiale s’est développée de préférence par la succession des espèces ailées. La conclusion naturelle est que les espèces animales supérieures y sont munies d’ailes.”
Peut-être Maupassant avait-il eu aussi connaissance d’un texte étrange, paru en 1865, signé François-Henri Peudefer de Parville et intitulé “Un habitant de la planète Mars “: on y découvrait le cadavre calcifié d’un extra-terrestre dont le tombeau, arraché au sol de notre voisine par le choc d’un astéroïde, était tombé sur Terre à l’époque paléolithique.
C’est le seul conte d’inspiration purement scientifique de l’auteur du “Horla”. [1] Je le reproduis entièrement ci-dessous, mais je me suis permis d’y intercaler des illustrations reliées au contenu. Continuer la lecture →
Un de mes « distingués » collègues, dont je tairai poliment le nom mais qui est suffisamment connu par ses nombreux ouvrages de vulgarisation pour que beaucoup devinent son identité, va délivrer en janvier prochain, à Paris et à grand renfort de publicité, une conférence grand public intitulée « Du Big Bang à l’homme, une grande fresque cosmique avec des implications philosophiques. »
Son texte de présentation, que l’on peut trouver sur internet, est le suivant :
« Depuis 1543, quand Copernic a délogé la Terre de sa place centrale dans l’univers, les découvertes scientifiques n’ont cessé de rapetisser la place de l’homme dans le cosmos, à la fois dans l’espace et dans le temps. Nous avons assisté à un désenchantement du monde, faisant écho au fameux cri d’angoisse de Pascal: “Le silence éternel des espaces infinis m’effraie”. Mais XXX nous montrera comment la cosmologie moderne a réenchanté le monde et redécouvert l’ancienne alliance entre l’homme et le cosmos: nous sommes tous des poussières d’étoiles. La science nous apprend que l’univers a été réglé de façon extrêmement précise pour permettre l’émergence de la vie et de la conscience. Si l’univers est si grand, c’est pour permettre la présence d’un Observateur qui va s’émerveiller devant sa beauté, son harmonie et sa complexité, et lui donner un sens. »
Reprenons et commentons phrase après phrase.
• « Depuis 1543, quand Copernic a délogé la Terre de sa place centrale dans l’univers […] »
Pareille formulation, devenue un poncif de l’histoire des sciences, est pour le moins malheureuse. Copernic ne s’est certainement pas transformé en un géant qui, pareil à Atlas, aurait porté notre planète sur ses épaules pour l’arracher de sa position supposée fixe au centre de l’Univers et la faire virevolter autour du Soleil. Il s’est contenté – et c’est déjà énorme – de reprendre et développer l’hypothèse cosmologique dite héliocentrique, selon laquelle la Terre est animée d’un double mouvement : rotation sur elle-même en 24 heures et révolution autour du Soleil en une année. Continuer la lecture →
En novembre 2014, le film de science-fiction Interstellar (réalisation Christopher Nolan, Warner Bros Pictures, 169 minutes, 2014) sortait sur nos écrans. Véritable “blockbuster” hollywoodien, il a suscité un énorme battage médiatique, comme en témoignent les innombrables forums de discussion et articles de presse ayant fleuri au cours des jours, semaines et mois qui ont suivi. A la demande de la revue de langue anglaise Inference : International Review of Science, j’ai par la suite fait un travail d’analyse scientifique beaucoup plus développé et approfondi, publié au printemps 2015. Je vous en livre la traduction française, découpée en 6 billets. Celui-ci est le deuxième.
Un trou noir supermassif en rotation rapide
Ayant franchi sans encombre le trou de ver artificiel d’Interstellar, le vaisseau spatial Endurance émerge dans un système de trois planètes gravitant autour de Gargantua, un trou noir supermassif. A première vue, une telle proximité entres les planètes et le trou noir semble invraisemblable.
