« Je veux dessiner chaque jour, afin d’emporter avec moi les croquis des endroits dont je désire conserver le souvenir »
On ignore généralement que Félix Mendelssohn (1809-1847), compositeur, chef d’orchestre et pianiste prodige du début de la période romantique, fut également un dessinateur et un peintre amateur accompli.
Dans l’environnement intellectuel et culturel de sa famille (son père, Abraham Mendelssohn, était fils du philosophe Moses Mendelssohn), Félix – ainsi que sa sœur Fanny – reçoit en effet une éducation humaniste des plus abouties, laquelle comprend naturellement le dessin. Surdoué dans toutes les matières qu’il touche (Liszt admirera sa capacité à jouer, en plus du piano, le violon, l’alto, et le violoncelle, et sa connaissance aboutie des langues vivantes et anciennes), Félix s’adonne donc au dessin et à la peinture – essentiellement l’aquarelle.
Les voyages faisant également partie de sa formation, dès 1829, il part pour un voyage en Angleterre et en Écosse.
En 1831, après avoir été présenté à Goethe à Weimar (qui l’a comparé à Mozart) et la lecture de son « Voyage en Italie », il séjourne longuement dans ce pays, notamment à Rome (où il rencontre Hector Berlioz, alors pensionnaire à la Villa Médicis), et Naples.
Je ne m’en prendrai pas ici à l’effroyable désinformation scientifique concernant les sujets de la santé, du climat ou encore des conflits géopolitiques, complaisamment relayée par 90 % des médias français aux mains d’un poignée de milliardaires représentants l’oligarchie mondialiste.
Non, je m’en tiendrai à ma propre discipline, la cosmologie, pour laquelle je pense avoir quelques compétences et avis pertinents, que d’aucuns me dénient dès que je sors du sujet sur les réseaux sociaux (voir par exemple mon récent Journal Idéoclaste” aux éditions du Chien qu passe.)
Certes, les enjeux sociétaux de la cosmologie paraissent minimes – du moins sur les temps courts de l’humanité – par rapport aux sujets précédents, mais l’exemple que je vais donner (parmi des centaines d’autres), un peu technique pour certains de mes lecteurs non avertis, illustre bien à mon sens le délitement général, le manque de rigueur et le laisser-aller qui ont envahi tous les secteurs de la pensée humaine, y compris ceux que l’on pouvait croire de haut étage et des plus fiables comme celui des sciences de l’univers.
Certes il n’est pas neuf que les médias soient toujours plus avides de “scoops” et de gros titres aguicheurs annonçant des nouvelles prétendument révolutionnaires, afin d’attirer les lecteurs. Dernières dérives en date, quasi hebdomadaires : toutes les nouvelles observations du JWST sont annoncées comme remettant en cause toute notre compréhension de l’univers, alors qu’un œil professionnel et objectif sait parfaitement que, loin de contredire le modèle standard, elles ne font que le rendre plus solide en lui imposant de s’affiner pour être encore plus efficace. Je me désole depuis longtemps que cette pratique systématique du sensationnalisme ait aussi envahi les agences de communication scientifique a priori respectables comme la NASA et les agences spatiales, les organismes de recherche comme le CNRS, les laboratoires de recherche et les universités.
Mais venons-en enfin à mon exemple précis.
« Pesée d’un trou noir supermassif situé à 11 milliards d’années-lumière », peut-on lire sur le site d’actualité du très respectable laboratoire Lagrange à Nice. Même son de cloche sur le site de l’Observatoire de Lyon, celui du CNRS qui reprend mot pour mot le titre sans faire la moindre vérification ni, pire, remonter à la source de l’article technique original, ou encore sur Futura Sciences, ce site d’informations scientifiques généralistes qui héberge ce blog et que je parraine, tout en me demandant chaque jour si je vais continuer à le faire compte tenu de leurs prises de positions partiales, archi-conformistes et orientées pour tout ce qui concerne la santé et le climat et que j’abhorre car elles visent à créer de l’anxiété chez leurs lecteurs.
Revenons à nos moutons galactiques. Tous ces communiqués de presse mentionnent à juste titre les remarquables et récentes observations de la galaxie SDSS J092034.17+065718.0 (nom impossible à retenir) abritant un gros trou noir situé à 11 milliards d’années-lumière. Ils font état d’une très belle mesure récemment effectuée par l’instrument Gravity+ installé au VLT du Chili, ayant permis de détecter avec une précision extraordinaire le mouvement de nuages de gaz gravitant autour du présumé trou noir central de la très lointaine galaxie J09xxx et d’en déduire la masse de ce dernier : 320 millions de masses solaires. Au-delà de l’exploit technique que cela représente, il s’agit d’un résultat d’autant plus intéressant que, d’après les modèles de coévolution des trous noirs supermassifs avec leurs galaxies hôtes, ce trou noir-là est quatre fois moins massif qu’attendu par le modèle proposé il y a de nombreuses années par l’astronome Kormendy, dont la généralité a pourtant déjà été maintes fois démentie par de nombreux cas particuliers.
Alors qu’est-ce qui cloche dans l’information donnée ? Hé bien C’EST LA DISTANCE.
Comme je m’évertue à l’écrire depuis des dizaines d’années dans tous mes livres et articles de cosmologie (apparemment en vain), mais surtout comme le veut le B-A BA de la cosmologie relativiste, la distance en années-lumière d’un objet céleste N’EST PAS STRICTEMENT EQUIVALENTE au temps que la lumière a mis pour nous parvenir (« temps de regard en arrière », en anglais « lookback time »).
Il y a certes une équivalence directe pour les distances cosmologiques faibles : une étoile dont la lumière met dix mille années pour nous parvenir est bel et bien située à dix mille années-lumière. Idem pour une galaxie située à deux cents millions d’années-lumière : son temps de regard en arrière est deux cents millions d’années. Mais il se trouve que l’univers est en expansion, et qu’à suffisamment grande échelle, la correspondance numérique distance/temps de regard en arrière cesse d’être valide. En x milliards d’années, la lumière a parcouru plus de x milliards d’années-lumière pour nous parvenir, car durant ce long intervalle de temps, l’espace a significativement allongé son trajet réel. Dans mon livre je donne l’exemple simple d’une fourmi circulant à la surface d’un ballon à la vitesse maximale d’un centimètre par seconde ; mais si le ballon gonfle en même temps, le parcours effectif de la fourmi au bout de dix secondes sera supérieur à 10 centimètres (temps de parcours multiplié par la vitesse propre) : il faut rajouter la vitesse d’expansion du ballon!
De fait nous disposons de formules précises, issues du modèle standard de la cosmologie, qui permettent de calculer tout cela, même si les formules ne sont pas simplissimes.
Primo il faut savoir que la distance d’une galaxie lointaine se mesure à partir de son décalage spectral vers le rouge (son « redshift »), d’où l’on déduit par une petite intégrale le temps de regard en arrière, et la distance. Comme je ne peux pas ici écrire de formules compliquées, pour les intéressés j’ai fait des copies d’écran que j’attache ci-dessous en images. Pour faire bref, le redshift mesuré de la galaxie J09xxx est 2.3, ce qui donne bien un temps de regard en arrière de 11 milliards d’années… MAIS UNE DISTANCE DE 22,17 MILLIARDS D’ANNEES-LUMIERE ! Une erreur d’un facteur deux quand même, par rapport à ce qui est annoncé dans les communiqués de presse susmentionnés.
Je note au passage que les communiqués de presse anglo-saxons sont (sur ce coup-là, mais pas toujours) plus corrects, en indiquant « at redshift z = 2.3, light travels to us for about 11 billion years », sans mentionner la distance. D’ailleurs, l‘article technique original, publié le 29 janvier dans la célèbre revue Nature et sur lequel auraient dus s’appuyer les communiqués de presse, se contente de titrer très justement : “A dynamical measure of the black hole mass in a quasar 11 billion years ago”.
Un indicateur de plus de la dégringolade française tous secteurs confondus?
Seconde partie amusante mais plus technique de ce billet, pour les personnes intéressées.
Je connais bien sûr (mais pas par cœur) les formules cosmologiques permettant de faire le calcul. Mais, un peu paresseux et sans calculette à portée de main, j’ai voulu voir si chatGPT (que précédemment je n’avais utilisé que 3 fois par simple curiosité) pouvait faire le calcul à ma place. Je lui ai donc posé la question :
« En supposant la courbure de l’univers k=0, quelle est la distance d’une galaxie dont le redshift est 2,3 ? »
chatGPT me répond très correctement avec la bonne formule générale, dépendant des paramètres cosmologiques (constante de Hubble-Lemaître, densités de matière et d’énergie sombre), cf. capture d’écran dans l’image ci-dessous.
Je luis rétorque alors : « Je connais ces formules, mais vous ne me donnez pas le résultat numérique calculé pour les valeurs usuelles des paramètres cosmologiques (70, 0.3, 0.7) »
Là encore il me répond de façon impeccable en me donnant la bonne distance : 6797.14 mégaparsecs, cf. capture d’écran:
C’est alors qu’arrivent les surprises. Je sais bien que pour avoir la distance dans l’unité plus familière des années-lumière utilisée dans les médias, il suffit de multiplier par 3,26 millions, ce qui fait 22,17 milliards d’années-lumière.
Or, voilà-t-il pas que pour effectuer cette multiplication ultra simple, ChatGPT croit judicieux de convertir d’abord les mégaparsecs en km, puis les km en années-lumière, et il me sort coup sur coup deux résultats aberrants, l’un de 2.05×10^25 années-lumière, l’autre de 2.24×10^28 années-lumière ! Je lui indique alors la simple formule pour convertir directement les mégaparsecs en années-lumière sans devoir passer par l’intermédiaire des kilomètres.
ChatGPT finit (comme presque toujours) par reconnaître son erreur:
« Je vous présente mes excuses pour cette erreur dans la conversion. Vous avez absolument raison. Donc, en multipliant 6797.14 mégaparsecs par 3.262×10^6, nous obtenons effectivement 2.2169306×10^10 années-lumière, comme vous l’avez correctement calculé.”
