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Science et croyance

“Moi, monsieur, je crois en la science”.  Cette parole d’un journaliste sur un plateau télévision rapprochant l’univers de la croyance et celui de la science  est troublant et tient de l’oxymore, c’est-à-dire de l’auto-contradiction.

Le verbe « croire » est peu employé dans le domaine scientifique. Pour donner un exemple, en 1742, Christian Goldbach a affirmé : « tout nombre pair est somme de deux nombres premiers ». Il y croyait mais, à ce jour, personne n’a réussi à prouver ni que cette assertion de Goldbach était vraie, ni qu’elle était fausse. J’oserai par exemple dire : « je crois la conjecture de Goldbach vraie » mais cette croyance sort des mathématiques. En fait, « croire » fait partie du vocabulaire de la religion, pas de la science et encore moins des mathématiques. Dire « je crois en la science » est quasiment un oxymore car la science n’est pas affaire de croyance mais de faits prouvés, ce qui n’exclut pas la possibilité d’erreurs.

Les « fake news » et l’esprit religieux

On retrouve la structure du religieux dans la lutte contre les « fake news » où certains, journalistes ou hommes politiques, s’arrogent le droit de dire la vérité au nom de la science sans la moindre habilitation à le faire. L’Eglise catholique est au moins plus honnête quand elle le fait puisqu’elle cite ses sources : le livre (qu’elle considère comme) sacré. Donner le droit à des hommes politiques de dire « la vérité » dans des domaines hors de leurs compétences n’est pas raisonnable. C’est faire un procès sans débat contradictoire où le juge remplit tous les rôles, celui de bourreau compris.

Science et pseudo-science

Les astrologues utilisent des données scientifiques ce qui donne à l’astrologie une allure de science, mais ce n’est en rien une science ! Si deux personnes partagent les mêmes données, elles ont le même horoscope mais sans doute pas le même avenir. Quand l’astronomie est une science, l’astrologie est une pseudo-science. De même, la chimie est une science et l’alchimie une pseudo-science. Dans chaque cas particulier, on peut distinguer science et pseudo-science mais quel est le critère général permettant de distinguer les deux ?

Pour Karl Popper (1902-1994), la distinction est la réfutabilité. Une science est réfutable, une pseudo-science ne l’est pas car repose sur des dogmes.

Popper est frappé par le fait que la théorie d’Einstein serait intenable si certaines conditions n’étaient pas remplies, en particulier le décalage vers le rouge des lignes spectrales dû au potentiel de gravitation devait ne pas exister, la théorie générale de la relativité serait insoutenable.

Les poèmes de Nostradamus

Quand on parle d’astrologie, difficile de ne pas citer Nostradamus, toujours lu cinq siècles après sa mort. En effet, il a écrit un livre mystérieux qu’il a nommé Prophéties. Il se présente comme une série de quatrains dont la plupart n’ont pas de sens évident et certains ressemblent à des prévisions. Voici le plus célèbre dans lequel on peut lire des allusions à la mort tragique du roi Henry II :

Le lyon jeune le vieux surmontera

En champ bellique par singulier duelle

Dans cage d’or les yeux lui crèvera

Deux classes une, puis mort cruelle.

 

 

 

Enigmes pour extraterrestres

 

Dans l’espoir d’entrer en contact avec des extraterrestres, en 1972 et 1973, les sondes 10 et 11 du programme d’exploration du système solaire Pioneer furent équipées d’une plaque qui voulait décrire l’humanité et son lieu de résidence, la Terre. Sur la droite, un homme et une femme nus, l’homme saluant de la main droite.

En bas, on peut reconnaître le Système solaire avec le Soleil à gauche et neuf planètes : Mercure, Vénus, Terre, Mars, Jupiter, Saturne, Uranus, Neptune et Pluton qui, de nos jours n’est plus considérée comme une planète. Un chemin part de la troisième planète (la Terre) et mène à une représentation de la sonde, qui est à l’échelle et permet de connaître la taille moyenne des humains.