Les trous noirs supermassifs, dont les masses courent de quelques millions à plusieurs milliards de masses solaires, sont censés occuper le centre de la plupart des galaxies[1]. Notre propre Voie lactée abrite un tel objet, Sagittarius A*, dont la masse mesurée indirectement vaut quatre millions de fois celle du soleil[2]. D’après Thorne, Gargantua serait semblable au trou noir encore plus gros qui se trouve au centre de la galaxie d’Andromède, rassemblant 100 millions de masses solaires[3].
Gargantua est décrit comme un trou noir supermassif en rotation rapide. Sa rotation dépend de deux paramètres: la masse M et le moment angulaire J. Contrairement aux étoiles qui sont en rotation différentielle, les trous noirs tournent de façon parfaitement rigide. Tous les points de leur surface, l’horizon des événements, se meuvent à la même vitesse angulaire. Il y a cependant une valeur critique du moment angulaire, Jmax, au-dessus de laquelle l’horizon des événements se disloque. Cette limite correspond à une surface tournant à la vitesse de la lumière. Pour de tels trous noirs dits « extrémaux », le champ de gravité à l’horizon des événements serait annulé, l’attraction gravitationnelle étant contrebalancée par d’énormes forces centrifuges répulsives. Il est bien possible que la plupart des trous noirs formés dans l’univers réel aient un moment angulaire proche de cette limite critique[4]. Continuer la lecture →
Il y a tout juste un an, en novembre 2014 donc, le film de science-fiction Interstellar (réalisation Christopher Nolan, Warner Bros Pictures, 169 minutes, 2014) sortait sur nos écrans. Véritable “blockbuster” hollywoodien, il a suscité un énorme battage médiatique, comme en témoignent les innombrables forums de discussion et articles de presse ayant fleuri au cours des jours, semaines et mois qui ont suivi. Moi-même, sollicité par la presse, j’y ai un peu sacrifié de mon temps, par exemple ici sur slate.fr ou là sur figaro.fr .
A la demande de la revue de langue anglaise Inference : International Review of Science, j’ai par la suite fait un travail d’analyse scientifique beaucoup plus développé et approfondi, publié au printemps 2015. Je vous en livre ici la traduction française, découpée en 6 billets.
Petit rappel pour les lecteurs qui n’ont pas vu le film (c’est tout à fait permis!). Interstellar conte les aventures d’un groupe d’astronautes partis en quête de planètes habitables situées dans une autre galaxie, dans l’espoir d’une colonisation future. Sur Terre en effet, ravages climatiques et famines ont conduit l’humanité à chercher un nouvel habitacle dans les mondes lointains.
Le scénario d’Interstellar s’appuie en grande partie sur des développements de la physique contemporaine. Le film se réfère constamment à une vaste palette de sujets relevant de l’astrophysique, de la relativité générale et de la cosmologie, allant de concepts relativement bien établis comme les trous noirs en rotation, les disques d’accrétion, les forces de marée et les distorsions temporelles, à des idées beaucoup plus spéculatives comme les trous de ver, les dimensions spatiales supplémentaires et la « Théorie de Tout ».
La promotion d’Interstellar a beaucoup insisté sur le réalisme et la crédibilité scientifiques du film. Mention particulière a été faite de l’implication de Kip Thorne comme conseiller scientifique et producteur exécutif. Thorne a écrit un ouvrage de vulgarisation expliquant comment il avait tenté d’assurer au film la plus grande exactitude scientifique possible, malgré les exigences parfois exorbitantes des scénaristes. Selon ses dires, il a fait de son mieux[1]… Continuer la lecture →
La discorde céleste : Kepler et le trésor de Tycho Brahé (Les Bâtisseurs du ciel, tome 2)
EDITION ORIGINALE
514 pages, JC Lattès, Paris, 2008 – ISBN 978-2709625678
Tycho Brahé, Johann Kepler… tout les opposait : l’âge, la naissance, la fortune, le caractère, jusqu’à leur apparence physique. Le premier, un lion, est né au Danemark ; de ses ancêtres vikings, il a gardé le cheveu flamboyant, la gloutonnerie d’un ogre, la violence barbare, prête à éclater à la moindre occasion. L’autre, un renard, est né vingt-cinq ans plus tard, en 1571, dans une misérable auberge en Forêt-Noire ; son visage est grêlé par la vérole, mangeant peu, buvant moins encore et ne riant jamais. L’un avec sa fortune va bâtir le plus grand observatoire de tous les temps sur l’île de Venusia et devient le despote du royaume d’Uranie – il accumule comme un maniaque des milliers d’observations célestes. L’ autre, frémissant d’une sorte de fièvre qui avait pour nom ” révolte “, rusant avec les puissants, courant les universités et les palais, révèle des capacités prodigieuses de penseur et de calculateur… jusqu’â la rencontre entre les deux hommes : un choc violent, passionnel, presque cruel. De ce duel sortit pourtant un grand vainqueur : la vérité sur l’Univers. Après Le Secret de Copernic, et avec ce nouveau volume de la série Les Bâtisseurs du ciel, Jean-Pierre Luminet, astrophysicien, romancier et poète, fait revivre l’affrontement de ces deux génies qui va changer la vision du monde. Continuer la lecture →
Charles Dobzynski, écrivain et poète français d’origine polonaise, nous a quittés il y a un an, le 26 septembre 2014. Ayant eu le privilège de le connaître, je lui rends ici un bref hommage.
