Le salon de la culture et des jeux mathématiques 2020

Depuis l’an 2000, fin Mai, place saint Sulpice à Paris le salon de la culture et des jeux mathématiques se propose de présenter les mathématiques sous forme tout à la fois ludique et utile. Il attire ainsi chaque année de l’ordre de 20000 personnes, élèves, étudiants, professeurs, parents et passants.

Vue d’une allée du salon

Cette année 2020, la crise sanitaire a mené à son interdiction. Les organisateurs ont décidé de le dématérialiser. Il est donc ici : http://salon-math.fr/ du 28 au 31 Mai.

Comme chaque année, j’y suis responsable d’un stand dédié à la cryptologie et à la cybersécurité, celui de l’ARCSI (association des réservistes du chiffre et de la sécurité de l’information) dont je suis administrateur.

Ci-dessus, j’explique le fonctionnement d’une C-36, machine à chiffrer française de la Seconde Guerre mondiale à Cédric Villani sous l’œil bienveillant du général Jean-Louis Desvignes, président de l’ARCSI.

Nous y organisons des visio-conférences dont la liste et les horaires se trouvent en ligne de même que quelques curiosités et énigmes. Personnellement, j’en donne quatre :

28 Mai 10H-10H 30 Les correspondances personnelles chiffrées du Figaro en 1890
29 Mai 11H-11H 30 La faiblesse du chiffre de l’armée napoléonienne
30 Mai 11H-11H 30 Le chiffre de Marie-Antoinette
31 Mai 11H-11H 30 Les erreurs de cybersécurité sont avant tout humaines

Sur l’espace rencontre du salon en 2019.

Compter les grains de sable avec Archimède

Archimède (287 – 212 avant Jésus-Christ) inventa une méthode pour décrire les grands nombres dans un but purement théorique, pour montrer que le nombre de grains de sable contenus dans l’univers n’était pas infini, mais juste très grand. C’est d’ailleurs ainsi que commence l’Arénaire :

Il est des personnes, ô roi Gélon, qui pensent que le nombre des grains de sable est infini. Je ne parle point du sable qui est autour de Syracuse [mais] d’un volume de sable qui fût égal à celui de la Terre.

Pour cela, Archimède commence par évaluer le périmètre de la Terre, en voulant être sûr que la mesure réelle soit inférieure à celle qu’il donne, il multiplie donc par dix les mesures connues :

Cela posé, que le contour de la Terre soit à peu près de trois cent myriades de stades mais non plus grand. Car tu n’ignores point que d’autres ont voulu démontrer que le contour de la Terre est à peu près de trente myriades de stades.

Dans le système de numération grec, la myriade était l’unité suivant directement le millier. Elle valait donc dix mille. Le stade est une mesure que nous avons tous en tête car elle a donné la longueur de nos stades. Il mesurait donc un peu moins de 200 mètres, mais cela importe peu ici. À partir de ces données, il est possible de calculer le volume de la Terre. Archimède évalue alors que, dans un volume équivalent à une graine de pavot, il n’y a pas plus d’une myriade de grains de sable, avant de constater qu’il fallait aligner 40 graines pour obtenir la largeur d’un doigt. Archimède a alors tous les éléments pour faire son calcul. Il lui manque simplement un système de numération.

Le système de numération d’Archimède

Archimède commence par décrire le système en usage en Grèce à son époque :

On a donné des noms aux nombres jusqu’à une myriade et au-delà d’une myriade, les noms qu’on a donné aux nombres sont assez connus, puisqu’on ne fait que répéter une myriade jusqu’à dix mille myriades.

Il en fait la base de son système :

Que les nombres dont nous venons de parler et qui vont jusqu’à une myriade de myriades soient appelés nombres premiers [pas dans le sens actuel], et qu’une myriade de myriades des nombres premiers soit appelée l’unité des nombres seconds ; comptons par ces unités, et par les dizaines, les centaines, les milliers, les myriades de ces mêmes unités, jusqu’à une myriade de myriades.