Ce nombre indique à quelle distance moyenne se trouve la planète par rapport au soleil, sachant qu’une unité vaut 6 millions de km. Voici les nombres affichés pour les six premières planètes :

Planète Mercure Vénus Terre Mars Jupiter Saturne
Nombre binaire 1010 10011 11010 100111 10000110 11110111
décimal 10 19 26 39 134 247
distance 60 110 150 230 800 1 400

 

Les autres informations contenues dans la plaque concernent des connaissances en physique, sur l’atome d’hydrogène et en astronomie, sur les pulsars. Les Américains envoyèrent une autre bouteille à la mer interstellaire avec les sondes Voyager 1 et 2 en 1977. Les engins arboraient la plaque et renfermaient un CD avec les instruments pour le lire. La Nasa n’a pas récidivé depuis, peut-être lassée de ne pas recevoir de réponse…

 

L’angle mystérieux

On donne la configuration suivante où le triangle OAB est isocèle et les angles lambda = 20°, alpha = 60° et bêta = 50° sont donnés.

La figure est volontairement fausse;

Il s’agit de trouver la valeur de gamma.

Faire un dessin correct

Le dessin fourni est grossièrement faux. En vous appliquant avec une règle et un rapporteur, vous trouverez 80°, à moins que cela un nombre très proche bien sûr. Comment savoir ? Pour cela une seule solution : il faut le prouver !

Pour essayer de le faire, vous utiliserez sans doute les relations angulaires classiques (somme des angles d’un triangle, angles opposés, etc.) pour déterminer le plus d’angles possibles. Quoique vous fassiez, vous n’atteindrez pas l’angle cherché de cette façon. Il reste pourtant que cet angle est bien entièrement déterminé.

L’introduction d’un cercle

La notion d’angle est intimement liée aux cercles, il est donc naturel d’en introduire un. C’est donc assez logiquement que nous introduisons le cercle de centre O passant par A et B ce qui nous mène à la figure suivante :

Si on construit le polygone régulier de centre O et d’angle au centre AOB, on s’aperçoit que la droite IJ semble couper le cercle en deux points du polygone M et N. De même AJ et BI en C et D.

Admettons que nous ayons réussi à le prouver, en utilisant les relations dans le triangle OIN, nous trouvons :

OIN = 180 – ONM – ION

Or, en utilisant les angles au centre ainsi que les angles inscrits :

ONM = 30 et ION = 100 donc OIN = 50. On en déduit le résultat.

Le nœud de la preuve

Il reste donc à prouver que la droite IJ coupe effectivement le cercle en M et N. Nous pouvons oublier les points C et D puisqu’ils n’interviennent pas pour démontre le résultat final. Il s’agit donc de montrer que les points du polygone M et N et les points I et J sont alignés.

Pour cela, on constate d’abord que le triangle OAJ est isocèle (angles en O et A égaux à 30° donc OJ = JA. D’autre part, JA = JB’ par symétrie donc OJ= JB’ d’où l’on déduit que J appartient à la médiatrice de OB’ c’est-à-dire  à MN.

Enfin IMA = IBA = 50° (symétrie) et de même NMA = 50° (angle inscrit. Il en résulte que I appartient à MN. Nous avond démontré que les quatre points M, N, I et J sont alignés. Le résultat s’ensuit.

Jeter le masque ?

La seule méthode de chiffrement démontrée inviolable est le masque jetable … dont il est impératif qu’il soit jeté après un seul usage. Avant d’expliquer pourquoi, il nous faut dire de quoi il s’agit.

Chiffrement par substitution

La méthode de substitution la plus ancienne est attribuée à Jules  César, elle consiste à décaler les lettres du message d’un certain nombre. Si on choisit un décalage d’une lettre, “cesar” devient “dftbs”. Pour un décalage de deux lettres, nous obtenons “eguct” et ainsi de suite. On peut complexifier ce chiffrement en changeant de décalage à chaque lettre, la suite de décalages est la clef de chiffrement. Si on utilise l’alphabet latin (de A à Z), qu’on peut assimiler aux nombres de 0 à 25, ce la donne.