Ma première rencontre avec son œuvre remonte à 1995. Je préparais alors une vaste anthologie de textes poétiques inspirés par le cosmos[1], et au cours de mes recherches bibliographiques j’étais tombé sur son extraordinaire recueil L’Opéra de l’Espace, publié en 1963 aux éditions Gallimard. J’avais été fasciné de voir comment un poète, de formation essentiellement littéraire, avait su intégrer avec autant de talent et de pertinence les découvertes astrophysiques du XXe siècle.
J’ai ensuite rencontré Charles Dobzynski en personne en 1998 aux Biennales Internationales de Poésie de Liège. Leur regretté fondateur, Arthur Haulot, m’avait invité à donner la conférence d’ouverture, que j’avais intitulée « L’univers, conquête ou servitude ». Le matin, au petit déjeuner de l’hôtel où tous les invités étaient logés, j’avais été très ému de voir soudainement arriver Charles Dobzynski, en compagnie de son épouse. Je m’étais présenté à lui, et le contact humain s’était aussitôt établi. Certes, Charles avait lu mon anthologie et apprécié les louanges que j’avais accordées à son Opéra de l’Espace ; mais surtout, il était resté authentiquement passionné par tout ce qui avait trait aux sciences de l’univers. Et c’est avec une sorte de gourmandise d’enfant qu’entre croissant et café, il m’avait bombardé de mille et une questions, toutes fort pertinentes, sur les trous noirs, le big bang et autres mystères du cosmos. Continuer la lecture →
Une étoile nouvelle fut observée en 1054 par les astronomes chinois : l’astre resta visible de nuit dura deux années, puis s’éclipsa.
Tout fut oublié jusqu’à ce que John Bevis, astronome amateur anglais, découvre en 1731 une nébuleuse dans la constellation du Taureau.
