La mesure de l’affinité et des émotions

La logique publicitaire de certains sites de rencontre est simple : l’harmonie dans un couple est question d’affinités ! Certes mais comment la mesurer ? Les sites en question le font au moyen de tests psychologiques où il faut répondre à des questions sur une échelle de 7 ou de 10, l’étalonnement étant laissé à la discrétion de chacun. Les résultats sont surprenants, et n’ont vraiment de valeur que pour les questions matérielles comme l’âge, le niveau d’étude, la consommation de tabac ou d’alcool.

La plus grande difficulté de ces tests est qu’ils sont fondés sur la déclaration de l’individu. Il est ainsi peu probable qu’une personne cherchant une rencontre se dise infidèle, orgueilleux, querelleur, jaloux, etc. De même, il sera bien difficile de connaître son affectivité réelle.

La mathématique des émotions

L’affectivité et le côté émotionnel ont une grande importance dans les choix des personnes, par exemple pour l’achat. La publicité en tient compte, et ne cherche pas à utiliser des arguments rationnels. Les émotions y prennent leur place, et un constructeur automobile n’a pas craint ce slogan : soyez raisonnable, faites-vous plaisir.

C’est pour cela que les études marketing essayent d’en tenir compte, mais comment les mesurer ? On peut le faire par des enquêtes où les personnes remplissent des questionnaires. Elles évaluent alors elles-mêmes leur degré de plaisir ou de déplaisir, de gêne, d’enthousiasme, etc. en face de tel ou tel produit, ou de telle ou telle expérience. Le résultat n’est pas toujours fiable. On peut aussi essayer de prendre des mesures du pouls, ou autres, des consommateurs devant chaque situation. Cependant, les contraintes physiques, qu’une telle méthode implique, faussent les résultats. En général, on décompose les émotions possibles en positives et négatives, par exemple la joie, le plaisir et le bien-être d’un côté, l’inquiétude, la colère et la déception de l’autre. On demande alors à l’individu interrogé de noter chacune de ces émotions de 1 à 7 (ou 10). Les résultats d’une telle enquête demandent à être interprétés, ils ne peuvent fournir directement une note. Ils sont en fait destinés à trouver la cible d’une publicité. Dans ce cadre, ces mesures ont un sens. En déduire une note, comme le font les sites de rencontre, est abusif. Le charme des émotions comme des sentiments est de ne pouvoir être notés.

Vendredi treize, jour de chance ou de malchance ?

Le nombre 13 est surchargé de superstitions. Quoi de pire qu’être 13 à table ? L’origine de cette idée est assez claire : elle fait référence à la Cène (voir ci-dessus sa représentation dans l’église de Curahuara de Carangas en Bolivie), c’est-à-dire au dernier repas de Jésus-Christ où il désigne celui qui devait le trahir et qui se pendra plus tard. Même si les évangiles font plutôt penser au 14 ou au 15, certains affirment que Jésus fut crucifié le vendredi 13 du mois de Nisan… qui serait ainsi un jour de malheur. Pourtant, pour d’autres, il est censé porter chance. Cependant, les statistiques sont terribles. S’il y a trois fois plus de joueurs au Loto les vendredis 13, leur chance de gagner reste rigoureusement la même. Seule la Française des Jeux profite réellement des vendredis 13.

13 mois chez les Mayas

Un raisonnement rapide pourrait faire penser qu’il existe autant de vendredis 13 que de dimanches 13 ou de lundis 13, etc. C’est une erreur. Une étude mathématique précise du calendrier grégorien permet de montrer qu’il y en a légèrement plus… ce qui réjouira sans doute les superstitieux. Le calcul est un peu laborieux, nous le reportons plus loin pour les amateurs. Pour finir sur le nombre 13, on peut remarquer que, curieusement, le calendrier sacré maya comportait 13 mois de 20 jours chacun. Cette période est à rapprocher du mode de numération maya fondé sur la base 20. L’année comportait ainsi 260 jours, ce qui ne signifie pas grand-chose d’un point de vue astronomique mais que certains rapprochent de la durée de la grossesse, qui est de 266 jours en moyenne. Parmi les nombres porte-malheur, nous citerons 17 qui l’est en Italie car XVII est l’anagramme de vixi qui signifie « j’ai vécu » en latin et donc sous-entend « je suis mort ».

Nombre de vendredis 13

Depuis la réforme grégorienne du calendrier, de 1582, les années se reproduisent identiques tous les 400 ans et non tous les 28 ans comme auparavant dans le calendrier julien. En effet, si les années ordinaires ont toujours 365 jours et les années bissextiles 366, la règle pour déterminer si une année est bissextile a été modifiée : une année l’est si son millésime est divisible par 4 sauf s’il est divisible par 100 mais pas par 400. Le nombre d’années bissextiles d’une période de 400 ans est donc de 97 (et non de 100) ce qui donne 97 x 366 + 303 x 365 = 146 097 jours… qui se trouve divisible par 7. Ainsi, le premier janvier 1600 fut un samedi, et de même 400 ans plus tard, le premier janvier 2000. L’année 2000 fut identique à l’année 1600. Il y eut un seul vendredi 13 en 1600 (en octobre) et donc de même en 2000.

En comptant le nombre de treizième du mois sur 400 ans (ce qui peut se faire à la main mais plus rapidement par ordinateur), on trouve : 687 dimanches, 685 lundis, 685 mardis, 687 mercredis, 684 jeudis, 688 vendredis et 684 samedis. Le treize du mois a donc plus de chance d’être un vendredi que tout autre jour de la semaine ! Est-ce une bonne nouvelle ?

