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Stephen Hawking (1942-2018) : ses travaux

Complément au billet précédent Stephen Hawking (1942-2018) : Souvenirs personnels

Les travaux de Stephen Hawking tournent essentiellement autour d’une interrogation aussi vieille que l’humanité : l’éternité du temps. Pour tenter d’y répondre de façon pertinente, le physicien britannique  a utilisé l’arsenal de la physique contemporaine : la relativité générale (théorie de la gravitation), la mécanique quantique (théorie des particules élémentaires et de leurs interactions) et le problématique mariage des deux (la gravitation quantique), concentrant sa stratégie sur deux domaines clés de la recherche théorique : les trous noirs et la cosmologie.

La relativité générale prédit que les étoiles très massives s’effondrent sur elles-mêmes sans limite. Leur champ gravitationnel devient alors si grand qu’il emprisonne la matière et la lumière à l’intérieur d’un « trou noir », zone de non-retour délimitée par une surface appelée horizon des événements. À la fin des années 1960, Hawking et son mentor Roger Penrose ont démontré qu’au-delà de l’horizon, l’effondrement gravitationnel doit inévitablement se poursuivre pour atteindre un stade « singulier » où la densité devient infinie. A la question « le temps a-t-il une fin ? », la réponse est donc oui dans le cadre de la relativité générale classique : le futur s’arrête aux singularités cachées au fond des trous noirs.

On doit à Roger Penrose (né en 1931) de nombreuses contributions à la physique des trous noirs, à la cosmologie et aux mathématiques.

Hawking s’est ensuite attaché, en collaboration avec d’autres chercheurs, à la mise en place d’une « thermodynamique des trous noirs » calquée sur les lois de la thermodynamique usuelle, autrement dit à les modéliser comme des systèmes physiques capables d’interagir avec le milieu extérieur et d’évoluer au cours du temps. Hawking a notamment démontré la loi de croissance irréversible de l’aire d’un trou noir, qui peut être mise en parallèle avec la loi de croissance de l’entropie. En outre, la gravité de surface d’un trou noir doit jouer le rôle d’une température. Un paradoxe, pointé par Jacob Bekenstein de l’Université de Princeton, surgit alors : si le trou noir possède réellement une température et une entropie, il doit être capable de rayonner de l’énergie, ce qui entre en conflit avec sa définition classique.

En 1970, Stephen Hawking et le physicien grec Demetrios Christodolou ont démontré qu’au cours de son évolution, un trou noir ne peut qu’accroître sa surface. Si deux trous noirs entrent en collision, ils forment un seul trou noir dont la surface A3 est plus grande que la somme des surfaces A1 et A2 des trous noirs parents.

Le dilemme a été résolu en 1974 par Hawking (un peu par hasard a-t-il plus tard reconnu), lorsqu’il a entrepris d’étudier l’interaction d’un trou noir avec le vide quantique. Dans la conception classique du trou noir, rien ne peut sortir de l’horizon. En mécanique quantique, au contraire, en raison du principe d’incertitude, une particule a toujours une probabilité non nulle de franchir une barrière de potentiel par effet tunnel. Appliqué à la théorie des trous noirs microscopiques, le principe d’incertitude crée des sortes de « tunnels quantiques » à travers l’horizon gravitationnellement infranchissable, permettant à des particules de s’en échapper et au trou noir de s’évaporer. Cette évaporation quantique du trou noir se manifeste sous forme d’un rayonnement dont la température est bien fixée par la gravité régnant à la surface du trou noir.

Une explication de l’évaporation d’un micro trou noir par polarisation du vide quantique.

L’évaporation quantique est totalement négligeable pour les trous noirs astrophysiques de masse stellaire ou galactique, lesquels s’accroissent au cours du temps, mais Hawking a montré qu’elle deviendrait dominante pour les « mini-trous noirs » de la taille d’un proton et moins massifs qu’un milliard de tonnes, leur temps d’évaporation devenant plus court que l’âge de l’univers (quatorze milliards d’années). De tels objets auraient pu se former au cours du Big Bang, lorsque la densité d’énergie ambiante était si élevée que la moindre fluctuation aurait pu se condenser en trou noir microscopique.

Cette découverte théorique du rayonnement quantique des trous noirs – appelé depuis « rayonnement Hawking » – a permis de comprendre que les trous noirs, outre leur intérêt astrophysique, jouent le rôle d’une pierre de Rosette dans le déchiffrage des liens énigmatiques entre gravité, quantas et thermodynamique. C’est à ce titre qu’elle restera la contribution la plus importante de Hawking à la physique théorique moderne. Continuer la lecture

Stephen Hawking (1942-2018) : Souvenirs personnels

Stephen Hawking (8 janvier 1942-14 mars 2018) rappelait souvent avec malice qu’il était né 300 ans jour pour jour après la mort de Galilée. Il ne se doutait probablement pas qu’il mourrait un 14 mars, jour anniversaire de la naissance d’Albert Einstein. Cette belle photo le montre à la fin des années 1970 en compagnie de son épouse Jane et deux de ses enfants.