Au titre d’objet diffus, elle fut classée en no 1 dans le célèbre catalogue de Messier, et plus joliment baptisée « nébuleuse du Crabe » par lord Rosse, qui étudia sa forme en 1844. En 1919, à la faveur d’une traduction d’annales d’astronomie chinoise, le Suédois Lundmark fit le rapprochement entre cette brillante nébuleuse de gaz chaud en expansion et l’étoile nouvelle de 1054, situées dans la même région du ciel. En 1928, Edwin Hubble mesura la vitesse d’expansion de la nébuleuse du Crabe et lui attribua un âge d’environ 900 ans, en bon accord avec la « date d’explosion » de 1054. L’identification entre l’étoile en explosion et son résidu gazeux ne faisait dès lors plus de doute. Continuer la lecture →
Le secret de Copernic (Les Bâtisseurs du ciel, tome 1)
EDITION ORIGINALE
381 pages, JC Lattès, Paris, 2006 – ISBN 978-2709625968
“Le trait de lumière qui éclaire aujourd’hui le monde est parti de la petite ville de Thorn. ” C’est ainsi que Voltaire saluait le génie d’un homme dont l’esprit a effectivement révolutionné notre vision du monde. Et pourtant, en ce début de XVIe siècle en Pologne, lorsque Nicolas Copernic exerce ses multiples fonctions d’astronome, de médecin et de chanoine, les ombres sont menaçantes. Les Chevaliers teutoniques livrent leurs derniers combats, les royaumes cherchent de nouvelles alliances, la Réforme commence à fissurer l’Eglise… Au cœur de ces turbulences, Copernic va renverser les théories établies par Ptolémée et Aristote : la Terre n’est plus le centre de l’Univers, mais le Soleil ! Des ruelles de Cracovie aux universités de Bologne et de Florence, des ateliers de Nuremberg aux couloirs du Vatican, des voyages avec Dürer aux intrigues conduites par les Farnèse, ce roman qui mêle avec vivacité la science et l’histoire nous propulse dans une époque de grands changements et nous éclaire sur les débats théologiques et scientifiques de ce temps. Continuer la lecture →
Ne manquez surtout pas l’éclipse totale de Lune durant la nuit du 27 au 28 septembre (entre 2 et 6h du matin), dussiez-vous passer une nuit quasi-blanche. Les augures météorologiques sont en effet favorables sur toute la France, et l’éclipse devrait être particulièrement spectaculaire dans la mesure où elle occultera une “super-Lune” (on parle de super-Lune car la taille de notre satellite, en raison de sa distance minimale à la Terre, paraîtra près de 14 % plus grande que d’ordinaire à l’œil nu). Et une belle teinte rouge sang est à prévoir. Teinte, justement, qui a alimenté de nombreuses superstitions et frappé les imaginations…
Pour vous faire patienter, dans ce billet je recense par ordre chronologique quelques grandes éclipses de Lune du passé, qualifiées de “mémorables” parce qu’elles ont été associées à des événements ou à des périodes historiques importants. Certaines d’entre elles ont même pu influencer le cours de l’histoire humaine… Leurs dates sont données dans le calendrier julien jusqu’en 1582, dans le calendrier grégorien après. Le recensement s’arrête au milieu du XIXe siècle, non pas que depuis lors la planète n’ait point connu de grandes éclipses, mais parce qu’à partir de cette époque, la majorité des peuples ont abandonné leurs mythes et leurs superstitions vis-à-vis de ces phénomènes célestes. Ce sont alors les savants qui ont pris le relais de l’histoire, pour fonder, grâce en partie aux éclipses, une nouvelle légende : celle de l’astrophysique moderne, qui a conduit à la connaissance scientifique profonde de notre système solaire. Continuer la lecture →
En 642, les troupes du général Amrou investissent Alexandrie. Elles doivent brûler le million de livres que recèle sa célèbre Bibliothèque. Car, à Médine, le calife Omar leur a donné l’ordre d’éliminer tout ce qui va à l’encontre de l’Islam. Un vieux philosophe chrétien, un médecin juif et surtout la belle et savante Hypatie, mathématicienne et musicienne, vont tenter de dissuader Amrou de détruire le temple du savoir universel. Ils vont lui raconter la vie des savants, poètes et philosophes, qui ont vécu et travaillé dans ces murs : Euclide, mais aussi Archimède, Aristarque de Samos qui découvrit que la Terre tournait autour du Soleil, Ptolémée et tant d’autres qui payèrent de leur vie leur combat pour la vérité. Le général Amrou obéira-t-il à Omar ? Les Arabes ont-ils vraiment brûlé la Bibliothèque ? Ou bien n’a-t-elle été victime, au fil des siècles, que de la folie des hommes ? En racontant le destin exceptionnel de ces grands esprits de l’Antiquité, Jean-Pierre Luminet alterne l’épopée, la nouvelle et le conte philosophique, dissimulant son érudition derrière une plume inspirée par l’humour et la poésie. Continuer la lecture →
