Les Chroniques de l’espace illustrées (15) : Le mal de l’espace

Ceci est la quinzième de mes « Chroniques de l’espace illustrées ». Si vous souhaitez acquérir mon livre dans sa version papier non illustrée (édition d’origine 2019 ou en poche 2020), ne vous privez pas !

 

 

Le mal de l’espace

En août 1961, les Soviétiques mettent en orbite Vostok 2 avec à bord le cosmonaute Guerman Titov, qui va pour la première fois passer une journée entière dans l’espace. Comme la cabine est grande, Titov se détache de son siège et flotte dans l’habitacle en l’absence de pesanteur. Ses mouvements deviennent soudain indécodables par son oreille interne, où se trouve le centre de l’équilibre, son cerveau ne sait plus interpréter sa position sans horizon visuel, les nausées l’envahissent. C’est le mal de l’espace, analogue au banal mal au cœur que nous ressentons en voiture sur une route montagneuse ou en bateau par mer agitée, mais bien plus violent.

Titov paraît sur l’écran de télévision du centre de contrôle au sol de la mission Vostok 2 juste après avoir atteint l’orbite nominale. Malgré le mal de l’espace il parviendra à manipuler un appareil photo pour prendre des clichés de la surface terrestre. caméra .

Iouri Gagarine, avec son court vol spatial, et les premiers Américains dans leurs très étroites cabines Mercury, n’avaient pas eu assez de temps ni d’espace pour éprouver ces malaises. Ces derniers vont désormais affecter plus ou moins fortement tous les astronautes, même si en général le cerveau s’adapte au bout de quelques jours.

Vue en coupe d’une cabine Mercury : le courageux astronaute est confiné dans une boîte de conserve.

Les problèmes vraiment sérieux apparaissent avec les premières missions de longue durée sur les stations orbitales, quand le mal de l’espace devient psychologique. L’organisation de la vie dans un milieu très confiné et inconfortable engendre en effet des conflits avec les contrôleurs au sol, le rejet de planifications excessives, une irritabilité entre les membres d’équipage, qui ne peuvent s’isoler, allant jusqu’à la dépression nerveuse.

C’est avec les stations russes que des progrès significatifs sont faits dans ce domaine. Le ravitaillement en orbite par des cargos automatiques, apportant une nourriture un peu plus soignée et présentable, de l’eau, du carburant, du courrier, des pièces détachées et permettant l’évacuation des déchets, rend possible d’augmenter la durée de vie en orbite de façon spectaculaire. La visite régulière d’équipages, en plus de celui qui est de permanence, contribue à garder un état psychologique plus équilibré. L’espace « linéaire » est démultiplié, les cosmonautes peuvent s’éloigner les uns des autres pour s’assurer un peu plus d’intimité. Progressivement, la durée des vols double et monte à six mois.

Un nouveau problème se présente alors : certains voyageurs de l’espace se retrouvent prostrés sous prétexte qu’il leur semble que la Terre les oublie. En outre, les phénomènes de décalcification osseuse et les atrophies musculaires engendrent des inadaptations à leur retour sur Terre. Pour y remédier, les stations orbitales sont dès lors équipées de salles de sport, où les cosmonautes suivent un entraînement physique constant.

Les astronautes doivent faire près de deux heures d’exercice par jour pour garder la forme pendant une mission dans l’espace.

Le Dr Valeri Polyakov est le spationaute qui détient le record du plus long vol spatial de l’histoire de l’humanité, en étant resté plus de quatorze mois d’affilée à bord de la station orbitale Mir entre 1994 et 1995. Pour ce faire, il a suivi un entraînement extrêmement rigoureux dans un environnement psychologique très soigné.

Valery Polyakov (la tête en “bas”) et Sergueï Krikalyov dans la station MIR.
Elena Kondakova fut la première femme à effectuer un vol de longue durée.

La présence de la cosmonaute Helena Kondakova pour les six derniers mois de son vol « marathon » a sans doute joué un rôle non négligeable dans la réussite de l’expérience. Polyakov a d’ailleurs paru bien plus en forme au retour sur Terre que sa consœur !

 

Du côté américain, c’est l’astronaute Scott Kelly qui détient le record de durée, avec un séjour de trois cent quarante jours à bord de la plus confortable Station spatiale internationale.

Scott Kelly et son frère jumeau Mark en 2015. Le fait que Scott ait un vrai frère jumeau, ayant donc le même patrimoine génétique que lui, a été l’occasion d’étudier les différences d’expression des gènes entre les deux frères jumeaux. L’étude a reposé sur une comparaison avant, pendant, et après la fin de la One-Year Mission.