Moralité de l’histoire : ChatGPT est capable de trouver dans un article technique de cosmologie les bonnes formules, mais il se trompe lamentablement quand il s’agit de faire une simple multiplication. Vous appelez ça intelligence artificielle ? Et, pour en revenir aux communiqués de presse officiels, vous appelez ça de la bonne communication scientifique? Elle est tout simplement paresseuse. Car vous comprenez, se disent les journalistes et même les chercheurs professionnels impliqués dans leur communiqué de presse, écrire qu’une galaxie est située à 22 milliards d’années lumière alors que le big bang ne date que de 13,8 milliards d”années est tellement contre-intuitif qu’il vaut mieux tordre les chiffres. Ainsi va le monde. Jamais approfondir, toujours simplifier, quitte à tricher.
Une dernière précision, qui renforce mes remarques critiques sur le délitement de l’information scientifique. Si j’ai demandé à chatGPT de faire le calcul seulement pour un paramètre de courbure de l’espace k = 0, est-ce à-dire que j’accepte l’idée que l’univers puisse être infini? Certainement pas ! Car là encore, on néglige sans vergogne quelque chose de contre-intuitif mais de parfaitement cohérent sur le plan cosmologique : la possibilité que la topologie de l’univers soit multi-connexe (exemple simple parmi 17 autres géométries euclidiennes: un hypertore). Voir mon livre “L’univers chiffonné” entièrement consacré à la question, pour ne pas parler des dizaines d’articles techniques (dont le célèbre qui a fait la “une” de la revue Nature en 2003).
Mais là encore, il y a une immense paresse de la communication scientifique, y compris chez les professionnels, mis à part chez quelques-uns qui ont suivi les travaux pionniers des années 90 sur la question.
Si j’ai demandé à chatGPT de faire le calcul pour k =0 ce n’est pas parce que j’y crois (la valeur k = 1 est beaucoup plus physiquement pertinente), mais parce que les contraintes expérimentales actuelles nous disent que la courbure de l’espace est “proche” de 0 (à 2 % près), de sorte que les formules plus générales faisant intervenir k donnent un résultat quasiment identique en ce qui concerne les distances. En revanche, comme je l’ai écrit maintes fois, il suffirait que la valeur de k soit positive même à un milliardième près pour que l’espace soit automatiquement fini (cf. le B-A-BA des géométries non-euclidiennes), ce qui fait quand même une sacrée différence avec l’hypothèse absurde, paresseuse et à jamais indémontrable, de l’infinité de l’espace ! Sans oublier les vertigineuses implications philosophiques que cela implique.
Féminisme devenu de nos jours quasiment obligatoire et dans tous les milieux, dont celui de la musique classique qui m’est si chère, on met désormais très en avant des musiciennes et compositrices, pour la plupart oubliées ou négligées. Heureusement, c’est parfois salutaire et bien mérité (d’autres fois moins).
Connaissez-vous par exemple Hélène de Montgeroult (1764-1836) ? Compositrice sous l’Empire, elle fut l’élève des très respectables compositeurs Jan Dussek et Muzio Clementi. Mais, tout comme un peu plus tard Clara Schumann, elle se fit davantage connaître comme pianiste. Elle fut la première femme nommée professeur de piano au conservatoire de Paris, joua avec de nombreux virtuoses de son époque et devint une familière de Madame de Staël.
Dans ses Souvenirs, Madame Vigée-Lebrun écrivit à son propos (en la nommant incorrectement « Montgeron ») : « Pour la musique instrumentale, […] madame de Montgeron vint aussi une fois, peu de temps après son mariage. Quoiqu’elle fût très jeune alors, elle n’en étonna pas moins toute ma société, qui vraiment était fort difficile, par son admirable exécution et surtout par son expression; elle faisait parler les touches. Depuis, et déjà placée au premier rang comme pianiste, vous savez combien madame de Montgeron s’est distinguée comme compositeur. »
La preuve de son excellence pianistique nous est donnée par cette étonnante anecdote, racontée dans la deuxième moitié du XIXe siècle par le compositeur Eugène Gautier : en 1793, sous le régime de la Terreur, Hélène de Montgeroult fut accusée de trahison et condamnée à la guillotine. Son ami et fondateur du conservatoire de Paris, Bernard Sarrette, expliqua alors au tribunal révolutionnaire que la mort de Madame de Montgeroult priverait la France d’une des plus grandes pianistes du moment. Pour preuve, on fit venir un piano et elle improvisa sur la Marseillaise d’une manière si convaincante qu’on la relâcha sur le champ !
Carnet de voyage d’une expédition effectuée du 17 août au 7 septembre 1992 en Alaska
La vallée des Dix Mille Fumées (Valley of Ten Thousand Smokes) est située en Alaska, au Sud du parc national de Katmai. Elle tire son nom des nombreux panaches de vapeur d’eau qui s’échappaient du sol formé par l’éruption du volcan Novrupta en 1912. Accessible seulement après deux jours de marche à partir de Brooks Lodge – un camp tenu par des rangers-, elle offre des paysages extraordinaires. Avec un groupe de amis nous avons décidé de l’explorer sac à dos et en autonomie complète durant l’été 1992.
Participants:
Philippe A., médecin psychiatre Arturo F., ingénieur Marc L., astrophysicien Jean-Pierre Luminet, astrophysicien Didier P., astronome.
DERNIER EPISODE : 5-11 septembre
Samedi 5 septembre
Réveil à 8h, départ à 12h. Temps pluvieux. Marche en direction de Three Forks. Affreuse douleur au pied gauche, dont le petit orteil est infecté.
Nous passons dans une forêt. Cueillette de champignons – des cèpes. Arrivée à Three Forks à 15h20. On fait cuire nos cèpes : un régal !
Le soir deux filles arrivent au refuge avec des vélos tout terrain. Nuit glaciale et inconfortable. Les pieds me brûlent durant la nuit.
Dimanche 6 septembre
Départ vers Brooks Camp à 9h. Intolérables douleurs de pieds. Les trois traversées de rivière les rafraîchissent heureusement un peu. Il fait très beau.
Campement à mi-chemin (19 km), dans la mousse. Très agréable. Soleil, champignons, feu.
Carnet de voyage d’une expédition effectuée du 17 août au 7 septembre 1992 en Alaska
La vallée des Dix Mille Fumées (Valley of Ten Thousand Smokes) est située en Alaska, au Sud du parc national de Katmai. Elle tire son nom des nombreux panaches de vapeur d’eau qui s’échappaient du sol formé par l’éruption du volcan Novrupta en 1912. Accessible seulement après deux jours de marche à partir de Brooks Lodge – un camp tenu par des rangers-, elle offre des paysages extraordinaires. Avec un groupe de amis nous avons décidé de l’explorer sac à dos et en autonomie complète durant l’été 1992.
Participants:
Philippe A., médecin psychiatre Arturo F., ingénieur Marc L., astrophysicien Jean-Pierre Luminet, astrophysicien Didier P., astronome.
EPISODE 6 : 3 – 4 septembre
Jeudi 3 septembre
Lever à 7h. Ciel uniformément couvert, mais les nuages semblent fins. Nous plions bagage pour quitter définitivement Baked Mountain Cabin.
A mesure que nos préparatifs avancent, le ciel se dégage, de grands pans de bleu nous font espérer le miracle : un jour de plein beau temps pour monter enfin à la caldera du Katmai, devenue le but suprêmement convoité de tout notre voyage.
Départ à 9h en direction du pied de Knife Creek Glacier, pour y établir notre camp de base. Longue marche rapide de 2h30 au pied de Baked Mountain, le long du cours presque asséché de la Knife River. Ses berges sont en effet découpées comme par un couteau chaud dans le beurre cendré de la Vallée des 10 000 fumées. Le temps devient parfaitement beau. Au camp à 11h30, le soleil inonde tout et nous sortons promptement nos affaires pour les faire sécher. Mais l’heure n’est pas au farniente. Il faut monter au plus tôt à la caldera, tant que le ciel est clément. Arturo, fatigué, décide de rester en bas. En une demi-heure nous sommes fins prêts et commençons enfin l’ascension à midi.
Traversée de la Knife à sa source même, le glacier.
Première partie très pentue, dans le sable recouvert d’une fine couche neigeuse. Didier puis Philippe font la trace.
Parvenus à un premier col nous débouchons dans la grande blancheur. Magnifique paysage de montagne, neige et glaciers multicolores se dévoilent peu à peu avec l’altitude, sous un soleil de plus en plus ardent qui me fait ôter mon Goretex pour ne plus garder que le Lifa, et absorber goulument la chaleur de notre étoile par tous les pores de la peau.
La deuxième partie se déroule entièrement dans la neige. La troisième et dernière est la traversée du glacier. Nous nous encordons, Marc est en tête.
Il marche très lentement (trop à notre goût), très précautionneusement. Nous enjambons bon nombre de crevasses. Des nuages sombres arrivent, une course de vitesse s’engage avec eux et nous piaffons d’impatience derrière le pas trop lent et pas très assuré de Marc.
Enfin, au bout de 3h30 d’ascension nous parvenons aux lèvres de cratère. Le lac au fond de la caldera est sombre, gelé en surface, avec de gros morceaux de glace posés dessus et tout un pan de glacier qui empiète sur lui. Tout autour se dressent des parois verticales et sombres, striées de neige et découpées à leur sommet en milliers d’aiguilles acérées. C’est magnifique. Ce lac d’acide sulfurique est plus petit et moins beau que le grand lac de cratère bleuté de l’Askja en Islande, mais sa collerette rocheuse est beaucoup plus impressionnante. Que de pics inviolés, et qui le resteront sans doute longtemps !
Là-haut les nuages sont arrivés en même temps que nous, et il fait très froid. Mais c’est si beau que nous y restons presque une heure, Philippe et moi dégustant notre sacro-saint saucisson et explorant divers points de vue.
Carnet de voyage d’une expédition effectuée du 17 août au 7 septembre 1992 en Alaska
La vallée des Dix Mille Fumées (Valley of Ten Thousand Smokes) est située en Alaska, au Sud du parc national de Katmai. Elle tire son nom des nombreux panaches de vapeur d’eau qui s’échappaient du sol formé par l’éruption du volcan Novrupta en 1912. Accessible seulement après deux jours de marche à partir de Brooks Lodge – un camp tenu par des rangers-, elle offre des paysages extraordinaires. Avec un groupe de amis nous avons décidé de l’explorer sac à dos et en autonomie complète durant l’été 1992.
Participants:
Philippe A., médecin psychiatre Arturo F., ingénieur Marc L., astrophysicien Jean-Pierre Luminet, astrophysicien Didier P., astronome.