Une année, 1761. Un siècle, celui des Lumières. Un événement astronomique, hors du commun. Et trois jeunes mousquetaires de l’Académie des Sciences, prêts à tout pour être les premiers au Rendez-vous de Vénus … Ainsi commence la plus véridique et la plus folle des aventures scientifiques qui aura mis l’Europe des Encyclopédistes en ébullition. Grâce au double passage, à huit ans d’intervalle, de Vénus sur le Soleil, il ne s’agit pas moins que de mesurer la dimension de l’univers! Déjà, de toutes les capitales, des dizaines de savants sont partis aux quatre coins du monde, en observation. De Paris, Lalande, le narrateur, suit et orchestre le périple de Chappe qui court de la Sibérie au Mexique, les pérégrinations de Le Gentil qui erre, lui, dans l’océan Indien. Rivaux, les trois amis le sont en science mais surtout en amour. Lequel d’entre eux ravira le cœur de la belle Reine Lepaute, mathématicienne surdouée … et vénus bien terrestre? Tant il est vrai qu’à suivre la planète des amours, leur quête deviendra vite celle de la Toison d’Or. Continuer la lecture →
Au XIVe siècle, le philosophe franciscain Guillaume d’Ockham (1280-1349) écrivit : « il est inutile d’accomplir par un plus grand nombre de moyens ce qu’un nombre moindre de moyens suffit à produire. […] Quand des choses doivent rendre vraie une proposition, si deux choses suffisent à produire cet effet, il est superflu d’en mettre trois.»
En d’autres termes, dans un ensemble de modèles expliquant des faits, la préférence doit être donnée à celui qui fait appel au nombre minimal d’hypothèses.
Tout au long de l’histoire de la pensée, depuis l’Antiquité grecque jusqu’aux développements les plus récents de la physique et de la cosmologie, ce « principe de simplicité », appelé aussi « rasoir d’Ockham » car il peut servir de critère épistémologique pour trancher entre les différents modèles d’un phénomène donné, a joué un rôle-clé dans l’élaboration des modèles scientifiques, philosophiques, voire économiques (d’ailleurs, empreint d’une pensée pragmatique anglo-saxonne, il est aussi appelé « principe d’économie »).
Le critère doit cependant être appliqué avec beaucoup de prudence. Par exemple, il ne signifie pas nécessairement qu’il faille préférer l’hypothèse la plus simple. Il ne faut pas confondre simplicité et simplification, encore moins ce qui est simple avec ce qui est simpliste. J’en veux pour preuve les trois explications suivantes des mouvements célestes. Continuer la lecture →
Ma vocation première fut le rêve. Non pas la rêverie stérile, mais l’interrogation sans cesse renouvelée devant le mystère de la nature. Je suis né à la campagne, près de Cavaillon, dans un endroit assez isolé, et je passais le plus clair de mon temps, seul, à jouer dans mon jardin. J’ai toujours beaucoup aimé cette solitude qui a développé ma curiosité pour les phénomènes inexpliqués qui m’environnaient. Plutôt théoricien qu’expérimentateur, je n’ai jamais eu l’envie de démonter un poste de radio ; en revanche, la beauté du ciel provençal me portait à la méditation sur de grandes questions : qu’est-ce que le noir ? Qu’est-ce que l’espace ou l’invisible ? Bien des années plus tard, j’ai découvert une magnifique citation d’Héraclite qui est devenue presque une devise chez moi : la nature aime se cacher et l’harmonie de l’invisible est plus belle que l’harmonie du visible. Je m’aperçois a posteriori, quand je réfléchis à tout ce que j’ai pu faire, en sciences et ailleurs, que j’ai toujours travaillé sur cet invisible : par exemple, comment faire jaillir la lumière du noir ? C’est une question de poète autant que d’astrophysicien. D’ailleurs, c’est plutôt la poésie qui fut dans l’enfance mon moyen privilégié d’expression. Toute discipline qui permettait d’exercer une certaine créativité m’intéressait : outre mes carnets de poésie, je faisais du dessin, et plus tard je me pris d’une passion violente pour la musique. Tant et si bien qu’à l’adolescence, de nombreuses possibilités s’offraient à moi. Je n’avais pas de vocation au sens d’un désir enraciné de me diriger vers un métier bien défini. Mais, si je n’avais pas commencé si tard, j’aurais volontiers rêvé de devenir chef d’orchestre ou compositeur. Continuer la lecture →
Septième et dernière livraison des recensions de livres de culture scientifique que j’avais rédigées pour la défunte revue Vient de Paraître. Toujours disponibles et d’actualité.