 

Clair V O I C I L E C L A I R
Clef C E L A E S T L A C L E
Chiffré X S T C M D X N L C T V

 

Chaque décalage correspond à une addition. Pour la première colonne V + C correspond à 21 + 2 = 23 soit X et ainsi de suite. Quand on obtient un nombre supérieur ou égal à 26, on lui retranche 26. Par exemple, à la sixième colonne, L + S correspond à 11 + 18 = 29 reste 3 d’où L + S = D.

Le masque jetable

Plus la clef est longue plus ce chiffre par substitution poly-alphabétique est difficile à décrypter. En 1917, Gilbert Vernam en conclut que l’idéal était que la clef soit aussi longue que le message. Joseph Mauborgne remarqua plus tard qu’il valait mieux qu’elle soit aléatoire et par voie de conséquence qu’on ne l’utilise qu’une fois. En 1949, en créant la théorie de l’information, Claude Shannon démontra que ce chiffre était inviolable. C’est le seul dont on ait démontré qu’il soit indécryptable.

Claude Shannon et une de ses créations : la souris qui sort seule d’un labyrinthe.

Les mésaventures des Soviétiques

Les Soviétiques firent l’erreur d’utiliser deux fois la même clef dans les années 1930 d’après les archives britanniques. Ils persistèrent dans leur erreur après la guerre ce qui facilita le projet Venona américain de décryptement des messages des services de renseignements soviétiques. Trois mille messages furent ainsi décryptés totalement ou partiellement. Une des conséquences a été la détection d’espions soviétiques comme les époux Rosenberg et les cinq de Cambridge dont le célèbre agent double Kim Philby. Cette faiblesse du masque jetable, que Claude Shannon a montré inviolable rappelle la différence entre théorie et pratique et surtout qu’un théorème de mathématiques a des hypothèses strictes, ici le côté aléatoire des clefs et leur utilisation unique. On ne peut l’utiliser en dehors de ses conditions d’application, même si la question est tentante pour qui ne domine pas ces questions.

La faille …

Si on utilise deux fois la même clef, il suffit de faire la différence des deux chiffrés pour faire disparaître la clef. Plus précisément, on obtient le premier message chiffré avec une clef liée au second message. On utilise alors la méthode du mot probable pour décrypter le tout.

Valérie Cheno et la femme de Vitruve

L’homme de Vitruve, un dessin exécuté par Léonard de Vinci (1452 – 1519) d’après le texte de Vitruve sur les proportions, un architecte romain du premier siècle avant Jésus-Christ, est mondialement connu mais qui connait la femme de Vitruve ? Albrecht Dürer (1471 – 1528) en a dessiné une.

Une femme de Vitruve en acier

L’idée est toujours vivante : Valérie Cheno (née en 1968) une sculptrice contemporaine en a créé une en acier.

Femme de Vitruve par Valérie Cheno.

L’homme de Vitruve, et donc la femme de Vitruve également, étant lié à une question mathématique, nous avons découvert que Valérie Cheno avait une formation scientifique ce qui lui sert également à équilibrer ses œuvres et sans doute explique aussi son monde imaginaire fait de lutins de couleur bleue .

Les lutins autour de la piscine

Lors de l’exposition aux Sources à Antibes, l’essentiel de ses œuvres ont été disposées le long d’un parcours autour de la piscine. Nous vous laissons en découvrir une partie ici.

Le grand personnage montre bien la difficulté de l’équilibrage des statues : le centre de gravité doit se trouver à la verticale de la base.
Une statue dans la piscine.

On verra davantage de sculptures, et également des bijoux de Valérie Cheno sur son site : www.cheno.fr

Les grands nombres … et les petits

Dans la vie courante, nous avons rarement besoin d’aller au-delà des mille milliards qui, forcément, font penser aux mille milliards de mille sabords du capitaine Haddock, le célèbre compagnon de Tintin.