EPISODE 6 : 31 août – 2 septembre
Lundi 31 août
Nuit pluvieuse et ventée. Réveil à 8h. Les muscles sont endoloris. Il fait froid, il pleut sans discontinuer.
Nous démarrons vers 9h30 en franchissant un dernier col au-dessus d’un dernier canyon, et une heure et demie plus tard nous crions victoire : nous sommes passés ! Face à l’Alaska nous avons réduit le score : 2 à 1.
Nous continuons de marcher une heure en direction de Katmai Pass, en regrettant finalement de ne pas être allés jusqu’à la mer car nous aurions eu le temps – mais on ne pouvait s’en rendre compte qu’après coup.
Le temps devient soudain glacial, sous une température de 10°C le vent se lève, de face. Sous une pluie battante nous établissons notre campement dans le havre de verdure au pied de la coulée de lave du Trident que nous avions repérée à l’aller. Mais sous la bise et la pluie c’est moins souriant. Il y a des ruisseaux d’eau tiède baignant dans une boue rougeâtre, mais le temps de cochon ne nous incite nullement à une séance de lavage. On se calfeutre vite dans les tentes, pieds et mains transis. Il n’est que 13h30. S’il continue à faire ce temps pourri, le franchissement retour de la Katmai Pass sera difficile. Néanmoins il nous reste sept jours pleins, et on commence à se demander ce que nous ferons comme nouvelles randonnées, à part celle du lac de cratère du volcan Katmai.
Jusqu’ici nous avons franchi des crêtes en lame de couteau, dévalé des pentes raboteuses ou sablonneuses, nous avons frayé notre chemin dans des défilés quasi impraticables, traversé de vastes étendues fendues de canyons, boursouflées de tumulus et de solfatares issus d’éruptions volcaniques, nous avons croisé des tours de lave et d’argile ; sur des espaces immenses nous avons arpenté des terrains rongés par le soufre, déchiquetés par les vents, parsemés d’éclats de rocs dardant vers le ciel leurs piques aiguisées comme des poignards. Que nous reste-t-il à contempler ?
Retour au réel. Didier et Marc, qui ont mangé leur chili con carne lyophilisé la veille au soir, ont à leur tour attrapé la chiasse… Un menu à éviter donc pour nos futures expéditions, quand nous ferons nos courses au Vieux Campeur ou chez REI…
Il pleut tout le reste de la journée et nous restons calfeutrés sous nos tentes. Parties de belote. J’ai le temps de terminer la lecture de Moravagine, de Blaise Cendrars, et de prendre quelques notes en vue d’une prochaine expédition :
garder toujours au sec un Lifa haut et bas et une paire de chaussettes
emporter dans ma pharmacie personnelle de l’élastoplast blanc, des petits pansements, une aiguille pour percer les ampoules, de la pommade cicatrisante, un anti-inflammatoire, de l’Imodium ou de l’Ercefuryl contre les infections intestinales
un stop-tout
des sur-moufles
des sangles et des boucles de rechange pour le sac.
Le soir venu, le vent se déchaîne. Nous passons cependant une excellente nuit de récupération.
Campement du 31 août, au pied de la coulée de lave du Trident
Mardi 1 septembre
Réveil à 7h30. Le vent est tombé, cela semble se dégager un peu, il ne pleut plus que de fines averses. Nous franchirons Katmai Pass !
Nous l’atteignons en effet en guère plus d’une heure et passons le col dans des conditions idéales.
Comme j’ai encore envie de marcher, je propose de rentrer au refuge de Baked Mountain en passant non pas entre Cerberus et Falling Mountain, mais de l’autre côté de cette dernière, en longeant le glacier du Mageik. Seuls Philippe et Marc m’accompagnent cependant, Didier et Arturo rentrant directement. Beau panorama, on voit au loin les lacs. Nous arrivons au refuge à 13h30. Petite journée.
La température n’est plus que de 6°C. Il se remet à pleuvoir et cela ne va plus cesser. Je me lave de la tête aux pieds ainsi que mes vêtements, et nous nous calfeutrons toute l’après-midi, jouant à la belote et aux échecs. Le soir il se met à neiger. Pluie et neige toute la nuit.
Mercredi 2 septembre
La neige recouvre le sol 50 mètres plus haut. Le ciel continue à peser bas, lourd et noir comme un couvercle… Il neige par intermittences. L’ascension du volcan Katmai (il culmine à 2047 mètres, mais le bord de la caldera est à 1500 mètres et le lac de cratère à 1300 mètres) devient de plus en plus problématique. Nous déciderons dans la journée. Continuer la lecture →
Carnet de voyage d’une expédition effectuée du 17 août au 7 septembre 1992 en Alaska
La vallée des Dix Mille Fumées (Valley of Ten Thousand Smokes) est située en Alaska, au Sud du parc national de Katmai. Elle tire son nom des nombreux panaches de vapeur d’eau qui s’échappaient du sol formé par l’éruption du volcan Novrupta en 1912. Accessible seulement après deux jours de marche à partir de Brooks Lodge – un camp tenu par des rangers-, elle offre des paysages extraordinaires. Avec un groupe de amis nous avons décidé de l’explorer sac à dos et en autonomie complète durant l’été 1992.
Participants:
Philippe A., médecin psychiatre Arturo F., ingénieur Marc L., astrophysicien Jean-Pierre Luminet, astrophysicien Didier P., astronome.
EPISODE 6 : 29-30 août
Samedi 29 août
Réveil à 7 h. Pluie fine, ciel très couvert, toujours 12 °C.
Philippe et moi allons voir si le niveau de la rivière a baissé. Nous avions placé la veille un repère à l’aide d’un empilement de petits cailloux. Catastrophe, il a monté ! On se dit que même si nous parvenions à la traverser, rien ne garantit qu’au retour l’eau n’aurait pas encore monté avec la fonte du glacier, et en rendant le passage impossible, nous laisserait coincés du mauvais côté ! En outre, les nuages qui descendent comme un couvercle interdisent l’idée d’escalader pour passer au-dessus de la cascade. Il faut renoncer à explorer les lacs du Katmai !
La mort dans l’âme, nous faisons demi-tour. Nous mettons trois heures à faire les préparatifs à cause du réchaud à essence Whisperlite qui s’est bouché avec un grain de sable.
Après une demi-heure de marche, Philippe aperçoit de la fumée au-dessus d’un torrent. Ce sont les fameuses sources d’eau chaude que nous avions tant convoitées la veille, sans faire cependant l’effort pour les trouver. Ma petite théorie psychologique était bonne. Sur la route des lacs, mus essentiellement par l’idée d’avancer, personne n’avait envie de dévier du chemin et grimper dans tous les petits canyons adjacents pour y dégotter ces sources chaudes bien cachées. En revanche, une fois bloqués par cette rivière sans nom (elle n’est pas sur la carte) et sur le chemin du retour, les randonneurs déçus que nous sommes prennent le temps de tâtonner dans les parages, ce qui nous a permis de tomber inopinément sur les sources.
C’est la consolation du jour. L’eau sort du sol volcanique à 80°C et se mêle aux eaux glacées d’un torrent, ce qui fait que sur de minuscules plages on a de l’eau tiède. Nous voilà donc tous les cinq à poil, se baignant et se lavant dans cette chaleur providentielle.
Une heure après nous repartons, ragaillardis. Nous parvenons au fameux passage par le col permettant d’éviter l’éboulis et le passage dangereux le long de la rivière. Philippe et Marc partent soudain devant le long d’une côte très abrupte et interminable. Nous transpirons tous par tous les pores de la peau et arrivons au col, complètement trempés de sueur. En plus on est en plein brouillard. Didier est furax car il n’est pas sûr que ce soit le bon chemin. Il aurait voulu faire le point à la boussole avant de s’aventurer vers le col, mais Philippe et Marc étaient déjà partis devant. Ils se chamaillent un peu.
Maintenant il faut redescendre, et comme on est dans la brume on n’y voit rien. Marc s’écarte pour aller voir un éboulis et disparaît dans la brume en entraînant Philippe, puis il nous appelle pour dire que c’est bon, qu’on peut passer. Didier est fou furieux contre Marc qui, pas plus tard qu’hier, lui avait reproché de s’aventurer seul sans savoir si les autres allaient suivre. Nouvelle dispute lorsque nous les rejoignons.
Finalement ça se tasse et nous poursuivons la marche dans le lit de la Katmai, dans l’espoir de la traverser pour aller à Fulton Falls. Là encore il faut déchanter. Malgré la séparation des eaux en plusieurs bras dans la plaine alluviale, la rivière reste très puissante. Se pose alors la question de poursuivre en direction de la mer pour tenter de traverser vers l’embouchure, ou bien renoncer à franchir la Katmai et à visiter le site du village de pêcheurs abandonné pour traverser dans l’autre sens et nous engager dans le canyon de Martin Creek. C’est cette option que nous choisissons, par manque de temps.
Cette dernière partie de la marche est pour moi très pénible, car ma tendinite au talon d’Achille s’est exacerbée par mon séjour prolongé dans l’eau de la Katmai, lorsque j’étais allé seul faire des sondages pour tester les possibilités de traversée. Je boitille.
La traversée de la plaine sablonneuse sombre, jonchée de carcasses blanches de bois éreinté aux formes diverses me fait songer à un vaste champ d’ossements de grands animaux disparus ; ici un fémur, là une côte, plus loin un crâne de mastodonte, et dans l’état réduit à sa plus simple expression dans lequel je me trouve – marcher, boire, manger, pisser, dormir -, proche de celui de l’homme primitif, je me sens reporté des millions d’années en arrière, traversant les grandes plaines d’Amérique du Nord à l’époque où le limon et l’argile n’avaient pas encore recouvert les carcasses des dinosaures.
Après avoir franchi en sens inverse la rivière Mageik au même gué qu’à l’aller (nous avions planté un pieu en guise de repère), nous arrivons, tous épuisés, au campement, à l’entrée de Martin Creek. Il pleuviote, tout est noyé dans la brume, on ne voit pas la mer qui est de toute façon distante de 15 km. Le lieu du campement est couvert de traces de pattes et de crottes d’ours, mais on n’en a cure. On s’engouffre dans les tentes, on fait chauffer notre eau et nos aliments à l’Esbit, et une longue nuit de réparation physique nous attend.
