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Observations Astronomiques : Huit toiles de Donato Creti (1711) décryptées

Par une nuit radieuse et un ciel dégagé, imaginez-vous en pleine nature. Au-dessus de votre tête trône dans l’azur l’un de vos astres familiers – Lune, Vénus, Jupiter, Mars, etc. –, mais il est démesurément grossi par rapport à sa taille apparente réelle dans le ciel.

Non, vous n’êtes pas dans la célèbre Nuit étoilée peinte par Vincent van Gogh en 1889 à Saint-Rémy de Provence, mais dans l’une des huit étonnantes toiles astronomiques réalisées en 1711 par le peintre italien Donato Creti.

Né à Crémone en 1671, mort à Bologne en 1749, Creti a été principalement actif à Bologne. Cette belle ville italienne avait une grande tradition artistique, grâce notamment à l’Académie des Carrache et aux peintres baroques comme Guido Reni, Francesco Albani, ou Guercino (Le Guerchin).

Autoportrait de Donato Creti à l’âge de seize ans (1687)

Elève de Lorenzo Pasinelli, le jeune Donato a hérité du style bolonais caractérisé par une forte attention au dessin et à la clarté des formes, tout en développant sa propre manière. Son travail révèle ainsi un caractère plus doux et plus raffiné que celui des baroques typiques. Son style tend plus vers le classicisme, avec une utilisation subtile de la couleur et une attention aux détails. Ses compositions sont souvent gracieuses et pleines de sérénité, plutôt que dramatiques et émotionnelles comme celles de tant d’autres artistes baroques.

A l’instar de beaucoup de peintres de son temps, Creti a produit de nombreuses œuvres religieuses destinées aux églises et aux institutions religieuses de Bologne et de ses environs. Ces œuvres incluent des retables et des fresques. Son grand tableau pour l’église San Domenico de Bologne, montrant des scènes de la vie de San Vincenzo Ferreri (Saint Vincent Ferrier), est représentatif de son style classique et raffiné.

Saint Vincent Ferrier ressuscite un enfant – Eglise S. Domenico, Bologne (1732)

Creti a également peint des scènes mythologiques et allégoriques, marquées par une recherche de l’équilibre et de la beauté plutôt que par les mouvements exubérants typiques du baroque rococo. L’une de ses toiles de ce type les plus réputées est L’éducation d’Achille par le centaure Chiron. Cette quête inlassable et quasi maniaque d’une beauté idéale l’occupa toute sa vie, au point qu’il confessa dans ses écrits : « J’ai vécu pendant trente-six ans sans dormir, dans un état proche du délire, incapable de trouver, nuit comme jour, le moindre répit. »

Mais l’œuvre sans doute la plus originale de la carrière de Creti et qui fait l’objet de cet article est la série de huit toiles au format rigoureusement identique de 51×35 cm, datant de 1711 et intitulées Osservazioni Astronomiche (Observations astronomiques). Aujourd’hui conservée à la Pinacothèque du Vatican, la série fut commandée par le comte bolonais Luigi Marsili. Il demanda à l’artiste de peindre les astres du système solaire (Mercure, Vénus, Mars, Jupiter, Saturne, le Soleil, la Lune et une comète) revisités par les observations télescopiques de son temps. La commande n’était pas seulement de nature esthétique, son but réel était scientifique et diplomatique : suite aux premières observations à la lunette astronomique de Galilée (1610) et aux débats métaphysiques qui en découlaient, Marsili voulait attirer l’attention de l’Église sur la nécessité d’établir un observatoire astronomique au Vatican, en réponse à l’importance croissante que l’astronomie avait prise au XVIIe siècle – d’autant que la discipline était pratiquée par de nombreux Jésuites.

Tour de la Specola du Palazzo Poggi à Bologne

Le projet atteignit son but, puisque la Tour de la Specola du Palazzo Poggi de Bologne fut érigée à partir de 1712, sous le pontificat de Clément XI, pour y abriter le premier observatoire astronomique public d’Italie qui fut inauguré en 1726. Ce n’est qu’en 1787 que le collège romain se dotera de son propre observatoire au Vatican.