Nicolas Chuquet (1445 – 1500) inventa pourtant un système pouvant aller bien au-delà. Dans son livre Triparty en la science des nombres, il forgea de nouveaux noms de nombres sur des préfixes correspondants à deux, trois,…, neuf : billion, trillion, quatrillion, quintillion, sextillion, septillion, octillion, nonillion. Le premier (un billion) est un million de millions, chacun est ensuite égal à un million de fois le précédent. Ce système est appliqué en Europe sauf dans les pays de langue anglaise car, malheureusement, les États-Unis ont adopté un système différent où chaque quantité est égale à mille fois la précédente. Ainsi, un billion américain vaut mille millions français donc à un milliard et ainsi de suite. D’autre part, on utilise aussi des préfixes comme déca, hecto, kilo, méga, etc. (voir le tableau système de noms des grands nombres). Ainsi, un kilogramme vaut 1000 grammes, etc. Les premiers ont un sens qui vient du grec où déka signifie dix, ékaton, d’où viennent les hécatombes, cent, kilo, mille, mégas, d’où vient mégalomane, grand, gigas, d’où vient gigantesque, géant, téras d’où vient la tératologie, monstre. Les autres donnent, toujours en grec, la puissance de 1000 utilisée. Ainsi péta vient de penté, qui signifie 5 et qui a donné pentagone, mais pas Pétaouchnock qui, bien qu’imaginaire est censée être une ville très éloignée, quelque part au fin fond de la Sibérie. Exa vient de hexa, qui signifie 6 et qui a donné hexagone. Les derniers sont là pour 7 (zetta) et 8 (yotta) mais sont artificiels.

Nom français Nom américain Préfixe Symbole Valeur
dix déca da 10
cent hecto h 100
mille kilo k 1000
million méga M 1 000 000
milliard billion giga G 1 000 000 000
billion trillion téra T 1 000 000 000 000
billiard quadrillon péta P 1 000 000 000 000 000
trillion quintillion exa E 1 000 000 000 000 000 000
trilliard sextillion zetta Z 1 000 000 000 000 000 000 000
quadrillon septillion yotta Y 1 000 000 000 000 000 000 000 000

Le système de noms des grands nombres va au-delà mais les nombres deviennent alors sans véritable utilisation concrète. On peut alors simplifier les mille milliards de mille sabords du capitaine Haddock en un seul péta sabord… mais ce serait moins musical et pourrait être mal interprété.

Les financiers utilisent parfois des expressions telles que kiloeuros (k€) ou millions d’euros (M€), qu’ils seraient plus logique de nommer mégaeuros vu le symbole M utilisé, mais cela n’apparaît pas normalement dans les comptes bancaires des particuliers. Sauf en période d’hyper inflation, comme en Allemagne en 1923 où on imprima des billets de 500 millions de marks, ou au Zimbabwe en 2009 où on alla jusqu’à 100 000 milliards, soit 100 trillions au sens anglo-saxon (voir la photographie un billet sans valeur), les particuliers n’ont pas besoin d’envisager des sommes supérieures au milliard français, donc au billion américain… et les États, guère plus.

Un billet sans valeur

En informatique, l’usage du système binaire fait que les préfixes ont un sens légèrement différent. Kilo signifie alors 1024 car ce nombre est égal à 2 à la puissance 10, méga vaut 1024 kilo, giga, 1024 méga, téra, 1024 giga et péta, 1024 téra, etc.

Les petits nombres

Pris à l’envers, ce système permet également de visiter l’infiniment petit (voir le tableau système de noms des petits nombres). Ici encore, les préfixes ont un sens. Les premiers viennent du grec où micro signifie petit et nano, nain. On passe ensuite à l’italien où piccolo, qui signifie petit, a donné pico. Les autres sont artificiels.