Carnet de voyage d’une expédition effectuée du 17 août au 7 septembre 1992 en Alaska
La vallée des Dix Mille Fumées (Valley of Ten Thousand Smokes) est située en Alaska, au Sud du parc national de Katmai. Elle tire son nom des nombreux panaches de vapeur d’eau qui s’échappaient du sol formé par l’éruption du volcan Novrupta en 1912. Accessible seulement après deux jours de marche à partir de Brooks Lodge – un camp tenu par des rangers-, elle offre des paysages extraordinaires. Avec un groupe de amis nous avons décidé de l’explorer sac à dos et en autonomie complète durant l’été 1992.
Participants:
Philippe A., médecin psychiatre Arturo F., ingénieur Marc L., astrophysicien Jean-Pierre Luminet, astrophysicien Didier P., astronome.
EPISODE 5 : 27-28 août
Jeudi 27 août
Lever à 6h45 après une nuit de profond sommeil. Brouillard, pluie fine, 12°C. Nous nous préparons quand même. Philippe et moi sommes prêts une demi-heure avant les autres, ce qui m’énerve un peu. Départ à 9h sous la pluie. Je me suis malheureusement réveillé avec la diarrhée, sans doute le Chili con carne lyophilisé d’hier soir. Cela va me gêner toute la journée, j’aurai trois crises de coliques.
Première partie dans les taillis épais et les marécages. Sous la pluie c’est le merdier, on est trempés de sueur sous les capes.
On continue ensuite à descendre le lit de la rivière Mageik, jusqu’à ce qu’elle s’engouffre dans un canyon. Il faut donc remonter sur les hauteurs, le long des flancs d’Observation Mountain. En l’absence de visibilité et avec des cartes incomplètes, il est impossible de s’orienter autrement qu’à la boussole. Ce n’est pas toujours évident mais Didier a une grande expérience de la marche à la boussole, nous le suivons !
Marche forcenée dans des petits canyons et les ruisseaux, sous la flotte. Première pause à l’arrêt de la pluie, après deux heures de marche continue en terrain accidenté. Poursuivant à la boussole, nous débouchons soudain sur un superbe panorama, c’est comme une délivrance : sous l’épaisse couverture nuageuse on voit la vaste plaine alluviale des rivières Mageik et Katmai qui se rejoignent, plus loin la mer où elles se jettent, et tout au fond le profil de l’île Kodiak. Nous voilà tout rassérénés et joyeux.
On descend vite dans la plaine, mais on bute sur le cours impétueux de la Mageik Creek. Trop dangereuse à traverser. Didier, encordé, fait quelques essais, en vain. Nous descendons le cours pour trouver un gué dans un élargissement de la rivière.
Nous découvrons la superbe forêt brulée, des centaines de troncs verticaux de conifères calcinés lors de l’éruption de 1912, dont certains sortent partiellement de l’eau, d’autres sont emprisonnés dans les berges d’argile. C’est une photographie de ce fantastique paysage que Philippe avait vue une année auparavant dans un numéro de National Geographic qui avait déclenché notre envie de faire cette expédition…
Nouvelle tentative de traversée par Didier et Philippe, en prenant relais sur des troncs intermédiaires dressés au milieu du courant, mais Philippe reste coincé au milieu, l’eau lui arrivant en haut des cuisses – la limite raisonnable au-dessus de laquelle on se fait emporter – accroupi et face au courant. Il réussit à revenir, Didier râle en affirmant que c’est parfaitement possible, Philippe râle aussi en mettant en avant sa plus petite taille qui le laisse plus exposé à la profondeur de la rivière. Pour ma part je regrette ma diarrhée et ma fatigue, sinon ça m’aurait plu d’aller tester le fleuve avec Didier. De toute façon Arturo ne veut prendre aucun risque, et on décide donc de continuer à descendre le cours. Nous parvenons à un très grand élargissement, où là il devient effectivement facile, bien que plus long, de traverser. Nous sommes évidemment trempés, mais l’eau n’est pas froide. De l’autre côté de la Mageik on aperçoit Fulton Falls, une belle cascade d’environ 80 mètres de haut, de l’autre côté de la plaine alluviale et sur la gauche, notre destination : l’entrée du canyon de la Katmai River.
Longue traversée de la plaine. Je suis très fatigué par ma diarrhée, vu que je n’ai pas pu m’alimenter normalement en barres de céréales.
Après huit heures de marche, nous trouvons un superbe endroit pour camper, sur le sable, mais juste au moment où les tentes sont dressées il se remet à pleuvoir. Il est 18h45. Tous s’endorment, écrasés de fatigue, sauf Marc et moi qui jouons aux échecs. Marc a parfaitement récupéré, il n’a plus mal aux pieds et suit le rythme. Parfait. Manque plus qu’un peu de soleil. Toujours pas vu d’ours, malgré des traces de pas. Il pleut toute la nuit.
Carnet de voyage d’une expédition effectuée du 17 août au 7 septembre 1992 en Alaska
La vallée des Dix Mille Fumées (Valley of Ten Thousand Smokes) est située en Alaska, au Sud du parc national de Katmai. Elle tire son nom des nombreux panaches de vapeur d’eau qui s’échappaient du sol formé par l’éruption du volcan Novrupta en 1912. Accessible seulement après deux jours de marche à partir de Brooks Lodge – un camp tenu par des rangers-, elle offre des paysages extraordinaires. Avec un groupe de amis nous avons décidé de l’explorer sac à dos et en autonomie complète durant l’été 1992.
Participants:
Philippe A., médecin psychiatre Arturo F., ingénieur Marc L., astrophysicien Jean-Pierre Luminet, astrophysicien Didier P., astronome.
EPISODE 4 : 25-26 août
Lever 7h. Ciel couvert, le plafond de nuages recouvre les sommets. La seule course que nous puissions faire est celle conduisant aux lacs Mageik. Arturo préfère rester se reposer, ainsi que Marc qui soigne ses plaies.
Nous partons, il n’y a pas de vent, mais la pluie ne tarde pas à tomber. Premier lac Mageik, d’une belle couleur.
Nous traversons trois rivières et parvenons au second lac après 4h de marche : cascades, superbes canyons.
Il pleut de plus en plus. Retour droit au refuge. 7h de marche maintenant. La fin est épuisante, p… de Baked Mountain ! Nous charrions pour nos gourdes de l’eau grise prise dans le Léthé. Traces d’ours dans la Vallée. Cette « montagne cuite » ressemble à un énorme gâteau avec un fruit confit posé dessus ; tout entourée de solfatares éteints, lorsque les explorateurs de 1916 ont dû la découvrir, elle fumait, cela devait vraiment ressembler à un gâteau cuit. Cela dit, sur le chemin du retour, sous la pluie et la fatigue, en plein milieu de l’immense vallée de pierre ponce, Baked Mountain avec son mamelon me fait plutôt songer à un jeune et tendre sein, aux pentes douces et au mamelon durci sous le plaisir…
Retour au refuge. Les allemands sont partis du petit cabanon, nous nous y installons et il est bien plus chaud. Nous faisons un gros dîner et préparons le grand départ du lendemain (sauf s’il fait très mauvais) : un périple de dix jours passant par Katmai Pass, puis Katmai Canyon, et la mer avec ses arbres calcinés. Si le temps est mauvais (il y a de fortes chances pour qu’il le soit), ça va être l’Enfer !
J’apprendrai bien des années plus tard que les deux cabanons de la Baked Mountain ont été détruits lors d’une tempête en 2018, et ne peuvent plus être utilisés comme abri…
Note pour une prochaine expédition : se mettre des élastoplasts avant le départ, et entourer les doigts de pied comme ceci :
Mercredi 26 août
Excellente nuit bien au chaud. Lever à 6h. Temps couvert mais pas de vent. Donc, départ pour Katmai Pass. Petit déjeuner, nettoyage du refuge. Départ à 8h30. Les sacs sont plus légers, on marche plus vite et plus longtemps.
Carnet de voyage d’une expédition effectuée du 17 août au 7 septembre 1992 en Alaska
La vallée des Dix Mille Fumées (Valley of Ten Thousand Smokes) est située en Alaska, au Sud du parc national de Katmai. Elle tire son nom des nombreux panaches de vapeur d’eau qui s’échappaient du sol formé par l’éruption du volcan Novrupta en 1912. Accessible seulement après deux jours de marche à partir de Brooks Lodge – un camp tenu par des rangers-, elle offre des paysages extraordinaires. Avec un groupe de amis nous avons décidé de l’explorer sac à dos et en autonomie complète durant l’été 1992.
Participants:
Philippe A., médecin psychiatre Arturo F., ingénieur Marc L., astrophysicien Jean-Pierre Luminet, astrophysicien Didier P., astronome.
EPISODE 3 : 23-24 août
Dimanche 23 août
Lever 7h. Il a plu toute la nuit, mais le matin la pluie a cessé, le vent est tombé et la vallée est dégagée. Fantastique panorama !
Gros petit déjeuner, on discute pas mal avec l’un des deux randonneurs américains qui sont revenus de la Vallée, c’est un ranger originaire du Kansas, très sympa.
Nous partons à 9h, en pleine forme. Température 12 °C, ciel à demi-couvert.
Descente d’une heure jusqu’à la rivière Windy Creek, à travers les taillis trempés par la pluie nocturne. Traversée en deux temps. Arturo, qui déteste l’eau froide, préfère s’encorder dans la deuxième partie, bien que ce soit facile. J’adore pour ma part les traversées de rivière, l’inconvénient étant qu’elles détendent les élastoplasts et que des petits gravillons rentrent dessous.
La marche continue. Suite à une nouvelle remarque désobligeante de Philippe, on a une discussion pour mettre les choses au point. Chacun vide son sac (façon de parler !) et tout ira mieux par la suite.
Mon pied gauche me fait terriblement souffrir ; dans les innombrables petites descentes le bout d’un orteil est affreusement douloureux, et de plus le talon commence à me faire mal. Pourvu que je ne développe pas d’ampoules sanguines comme en Islande 1989 !
La marche d’aujourd’hui n’est pas très longue mais épuisante. Après avoir traversé plein de petits ruisseaux, marché dans le sable et la pierre ponce, longé le splendide canyon du Léthé (la rivière des Enfers), nous arrivons à 14h à l’emplacement de notre campement que nous baptisons 8 miles.