Est-ce suffisant pour se préparer physiologiquement et psychologiquement à un voyage vers Mars ? On peut en douter. Le voyage Terre-Mars dure neuf mois pour l’aller et autant pour le retour, en empruntant les routes directes. En ajoutant un séjour de trois à six mois sur le sol de la planète rouge, cela donne une mission de près de deux ans. Or, naviguer seul loin de la Terre n’est pas du tout la même chose que survoler notre planète tour après tour dans une station orbitale à basse altitude, avec des communications quasi instantanées avec le centre de contrôle, des missions de ravitaillement et des équipages qui viennent régulièrement visiter la station en apportant nouvelles et gâteries. L’équipage permanent sait en outre qu’en cas d’accident la station peut être rapidement évacuée, et le retour sur Terre se fait en moins de trente minutes.

Les sept étapes d’un voyage aller-retour sur Mars

Rien de tel sur un vaisseau en partance vers Mars. Pour l’instant, les robots semblent être la seule option viable. Ils ne dorment pas, ils n’ont pas froid, ils n’ont pas faim, ils ne sont pas distraits, ils n’ont pas le cafard et ils se fichent de l’apesanteur.

Comparaison des doses de rayons cosmiques reçues durant une mission habitée vers Mars et des doses reçues sur Terre et en orbite basse, rendant les voyages non robotisés très problématiques.

Cela n’a pas empêché près de 200 000 candidats de plus de 140 pays de postuler pour devenir les premiers colons martiens à l’horizon 2030, lors de l’expédition Mars One, laquelle s’est avérée être une opération publicitaire dont le degré de crédibilité scientifique et technique est strictement nul.

Promotion du projet Mars One à la télévision par un de ses concepteurs, l’ingénieur néerlandais Bas Lansdorf. La société suisse qui avait racheté le projet, Mars One Venture AG, a été mise en redressement puis en liquidation en 2019, avec un passif de 1,1 million de francs suisses.

2 réflexions sur “ Les Chroniques de l’espace illustrées (15) : Le mal de l’espace ”

  1. On peut encore consulter un site
    http://www.mars-one.fr

    Qui ressemble à un blog d’amateur.

    Les dernière MaJ semblent de 2017 (avant la liquidation de la société en 2019) On voit que le nombre de candidats présélectionnés était tombé à 2.

    Ironie du sort, cet article au sujet du film “Passengers” en page d’accueil :

    “Passengers: un voyage interstellaire vraisemblable ou pas ?”

  2. Bonjour!

    Y.Gagarine, G.Titov et d’autres cosmonautes…Au début des années sixties, ils ont fait eux aussi rêver.

    Mais comment dire ce verbe, en ce temps-là, si ce n’est cette intime conviction au tréfonds de notre être, d’appartenir à un tout et pas seulement à la partie sociale?

    Le mal de l’âme, le mal d’être, voire le mal français…Que d’essais, que de mots pour soulager nos maux!

    Et maintenant, voici le mal de l’espace. Je connais plus d’un malade ici-bas, qui ne va pas les plaindre, nos voltigeurs.

    A la fin des années septante, sortait un livre vendu 39 F, intitulé “Comment devient-on ce que l’on est?”

    Je lis cet extrait qui intéressera, peut-être, le billettiste :

    “Savez-vous qu’un des astronautes américains, capitaine sur Appollo III, a fondé, de retour de l’espace extérieur, un institut de recherche sur l’espace intérieur de l’homme? “Jusqu’où s’élèvera l’homme séditieux?” s’écrie Hugo en pressantant les voyages stellaires. Et jusqu’où l’homme séditieux descendra-t-il dans ses propres profondeurs encore inexploitées?” (Reproduction fidèle de la citation sans correctif de votre serviteur)

    Imaginons Sisyphe aujourd’hui voulant sortir du mythe. Sur “Le rocher de Camus” en permutant ses lettres, il verrait “Le coucher de Mars”.

    Sur les chemins d’une volonté, un brillant universitaire, fin connaisseur de Charles Péguy et d’Albert Camus, aime à citer Gaston Bachelard : ” La durée est dans la grammaire, dans la morphologie aussi bien que dans la syntaxe. Oui les mots sont là, avant la pensée, avant notre effort pour renouveler une pensée”.

    Quel poète cosmographe, rendra le réveil naturel aux passagers endormis d’un vaisseau interplanétaire?

    Si loin des “Racines d’arbre” du peintre, il serait bien inspiré d’appeler les “Brancardières”. (Anagramme entre guillemets en cette phrase)

    Pour l’heure, fût-elle celle de s’enivrer, autant prendre son mal en patience et, dans l’azur, rêver à sa manière…bleue.

    Jacques

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