 

Nom français Nom américain Préfixe Symbole Valeur
dixième déci d 0,1
centième centi c 0,01
millième milli m 0,001
millionième micro m 0,000 001
milliardième billionième nano n 0,000 000 001
billionième trillionième pico p 0,000 000 000 001
billiardième quadrillonième femto f 0,000 000 000 000 001
trillionième quintillionième atto a 0,000 000 000 000 000 001
trilliardième sextillionième zepto z 0,000 000 000 000 000 000 001
quadrillonième septillionième yocto y 0,000 000 000 000 000 000 000 001

Système de noms des petits nombres. Le système va au-delà mais les nombres deviennent alors sans véritable utilisation concrète.

 

Les vestiges de la base vingt

La façon de dire les nombres en français a des variantes locales. Ainsi comment doit-on lire, ou écrire en toutes lettres, le nombre 283 ? La logique du français voudrait : deux cent huitante-trois… pourtant cela ne s’écrit ainsi que dans certaines régions de l’Est de la France et dans quelques cantons suisses. Les Belges préfèrent : deux cent octante-trois et la majorité des Français, comme des Canadiens : deux cent quatre-vingt-trois.

Un ancien usage ?

Ces quatre-vingts viendraient d’une ancienne façon de compter en usage autrefois en France et dont nous aurions hérité des Celtes. En effet, on la retrouve en Bretagne comme au pays de Galles et en Irlande. Le principe est partout le même, il s’agit d’un usage partiel de la base vingt. Il nous en reste le quatre-vingts de nos comptes mais aussi un hôpital parisien : celui des Quinze-Vingts, fondé par saint Louis (1214 – 1270) pour accueillir 15 fois 20, c’est-à-dire 300, vétérans aveugles. Il est toujours spécialisé en ophtalmologie. Cette façon de compter se retrouvait autrefois plus souvent qu’aujourd’hui, ainsi, dans L’avare de Molière, à la scène 5 de l’acte II, Frosine dit à Harpagon :

Par ma foi ! Je disais cent ans ; mais vous passerez les six vingts.

Six vingts signifiait 120. Pour 100 cependant, Frosine ne dit pas cinq vingts. Dans Notre-Dame de Paris, Victor Hugo (1802 – 1885) nous fait découvrir une autre trace de ce système quand il relate l’assaut de Notre-Dame par les truands (au livre X, chapitre 4) :

Clopin Trouillefou, arrivé devant le haut portail de Notre-Dame, avait en effet rangé sa troupe en bataille. Quoiqu’il ne s’attendît à aucune résistance, il voulait, en général prudent, conserver un ordre qui lui permît de faire front au besoin contre une attaque subite du guet ou des onze vingts.

Au Moyen-Âge, les onze vingts étaient un corps de police de 11 fois 20, c’est-à-dire 220, membres. Cet usage de compter par vingtaines était alors plus général que le montre ces quelques vestiges, comme Charles-Pierre Girault-Duvivier (1765 – 1832) le note dans sa grammaire des grammaires :

Six vingts vieillit ; on dit plus ordinairement cent-vingt ; on disait encore dans le siècle passé sept vingts ans, huit vingts ans : depuis six ou sept vingts ans que l’église calvinienne a commencé (Bossuet) – Des femmes enceintes au nombre de huit vingts et plus – l’Académie ne condamnait pas autrefois cette manière de s’exprimer, et en permettait l’usage jusqu’à dix-neuf vingts en excluant seulement deux vingts, trois vingts, cinq vingts et dix vingts.

Une fois admis ce compte particulier en vingtaine pour la quatrième, il est logique de continuer jusqu’au seuil de la cinquième, c’est-à-dire jusqu’à 99. Nonante est ainsi devenu quatre-vingts dix, écrit depuis quatre-vingt-dix. En revanche, en Belgique, 90 est resté nonante sauf pour parler du roman de Victor Hugo : Quatre-vingt Treize. Une étrangeté reste et concerne le pluriel mis à vingt. On écrit quatre-vingts mais quatre-vingt-un et non quatre-vingts et un comme le voudrait l’imitation des cas de vingt à soixante, de plus vingt perd son pluriel et se trouve au singulier alors que le nombre a augmenté !