Il fait froid à cause du vent mais le temps est splendide. Même le Mont Griggs se détache sur le bleu céruléen, ce qui doit être bien rare !
Au camp nous sommes ivres de fatigue et moi de douleur aux pieds. Sans prendre le soin de protéger la nourriture, on s’affale dans les tentes et on dort. Continuer la lecture →
Carnet de voyage d’une expédition effectuée du 17 août au 7 septembre 1992 en Alaska
La vallée des Dix Mille Fumées (Valley of Ten Thousand Smokes) est située en Alaska, au Sud du parc national de Katmai. Elle tire son nom des nombreux panaches de vapeur d’eau qui s’échappaient du sol formé par l’éruption du volcan Novrupta en 1912. Accessible seulement après deux jours de marche à partir de Brooks Lodge – un camp tenu par des rangers-, elle offre des paysages extraordinaires. Avec un groupe de amis nous avons décidé de l’explorer sac à dos et en autonomie complète durant l’été 1992.
Participants:
Philippe A., médecin psychiatre Arturo F., ingénieur Marc L., astrophysicien Jean-Pierre Luminet, astrophysicien Didier P., astronome.
EPISODE 2 : 21-22 août
Vendredi 21 août
Réveil à 6h30. Moustiques. Premier petit déjeuner au muesli. A 8h, la cabane des rangers ouvre. Nous allons aux renseignements. On parle avec un ranger nommé Brian, qui nous donne plein d’indications intéressantes sur le parcours jusqu’à Katmai Pass, mais pas au-delà car il ne connaît plus. Tant mieux. Apparemment très peu de personnes s’aventurent aussi loin. La plupart des randonneurs ne viennent passer que quelques jours ici, au maximum deux semaines car les Américains ont peu de vacances.
Mais la radio de Brian lui apprend qu’un ours s’aventure sur la plage du camp, et il est chargé de la surveillance. Nous le suivons, et on peut photographier une ourse en train de pêcher et de nager dans la rivière avec une facilité déconcertante, accompagnée de ses trois adorables oursons.
Le spectacle nous retient jusqu’à 11h. Enfin, tout est prêt. Nous trouvons une balance pour peser nos sacs. Dans les souvenirs de Philippe et de Didier, nos sacs soigneusement préparés étaient au départ de Paris de poids différents. Après la pesée sur la balance à Brooks Lodge, nous décidons cependant de les équilibrer avant de prendre le chemin, à 56 livres chacun, à l’exception de celui d’Arturo, plus léger à 48 livres. Philippe est chargé du réchaud à essence que Didier s’est mis en tête d’emporter, alors que Philippe et moi avions juste emporté nos réchauds ultralégers Esbit et nos tablettes d’alcool solide, fonctionnant à des températures négatives et à haute altitude, capables de faire bouillir 500 ml d’eau en 7 minutes. Philippe maugrée donc quelque peu de ce changement, étant de plus chargé, en tant que seul médecin de l’expédition, d’une pharmacie conséquente avec injections, etc., pour faire face aux urgences qui pourraient se présenter (mais que faire par exemple si l’un d’entre nous avait une crise d’appendicite aiguë ?).
A 11h30 c’est le grand départ dans la forêt. Il fait 12 °C, le ciel est couvert aux trois-quarts. En raison du poids des sacs nous devrons faire des pauses d’un quart d’heure toutes les heures. Je sens que mon sac (à moins que ce ne soit l’état de mon dos) est bien meilleur que celui que j’avais lors de l’expédition d’Islande en 1989.
La première heure de marche est un peu dure sur la fin. Pour moi c’est la deuxième heure qui est la plus difficile. Pour l’instant ça va bien du côté des pieds. La troisième heure je suis euphorique, je ne sens plus ni pieds ni dos. Philippe en revanche ne cesse de se plaindre, il dit que comme il est moins lourd que moi, son sac qui pèse autant que le mien lui donne davantage de peine. De fait il a beaucoup de mal à démarrer, n’étant pas dans la même forme physique qu’en Islande 1989 suite à une première année de très gros travail dans sa clinique psychiatrique.
Notre but du jour est d’atteindre la première traversée de rivière, à 18 km. Hélas elle est un peu plus loin que prévu.
A la quatrième étape, je m’aperçois soudain qu’une des poches de mon Goretex est ouverte : j’ai perdu ma fiole de vodka, les clés de la maison et une pellicule photo. Que faire ? Je m’accorde vingt minutes pour les retrouver, pendant lesquelles ils m’attendront bien sûr. Je chausse les joggings de Philippe et repars en arrière sans sac, en chantonnant, léger comme une plume. Je retrouve les objets sur le chemin au bout de 10 minutes. J’ai sur moi la bombe anti-ours, aucun n’est en vue.
A nouveau réunis, nous repartons vers la rivière. Cela devient difficile, c’est une heure de marche en trop au cours de laquelle se forment les premières ampoules : des énormes pour Marc, un peu moins pour moi.
Schémas du pied à retenir pour la prochaine fois :
Rivière enfin atteinte à 19h, après 5h30 de marche. Nous plantons les tentes à une cinquantaine de mètres avant la berge. Assez beau temps, température douce, mais l’air est farci de moustiques. Je me lave à poil dans la rivière lorsque j’entends le son d’un véhicule. Je me rhabille vite, croyant que c’est un car de touristes, mais ce n’est qu’un ranger en camion. Il s’arrête pour m’informer que normalement c’est interdit de camper au bord de la piste, et que le ranger suivant nous dira sûrement de décamper. On décide quand même de rester là.
Longue séance d’accrochage des sacs à un arbre, à quatre mètres de hauteur C’est Didier qui fait pratiquement tout le boulot, perché en équilibre durant 1h30 pour faire une belle grappe de sacs perchés. Il faudra lui demander le schéma de montage pour apprendre. Là il m’impressionne, je comprends que c’est lui le plus solide d’entre nous. Marc n’en peut déjà plus, il est farci d’ampoules et a mal à la hanche. Philippe est vanné, il se plaint de son dos cisaillé par le sac ; moi ça va plutôt bien malgré une première ampoule qui s’est formée.
Le dernier 4×4 de ranger passe et ne s’arrête pas. Ouf ! Nous allons manger de l’autre côté de la rivière, en la traversant sur un long tronc d’arbre jeté sur son cours. On se régale avec notre soupe et notre lyophilisé. Mais c’est vraiment infesté de moustiques. En revenant aux tentes, Arturo se casse la figure en glissant du tronc. Sans gravité.
Dans ses propres notes, Didier se remémore qu’au terrain de camping d’Eagle River une jeune gardienne nous avait offert de petits pin’s, lui avait rangé le sien dans son sac mais sa pointe a percé son matelas auto-gonflable Thermarest : il passera ainsi toutes les nuits de la randonnée à plat sur les cailloux ! Continuer la lecture →
Carnet de voyage d’une expédition effectuée du 17 août au 7 septembre 1992 en Alaska
La vallée des Dix Mille Fumées (Valley of Ten Thousand Smokes) est située en Alaska, au Sud du parc national de Katmai. Elle tire son nom des nombreux panaches de vapeur d’eau qui s’échappaient du sol formé par l’éruption du volcan Novrupta en 1912. Accessible seulement après deux jours de marche à partir de Brooks Lodge – un camp tenu par des rangers-, elle offre des paysages extraordinaires. Avec un groupe de amis nous avons décidé de l’explorer sac à dos et en autonomie complète durant l’été 1992.
Participants:
Philippe A., médecin psychiatre Arturo F., ingénieur Marc L., astrophysicien Jean-Pierre Luminet, astrophysicien Didier P., astronome.
EPISODE 1 : Du 17 au 20 août (préparatifs)
Lundi 17 août
Départ de Paris pour Anchorage à l’aéroport d’Orly, avec correspondances à Houston et à Seattle. En raison d’une surréservation (« overbooking »), lorsque nous arrivons au comptoir d’enregistrement on nous informe qu’il n’y a plus de places. Nous mettons en avant notre expédition exceptionnelle, l’équipage prend alors la décision de nous donner les places de 4 voyageurs qu’ils font sortir, en les indemnisant (200 $ d’indemnisation, hôtel et vol le lendemain en classe affaires, cela vaut la peine d’accepter si l’on n’est pas pressé !).
Le vol part avec du retard, et en raison de vents contraires l’avion arrive à Houston avec deux heures de retard. Nous disposons d’à peine une demi-heure pour passer la douane, récupérer nos sacs et attraper le vol pour Anchorage avec escale à Seattle. On y arrive de justesse, en courant tout du long. En tout, le voyage durera 23h.
Arrivée à Anchorage à minuit heure locale (dix heures du matin pour nous). La nuit blanche dans l’avion va nous permettre de rattraper rapidement les dix heures de décalage horaire.
Arturo nous attend à l’arrivée. Nous allons dormir dans un Bed & Breakfast qu’il a réservé. Nuit de rêves peuplée d’ours, mais confort délicieux après l’avion, bien qu’il s’agisse d’un dortoir.
Mardi 18 août
Courses à Anchorage. Dix kilomètres à pied. Au magasin de sport REI nous achetons une tente VE25 de North Face pour Didier, Marc et Arturo (Philippe et moi disposons déjà de ma tente Honeck Helium verte du Vieux Campeur), un spray anti-ours, de la viande séchée, etc. Ensuite, plantureux repas avec saumon et flétan grillé. L’après-midi nous préparons nos sacs, pour partir tôt le lendemain matin vers notre destination finale. Le gardien de l’hôtel nous apprend qu’il y a des problèmes avec les ours ; cette année ils deviennent agressifs, on n’avait jamais vu ça avant, deux personnes se sont faits récemment dévorer.
Soudain, à 17h, l’obscurité s’abat sur Anchorage. Le Mont Spurr, volcan situé à 80 km de là, est entré en éruption et le vent rabat le nuage de cendres sur la ville. Une fine poussière grise s’abat partout ; nous sortons, ça sent le soufre, la poussière pénètre dans les yeux et les narines. Cela n’était plus arrivé depuis trente ans. L’aéroport doit fermer, pourra-t-on partir le lendemain ?