 

Mon premier contact avec les travaux de Stephen Hawking remonte à 1975, année où j’ai quitté mes études de mathématiques pures à l’Université de Marseille pour suivre un D.E.A. de physique théorique et de cosmologie à la faculté de Montpellier sous la direction du professeur Andrillat. De fait je n’ai guère fréquenté les cours, car durant les précédentes vacances d’été j’avais déjà lu et assimilé l’excellente monographie sur la relativité générale et la cosmologie qu’Andrillat avait publiée en 1970. Du coup, j’ai pris l’initiative de me lancer dans la lecture de deux tout nouveaux ouvrages de haut vol parus en 1973 : The large scale structure of space-time de Stephen Hawking et George Ellis, et Gravitation de Charles Misner, Kip Thorne et John Wheeler. Ces livres émanant des deux grandes écoles anglo-saxonnes de physique théorique de l’époque, celle de Cambridge en Angleterre et celle de Princeton aux Etats-Unis,  allaient vite devenir de vraies bibles de la discipline, en  traitant la théorie d’Einstein selon des angles différents mais complémentaires.

Si la partie technique de ces livres était trop ardue pour ma formation de l’époque, j’en avais quand même retiré un immense intérêt pour les méthodes de physique mathématique développées par l’école de Cambridge, créée par Dennis Sciama dans les années 1960 et dont les plus remarquables disciples étaient Roger Penrose, Stephen Hawking, Brandon Carter et George Ellis. Ces méthodes permettaient notamment de traiter de manière originale des sujets comme la structure globale de l’espace-temps, les propriétés des trous noirs et les singularités inhérentes à la théorie de la relativité générale.

De gauche à droite : Dennis Sciama (1926-1999), Roger Penrose (né en 1931), Stephen Hawking (1942-2018), Brandon Carter (né en 1942) et George Ellis (né en 1939)

A la fin de cette année de DEA j’ai d’ailleurs rédigé un gros mémoire intitulé « Groupes d’isométries en relativité générale ». C’était en fait de la pure « géométrie différentielle » appliquée à la théorie gravitationnelle d’Einstein, directement inspirée par la lecture du livre de Hawking et Ellis. C’est alors que le professeur Andrillat m’a vivement conseillé d’aller poursuivre mes études à l’Observatoire de Paris-Meudon, où existait depuis peu un « Groupe d’astrophysique relativiste ». Recruté par le CNRS, Brandon Carter venait de quitter Cambridge pour en prendre la direction, et il sut faire confiance au jeune étudiant enthousiaste que j’étais. Collègue et ami personnel de Stephen Hawking, il m’a dirigé vers un sujet de thèse riche mais complexe concernant les singularités qui apparaissent dans certains modèles de la cosmologie relativiste. C’est ainsi que l’on désigne les points de l’espace-temps où certains paramètres physiques deviennent infinis. Le centre des trous noirs est une singularité de l’espace-temps, un point où la gravité devient infinie, ainsi que le début de l’Univers tel qu’il est décrit par la théorie du Big Bang. Par essence, on ne peut appréhender les singularités avec les outils de l’astrophysique, seulement avec ceux de la physique mathématique. Hawking et Penrose avaient justement démontré l’occurrence inévitable de singularités en relativité générale, moyennant quelques hypothèses plausibles. Ce sujet me convenait parfaitement !

Au bout d’un an, j’ai obtenu une bourse du British Council me permettant d’aller travailler trois mois à l’université de Cambridge, dans le laboratoire de Stephen Hawking. Il était déjà connu dans le petit monde des physiciens mais sans plus, et j’étais très impressionné d’avoir un bureau au DAMTP (Department of Applied Mathematics and Theoretical Physics), laboratoire prestigieux situé à l’époque dans une ancienne usine reconvertie, rue Silver Street. Encore plus impressionné le premier jour où, assistant à un séminaire au DAMTP, j’ai vu arriver Stephen Hawking en fauteuil roulant, la tête inclinée de côté, rictus sur le visage mais le regard toujours extraordinairement vif.

Le D.A.M.T.P. dans ses anciens locaux de Silver Street, avant son déménagement en 2002 dans des bâtiments modernes.

Dans les mois qui ont suivi j’ai eu l’occasion de mieux connaître Stephen. Je me souviens notamment d’un repas à la cantine de l’université, montrant les extraordinaires difficultés auxquelles Stephen était en permanence confronté pour accomplir les actes les plus simples de l’existence. Je me souviens aussi du jour où, voulant assister à un séminaire se tenant loin du DAMTP et nécessitant un déplacement en voiture, Stephen avait demandé si je pouvais le conduire avec mon propre véhicule. Je l’avais donc soulevé de son fauteuil roulant et pris dans mes bras pour le déposer sur le siège avant, m’étonnant de son poids qui ne devait guère dépasser les 40 kilos. Mais mon incapacité à communiquer vraiment avec lui était embarrassante. A cette époque en effet son élocution était déjà fortement altérée par sa maladie, de sorte que seules les personnes le connaissant très bien pouvaient comprendre ses paroles, ce qui pouvait créer des malentendus. Continuer la lecture