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Les grands nombres … et les petits

Dans la vie courante, nous avons rarement besoin d’aller au-delà des mille milliards qui, forcément, font penser aux mille milliards de mille sabords du capitaine Haddock, le célèbre compagnon de Tintin.

Nicolas Chuquet (1445 – 1500) inventa pourtant un système pouvant aller bien au-delà. Dans son livre Triparty en la science des nombres, il forgea de nouveaux noms de nombres sur des préfixes correspondants à deux, trois,…, neuf : billion, trillion, quatrillion, quintillion, sextillion, septillion, octillion, nonillion. Le premier (un billion) est un million de millions, chacun est ensuite égal à un million de fois le précédent. Ce système est appliqué en Europe sauf dans les pays de langue anglaise car, malheureusement, les États-Unis ont adopté un système différent où chaque quantité est égale à mille fois la précédente. Ainsi, un billion américain vaut mille millions français donc à un milliard et ainsi de suite. D’autre part, on utilise aussi des préfixes comme déca, hecto, kilo, méga, etc. (voir le tableau système de noms des grands nombres). Ainsi, un kilogramme vaut 1000 grammes, etc. Les premiers ont un sens qui vient du grec où déka signifie dix, ékaton, d’où viennent les hécatombes, cent, kilo, mille, mégas, d’où vient mégalomane, grand, gigas, d’où vient gigantesque, géant, téras d’où vient la tératologie, monstre. Les autres donnent, toujours en grec, la puissance de 1000 utilisée. Ainsi péta vient de penté, qui signifie 5 et qui a donné pentagone, mais pas Pétaouchnock qui, bien qu’imaginaire est censée être une ville très éloignée, quelque part au fin fond de la Sibérie. Exa vient de hexa, qui signifie 6 et qui a donné hexagone. Les derniers sont là pour 7 (zetta) et 8 (yotta) mais sont artificiels.

Nom français Nom américain Préfixe Symbole Valeur
dix déca da 10
cent hecto h 100
mille kilo k 1000
million méga M 1 000 000
milliard billion giga G 1 000 000 000
billion trillion téra T 1 000 000 000 000
billiard quadrillon péta P 1 000 000 000 000 000
trillion quintillion exa E 1 000 000 000 000 000 000
trilliard sextillion zetta Z 1 000 000 000 000 000 000 000
quadrillon septillion yotta Y 1 000 000 000 000 000 000 000 000

Le système de noms des grands nombres va au-delà mais les nombres deviennent alors sans véritable utilisation concrète. On peut alors simplifier les mille milliards de mille sabords du capitaine Haddock en un seul péta sabord… mais ce serait moins musical et pourrait être mal interprété.

Les financiers utilisent parfois des expressions telles que kiloeuros (k€) ou millions d’euros (M€), qu’ils seraient plus logique de nommer mégaeuros vu le symbole M utilisé, mais cela n’apparaît pas normalement dans les comptes bancaires des particuliers. Sauf en période d’hyper inflation, comme en Allemagne en 1923 où on imprima des billets de 500 millions de marks, ou au Zimbabwe en 2009 où on alla jusqu’à 100 000 milliards, soit 100 trillions au sens anglo-saxon (voir la photographie un billet sans valeur), les particuliers n’ont pas besoin d’envisager des sommes supérieures au milliard français, donc au billion américain… et les États, guère plus.

Un billet sans valeur

En informatique, l’usage du système binaire fait que les préfixes ont un sens légèrement différent. Kilo signifie alors 1024 car ce nombre est égal à 2 à la puissance 10, méga vaut 1024 kilo, giga, 1024 méga, téra, 1024 giga et péta, 1024 téra, etc.

Les petits nombres

Pris à l’envers, ce système permet également de visiter l’infiniment petit (voir le tableau système de noms des petits nombres). Ici encore, les préfixes ont un sens. Les premiers viennent du grec où micro signifie petit et nano, nain. On passe ensuite à l’italien où piccolo, qui signifie petit, a donné pico. Les autres sont artificiels.

 

Nom français Nom américain Préfixe Symbole Valeur
dixième déci d 0,1
centième centi c 0,01
millième milli m 0,001
millionième micro m 0,000 001
milliardième billionième nano n 0,000 000 001
billionième trillionième pico p 0,000 000 000 001
billiardième quadrillonième femto f 0,000 000 000 000 001
trillionième quintillionième atto a 0,000 000 000 000 000 001
trilliardième sextillionième zepto z 0,000 000 000 000 000 000 001
quadrillonième septillionième yocto y 0,000 000 000 000 000 000 000 001

Système de noms des petits nombres. Le système va au-delà mais les nombres deviennent alors sans véritable utilisation concrète.

 

Compter les grains de sable avec Archimède

Archimède (287 – 212 avant Jésus-Christ) inventa une méthode pour décrire les grands nombres dans un but purement théorique, pour montrer que le nombre de grains de sable contenus dans l’univers n’était pas infini, mais juste très grand. C’est d’ailleurs ainsi que commence l’Arénaire :

Il est des personnes, ô roi Gélon, qui pensent que le nombre des grains de sable est infini. Je ne parle point du sable qui est autour de Syracuse [mais] d’un volume de sable qui fût égal à celui de la Terre.