 

Chacune des huit toiles des Observations astronomiques s’attache à représenter l’une des cinq planètes du système solaire connues à l’époque, auxquelles sont ajoutées la Lune, le Soleil et une comète (la planète Uranus ne sera découverte au télescope qu’en 1781, et Neptune en 1846). Sur la scène terrestre des tableaux figurent des personnages en habits du XVIIIe siècle, installés dans des paysages souvent montagneux, parfois campagnards, pour observer le ciel.

Ces compositions sont dominées par la présence des astres fortement grossis par rapport à leur taille apparente réelle, agrémentés de certains détails perceptibles seulement aux télescopes de l’époque, dont la technologie venait d’être perfectionnée en Angleterre par Gregory et Newton et surpassait largement celle de la lunette de Galilée. Elles démontrent l’intérêt croissant pour l’astronomie au début du XVIIIe siècle, une époque marquée par des avancées scientifiques importantes, grâce notamment à des savants comme Galilée et Kepler.

Jacques de Lajoue : Allégorie de l’Astronomie, 1735, Huile sur toile, Musée de Cambrai

Dès lors les sciences sont venues s’immiscer dans le théâtre, la poésie et les arts visuels. Fontenelle venait par exemple d’écrire une pièce de théâtre, La Comète (1681), où il raillait les superstitions de l’astrologie. En peinture, le spectacle de la nature céleste a commencé à inspirer de nombreux artistes comme Jacques de Lajoue ou, en Angleterre, William Hogarth et Joseph Wright.

Bien qu’à ma connaissance Donato Creti n’ait fourni aucune indication sur ses sources d’inspiration scientifique, l’examen de l’iconographie astronomique de son temps m’a permis d’établir de vraisemblables correspondances, que j’expose ci-dessous toile après toile.

La Lune

Donato Creti, Observations Astronomiques : la Lune

Dans un paysage montagneux, deux personnages masculins sont installés sur une petite plateforme rocheuse pour observer la pleine Lune. L’un d’eux utilise une lunette très semblable à celle qu’avait employée Galilée tout juste un siècle auparavant. L’astre des nuits occupe une taille énorme dans le ciel et montre une surface tachetée. Continuer la lecture de Observations Astronomiques : Huit toiles de Donato Creti (1711) décryptées

Les Chroniques de l’espace illustrées (7) : Objectif Lune

Ceci est la septième de mes « Chroniques de l’espace illustrées ». Si vous souhaitez acquérir mon livre dans sa version papier non illustrée (édition d’origine 2019 ou en poche 2020), ne vous privez pas !

Objectif Lune
Bras de fer symbolique entre Nikita Khrouchtchev  et John F.  Kennedy à propos de l’affaire des missiles de Cuba, qui a mené les deux blocs au bord de la guerre nucléaire.

1962. La guerre froide bat son plein, exacerbée par la crise des missiles de Cuba. Les activités spatiales militaires permettent de développer au pas de charge toute la panoplie des technologies nécessaires pour envoyer un Homme sur la Lune. Côté américain, les programmes Gemini et Apollo se voient attribuer des budgets colossaux. Côté russe, la station orbitale permanente devient l’objectif à long terme, sans toutefois écarter la Lune des projets immédiats.

Une cinquantaine de missions lunaires américaines et soviétiques vont ainsi se dérouler dans les quinze années qui suivent. Certaines placent en orbite lunaire des satellites transmettant des photographies détaillées de la surface, d’autres font atterrir des modules capables d’analyser le sol de notre satellite naturel.

En 1966, Luna 9 réussit la très délicate manœuvre de l’alunissage en douceur. Le premier drapeau à « flotter » sur la Lune est soviétique !

Le 3 Février  1966, la sonde soviétique Luna-9 est le premier vaisseau spatiale à se poser en douceur sur la Lune. Les 4 et 5 février , elle transmet 3 clichés panoramiques pris par une caméra optique mécanique spécialement construite par les ingénieurs russes. Les images sont transmises sous forme de signaux vidéo analogiques à un débit équivalent à  500 pixels/ligne.

