Ceci est la troisième de mes « chroniques de l’espace illustrées ». Si toutefois vous souhaitez acquérir mon livre dans sa version papier non illustrée (édition d’origine 2019 ou en poche 2020), ne vous privez pas !
Quitter le berceau
« La Terre est le berceau de l’humanité, mais nul ne reste éternellement dans son berceau. »
Vous avez probablement déjà entendu cette phrase célèbre. On la doit à Konstantin Tsiolkovski, un instituteur russe du début du xxe siècle, ardent partisan de l’exploration et de la colonisation de l’espace : « L’Homme ne restera pas sur Terre à jamais, mais, toujours en quête de lumière et d’espace, il se hasardera d’abord timidement hors de l’atmosphère, puis fera la conquête du système solaire tout entier », ajoute-t-il. En 1903, il publie le premier traité de fuséologie et explique comment quitter la gravité terrestre pour atteindre le vide de l’espace. Véritable père de l’astronautique moderne, il imagine les fusées à étages, les stations spatiales et l’utilisation de combustibles liquides en remplacement de la poudre qui ne peut pas brûler dans le vide de l’espace.
Quelques années plus tard, un professeur d’université américain nommé Robert Goddard passe à la pratique et s’attache à la réalisation de fusées à propulsion liquide. Il dépose des brevets, on le prend pour un fou, sa première fusée s’élève néanmoins avec élégance vers le ciel en 1932.
En Europe centrale, Hermann Oberth, après s’être passionné pour les romans de Jules Verne, rédige en 1923 une thèse intitulée « La Fusée dans les espaces interplanétaires », pour un doctorat qui lui est refusé. En 1935, il réussit pourtant le lancement d’une fusée à combustible liquide.
L’armée nazie l’engage pour travailler sur les missiles balistiques, aux côtés de jeunes ingénieurs allemands passionnés. Wernher von Braun est le plus brillant d’entre eux. Le 3 octobre 1942, il réussit le tir de la première fusée militaire. Baptisée V2, elle franchit pour la première fois le seuil du domaine spatial, c’est-à-dire 80 kilomètres d’altitude. Mais c’est une arme de destruction. Durant la guerre, 3 000 exemplaires sont lancés contre les populations de Londres et de Belgique, tuant des milliers de civils.
À la chute de Hitler, les Alliés mettent la main sur les stocks de V2 et la documentation technique. Désireux de rattraper leur retard sur l’Allemagne dans le domaine spatial, les États-Unis exfiltrent von Braun pour le faire travailler à leur compte. Sans lui, le programme Apollo n’aurait pas réussi à poser des hommes sur la Lune ! Continuer la lecture →
La Terre est le berceau de l’humanité, mais nul ne reste éternellement dans son berceau. Konstantin Tsiolkovski (1920)
A la fin du XIXe siècle, — période de confiance ingénue en la Science, — le voyage cosmique est remis en honneur, mais dans un univers assez différent de celui des “Nuits” de Young (voir billet précédent). Univers plus précaire où poudroient les brouillards mystérieux de lointaines galaxies, où partout des astres agonisent et où rôdent d’invisibles soleils noircis. Sully Prudhomme (premier lauréat du prix Nobel de littérature en 1901, mais ce n’est pas forcément une référence!) met en scène Faustus et Stella dans Le Bonheur (1888). Les astres sont les îles des Bienheureux. La rapidité extraordinaire du vol des deux amants est rendue sensible par le recul et l’évanouissement des corps célestes:
« Sur leurs têtes ils voient de vertiges étourdis Fondre Cassiopée et le Lion grandis… La grande Ourse à son tour, subitement énorme Tombe, et n’est bientôt plus qu’un point blême et sans forme… Le Zodiaque épars s’effondre sous leur vol! Ils montent, étreignant la Mort qui les entraîne Là-bas, là-haut où germe une lueur sereine; Et tout le peuple astral que l’homme a dénombré, Ce qu’il nommait le ciel sous leurs pieds a sombré. A cette nébuleuse une autre nébuleuse Succède, puis une autre en la mer onduleuse. De l’impalpable éther, océan sans milieu Dont blanchissent au loin les archipels en feu… Ils franchissent, après ces milliers de soleils De plus hauts firmaments de plus en plus vermeils, Jusqu’au zénith où meurt l’ascension stellaire, Où l’astre originel et dernier les éclaire De l’aube enchanteresse, espoir de leur regard… »