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Pierre Cassou-Noguès : Les démons de Gödel, logique et folie
Kurt Gödel (1906-1978) fut l’un des plus grands logiciens de l’histoire. Son théorème d’incomplétude, publié en 1931 à l’âge de vingt-cinq ans, est peut-être la proposition mathématique la plus significative du XXe siècle. Il a bouleversé les fondements des mathématiques et fait l’objet de commentaires philosophiques sans fin, comme d’exploitations abusives sans nombre.
De grands défis semblent menacer la planète entière : la faim dans le monde, le manque d’eau potable, le pillage des matières premières, le réchauffement climatique, l’organisation chaotique des finances mondiales, le retour de l’irrationnel et des fondamentalismes, les bouffées de violence qui éclatent un peu partout. La recherche scientifique est-elle le moyen de répondre à ces défis, ou bien un simple outil parmi d’autres ?
Devant l’ampleur des problèmes posés, nous ne sommes pas assurés du succès, mais nous pouvons être certains de l’échec si la recherche scientifique n’était pas mise au premier plan et considérée comme une priorité absolue. Car la recherche est une activité stratégique qui concerne la société tout entière. Certes, pour une partie du public informé et les dirigeants avisés, l’investissement dans la recherche est une évidence, mais devant le nombre de fois où la question « À quoi ça sert? » est posée dans les médias ou dans les parlements, il est utile de rappeler avec force quelques vertus cardinales de la recherche, et d’illustrer ces vertus par des exemples puisés dans ma propre discipline, les sciences de l’univers – lesquelles semblent pourtant, à première vue, les plus éloignées des préoccupations de ce « bas monde ».
« Ce n’est pas seulement aux oiseaux que je m’adresse comme à des frères ; le soleil, la lune, le vent, le feu, tous sont des frères et des soeurs. » Saint François d’Assise
Nous, les hommes, nous vivons sur notre Terre depuis deux millions d’années. Depuis quatre siècles seulement nous savons que notre berceau est une planète parmi les autres, roulant sur son orbite autour du soleil. Et voici ce que nous ne savons pas encore : Terre, toi qui nous a tenus dans tes flancs, n’es-tu qu’un vaisseau aveugle en marche dans l’espace ? N’es-tu qu’un fragile grain de poussière perdu dans l’immensité, tandis que là-haut, les étoiles sont indifférentes ? Astronome, je sais bien que les astres que nous interrogeons renvoient intacte LA question. Dépouillons-nous alors de l’habit du savant et livrons-nous à la parole du poète, du « rêveur d’univers ».
Je suis à genoux ici, sur cette petite Terre, devant l’immensité, devant le cercle lumineux de l’espace. Je ferme les yeux, élève mon esprit, quitte la Terre, et me lance en pensée par-delà l’abîme, par-delà tout ce qui est visible. Et, lorsque je les rouvre, je contemple et je reçois.
L’étude de l’univers dans son ensemble, c’est-à-dire la cosmologie, requiert la connaissance de certaines constantes fondamentales, même si certaines – comme la constante de Hubble – peuvent varier sur de très longues périodes de temps.
