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Compter les grains de sable avec Archimède

Archimède (287 – 212 avant Jésus-Christ) inventa une méthode pour décrire les grands nombres dans un but purement théorique, pour montrer que le nombre de grains de sable contenus dans l’univers n’était pas infini, mais juste très grand. C’est d’ailleurs ainsi que commence l’Arénaire :

Il est des personnes, ô roi Gélon, qui pensent que le nombre des grains de sable est infini. Je ne parle point du sable qui est autour de Syracuse [mais] d’un volume de sable qui fût égal à celui de la Terre.

Pour cela, Archimède commence par évaluer le périmètre de la Terre, en voulant être sûr que la mesure réelle soit inférieure à celle qu’il donne, il multiplie donc par dix les mesures connues :

Cela posé, que le contour de la Terre soit à peu près de trois cent myriades de stades mais non plus grand. Car tu n’ignores point que d’autres ont voulu démontrer que le contour de la Terre est à peu près de trente myriades de stades.

Dans le système de numération grec, la myriade était l’unité suivant directement le millier. Elle valait donc dix mille. Le stade est une mesure que nous avons tous en tête car elle a donné la longueur de nos stades. Il mesurait donc un peu moins de 200 mètres, mais cela importe peu ici. À partir de ces données, il est possible de calculer le volume de la Terre. Archimède évalue alors que, dans un volume équivalent à une graine de pavot, il n’y a pas plus d’une myriade de grains de sable, avant de constater qu’il fallait aligner 40 graines pour obtenir la largeur d’un doigt. Archimède a alors tous les éléments pour faire son calcul. Il lui manque simplement un système de numération.

Le système de numération d’Archimède

Archimède commence par décrire le système en usage en Grèce à son époque :

On a donné des noms aux nombres jusqu’à une myriade et au-delà d’une myriade, les noms qu’on a donné aux nombres sont assez connus, puisqu’on ne fait que répéter une myriade jusqu’à dix mille myriades.

Il en fait la base de son système :

Que les nombres dont nous venons de parler et qui vont jusqu’à une myriade de myriades soient appelés nombres premiers [pas dans le sens actuel], et qu’une myriade de myriades des nombres premiers soit appelée l’unité des nombres seconds ; comptons par ces unités, et par les dizaines, les centaines, les milliers, les myriades de ces mêmes unités, jusqu’à une myriade de myriades.

Ces nombres premiers et seconds permettent d’aller jusqu’aux milliers de billions de Nicolas Chuquet, soit jusqu’aux billiards ! (voir le tableau équivalents des nombres premiers et seconds dans le système de Nicolas Chuquet).

nombres rang noms équivalent Chuquet
premiers 1 unités unités
2 dizaines dizaines
3 centaines centaines
4 milliers milliers
5 myriades dizaines de milliers
6 dizaines de myriades centaines de milliers
7 centaines de myriades millions
8 milliers de myriades dizaines de millions
seconds 9 unités centaines de millions
10 dizaines milliards
11 centaines dizaines de milliards
12 milliers centaines de milliards
13 myriades billions
14 dizaines de myriades dizaines de billions
15 centaines de myriades centaines de billions
16 milliers de myriades billiards

Équivalents des nombres premiers et seconds dans le système de Nicolas Chuquet.

Archimède continue de même pour définir les nombres troisièmes et ainsi de suite. Il atteint les limites du système de Nicolas Chuquet, soit le nonillion, avec la centaine de myriade des nombres septièmes du premier ordre ! Il continue jusqu’aux nombres huitièmes :

Qu’une myriade de myriades des nombres seconds soit appelée l’unité des nombres troisièmes ; comptons par ces unités, et par les dizaines, les centaines, les milles, les myriades de ces mêmes unités, jusqu’à une myriade de myriades ; qu’une myriade de myriades des nombres troisièmes soit appelée l’unité des nombres quatrièmes ; qu’une myriade de myriades de nombres quatrièmes soit appelée l’unité des nombres cinquièmes, et continuons de donner des noms aux nombres suivants…

Archimède appelle « première période », les nombres qu’il a définis jusqu’aux nombres huitièmes et commence une seconde période :

Quoique cette grande quantité de nombres connus soit certainement plus que suffisante, on peut cependant aller plus loin. En effet, que les nombres dont nous venons de parler soient appelés les nombres de la première période, et que le dernier nombre de la première période soit appelé l’unité des nombres premiers de la seconde période. De plus qu’une myriade de myriades des nombres premiers de la seconde période soit appelée l’unité des nombres seconds de la seconde période…

En faisant des calculs d’ordre de grandeurs, pour l’univers, tel qu’il était vu à son époque, Archimède trouve :

il s’ensuit que le nombre des grains de sable contenus dans une sphère aussi grande que celle des étoiles fixes supposée par Aristarque, est plus petit que mille myriades des nombres huitièmes.