La justice aveuglée par les coïncidences

En 1999, une jeune femme, Sally Clark, fut condamnée pour le meurtre de ses deux fils, à un an d’écart. Ceux-ci semblaient être décédés de mort subite du nourrisson. L’accusation mit en avant le rapport d’un pédiatre, qui mérite d’être nommé ici, sir Roy Meadow. Selon lui, la probabilité que deux enfants d’un même couple meurent de mort subite du nourrisson était égale à 1 sur 73 millions. D’où vient ce nombre ? Des statistiques, bien sûr. Selon elles, le risque de mort subite d’un nourrisson dans un couple aisé et non-fumeur tel celui de Sally est de 1 sur 8543. On imagine facilement d’où vient ce chiffre : on a fait le rapport entre le nombre de nourrissons morts ainsi et le nombre total de nourrissons dans ce type de couple. Le raisonnement de Roy Meadow est alors similaire à celui qui permet d’affirmer que la probabilité d’obtenir deux 6 en jetant des dés est égale à 1 sur 36. Il affirme donc que, si le risque d’un mort dans un couple est de 1 sur 8543, le risque de deux morts est de 1 sur 85432… ce qui fait bien 1 sur 73 millions environ. Le pédiatre souligna que, comme il y avait 700 000 naissances par an au Royaume-Uni, cette coïncidence ne devait arriver qu’une fois par siècle. Les jurés furent convaincus et condamnèrent Sally Clark à la prison à perpétuité.

L’art de se tromper

Pourtant, les calculs du pédiatre sont grossièrement faux. La première erreur est de ne garder chez le couple Clark que les caractéristiques diminuant le risque : couple aisé et non-fumeur. En revanche, il néglige un facteur aggravant : les enfants étaient des garçons, pour lesquels le risque est double. Enfin, quand un premier enfant est décédé de la mort subite du nourrisson, le risque qu’un second meure de même est dix fois plus élevé. Autrement dit, le calcul correct aurait dû partir de la moyenne nationale, qui est de 1 / 1300 et de le multiplier par 1 / 130. Le calcul donne maintenant un risque de 1 sur 169 000, ce qui est très différent. Le pédiatre aurait dû le savoir puisqu’un ou deux cas de morts de deux enfants d’un même couple de la mort subite du nourrisson se produit chaque année au Royaume-Uni ! Ces erreurs du pédiatre sont doublées d’une erreur fondamentale du système judiciaire : s’il est normal de confier les expertises médicales à des médecins, il devrait être aussi normal de confier les expertises statistiques à des statisticiens. Le plus humble d’entre eux aurait su montrer les erreurs grossières du pédiatre.

Les gagnants du Loto ont-ils tous triché ?

Le risque estimé de morts de deux enfants d’un même couple aisé et non-fumeur de 1 sur 73 millions fait penser à la chance qu’un joueur du Loto a de remporter le gros lot, que l’on estime à 1 sur 14 millions. Prenez le dernier gagnant, disons Candide Toutlemonde. Elle avait 1 chance sur 14 millions de gagner, doit-on en déduire qu’elle a triché ? Fait a posteriori, ce raisonnement n’a aucun sens. Il en aurait eu si, une semaine avant le tirage, vous aviez dit : « Candide va remporter le gros lot ».

Le cas de Sally Clark est similaire puisque les calculs de probabilités sont faits a posteriori. Par ailleurs, le procureur et les jurés semblent avoir interprété les calculs du pédiatre en : la probabilité d’innocence de l’accusé est de 1 sur 73 millions. Pour conclure de cette façon, il aurait fallu comparer toutes les probabilités. Au Royaume-Uni, est-il plus vraisemblable qu’une femme tue son enfant que celui-ci soit victime de la mort subite du nourrisson ? Sur les 700 000 naissances annuelles, 30 sont victimes d’un homicide, soit 1 sur 23 000 contre 1 sur 1300 pour la mort subite. La probabilité d’un double homicide est donc de 1 sur 529 millions, en suivant la logique du pédiatre, celle d’une double mort subite, de 1 sur 169 000, comme nous l’avons vu plus haut. Ce simple calcul montre à quel point l’utilisation des statistiques dans cette affaire fut erronée. Sally Clark fut acquittée en appel, en 2003, mais ne se remit jamais de ses épreuves et décéda en 2007. Plusieurs autres erreurs judiciaires sont liées à une utilisation inappropriée des statistiques. Ainsi, en 1997, Shirley McKie, une enquêtrice de la police écossaise, fut accusée d’un meurtre parce que ses empreintes digitales avaient été « identifiées » sur la scène d’un crime. Les probabilités étaient contre elle en dehors de toute autre preuve. En fait, elles n’étaient que quasiment identiques à celles du véritable meurtrier, ce qui fut prouvé ultérieurement. Ici encore, la vie d’une personne fut brisée par des chiffres.

Dans tous ces cas, le biais dans les calculs précédents est d’évaluer une probabilité par un calcul valable pour un événement qui ne s’est pas encore produit, et de l’appliquer à un événement qui s’est déjà produit. Nous pouvons rapprocher cet argument à l’existence de la vie sur Terre. L’apparition de la vie était un événement de probabilité quasi nulle, pourtant il s’est bel et bien produit puisque vous lisez ce texte écrit par un Terrien, et que vous l’êtes vous-même sans doute. Faut-il en déduire que notre existence est le résultat d’un miracle ?