Mercredi 19 août
Réveil à 5h45. Tout est prêt, bagages, etc., mais nous apprenons par téléphone que notre vol pour King Salmon est suspendu, et personne ne peut dire jusqu’à quand. La ville est recouverte d’une épaisse couche de poussière très fine. Nous prenons un long petit déjeuner, et on téléphone régulièrement à l’aéroport, pour apprendre finalement que notre vol est repoussé au lendemain. On décide alors de louer une voiture pour la journée : ça ne coûte pas cher, 50 $. Nous partons vers Eagle River Park, au nord d’Anchorage. Mais la poussière y atteint son maximum, c’est irrespirable. On marche un peu, je suis de mauvaise humeur. En nous promenant le long de la rivière nous observons un élan (ou orignal) qui se prélasse au milieu du cours. Il ne faut pas s’en approcher de trop près car l’animal est réputé avoir mauvais caractère. On se rend finalement sur le terrain de camping de Eagle River, nous y trouvons un bon emplacement, puis on va s’empiffrer dans un restaurant BBQ. Couchés à 20h30. Première nuit sous la tente, excellente. Continuer la lecture →
Tommaso Campanella, philosophe italien né en 1568 en Calabre et mort à Paris en 1639, a passé pratiquement la moitié de sa vie dans diverses geôles de l’Inquisition. Opposé à Aristote et adepte d’une philosophie qualifiée de « naturaliste », il a été accusé d’hérésie à plusieurs reprises, mais sa désobéissance et ses récidives lui ont valu en 1602 une condamnation à trente années de prison. Il en effectuera vingt-sept, au cours desquelles il rédigera plusieurs ouvrages, dont L’Apologie de Galilée (1611) et La Cité du Soleil (1623), tout en correspondant avec de nombreux savants, dont l’humaniste provençal Nicolas Fabri de Peiresc. Ce dernier deviendra son ami lorsque, quittant enfin l’Italie en 1634, Campanella se réfugiera en France.
L’Apologie de Galilée est un traité répondant à la question que lui posa en 1611 le Saint Office au sujet de la thèse copernicienne défendue par Galilée : « Le Soleil est le centre du monde, la Terre n’est pas immobile, mais elle tourne autour d’elle-même et autour du Soleil ». Il peut paraître étrange que, sur un sujet aussi sulfureux, l’Église ait demandé consultation à un philosophe qu’elle avait elle-même emprisonné pour sa pensée hérétique ! Mais c’est un signe que, une année seulement après la publication du Sidereus Nuncius où les observations astronomiques rapportées par le savant italien réfutaient la théorie géocentrique de Ptolémée, l’Eglise cherchait des avis éclairés extérieurs à sa congrégation. En outre, Campanella avait connu Galilée à Padoue.
Ce petit traité représente un tour de force dans la mesure où il fut composé en très peu de temps par un homme qui n’avait d’autres ressources que sa prodigieuse mémoire et les innombrables lectures qu’il avait retenues. Sous une forme polémique très virulente, il est néanmoins très persuasif en raison de sa grande érudition. C’est un document historique qui révèle d’une part une dévotion de Campanella envers le savant Galilée plus qu’envers la vérité astronomique ou philosophique elle-même, d’autre part le courage qu’il y avait à risquer une aggravation des maux déjà supportés par le philosophe incarcéré.
L’Apologie de Galilée se termine par une péroraison demandant qu’on n’interdise pas au savant de poursuivre ses études et qu’on ne supprime pas ses écrits, ce qui, annonce-t-il, ferait tomber le ridicule sur les Saintes Écritures. Nous savons que cela n’a guère plaidé favorablement la cause de Galilée, qui sera lui-même condamné pour hérésie en 1633. Nous savons aussi que ce dernier s’est bien gardé de faire le moindre commentaire sur cet ouvrage apologétique, de même qu’il s’était bien gardé de faire la moindre allusion aux écrits de Giordano Bruno, petites lâchetés qui lui seront plus tard reprochées par Johannes Kepler. L’ouvrage ne sera publié en Italie qu’en 1621. Il faudra attendre 2001 pour disposer d’une remarquable traduction en français de Michel Lerner – spécialiste mondialement renommé de cette période charnière de l’histoire de l’astronomie, déjà auteur d’un Nicolas Copernic d’un Monde des Sphères –, accompagnée de 150 pages d’introduction et de 117 pages de notes de premier ordre. A cette époque je présidais la commission scientifique au Centre National du Livre et j’avais chaudement recommandé l’octroi d’une subvention pour l’édition de l’ouvrage !
Bien plus connue est La Cité du Soleil, utopie sociale et politique composée en latin, à l’exemple de la République de Platon et de l’Utopie de Thomas More (1516). Continuer la lecture →
Entre septembre 2019 et mai 2020 j’ai publié sur ce blog cinq billets consacrés à l’analyse astronomique, épistolaire et picturale de la demi-douzaine de tableaux où Vincent van Gogh a représenté des nuits étoilées.
J’ai depuis complété ce travail par une enquête plus approfondie, qui vient de se concrétiser par la publication d’un beau livre illustré paru le 16 février 2023 aux éditions Seghers. Par égard pour mon éditeur je retire donc mes billets et invite mes lecteurs à se reporter à cet ouvrage plus complet et fort bien illustré, dont je donne ici quelques images et le descriptif :
Les Nuits étoilées de Vincent Van Gogh
Éditeur : Seghers (16 février 2023)
Langue : Français
Broché : 160 pages
ISBN-13 : 978-2232146206
Prix : 21 euros
Quatrième de couverture :
1888. Agé de 35 ans, Vincent Van Gogh, l’homme du nord, s’installe à Arles et découvre la lumière provençale, éclatante de jour comme de nuit. Stupéfait par la limpidité du firmament, ce passionné d’astronomie se laisse gagner par un projet nouveau : peindre le ciel. Et, même s’il est intimidé par le défi, il veut surtout peindre un ciel étoilé. Parce que « La nuit est encore plus richement colorée que le jour ».
Certains de ses plus grands chefs-d’œuvre naîtront de cet élan : Terrasse de café le soir, La Nuit étoilée sur le Rhône, La Nuit étoilée de Saint-Rémy-de-Provence… Les étoiles correspondent-elles toujours, dans ces tableaux, à une configuration réelle du ciel nocturne, reproduit d’après une observation précise ?
Pour répondre à cette question, et nous éclairer sur un aspect fondamental de la vision artistique du peintre, Jean-Pierre Luminet a mené une enquête passionnante, se rendant sur les lieux précis où Van Gogh a peint, s’appuyant sur sa correspondance, consultant des travaux préexistants, et recourant à des logiciels de reconstitution astronomique. Entre biographie, histoire de l’art, science et poésie.
Ceci est la quinzième de mes « Chroniques de l’espace illustrées ». Si vous souhaitez acquérir mon livre dans sa version papier non illustrée (édition d’origine 2019 ou en poche 2020), ne vous privez pas !
Le mal de l’espace
En août 1961, les Soviétiques mettent en orbite Vostok 2 avec à bord le cosmonaute Guerman Titov, qui va pour la première fois passer une journée entière dans l’espace. Comme la cabine est grande, Titov se détache de son siège et flotte dans l’habitacle en l’absence de pesanteur. Ses mouvements deviennent soudain indécodables par son oreille interne, où se trouve le centre de l’équilibre, son cerveau ne sait plus interpréter sa position sans horizon visuel, les nausées l’envahissent. C’est le mal de l’espace, analogue au banal mal au cœur que nous ressentons en voiture sur une route montagneuse ou en bateau par mer agitée, mais bien plus violent.
Iouri Gagarine, avec son court vol spatial, et les premiers Américains dans leurs très étroites cabines Mercury, n’avaient pas eu assez de temps ni d’espace pour éprouver ces malaises. Ces derniers vont désormais affecter plus ou moins fortement tous les astronautes, même si en général le cerveau s’adapte au bout de quelques jours.
Les problèmes vraiment sérieux apparaissent avec les premières missions de longue durée sur les stations orbitales, quand le mal de l’espace devient psychologique. L’organisation de la vie dans un milieu très confiné et inconfortable engendre en effet des conflits avec les contrôleurs au sol, le rejet de planifications excessives, une irritabilité entre les membres d’équipage, qui ne peuvent s’isoler, allant jusqu’à la dépression nerveuse.
C’est avec les stations russes que des progrès significatifs sont faits dans ce domaine. Le ravitaillement en orbite par des cargos automatiques, apportant une nourriture un peu plus soignée et présentable, de l’eau, du carburant, du courrier, des pièces détachées et permettant l’évacuation des déchets, rend possible d’augmenter la durée de vie en orbite de façon spectaculaire. La visite régulière d’équipages, en plus de celui qui est de permanence, contribue à garder un état psychologique plus équilibré. L’espace « linéaire » est démultiplié, les cosmonautes peuvent s’éloigner les uns des autres pour s’assurer un peu plus d’intimité. Progressivement, la durée des vols double et monte à six mois.
Un nouveau problème se présente alors : certains voyageurs de l’espace se retrouvent prostrés sous prétexte qu’il leur semble que la Terre les oublie. En outre, les phénomènes de décalcification osseuse et les atrophies musculaires engendrent des inadaptations à leur retour sur Terre. Pour y remédier, les stations orbitales sont dès lors équipées de salles de sport, où les cosmonautes suivent un entraînement physique constant. Continuer la lecture →
Dans Une soirée chez Lamartine (1861), Camille Durutte, compositeur ami de Liszt, raconte : « Liszt a joué deux fois. Il a été magnifique. Quelle puissance ! Quelle inspiration ! Il paraissait dompter sous ses doigts les sons houleux ou tendres qu’il venait d’imiter. On eût dit le Neptune antique dominant les flots qu’il avait soulevés. »
Durutte avait déjà reçu Liszt en 1845 pour deux concerts. Durutte était aussi ami avec le comte polonais Wronski, un mathématicien dont les travaux permirent l’année d’après à l’astronome Urbain Le Verrier de déterminer par le calcul la position d’une planète inconnue, qui sera découverte un mois plus tard au télescope de l’Observatoire de Berlin, au moment et à l’endroit prédits, et baptisée Neptune. Cette année 1846 restera une date marquante de l’histoire des sciences, signant le triomphe (provisoire) de la mécanique newtonienne.
