Archives pour l'étiquette Patrice Jeener

La forteresse de Boukhara, l’hyperboloïde et le paraboloïde

A Boukhara, en Ouzbékistan, une étrange construction fait face à l’antique forteresse.  Ce monument, qui n’attire pas les touristes, est pourtant témoin d’un courant artistique  important du début du vingtième siècle : le constructivisme russe.

Un château d’eau

Cette tour a été construite en 1927 par Vladimir Choukhov (1853 – 1939) pour servir de château d’eau. Désaffecté à la fin des années quarante, il est alors devenu un café jusqu’à ce qu’un accident mortel interdise cet usage. Il vient d’être racheté par des Français pour devenir un point d’observation. Un ascenseur est prévu pour y accéder.

Le château d’eau est formé de deux séries de poutrelles d’acier qui en assurent la solidité.

Un hyperboloïde de révolution

La surface utilisée par Choukhov est célèbre en mathématiques et en architecture car elle est construite avec des droites. Pour comprendre sa fabrication, le plus simple est de partir d’un cylindre,   une surface simple à construire. Pour cela, il suffit de prendre un axe, d’y monter deux roues et d’y tendre des élastiques parallèles à l’axe. On obtient l’objet suivant.

Cylindre obtenu en tendant des élastiques entre deux roues fixées sur un axe. Les élastiques ont été choisis équidistants.

Les droites représentées par les élastiques sont les génératrices du cylindre.

On fait alors tourner la roue du haut d’un certain angle dans un sens et celle du bas du même angle dans le sens opposé. On obtient une nouvelle surface également générée par des droites.

Surface obtenue en tordant le cylindre.

Il se trouve qu’en tordant le cylindre du même angle dans un sens ou dans l’autre, on obtient la même surface, qui possède ainsi deux familles de génératrices.

Cette surface a été baptisée hyperboloïde de révolution à une nappe car elle est également obtenue en faisant tourner une hyperbole sur l’un de ses axes.

Pour des raisons physiques, cette surface est utilisée pour les tours de refroidissement des centrales nucléaires ou thermiques.

Les tabourets népalais

Cette surface est utilisée au Népal pour construire des tabourets avec des morceaux de bambous de longueurs égales.

L’hyperboloïde à une nappe vu par Patrice Jeener

Patrice Jeener, surnommé le graveur d’équations, s’est inspiré de cette surface :

Sur ce dessin, on voit particulièrement bien l’hyperbole qui génère l’hyperboloïde par rotation autour de l’un de ses axes. En changeant d’axe, on obtient un

L’hyperboloïde à deux nappes :

Les fleurs  sur ce deuxième dessin sont également des objets mathématiques qu’affectionne Patrice Jeener. Dans son œuvre, on trouve une surface apparentée, également engendrée par deux familles de droites : le paraboloïde hyperbolique :

Paraboloïde hyperbolique avec ses deux familles de génératrices. On aperçoit une parabole en contour au fond et une hyperbole a été tracée sur la surface.

Construction du paraboloïde hyperbolique

La méthode utilisée pour construire l’hyperboloïde peut l’être en remplaçant le cylindre par un plan. Autrement dit, on garde le dispositif initial : axe et roues mais, au lieu de tendre les élastiques entre les deux roues, on les tend entre deux rayons parallèles, avant de tourner les roues. On obtient une nouvelle surface admettant deux familles de droites génératrices comme la précédente, il s’agit du paraboloïde hyperbolique.

Cette surface est utilisée en architecture pour fabriquer des toits. Le Corbusier et Iannis Xenakis (le musicien dont on oublie souvent qu’il fut architecte ont ainsi construit le pavillon Philips pour l’exposition universelle de Bruxelles en 1958.

Pavillon Philips de l’exposition universelle de Bruxelles en 1958 Une partie du toit est en forme de paraboloïde hyperbolique, celle qui semble plus foncée sur la photo.

Les surfaces minimales de Patrice Jeener

Patrice Jeener est un graveur tombé amoureux des mathématiques en visitant l’institut Henri Poincaré quand il était étudiant aux beaux-arts. Il suivait ainsi la trace de Man Ray, qui découvrit les modèles de l’institut dans les années 30 et s’en inspira pour sa série de tableaux équations shakespeariennes comme celui-ci intitulé le roi Lear :

Le roi Lear © Man Ray

Les surfaces minimales

Patrice Jeener s’est particulièrement intéressé aux surfaces minimales, c’est-à-dire aux surfaces dont les aires sont minimales pour un bord donné. On peut matérialiser la plupart d’entre elles par des bulles de savon s’appuyant sur un contour, car le film de savon tend à minimiser son énergie, donc sa surface. Elles ont des applications pratiques mais notre propos n’est pas là. Sur la photographie ci-dessous, notez la petite tige en bas à droite qui permet de tenir l’objet quand on le trempe dans l’eau savonnée :

Nous n’écrirons pas leurs équations ici, nous nous contenterons d’en admirer l’esthétique à travers quelques gravures.

Surface minimale de Schwartz © Patrice Jeener

L’étude des surfaces réservent quelques surprises comme l’apparition surprenante d’une chouette là où l’on attendait une simple surface minimale. Ce genre de surprises explique sans doute ce vers de Lautréamont :

O mathématiques sévères, je ne vous ai pas oubliées, depuis que vos savantes leçons, plus douces que le miel, filtrèrent dans mon cœur, comme une onde rafraîchissante.

Surface minimale à la chouette © Patrice Jeener