Septante ou soixante-dix ?

 

Quatre-vingts s’explique par la concurrence entre deux systèmes de numération, l’un fondé sur la dizaine et l’autre sur la vingtaine. Soixante-dix n’a pas la même raison de remplacer le logique « septante » comme il est utilisé en Belgique, en Suisse et dans l’Est de la France. Plus de vestige d’une base vingt ici. D’où vient cette exception culturelle ?

Plusieurs explications concernent Louis XIV (1638 – 1715). Selon une première version, le Roi-Soleil ne supportait pas l’idée de quitter la soixantaine pour devenir septuagénaire. Sa mégalomanie lui aurait fait décider que l’on dirait dorénavant soixante-dix et non septante. Dans une autre version, le soleil déclinant aurait perdu tant de batailles dans les années septante, octante et nonante qu’il aurait banni ces mots du vocabulaire… Ces histoires peuvent séduire, mais leur authenticité est douteuse. La seule certitude est que soixante-dix, quatre-vingts et quatre-vingt-dix sont apparus au cours du XVIIe siècle, celui de Louis XIV. Claude Favre de Vaugelas (1585 – 1650) en donne la preuve quand, dans Remarques sur la langue françoise utiles à ceux qui veulent bien parler et escrire, il écrit :

Septante, n’est Français qu’en un certain lieu où il est consacré, qui est quand on dit la traduction des Septantes […]. Hors de là il faut toujours dire soixante-dix, tout de même que l’on dit quatre-vingts et non pas octante ou quatre-vingts dix et non pas nonante.

Vaugelas cite ici la traduction de la Bible hébraïque en grec, dont la lecture du livre XII des Antiquités judaïques de Flavius Josèphe (37 – 100 environ) explique le nom de Septante. Selon cet auteur, Ptolémée II Philadelphe (309 – 246 avant Jésus-Christ), roi d’Égypte, aurait demandé à Éléazar, grand prêtre des Juifs (à Alexandrie), d’envoyer six anciens de chaque tribu traduire les textes hébraïques. Il conclut étrangement par :

Je ne crois pas nécessaire de donner les noms des septante anciens envoyés par Éléazar.

Pourtant, les tribus d’Israël étant au nombre de 12, les traducteurs auraient dû être 72 (6 x 12). Volonté d’arrondir un nombre qui n’est sans doute qu’un mythe ? Erreur de calcul ? Nous ne saurons jamais, mais nous devons sans doute à Flavius Josèphe l’appellation de Septante donnée à la traduction grecque de l’Ancien Testament. Dans tous les cas, l’article de Vaugelas montre qu’avant lui, 70 se disait communément septante.

Pour suivre ses recommandations, l’Académie française recommanda l’usage des expressions soixante-dix, quatre-vingts et quatre-vingts dix. La raison invoquée par Vaugelas n’est motivée que par l’affirmation : « ce n’est pas français », ce qui ressemble fort à un argument d’autorité. Pourquoi ces choix ? La réponse est sans doute à lire dans les nouveaux éléments d’arithmétique de Thomas Fantet de Lagny (1660 – 1734), un mathématicien de l’époque :

La raison de cette irrégularité peut être attribuée vraisemblablement à l’agrément de la prononciation que l’on trouve plus douce dans ce mot, par exemple, soixante-dix que dans septante, à cause des deux consonnes pt, que notre langue évite, et par la même raison, on a mieux aimé dire quatre-vingts qu’octante, comme on disait autrefois à cause des deux consonnes ct, […] quoiqu’il en soit, les arithméticiens ont eu raison de retenir les mots de septante, octante et nonante […] car on est porté à écrire 7, 8 et 9 […] et non 6 et 4.

