Arithmancie, numérologie et astrologie

La numérologie moderne est également nommée arithmancie, mot qui vient du grec et signifie la prophétie par les nombres. Les normes numérologiques ne sont guère fixées. La plus fréquente prétend prédire l’avenir d’une personne en se servant de ses noms et prénoms … pour les transformer en nombres entre 1 et 9. La règle la plus courante est attribuée à un certain Septimus Tripoli, vers 1350. Chaque lettre de A à I se voit attribuer son numéro d’ordre (de 1 à 9), puis on recommence avec les lettres de J à R puis celle de S à Z. Les numérologues déterminent alors trois nombres : le nombre d’expression, le nombre intime et le nombre de réalisation. Le premier est la somme de toutes les lettres de vos noms et prénoms, ramenés à 9, comme dans la preuve par neuf. Le second se détermine de même, mais en ne considérant que les voyelles, tandis que le dernier n’utilise que les consonnes.

Un peu de calcul

Ainsi HERVE LEHNING donne : 8 + 5 + 9 + 4 + 5 + 3 + 5 + 8 + 5 + 9 + 5 + 7, soit 73 donc 7 + 3, soit 10 donc 1. Le nombre d’expression est 1. Pour les voyelles, on obtient 5 + 5 + 5 + 9 soit 24, c’est-à-dire 6. Le nombre intime est 6. Pour les consonnes, on obtient 73 – 24 = 49, soit 4. Le nombre de réalisation est 4.

Un portrait flatteur

Portait flatteur de l’auteur.

Ces calculs faits, les numérologues fonctionnent comme les astrologues, ils proposent une étude de personnalité que personne ne contestera, en voici un exemple :

Vous avez besoin d’être aimé et admiré, et pourtant vous êtes critique avec vous-même. Vous avez certes des points faibles dans votre personnalité, mais vous savez généralement les compenser. Vous avez un potentiel considérable que vous n’avez pas tourné à votre avantage. À l’extérieur vous êtes discipliné et vous savez vous contrôler, mais à l’intérieur vous tendez à être préoccupé et pas très sûr de vous-même. Parfois vous vous demandez sérieusement si vous avez pris la bonne décision ou fait ce qu’il fallait. Vous préférez une certaine dose de changement et de variété, et devenez insatisfait si on vous entoure de restrictions et de limitations. Vous vous flattez d’être un esprit indépendant ; et vous n’acceptez l’opinion d’autrui que dûment démontrée. Mais vous avez trouvé qu’il était maladroit de se révéler trop facilement aux autres. Par moments, vous êtes très extraverti, bavard et sociable, tandis qu’à d’autres moments vous êtes introverti, circonspect, et réservé. Certaines de vos aspirations tendent à être assez irréalistes.

L’effet Barnum

Phineas Barnum (1810 – 1894) se définissait comme le prince des charlatans.

Un psychologue, Bertram Forer (1914 – 2000), après avoir fait remplir un test de personnalité à ses étudiants, leur avait donné à tous ce même compte-rendu, sans même lire leurs tests, et leur avait demandé de le noter de 1 à 5, 5 signifiant qu’il était excellent. La moyenne des résultats fut 4,26 ! Ce test a souvent été répété, le résultat a toujours été le même. Les numérologues, comme les astrologues ou autres voyants, utilisent ce même procédé. Ce défaut qui nous pousse à accepter si facilement une description, même fausse, de nous-même à condition qu’elle soit flatteuse est souvent appelé effet Barnum, en hommage au maître de la manipulation psychologique que fut l’homme de cirque, Phineas Barnum.

 

Galilée, Cosme II de Médicis et le paradoxe de Toscane

Cosme II de Médicis, Grand-duc de Toscane, avait remarqué qu’en jetant trois dés, le total dix sortait plus souvent que le neuf. Pourtant, il existait autant de façons de décomposer neuf et dix en somme de trois nombres entre un et six, ce qui lui semblait contradictoire.

Une façon de décomposer dix en somme de trois nombres.

Ce paradoxe est connu sous le nom de paradoxe de Toscane.

La solution de Galilée

Galilée (1564 – 1642), qui fut le précepteur de Cosme II, trouva la raison de cette bizarrerie. On peut comprendre son mécanisme en considérant le jeu de pile ou face. Si la pièce n’est pas pipée, la probabilité d’obtenir pile est égale à ½ et de même celle d’obtenir face. Si on joue deux fois de suite, chacune des possibilités PP, PF, FP et FF est équiprobable donc leurs probabilités sont toutes égales à ¼. Si on jette les deux pièces à la fois, les probabilités d’avoir deux piles ou deux faces sont égales à ¼ mais celle d’avoir un pile et un face est égale à ½ car elle regroupe les deux cas PF et FP. Il en va exactement de même dans le paradoxe de Toscane. Les décompositions de neuf et dix ne sont pas équivalentes de ce point de vue. La différence tient en la décomposition de neuf en trois fois le même nombre, ce qui est impossible pour dix. Le calcul permet d’établir que la probabilité d’obtenir neuf est égale à 25/216 alors que celle d’obtenir dix est égale à 27 / 216 soit 1/8. Ces deux nombres montrent que Cosme était fin observateur, et vraiment très grand joueur, car les probabilités ne diffèrent que de 1 %.

 

Les lois de Mendel et le principe de Hardy

Gregor Mendel (1822 – 1884) est connu pour avoir posé les premières lois de la génétique. Elles sont de nature si mathématique que Godfrey Hardy, le grand mathématicien britannique du début XXe siècle, connu pour sa critique des mathématiques appliquées, les a prolongées. Imaginons qu’une fleur vienne en deux couleurs : blanche et noire, jamais grise ou autre et que ces deux variétés puissent s’hybrider, c’est-à-dire se mélanger. Imaginons que deux parents à fleurs blanches donnent toujours des enfants à fleurs blanches, alors que les parents à fleurs noires peuvent donner des blanches comme des noires.