L’histoire me donne l’occasion de rappeler l’admiration que Franz Liszt vouait à Alphonse de Lamartine. Entre 1834 et 1852, il mettra en musique les Harmonies Poétiques et Religieuses (parues en 1830), où le poète n’hésite pas à élever sa pensée vers le ciel :
« Il est pour la pensée une heure… une heure sainte, Alors que, s’enfuyant de la céleste enceinte, De l’absence du jour pour consoler les cieux, Le crépuscule aux monts prolonge ses adieux. On voit à l’horizon sa lueur incertaine, Comme les bords flottants d’une robe qui traîne, Balayer lentement le firmament obscur, Où les astres ternis revivent dans l’azur. Alors ces globes d’or, ces îles de lumière, Que cherche par instinct la rêveuse paupière Jaillissent par milliers de l’ombre qui s’enfuit Comme une poudre d’or sur les pas de la nuit. »
Le plus célèbre poème symphonique de Liszt, Les Préludes (1853), est déclaré être écrit « D’après Lamartine » et a pour exergue « Notre vie est-elle autre chose qu’une série de préludes à ce chant inconnu dont la mort entonne la première et solennelle note ?»
Une étude plus détaillée révèle cependant une genèse quelque peu différente et bien plus intéressante.
Lors du premier passage de Liszt à Marseille pour une série de concerts, le poète local Joseph Autran (1813-1877) lui offre une suite de quatre poèmes : La Terre, Les Aquilons, Les Flots et Les Astres. Liszt conçoit alors l’idée d’une œuvre chorale pour voix d’hommes avec accompagnement de piano, Les Quatre éléments, et compose aussitôt la musique pour le poème Les Aquilons. Lors de son dernier concert marseillais donné le 6 août 1844, il en dirige la création avec accompagnement de deux pianos, Liszt tenant l’un d’eux. Il complète jusqu’en 1845 cette suite musicale avec les chœurs des trois autres parties, mais ne la publiera ni ne la fera interpréter de son vivant. En revanche, il y ajoute en 1848 une ouverture symphonique qui utilise le thème principal du chœur Les Aquilons. Sur le moment il n’en fait rien.
Les Aquilons, extrait de LES QUATRE ÉLÉMENS. Choral Works for Male Voices par Honvéd Ensemble Male Choir.
C’est alors qu’en 1852 Joseph Autran publie un vaste recueil de Poèmes de la mer. L’un d’eux s’intitule A Frantz Listz [sic]. Le texte, savoureux et instructif, mérite d’être intégralement cité :
« Où dort maintenant, ô mon grand artiste, Où dort désormais ton noble instrument ? Les jours sont passés ; hélas ! tout est triste ; La fin ne vaut pas le commencement.
« Je t ’écris ce mot de la même plage Où jadis, un soir, vers le bord du flot, Tu faisais chanter, c’était le bel âge, Un de ces claviers que fait Boisselot.
« La mer sous nos yeux roulait aplanie, L’onde caressait le sable des bords ; Et toi, le front plein de ton pur génie, Tu jetais sans fin tes divins accords.
« Près de nous causaient ou rêvaient trois femmes, Fronts aux blonds cheveux moins longs que les tiens, Et de temps en temps la chanson des lames Se mêlait dans l’ombre à nos entretiens.
« Où sont les beaux jours ? où fuit la jeunesse ? Rome à nos bravos a su te ravir. Ne m’apprend-on pas que tu dis la messe ? Je pars, s’il est vrai, pour te la servir! »
Ceux qui connaissent un tant soit peu la vie de Liszt – que je ne puis décemment entièrement raconter ici ! – auront reconnu l’allusion d’Autran au fait que Liszt ait décidé d’abandonner sa carrière de virtuose, et de s’engager dans une voie religieuse[1].
Liszt répond à Autran en 1854 :
« Votre lettre et le beau volume de vos Poèmes de la mer m’ont fait un très grand plaisir, et je vous remercie bien cordialement de votre aimable preuve de votre bon souvenir. Il semble que vous ayez deviné que la mer devait me manquer beaucoup ici et que vous ayez voulu y suppléer par une de ces généreuses libéralités dont les poètes sont seuls capables. En effet, vos vers me tiendront lieu de cette sublime société, de ces infinis horizons, de ces irrétrouvables harmonies, qui m’étaient devenues familières durant mes voyages, et c’est avec vous que je les évoquerai désormais! Dès la première feuille j’ai été charmé de retrouver plusieurs strophes que j’avais composées autrefois et que je compte vous faire entendre lorsque je reviendrai à Paris. Vous vous souvenez peut-être m’avoir confié à Marseille quatre textes – « Les flots », « Les bois », « Les astres », « Les autans ». J’en ai achevé la musique il y a longtemps, et en les orchestrant, l’idée me prit d’y joindre une assez longue ouverture. Nous en ferons quelque chose à quelque beau jour ».
Le beau jour en question ne tarda pas. En 1853, Liszt se décide enfin à donner à son ouverture une vie indépendante, calquant un nouveau programme poétique sur cette ouverture. Et, oubliant quelque peu ce qu’il devait à Autran, il l’intitule Les Préludes, à l’imitation de la quinzième des Nouvelles méditations poétiques de Lamartine…
Je viens d’apprendre avec grande affliction la disparition de Robert Pascal (3 juin 1952 – 9 novembre 2022), un ami d’enfance connu au lycée qui avait judicieusement bifurqué des mathématiques supérieures à la création en musique contemporaine. Cet article lui rend un hommage malheureusement posthume. Il est en grande partie extrait de mon livre de 2020 « Du piano aux étoiles », dans lequel je lui consacre quelques pages dont la lecture l’avait beaucoup touché. Depuis plusieurs années Robert luttait courageusement et dans la plus grande discrétion contre un cancer, épaulé par son épouse Anne-Laure, elle-même musicienne et enseignante au conservatoire de Cavaillon, ma ville natale.
J’avais fait la connaissance de Robert en 1969 au lycée Thiers de Marseille, où mes parents m’avaient envoyé faire les classes préparatoires aux Grandes Écoles. Vivant de plus en plus mal le clivage qui régnait entre les diverses disciplines de l’esprit, j’essayais de parler de musique classique, de littérature et de poésie plutôt que de mathématiques, avec des camarades qui pour la plupart restaient hermétiques, polarisés sur les examens. L’un d’entre eux, cependant, se distinguait sur deux plans : il était né comme moi un 3 juin (bien qu’une année plus tard), mais surtout il prêtait une oreille attentive à mes intérêts musicaux. Pensionnaire, j’avais en effet apporté dans le dortoir des élèves un petit poste radio, sur lequel j’écoutais France Musique. Chaque matin, au lever, j’étais fasciné par un interlude qui passait entre deux programmations, où l’on entendait un oiseau chantant sur un arrière-fond de piano et de violons jouant très legato. C’était lancinant, magique et très évocateur (cinquante ans plus tard, en faisant une recherche sur Internet, j’ai fini par trouver qu’il s’agissait d’un extrait du Concerto pour rossignol et orchestre que Jean Wiener avait composé en 1956 pour le film de Jean Duvivier, Voici le temps des assassins – une rareté quasiment introuvable, que l’on peut cependant écouter ici sur Youtube :
C’est sans doute ce qui a poussé mon camarade – il s’agissait donc de Robert Pascal – à m’adresser la parole, et nous avons discuté de notre passion commune. Je lui avais fait particulièrement l’éloge du poème symphonique Pacific 231, composé en 1923 par Arthur Honegger, que je venais de découvrir et qu’il ne connaissait pas. En 1949 il a servi d’illustration sonore au court métrage éponyme réalisé par Jean Mitry, dont la vedette principale est la locomotive à vapeur Pacific 231 E 24 « Chapelon »:
Puis nos chemins ont divergé. Moi à la fac de Marseille, lui à l’École Normale Supérieure de Saint-Cloud, et j’avais oublié jusqu’à son nom.
C’est alors qu’une bonne trentaine d’années plus tard, en 2004 précisément, j’ai reçu un courriel me rappelant à son bon souvenir. Robert Pascal avait retrouvé ma trace grâce à la lecture d’un de mes livres d’astronomie destinées au grand public. Il se souvenait de notre conversation lycéenne sur Pacific 231, et m’apprenait surtout qu’après les mathématiques il s’était consacré entièrement à la musique, enseignant la composition au Conservatoire National Supérieur de Musique (CNSM) de Lyon. Ayant lu aussi que j’avais collaboré avec le compositeur Gérard Grisey, initiateur du courant dit de la « musique spectrale », il m’invitait à une table ronde pour en parler. Invitation à laquelle, submergé de travail, je ne pouvais hélas me rendre. Quinze années passèrent de nouveau, sans plus de contact.
En 2019, Robert Pascal eut la généreuse idée de me relancer en m’envoyant des enregistrements de ses compositions. Je découvris ainsi Des rives de lumière (1997) pour petit ensemble, œuvre brillant d’une belle noirceur et d’une profonde intensité.
Quelques mois plus tard, ce furent d’émouvantes retrouvailles dans sa maison d’Eyguières, où je redécouvris un être très attachant, alliant une immense modestie à une incroyable bienveillance. Quarante-cinq ans s’étaient passés, et accompagné par son épouse Anne-Laure il m’accueillit en m’embrassant comme si nous ne nous étions quittés que la veille !
Mais au-delà de ces souvenirs personnels, quel a donc été le parcours musical de Robert Pascal ? Continuer la lecture →
Après cinq années de calculs et d’analyses, la collaboration internationale du télescope Event Horizon (EHT) a livré le 12 Mai 2022 l’image de Sagittarius A* (Sgr A*), le trou noir géant tapi au centre de notre galaxie (la Voie lactée), à 27 000 années-lumière de la Terre. Jusqu’à présent, on ne percevait qu’indirectement sa présence, à partir de quelques émissions dans le domaine radio et l’observation des trajectoires des étoiles orbitant à grande vitesse autour d’une masse gigantesque mais invisible. Après celle obtenue par l’EHT en 2019 du trou noir central de la lointaine galaxie M87, c’est donc la seconde image directe de ce type d’astre dont on dispose à ce jour.