Ces nombres premiers et seconds permettent d’aller jusqu’aux milliers de billions de Nicolas Chuquet, soit jusqu’aux billiards ! (voir le tableau équivalents des nombres premiers et seconds dans le système de Nicolas Chuquet).

nombres rang noms équivalent Chuquet
premiers 1 unités unités
2 dizaines dizaines
3 centaines centaines
4 milliers milliers
5 myriades dizaines de milliers
6 dizaines de myriades centaines de milliers
7 centaines de myriades millions
8 milliers de myriades dizaines de millions
seconds 9 unités centaines de millions
10 dizaines milliards
11 centaines dizaines de milliards
12 milliers centaines de milliards
13 myriades billions
14 dizaines de myriades dizaines de billions
15 centaines de myriades centaines de billions
16 milliers de myriades billiards

Équivalents des nombres premiers et seconds dans le système de Nicolas Chuquet.

Archimède continue de même pour définir les nombres troisièmes et ainsi de suite. Il atteint les limites du système de Nicolas Chuquet, soit le nonillion, avec la centaine de myriade des nombres septièmes du premier ordre ! Il continue jusqu’aux nombres huitièmes :

Qu’une myriade de myriades des nombres seconds soit appelée l’unité des nombres troisièmes ; comptons par ces unités, et par les dizaines, les centaines, les milles, les myriades de ces mêmes unités, jusqu’à une myriade de myriades ; qu’une myriade de myriades des nombres troisièmes soit appelée l’unité des nombres quatrièmes ; qu’une myriade de myriades de nombres quatrièmes soit appelée l’unité des nombres cinquièmes, et continuons de donner des noms aux nombres suivants…

Archimède appelle « première période », les nombres qu’il a définis jusqu’aux nombres huitièmes et commence une seconde période :

Quoique cette grande quantité de nombres connus soit certainement plus que suffisante, on peut cependant aller plus loin. En effet, que les nombres dont nous venons de parler soient appelés les nombres de la première période, et que le dernier nombre de la première période soit appelé l’unité des nombres premiers de la seconde période. De plus qu’une myriade de myriades des nombres premiers de la seconde période soit appelée l’unité des nombres seconds de la seconde période…

En faisant des calculs d’ordre de grandeurs, pour l’univers, tel qu’il était vu à son époque, Archimède trouve :

il s’ensuit que le nombre des grains de sable contenus dans une sphère aussi grande que celle des étoiles fixes supposée par Aristarque, est plus petit que mille myriades des nombres huitièmes.

Cela fait beaucoup plus que l’on ne peut compter dans le système de Nicolas Chuquet d’origine, puisque ce nombre est égal à 1 suivi de 63 zéros ! Si on le prolonge par des décillions valant chacun un million de nonillions, ce nombre est égal à 1000 décillions. On peut comparer au nombre estimé d’électrons de l’univers, qui est égal à 1 suivi de 81 zéros, ce que l’on note 1081. Dans le système d’Archimède, ce nombre vaut une dizaine des nombres troisièmes de la seconde période.

Le problème de Napoléon

Le problème de Napoléon que nous voulons évoquer ici n’est pas d’ordre militaire ou climatique, comme celui qui lui fit oublier qu’il pouvait faire froid en Russie en hiver. Non, il est d’ordre mathématique, de géométrie très classique.

L’énoncé du problème

Le voici : un cercle étant donné (sans son centre), il s’agit de le trouver en utilisant seulement un compas (donc sans la fameuse règle des constructions usuelles). Pour ceux qui s’intéressent à cette question d’un autre temps, le petit dessin qui suit montre comment s’y prendre.
Ce dessin résume la construction du centre du cercle : on choisit A sur le cercle puis on construit les points B, C, … jusqu’à G qui est le centre cherché.

Un intérêt marqué pour les sciences

L’intérêt que portait Bonaparte aux sciences ne se limitait pas à ce problème dont on ne sait si la solution ci-dessus est de lui ou non. Sous son règne, les sciences étaient à l’honneur et les scientifiques aussi. Ainsi, le grand mathématicien Joseph Fourier fut aussi préfet de l’Isère. A ce titre, on lui doit la route de Grenoble à Briançon passant pas le col du Lautaret. L’appétit de Napoléon pour les sciences ne prit pas fin avec son règne puisqu’il emporta une vraie bibliothèque scientifique dans l’île de Sainte Hélène, dont le cours de mathématiques de Sylvestre-François Lacroix, qu’il annota de sa main.