Bien avant lui, Pierre-Claude-Victor Boiste – plus connu comme lexicographe et éditeur de dictionnaires – a livré un long poème de facture très classique, L’Univers délivré, (1809), où il imagine l’âme se détachant de la Terre pour rejoindre les célestes intelligences. L’idée n’est pas nouvelle puisqu’elle remonte au moins à Pythagore! Mais chez Boiste, la pesanteur du corps et de l’entendement afflige le poète, lequel semble regretter d’être vieux dans un monde où l’aéronautique est naissante (il a assisté aux premiers envols des frères Montgolfier et de Pilâtre de Roziers) :
« Que mes chants eussent été sublimes si j’avais pu, dans ces heureux moments, contempler le grand spectacle de la nature! Si, porté sur les ailes de l’aéronaute, j’avais pu m’élever au-dessus du globe et voir l’hémisphère à mes pieds diminuer et disparaître dans un océan de nuages! Errant alors dans l’espace, au sein du vaste empire du silence, j’aurais joui d’un spectacle nouveau pour les mortels; j’aurais vu le dieu du jour dégagé des vapeurs qui obscurcissent pour nous son éclat lancer des torrents de lumière dans l’espace. J’aurais contemplé de plus près les astres, et peut-être aurais-je découvert un corps céleste qui promènerait éternellement mon nom et ma gloire dans l’immensité. Orgueilleuse pensée! »
Le voyage aérien est en effet dans l’heureuse période de ses débuts. Les moyens utilisés pour vaincre la pesanteur et autres résistances physiques ont encore une fantaisie qui fait leur charme. La littérature d’anticipation, plus tard baptisée “science-fiction” se développe avec Jules Verne (De la Terre à la Lune), Albert Robida (Le Vingtième siècle) et Herbert George Wells (La Guerre des mondes). Cette littérature, à mesure que le problème du vol spatial paraît plus proche d’une solution, prend un caractère toujours plus positif, peu favorable à la poésie, et elle ne figurera pas dans cette brève anthologie. La science-fiction a toutefois fourni de belles pages de poésie pure. Dans les années 1930, les voyages spatiaux vécus par les héros de Clive Staple Lewis (Hors de la planète silencieuse, Le Voyage à Vénus), et celui, plus grandiose, imaginé par Olaf Stapledon (Créateur d’étoiles), sont prétextes à de superbes pages dans lesquelles les écrivains, débarrassés de la technique, se consacrent à ce qui est pour eux l’essentiel: l’aspect psychologique, philosophique et poétique de l’aventure.
Le Voyage cosmique est un film muet soviétique réalisé par Vassili Zouravlev en 1936. L’image mise en avant de ce billet en est extraite. Afin de répondre au souhait d’exactitude scientifique exigé par le gouvernement soviétique (qui lui avait passé la commande), le réalisateur prit contact avec le célèbre théoricien Konstantin Tsiolkovski pour devenir le consultant scientifique du futur projet. Le père de l’astronautique russe accepta et travaillé à la préparation du film en rédigeant un cahier de consignes, l’album des voyages spatiaux, contenant une trentaine de pages de schémas, dessins, explications. Sorti sur les écrans onze années après le fameux film de science-fiction russe Aelita (1924), le film raconte un premier voyage vers la Lune en 1946.
Si vous avez le temps et la curiosité pour ce type de cinéma, on le trouve ici sur l’inépuisable youtube:
J’eus le vertige et je pleurai car mes yeux avaient vu cet objet secret et conjectural dont les hommes usurpent le nom, mais qu’aucun homme n’a regardé : l’inconcevable univers. Jorge Luis Borges, L’Aleph (1949)