Bien qu’il ne soit guère convaincant en ce qui concerne le bannissement des sons « pt » ou « ct » puisqu’il ne semble que jamais des mots comme « opter » ou « octave » n’aient été inquiétés, l’argument des académiciens paraît bien se situer au niveau de l’élégance, de la musique et de la douceur des sons. Cependant, pour éviter les confusions, du temps où elles existaient encore, c’est-à-dire jusqu’en 1987, les criées à la Bourse de Paris se faisaient en suivant l’ancien compte. En effet, soixante-dix-neuf porte à noter un 6 pour commencer alors que septante-neuf ne prête à aucune confusion.

 

Le théorème de la médiane

Par les idées qu’elle mobilise, la démonstration du théorème de la médiane est plus intéressante que le résultat lui-même. C’est cependant naturellement que nous commencerons par l’énoncer.

Enoncé

On considère un triangle ABC, I le milieu du côté BC. AI est donc une médiane du triangle. La formule suivante permet de calculer sa longueur :

Démonstration

Une idée simple pour démontrer ce théorème est d’utiliser la notion de vecteur car :

En utilisant la notion de produit scalaire, on obtient :

En faisant la somme et en utilisant la relation :

On obtient :

Comme :

On en déduit le résultat.

Le salon de la culture et des jeux mathématiques 2020

Depuis l’an 2000, fin Mai, place saint Sulpice à Paris le salon de la culture et des jeux mathématiques se propose de présenter les mathématiques sous forme tout à la fois ludique et utile. Il attire ainsi chaque année de l’ordre de 20000 personnes, élèves, étudiants, professeurs, parents et passants.

Vue d’une allée du salon

Cette année 2020, la crise sanitaire a mené à son interdiction. Les organisateurs ont décidé de le dématérialiser. Il est donc ici : http://salon-math.fr/ du 28 au 31 Mai.

Comme chaque année, j’y suis responsable d’un stand dédié à la cryptologie et à la cybersécurité, celui de l’ARCSI (association des réservistes du chiffre et de la sécurité de l’information) dont je suis administrateur.

Ci-dessus, j’explique le fonctionnement d’une C-36, machine à chiffrer française de la Seconde Guerre mondiale à Cédric Villani sous l’œil bienveillant du général Jean-Louis Desvignes, président de l’ARCSI.

Nous y organisons des visio-conférences dont la liste et les horaires se trouvent en ligne de même que quelques curiosités et énigmes. Personnellement, j’en donne quatre :

28 Mai 10H-10H 30 Les correspondances personnelles chiffrées du Figaro en 1890
29 Mai 11H-11H 30 La faiblesse du chiffre de l’armée napoléonienne
30 Mai 11H-11H 30 Le chiffre de Marie-Antoinette
31 Mai 11H-11H 30 Les erreurs de cybersécurité sont avant tout humaines

Sur l’espace rencontre du salon en 2019.

Compter les grains de sable avec Archimède

Archimède (287 – 212 avant Jésus-Christ) inventa une méthode pour décrire les grands nombres dans un but purement théorique, pour montrer que le nombre de grains de sable contenus dans l’univers n’était pas infini, mais juste très grand. C’est d’ailleurs ainsi que commence l’Arénaire :

Il est des personnes, ô roi Gélon, qui pensent que le nombre des grains de sable est infini. Je ne parle point du sable qui est autour de Syracuse [mais] d’un volume de sable qui fût égal à celui de la Terre.

Pour cela, Archimède commence par évaluer le périmètre de la Terre, en voulant être sûr que la mesure réelle soit inférieure à celle qu’il donne, il multiplie donc par dix les mesures connues :

Cela posé, que le contour de la Terre soit à peu près de trois cent myriades de stades mais non plus grand. Car tu n’ignores point que d’autres ont voulu démontrer que le contour de la Terre est à peu près de trente myriades de stades.

Dans le système de numération grec, la myriade était l’unité suivant directement le millier. Elle valait donc dix mille. Le stade est une mesure que nous avons tous en tête car elle a donné la longueur de nos stades. Il mesurait donc un peu moins de 200 mètres, mais cela importe peu ici. À partir de ces données, il est possible de calculer le volume de la Terre. Archimède évalue alors que, dans un volume équivalent à une graine de pavot, il n’y a pas plus d’une myriade de grains de sable, avant de constater qu’il fallait aligner 40 graines pour obtenir la largeur d’un doigt. Archimède a alors tous les éléments pour faire son calcul. Il lui manque simplement un système de numération.