Une recomposition complexe
Souvenez-vous. La toute première image télescopique d’un trou noir entouré d’un disque de gaz chaud avait été dévoilée en avril 2019 par les mêmes équipes de l’EHT : il s’agissait du trou noir M87* situé au centre de la galaxie elliptique géante M87, distante de 56 millions d’années-lumière. Les observations de Sgr A* avaient été effectuées en avril 2017, lors de la même campagne que celles de de M87*. S’il a fallu cinq années d’analyse pour Sgr A* contre deux pour M87*, c’est parce que durant le temps de pose des observations – de l’ordre de l’heure – , l’émission lumineuse du disque de gaz autour de Sgr A* est très variable, alors que celle autour de M87* est figée. La raison tient à ce que Sgr A* a une masse 1500 fois plus faible que M87* (4 millions de masses solaires pour SgrA* contre 6 milliards pour M87*), de sorte que l’échelle de temps caractéristique de la variabilité lumineuse, donnée par la simple formule GM/c3, est beaucoup plus rapide : 20 secondes, contre plusieurs heures pour M87*.
Tenter de capturer une image nette de SgrA* dans un temps de pose d’une heure revenait donc à prendre la photo d’un chien courant après sa queue. Il a fallu un travail d’intégration considérable pour reconstruire une image “moyenne” de SgrA* suffisamment nette, comme le montre clairement la figure 3.
Pour atteindre la résolution angulaire nécessaire pour imager SgrA* et M87*, équivalente à l’angle minuscule sous lequel nous verrions depuis la Terre une pomme sur la Lune, l’EHT a utilisé un réseau de radiotélescopes s’étendant de l’Antarctique à l’Amérique du Nord en passant par le Chili, les îles Hawaï et l’Europe de façon à avoir l’équivalent d’un instrument unique de taille planétaire, fonctionnant en mode interférométrique.
Ce qui frappe de prime abord, c’est que les deux photographies de M87* et de SgrA* se ressemblent beaucoup : au centre, une ombre noire, image de l’horizon des événements (nom donné, je le rappelle, à la surface intangible d’un trou noir) agrandie d’un facteur 2,6 – (comme je l’avais montré dans mon article de 1979, cf. fig. 5), entourée d’une couronne lumineuse jaune-orangée, floue et présentant des taches de surbrillance.
La différence la plus importante est l’apparence de trois taches surbrillantes bien distinctes dans l’anneau lumineux de SgrA*, alors que l’anneau de M87 est continu avec deux zones de surbrillance contigues. De même, l’ombre centrale paraît moins ronde pour SgrA*, sans doute en raison du grand nombre d’images qu’il a fallu intégrer pendant les heures d’observations.
Un catalogue de plusieurs milliers de simulations numériques a été établi aux fins de comparaison avec les clichés de l’EHT et de fixer des plages de valeurs probables pour les caractéristiques physiques (angle de vue, spin, etc) de SgrA*. Du gaz chaud ionisé tourne rapidement autour du trou noir, formant comme des bras spiraux qui deviennent plus brillants à leur tangence avec l’anneau de photons, où la lumière est amplifiée par lentille gravitationnelle forte. Ce sont ces points brillants qui sont intégrés au cours du temps, et qui donnent la structure générale des couronnes lumineuses.
et d’en tirer des conclusions rapides concernant la structure du disque d’accrétion et l’angle sous lequel il est vu depuis la Terre:
J’avoue m’être moi-même laissé entraîner par cette interprétation, qui d’une part flattait mes calculs pionniers, d’autre part n’était aucunement démentie par les chercheurs de l’EHT, qui m’ont au contraire déroulé un tapis rouge lors de la première conférence tenue sur le sujet à l’Université de Harvard en juin 2019.
Au point que, tant pour l’image de M87* que pour celle plus récente de SgrA*, cette interprétation a été reprise dans la plupart des médias de vulgarisation scientifique. D’autant que les articles spécialisés publiés par les chercheurs de l’EHT, bourrés de détails techniques, restent étrangement vagues sur la question…
Or, la réalité physique est toujours plus complexe que nos premières grilles de lecture. Une analyse plus fine, faite depuis 2019 sur M87* et renforcée en 2022 par celle de SgrA*, suggère que la couronne lumineuse en forme de « donut » n’est pas l’image directe des disques d’accrétion gazeux orbitant autour de leurs trous noirs respectifs, et que les surbrillances ne reflètent pas complètement l’état réel du gaz autour du trou noir, ni ne traduisent l’effet Doppler dû à la rotation relativiste du gaz ! Continuer la lecture →
Ceci est la quatorzième de mes « Chroniques de l’espace illustrées ». Si vous souhaitez acquérir mon livre dans sa version papier non illustrée (édition d’origine 2019 ou en poche 2020), ne vous privez pas !
La navette spatiale
Début 1969, en pleine euphorie de la réussite des missions lunaires, la Nasa étudie la suite à donner au programme Apollo. Plusieurs propositions sont élaborées en interne : station spatiale, base lunaire, expédition vers Mars, navette spatiale. Mais la guerre du Vietnam pèse lourdement sur les budgets. La Nasa est consciente de la nécessité de baisser les coûts. Jusqu’à présent, les fusées, capsules et vaisseaux n’étaient prévus que pour une unique utilisation. L’agence américaine persuade le Congrès, dispensateur de crédits, qu’un véhicule spatial réutilisable va faire tomber le prix des lancements de fusées et stopper les ambitions des rivaux européens et soviétiques.
C’est ainsi que naît la navette spatiale, véritable chef-d’œuvre de technologie fondé sur un modèle d’avion classique avec ailes delta à profil évolutif.
Le décollage de la première navette Columbia, le 12 avril 1981, est un grand moment télévisuel. La puissance des boosters à la mise à feu est impressionnante. Après quelques manœuvres en orbite, l’avion-fusée atterrit deux jours plus tard sur une base aérienne. Pour la première fois, un équipage revient de l’espace et se pose de la même manière qu’un avion sur une piste. C’est un succès, malgré le grand nombre de tuiles de la protection thermique endommagées.
Cinq modèles de navettes seront fabriqués et voleront entre 1981 et 2011 : Columbia, Discovery, Challenger, Atlantis et Endeavour.
À leurs débuts, leur mission consiste essentiellement à lancer des satellites commerciaux civils et surtout militaires. Elles placent aussi en orbite haute d’importants télescopes spatiaux, comme le fameux Hubble Space Telescope et le satellite à rayons X Chandra.
Quand on appartient au public, on n’est plus à personne ! Je souffre tout au plus de ce que Chamfort a si bien dit : “La célébrité est la punition du talent, et le châtiment du mérite”. Franz Liszt
Duels de stars (1837)
Dans la Gazette Musicale de Paris de l’année 1834, j’ai trouvé un article d’un dénommé A. Guémer livrant une passionnante analyse des jeux pianistiques respectifs de Ferdinand Hiller, Henri Bertini, Frédéric Chopin et Franz Liszt. Il y écrit « si Ferdinand Hiller nous fait connaître la science et la profondeur ornées du goût le plus soutenu ; si Bertini, l’inspiration avec la patience ; si Chopin, la plus exquise sensibilité, rendue par des signes matériels, Liszt, glorieuse pyramide de ce triangle de talents, Liszt sera réellement et particulièrement le génie dans l’exécution. […] Liszt a porté ses regards vers toutes les régions élevées, et voyant les lettres, le théâtre, la philosophie, la science même se régénérer dans la liberté, il s’est élancé dans leur voie, pour détourner au profit de son art toutes les richesses du monde intellectuel. N’en doutez pas, voilà le secret de Liszt : s’il rend aussi merveilleusement Beethoven, c’est qu’il comprend de même Shakespeare, Goethe, Schiller, Hugo ; c’est qu’il comprend l’auteur de Fidelio dans son génie plus encore que dans son œuvre ; Liszt, c’est la main de Beethoven. »
Le 31 mars 1837, la princesse Cristina Belgiojoso organise un « duel » pianistique entre Liszt (26 ans) et Sigismund Thalberg (25 ans) lors d’un concert caritatif au profit des exilés italiens, dont la princesse fait partie. Les places sont vendues 40 francs (soit plus de 100 euros pour notre époque). Les deux virtuoses joutent à grand renfort de fantaisies sur des thèmes d’opéras. Le public, subjugué par les deux artistes, se refuse à trancher. Le duel se conclut avec ce fameux mot d’esprit que l’on attribue à la princesse Belgiojoso, mais qui est en réalité de Marie d’Agoult : « Thalberg est le premier pianiste du monde, Liszt est le seul. »
Thalberg se produit de nouveau à Paris au printemps 1838, puis retourne à Vienne en avril, tandis que Liszt donne dans cette même ville un concert au profit des victimes de la grande inondation qui, en mars, a touché Pesth. Une fois de plus, les deux virtuoses se retrouvent. Thalberg assiste à un concert de son rival et l’invite même à dîner le 28 mars, avec le prince Dietrichstein (père supposé de Thalberg), qui se félicite d’avoir à sa table « Castor et Pollux ». Outre les jumeaux de l’Antiquité, c’est le nom donné aux deux étoiles les plus brillantes de la constellation des Gémeaux. Le jour suivant, les deux pianistes dînent de nouveau à la même table, invités cette fois par le prince Metternich. Les deux pianistes deviennent amis, mais restent rivaux.
En 1839, le journaliste Henri Blanchard reproche à Liszt d’avoir pris à Thalberg la technique du chant médium par les pouces. Dans certaines partitions particulièrement difficiles d’exécution, Liszt et Thalberg usent parfois de trois portées pour bien différencier les plans sonores et donner l’illusion d’une troisième main – celle du chant, dont la mélodie est partagée entre les pouces dextre et senestre dans le registre central du clavier.
Un exemple instructif est la comparaison des transcriptions que Liszt et Thalberg ont respectivement faites du lied de Mendelssohn Auf Flügen des Gesanges (Sur les ailes du chant). La partition de Thalberg est sur deux portées, celle de Liszt sur trois, celle du milieu permettant de parfaitement identifier la mélodie jouée en alternance par les pouces des deux mains. Pour avoir écouté les deux versions, je puis dire en toute objectivité que celle de Liszt est bien plus convaincante.
La version complète Mendelssohn-Thalberg par un pianiste anonyme
La version complète Mendelssohn-Liszt par Julius Katchen
En 1848, les deux rivaux se rencontrent à nouveau, et les tensions s’apaisent : le très généreux Liszt assiste à un concert de Thalberg à Vienne et l’applaudit sans retenue. Continuer la lecture →
J’eus le vertige et je pleurai car mes yeux avaient vu cet objet secret et conjectural dont les hommes usurpent le nom, mais qu’aucun homme n’a regardé : l’inconcevable univers. Jorge Luis Borges, L’Aleph (1949)