Né Johann Mendel en 1822, Mendel prendra le prénom de Gregor à son entrée au monastère de Brunn (Tchéquie), en Autriche à l’époque. Il y trouva un milieu intellectuel stimulant et put y installer un jardin expérimental, où il fit ses recherches sur l’hybridation. En 1866, il devint supérieur de son couvent, ce qui mit fin à ses recherches en botanique. Il se consacra alors à l’administration du monastère ainsi qu’à des recherches en météorologie, pour lesquelles il fut reconnu par ses contemporains … davantage que pour ses apports à la génétique.

La mathématique de l’hybridation

Gregor Mendel a étudié ces lois de l’hybridation en pollinisant artificiellement des pois, qui se présentent sous deux formes facilement discernables. Nous ne décrirons pas ses expériences en détail. Son premier résultat est d’ordre statistique. En croisant une fleur noire et une fleur blanche, à la première génération, on obtient des fleurs blanches et, à la seconde, trois quarts de fleurs blanches et un quart de fleurs noires.

Deux premières générations d’un croisement blanche / noire.

Pour le mathématicien, une explication logique est de penser que le gène de la couleur des fleurs se divise en deux moitiés, ses deux allèles : blanc et noir. A priori, il existe donc quatre combinaisons possibles de ces deux allèles : blanc / blanc, blanc / noir, noir / blanc et noir / noir. Cette propriété est cachée car seuls les porteurs du gène blanc / blanc ont des fleurs blanches, tous les autres ont des fleurs noires. C’est pourquoi on parle de caractère dominant pour la couleur noire, et de caractère récessif pour la couleur blanche. Cette domination est cependant très relative car les combinaisons se faisant de façon équiprobable, à la seconde génération, nous trouvons une fois sur quatre la combinaison blanc / blanc, donc des fleurs blanches.

Cette théorie de Mendel ne fut pas comprise en son temps. Les biologistes pensaient que les caractères dominants devaient forcément augmenter dans la population, ce que les calculs précédents nient. Plus étrangement encore, on ne vit pas immédiatement le lien avec la théorie de l’évolution de Darwin, pourtant contemporaine de celle de Mendel.

Le principe de Hardy

À l’opposé de Mendel, qui était prêtre, Godfrey Hardy était un athée convaincu. Son athéisme comprenait cependant une étrange part d’autodérision, si on en croît l’anecdote suivante. La peur d’un naufrage lui fit écrire à un collègue pour lui annoncer qu’il avait démontré l’hypothèse de Riemann. Il aurait ensuite justifié son envoi en disant que Dieu, qu’il tenait pour son ennemi intime, n’allait pas le laisser mourir et laisser croire ainsi qu’un tel impie avait réussi à démontrer cette conjecture, encore ouverte de nos jours. Il est tout aussi étrange qu’un mathématicien pur aussi convaincu ait publié un article de biologie. Il le serait encore davantage si, un jour, il était plus connu pour son apport à la génétique que pour ses théorèmes mathématiques. Le moteur de recherche Google laisse penser que ce jour viendra puisque « théorème Hardy » donne 56 700 résultats alors que « principe Hardy » en donne 4 450 000. Godfrey Hardy y verrait sans doute une revanche de son ennemi.

Si les mathématiques appliquées ont pu un jour être vues comme « impures » par certains mathématiciens « purs », ce fut le cas de Godfrey Hardy. On s’étonnera alors de voir son nom mêlé à une question de biologie. C’est pourquoi il s’excusa presque de s’immiscer dans ce domaine. En 1908, au cours d’un dîner, on lui demanda s’il était possible de déterminer mathématiquement la proportion d’allèles dominants permettant l’évolution dans une population. Hardy étant un mathématicien pur, sa réponse réclama quelques hypothèses. Tout d’abord, la population devait être de grande taille, sans migration, estimée infinie, les individus s’y croiseraient aléatoirement mais les générations seraient séparées. Enfin, il n’y aurait ni mutation, ni sélection. Tout ceci assure la rigueur du raisonnement suivant.

Considérons un gène à deux allèles A et a possédant les fréquences p et q = 1 – p  dans une certaine génération. Quelles sont les fréquences à la génération suivante ?

Pour le déterminer, comptons d’abord les fréquences des diverses combinaisons à la génération suivante : AA, Aa et aa. Il s’agit d’une question élémentaire de probabilité. Pour qu’un individu soit AA, il doit avoir reçu l’allèle A de ses deux parents, supposés aléatoires d’après l’hypothèse de Hardy. La fréquence de chacun étant égale à p, la probabilité est égale à p2. De même, celle de aa est q2. Pour Aa, deux cas sont possibles puisque cela peut provenir d’un A de la mère et d’un a du père, comme du contraire. On obtient donc 2 pq.

Si la population totale de cette nouvelle génération est égale à N, le nombre d’allèles y est égal à 2N. L’allèle A se trouve deux fois dans AA et une fois dans Aa, son nombre est donc égal à 2 p2 N + 2 pq N. Sa fréquence est ainsi égale à p2 + pq = p (p + q) = p puisque p + q = 1. Il en est de même de l’allèle a. Autrement dit, sous les hypothèses énoncées plus haut, la fréquence des allèles ne se modifie pas d’une génération à l’autre.

Ainsi, les relations de dominance entre allèles n’influent pas sur leurs fréquences. Autrement dit, l’évolution est impossible sous les hypothèses de Hardy … il faut tenir compte des mutations.