Le système de numération d’Archimède

Archimède commence par décrire le système en usage en Grèce à son époque :

On a donné des noms aux nombres jusqu’à une myriade et au-delà d’une myriade, les noms qu’on a donné aux nombres sont assez connus, puisqu’on ne fait que répéter une myriade jusqu’à dix mille myriades.

Il en fait la base de son système :

Que les nombres dont nous venons de parler et qui vont jusqu’à une myriade de myriades soient appelés nombres premiers [pas dans le sens actuel], et qu’une myriade de myriades des nombres premiers soit appelée l’unité des nombres seconds ; comptons par ces unités, et par les dizaines, les centaines, les milliers, les myriades de ces mêmes unités, jusqu’à une myriade de myriades.

Ces nombres premiers et seconds permettent d’aller jusqu’aux milliers de billions de Nicolas Chuquet, soit jusqu’aux billiards ! (voir le tableau équivalents des nombres premiers et seconds dans le système de Nicolas Chuquet).

nombres rang noms équivalent Chuquet
premiers 1 unités unités
2 dizaines dizaines
3 centaines centaines
4 milliers milliers
5 myriades dizaines de milliers
6 dizaines de myriades centaines de milliers
7 centaines de myriades millions
8 milliers de myriades dizaines de millions
seconds 9 unités centaines de millions
10 dizaines milliards
11 centaines dizaines de milliards
12 milliers centaines de milliards
13 myriades billions
14 dizaines de myriades dizaines de billions
15 centaines de myriades centaines de billions
16 milliers de myriades billiards

Équivalents des nombres premiers et seconds dans le système de Nicolas Chuquet.

Archimède continue de même pour définir les nombres troisièmes et ainsi de suite. Il atteint les limites du système de Nicolas Chuquet, soit le nonillion, avec la centaine de myriade des nombres septièmes du premier ordre ! Il continue jusqu’aux nombres huitièmes :

Qu’une myriade de myriades des nombres seconds soit appelée l’unité des nombres troisièmes ; comptons par ces unités, et par les dizaines, les centaines, les milles, les myriades de ces mêmes unités, jusqu’à une myriade de myriades ; qu’une myriade de myriades des nombres troisièmes soit appelée l’unité des nombres quatrièmes ; qu’une myriade de myriades de nombres quatrièmes soit appelée l’unité des nombres cinquièmes, et continuons de donner des noms aux nombres suivants…

Archimède appelle « première période », les nombres qu’il a définis jusqu’aux nombres huitièmes et commence une seconde période :

Quoique cette grande quantité de nombres connus soit certainement plus que suffisante, on peut cependant aller plus loin. En effet, que les nombres dont nous venons de parler soient appelés les nombres de la première période, et que le dernier nombre de la première période soit appelé l’unité des nombres premiers de la seconde période. De plus qu’une myriade de myriades des nombres premiers de la seconde période soit appelée l’unité des nombres seconds de la seconde période…

En faisant des calculs d’ordre de grandeurs, pour l’univers, tel qu’il était vu à son époque, Archimède trouve :

il s’ensuit que le nombre des grains de sable contenus dans une sphère aussi grande que celle des étoiles fixes supposée par Aristarque, est plus petit que mille myriades des nombres huitièmes.

Cela fait beaucoup plus que l’on ne peut compter dans le système de Nicolas Chuquet d’origine, puisque ce nombre est égal à 1 suivi de 63 zéros ! Si on le prolonge par des décillions valant chacun un million de nonillions, ce nombre est égal à 1000 décillions. On peut comparer au nombre estimé d’électrons de l’univers, qui est égal à 1 suivi de 81 zéros, ce que l’on note 1081. Dans le système d’Archimède, ce nombre vaut une dizaine des nombres troisièmes de la seconde période.