La cosmologie a émergé en tant que science il y a moins d’un siècle après la publication des premiers articles d’Einstein, Friedmann et De Sitter vers 1920, puis la découverte de l’expansion de l’Univers par Lemaître et Hubble. Jusqu’alors, beaucoup pensaient même que l’Univers se limitait à la Voie lactée et que les « nébuleuses spirales » étaient de simples nuages de gaz qui en faisait partie. Depuis, on a découvert que l’Univers – du moins celui que nous pouvons observer – a un diamètre un million de fois plus grand que celui de la Voie Lactée, qu’il est né il y a quatorze milliards d’années et qu’il est en expansion depuis, qu’il a une géométrie de courbure proche de zéro, et qu’après s’être ralentie, son expansion s’accélère depuis quelques milliards d’années. Mais toutes ces découvertes ne se sont pas faites sans mal, et elles ont été accompagnées de violentes controverses et de remises en cause parfois douloureuses. Continuer la lecture →
Je considère que Dieu est une très puissante invention de l’espèce humaine conçue pour briser son angoisse devant la mort et espérer une vie moins difficile dans un hypothétique au-delà. Par la suite, des hommes avides de pouvoir ont instauré les religions et leurs dogmes qui, sous prétexte de définir une morale, n’ont pour véritable but que de contrôler la liberté de pensée des individus.
– Pourquoi « Dieu » (ou pourquoi pas) dans votre vie ?
Après avoir subi dans mon enfance une éducation religieuse, puis être passé par une phase d’agnosticisme, je suis devenu résolument athée. Donc, aucun Dieu, ni dans ma vie de scientifique, ni dans celle d’être sensible. Dieu et la science ne jouent pas sur le même terrain. Il n’y a donc pas à les opposer, ni à les unir. On ne peut pas faire de raisonnement scientifique sur Dieu, encore moins d’expériences ou de recherches de détection. Seules nos convictions nous guident dans notre pensée, nos choix, nos actes. Continuer la lecture →
La certitude astronomique n’est pas, aujourd’hui même, si grande que la rêverie ne puisse se loger dans les vastes lacunes non encore explorées par la science moderne. Charles Baudelaire, L’Art Romantique
Existe-t-il un génie onirique ? Question complexe mais ô combien fascinante pour tous ceux qui s’intéressent aux différentes formes de la créativité. Pour ma part je suis convaincu (pour avoir pratiqué les deux) que la création artistique et la création scientifique exigent un même effort de discipline et de concentration, même si pour parvenir au but cherché, les moyens d’expression et les états intellectuels ou émotionnels sont différents. Parmi ces états mentaux, nul doute que l’état de rêve (éveillé ou pas) est propice à l’intuition scientifique, en particulier l’intuition cosmologique. La cosmologie consiste à parler de l’univers comme une totalité, à se placer en quelque sorte comme extérieur à lui. Les récits cosmologiques historiquement connus comme ceux de Platon, de Cicéron, de Dante ou de Kepler, mettent en jeu des êtres “exceptionnels”, capables de raconter leur expérience de l’inexpérimentable. Ceci n’est d’ailleurs pas sans rappeler certains récits de “near-death expérience”.
Ci-dessous, 25 citations sur le temps – certaines très connues, d’autres forcément moins. Sauriez-vous les attribuer aux 15 auteurs mentionnés à la fin ( certains auteurs ayant donc à leur actif plusieurs citations) ?
1. Rien n’est permanent sauf le changement
2. Le temps a commencé avec la matière le ciel et le mouvement du ciel
3. Le temps absolu vrai et mathématique qui est sans relation à quoi que ce soit d’extérieur en lui-même et de sa nature coule uniformément on l’appelle aussi durée
4. Le papillon ne compte pas les mois mais les instants et il a assez de temps
5. Tu vois mon fils espace et temps ici ne font plus qu’un
6. Le temps n’a pas la même allure pour tout le monde
7. Si l’on inverse le sens du temps dans les équations de la physique traditionnelle rien ne change fondamentalement
8. Le temps est un enfant qui joue
9. De même que le monde n’a pas de dehors n’a pas d’au-delà puisqu’il contient et embrasse toute chose de même le temps qui a commencé à la création du Monde n’a pas d’auparavant ni de précédemment puisqu’il contient en lui tous les temps qui sont ses parties.
10. Le temps c’est ce qui empêche tous les événements de l’univers de se produire en une seule fois Continuer la lecture →
J’eus le vertige et je pleurai car mes yeux avaient vu cet objet secret et conjectural dont les hommes usurpent le nom, mais qu’aucun homme n’a regardé : l’inconcevable univers. Jorge Luis Borges, L’Aleph (1949)