Cela fait beaucoup plus que l’on ne peut compter dans le système de Nicolas Chuquet d’origine, puisque ce nombre est égal à 1 suivi de 63 zéros ! Si on le prolonge par des décillions valant chacun un million de nonillions, ce nombre est égal à 1000 décillions. On peut comparer au nombre estimé d’électrons de l’univers, qui est égal à 1 suivi de 81 zéros, ce que l’on note 1081. Dans le système d’Archimède, ce nombre vaut une dizaine des nombres troisièmes de la seconde période.

La spirale logarithmique, une courbe zoologique ?

La même courbe se retrouve-t-elle dans les galaxies, certains mollusques et les toiles d’araignées ? Enquête sur la spirale logarithmique.

La spirale d’Archimède

Imaginez ! Une droite tourne à vitesse angulaire constante autour d’un point O. Si, partant de O, un point M parcourt cette droite à vitesse constante, on obtient une spirale d’Archimède. On démontre facilement que les spires y sont régulièrement espacées.

Spirale d’Archimède. Elle est engendrée par un point mobile M partant d’un point O, à vitesse constante sur une droite tournant à vitesse angulaire constante autour de O.

La spirale logarithmique

Si, toujours partant de O, le point M parcourt la droite à une vitesse proportionnelle à la longueur OM, il dessine une autre courbe, appelée spirale logarithmique depuis Pierre Varignon (1654 – 1722) mais étudiée auparavant par René Descartes (1596 – 1650) avant d’être choisie par Jacques Bernoulli (1654 – 1705) pour orner sa tombe. Malheureusement, le sculpteur ignorait cette courbe et grava une spirale d’Archimède.

 

Spirale logarithmique. Elle est engendrée par un point mobile M partant d’un point O, à vitesse proportionnelle à OM sur une droite tournant à vitesse angulaire constante autour de O.

Au lieu d’être régulièrement espacées, les spires suivent une progression géométrique de raison constante. Autre propriété de la spirale : elle coupe le rayon OM suivant un angle constant.

Inscription sur la tombe de Jacques Bernoulli, avec la spirale en bas.
Sur cet agrandissement, on voit que le sculpteur a gravé une spirale d’Archimède et non une spirale logarithmique. L’inscription latine “eadem mutata resurgo” signifie “déplacée, je réapparais à l’identique”.

Le développement du nautile

Le nautile est un mollusque marin dont la coquille est en forme de spirale. L’espace entre les spires étant triplé à chaque enroulement, elle évoque une spirale logarithmique. Pour examiner si cette forme est fortuite ou non, il est nécessaire d’en comprendre la provenance.

Coupe d’un nautile faisant apparaître une forme de spirale logarithmique.

La coquille du nautile est divisée en chambres closes, l’animal n’occupant que la dernière. Les autres sont remplies d’un mélange de liquide et de gaz, toutes communiquent entre elles au moyen d’un siphon.

Nautile vivant. L’animal n’occupe que la dernière chambre. Il se déplace d’avant en arrière en expulsant de l’eau du côté de sa bouche.

Ces chambres correspondent à l’évolution progressive du mollusque. Quand il grossit, ne pouvant agrandir la chambre où il se trouve, il en crée une autre dans son prolongement, un peu plus grosse mais semblable.

Pour montrer que cette idée mène effectivement à une spirale logarithmique, prenons comme modèle de la coquille une suite de triangles rectangles d’angle au sommet constant égal à 30°. Le rapport entre un triangle et son suivant est de 115 % (l’inverse du cosinus de 30° soit 2  divisé par racine de 3 pour être précis), ce qui correspond bien à une spirale logarithmique. L’idée correspond à un accroissement progressif de la taille de l’animal. Il n’est pas besoin d’imaginer de plans compliqués inscrits dans les gènes du nautile pour cela, juste une façon de croître.

Suite de triangles rectangles formant une (approximation de) spirale logarithmique.

La spirale logarithmique se retrouve pour les mêmes raisons dans d’autres animaux, comme la planorbe, un escargot marin très utilisé dans les aquariums car il se nourrit d’algues et de plantes à la limite du pourrissement.

Une coquille de planorbe en forme de spirale logarithmique.

Les toiles d’araignées

La toile d’araignée est avant tout un piège destiné à attraper des insectes. Certaines espèces tissent des toiles où il est bien difficile de reconnaître la moindre régularité.

Il n’est pas facile de reconnaître la moindre courbe mathématique dans cette toile d’araignée. En revanche, sans le soleil en contre jour, il est difficile de la détecter.

Les espèces les plus communes en France, les épeires, fabriquent cependant des toiles en forme de spirales. Après avoir bâti un cadre entre quelques branches, l’araignée tisse un réseau régulier de segments rectilignes partant tous d’un même point. Un fois ce travail fini, elle forme une spirale en les reliant. Le célèbre entomologiste Jean-Henri Fabre (1823 – 1915) a voulu y reconnaître une spirale logarithmique, tout en remarquant que l’action de la pesanteur transformait chaque segment en chaînette, la forme que prend naturellement un fil pesant comme les câbles électriques ou les chaînes que l’on porte autour du cou.

Cette toile d’épeire laisse plus penser à une spirale d’Archimède qu’à une spirale logarithmique. On y remarque également les segments transformés en chaînette sous l’effet de la pesanteur.