Pour cela, Archimède commence par évaluer le périmètre de la Terre, en voulant être sûr que la mesure réelle soit inférieure à celle qu’il donne, il multiplie donc par dix les mesures connues :

Cela posé, que le contour de la Terre soit à peu près de trois cent myriades de stades mais non plus grand. Car tu n’ignores point que d’autres ont voulu démontrer que le contour de la Terre est à peu près de trente myriades de stades.

Dans le système de numération grec, la myriade était l’unité suivant directement le millier. Elle valait donc dix mille. Le stade est une mesure que nous avons tous en tête car elle a donné la longueur de nos stades. Il mesurait donc un peu moins de 200 mètres, mais cela importe peu ici. À partir de ces données, il est possible de calculer le volume de la Terre. Archimède évalue alors que, dans un volume équivalent à une graine de pavot, il n’y a pas plus d’une myriade de grains de sable, avant de constater qu’il fallait aligner 40 graines pour obtenir la largeur d’un doigt. Archimède a alors tous les éléments pour faire son calcul. Il lui manque simplement un système de numération.

Le système de numération d’Archimède

Archimède commence par décrire le système en usage en Grèce à son époque :

On a donné des noms aux nombres jusqu’à une myriade et au-delà d’une myriade, les noms qu’on a donné aux nombres sont assez connus, puisqu’on ne fait que répéter une myriade jusqu’à dix mille myriades.

Il en fait la base de son système :

Que les nombres dont nous venons de parler et qui vont jusqu’à une myriade de myriades soient appelés nombres premiers [pas dans le sens actuel], et qu’une myriade de myriades des nombres premiers soit appelée l’unité des nombres seconds ; comptons par ces unités, et par les dizaines, les centaines, les milliers, les myriades de ces mêmes unités, jusqu’à une myriade de myriades.

Ces nombres premiers et seconds permettent d’aller jusqu’aux milliers de billions de Nicolas Chuquet, soit jusqu’aux billiards ! (voir le tableau équivalents des nombres premiers et seconds dans le système de Nicolas Chuquet).

nombres rang noms équivalent Chuquet
premiers 1 unités unités
2 dizaines dizaines
3 centaines centaines
4 milliers milliers
5 myriades dizaines de milliers
6 dizaines de myriades centaines de milliers
7 centaines de myriades millions
8 milliers de myriades dizaines de millions
seconds 9 unités centaines de millions
10 dizaines milliards
11 centaines dizaines de milliards
12 milliers centaines de milliards
13 myriades billions
14 dizaines de myriades dizaines de billions
15 centaines de myriades centaines de billions
16 milliers de myriades billiards

Équivalents des nombres premiers et seconds dans le système de Nicolas Chuquet.

Archimède continue de même pour définir les nombres troisièmes et ainsi de suite. Il atteint les limites du système de Nicolas Chuquet, soit le nonillion, avec la centaine de myriade des nombres septièmes du premier ordre ! Il continue jusqu’aux nombres huitièmes :

Qu’une myriade de myriades des nombres seconds soit appelée l’unité des nombres troisièmes ; comptons par ces unités, et par les dizaines, les centaines, les milles, les myriades de ces mêmes unités, jusqu’à une myriade de myriades ; qu’une myriade de myriades des nombres troisièmes soit appelée l’unité des nombres quatrièmes ; qu’une myriade de myriades de nombres quatrièmes soit appelée l’unité des nombres cinquièmes, et continuons de donner des noms aux nombres suivants…

Archimède appelle « première période », les nombres qu’il a définis jusqu’aux nombres huitièmes et commence une seconde période :

Quoique cette grande quantité de nombres connus soit certainement plus que suffisante, on peut cependant aller plus loin. En effet, que les nombres dont nous venons de parler soient appelés les nombres de la première période, et que le dernier nombre de la première période soit appelé l’unité des nombres premiers de la seconde période. De plus qu’une myriade de myriades des nombres premiers de la seconde période soit appelée l’unité des nombres seconds de la seconde période…

En faisant des calculs d’ordre de grandeurs, pour l’univers, tel qu’il était vu à son époque, Archimède trouve :

il s’ensuit que le nombre des grains de sable contenus dans une sphère aussi grande que celle des étoiles fixes supposée par Aristarque, est plus petit que mille myriades des nombres huitièmes.

Cela fait beaucoup plus que l’on ne peut compter dans le système de Nicolas Chuquet d’origine, puisque ce nombre est égal à 1 suivi de 63 zéros ! Si on le prolonge par des décillions valant chacun un million de nonillions, ce nombre est égal à 1000 décillions. On peut comparer au nombre estimé d’électrons de l’univers, qui est égal à 1 suivi de 81 zéros, ce que l’on note 1081. Dans le système d’Archimède, ce nombre vaut une dizaine des nombres troisièmes de la seconde période.