Pour ne pas rester en arrière, les Américains réussissent à leur tour l’alunissage avec la sonde Surveyor 1, et à peine un an plus tard Surveyor 6 est le premier module capable de redécoller.

Le programme Surveyor de la NASA a, entre juin 1966 et janvier 1968, expédié sept sondes automatiques sur la Lune pour démontrer la faisabilité d’un alunissage en douceur. .Cinq vaisseaux, dont le premier Surveyor 1, y sont parvenus, mais deux ont échoué : Surveyor 2 s’est écrasé après une correction de trajectoire ratée, and Surveyor 4 a explosé avant d’atteindre le sol. Le 17 novembre 1967, les moteurs de Surveyor 6 sont mis à feu durant 2,5 secondes, ce qui permet à la sonde de décoller du sol lunaire de 3 à 4 mètres et d’atterrir à 2,4 mètres de sa position d’origine. Ce « saut de puce » lunaire a été le premier décollage depuis la surface de notre satellite.

Cinq sondes Lunar Orbiter sont placées en orbite pour cartographier 99 % de la surface lunaire et définir les sites d’atterrissage des missions Apollo.

Cette photographie du cratère Copernicus prise par la sonde Orbiter 2 le 24 Novembre 1966 a suscité un tel enthousiasme qu’elle a été baptisée “Image du siècle”.

Pour des raisons de mécanique céleste, le voyage Terre-Lune aller-retour se présente de façon optimale lors de certaines fenêtres de tir périodiques et prévisibles. Une fenêtre se présente fin décembre 1968. Le premier vol humain en orbite lunaire est réalisé par le vaisseau Apollo 8, dont les trois membres d’équipage passent Noël à 380 000 kilomètres de chez eux. Les missions s’enchaînent avec succès.

Apollo 8 est le premier vaisseau spatial avec équipage à atteindre la Lune, à s’y mettre en orbite sans se poser et à en revenir. Les trois astronautes  Frank Borman, James Lovell et William Anders sont les premiers à assister à un lever de Terre depuis son satellite naturel et à le photographier. A gauche, photo de l’équipe en orbite autour de la Lune, Borman au centre. A droite, première image de la Terre entière prise par les humains, probablement photographiée par William Anders. Le Sud est en haut, l’Amérique du Sud est au milieu.

En mai 1969, Apollo 10 se met en orbite lunaire et teste toutes les manœuvres conçues pour l’alunissage.

La Terre, la Lune et l’alunisseur d’Apollo 10 vus de la capsule orbitale en mai 1969. Apollo 10,  quatrième mission avec équipage du programme américain, est  une répétition générale pour le premier atterrissage lunaire qui aura lieu deux mois plus tard.

Enfin le 21 juillet 1969, Apollo 11 dépose le module Eagle sur la mer de la Tranquillité. Continuer la lecture de Les Chroniques de l’espace illustrées (7) : Objectif Lune

Le Songe de Kepler (3/3) : procès en sorcellerie et postérité

suite du billet précédent :  Récit et Structure
somniumEdition originale du Songe de KeplerSonge001Traduction française 
Le procès en sorcellerie

Une redoutable vague de chasse aux sorcières sévit en Europe au début du XVIIe siècle, en particulier dans les régions protestantes. Les dénonciations sont fréquentes pour assouvir des haines personnelles, et les tribunaux sont prompts à user de la torture pour obtenir des aveux aussi détaillés que fallacieux. Les victimes des procès en sorcellerie sont à 80 % des femmes, appartenant en majorité aux classes populaires – par conséquent illettrées et incapables de se défendre.

Le procès de Katharina Kepler à Leonberg
Le procès de Katharina Kepler à Leonberg

C’est ainsi qu’en 1615, tandis que Kepler travaille à son ouvrage Harmonices mundi, sa mère Katharina, alors âgée de 68 ans, est accusée de pratiques sataniques et de sorcellerie dans sa ville natale de Leonberg, dans le grand-duché de Wurtemberg. Katharina Kepler, née Guldenmann, que son fils qualifie lui-même de « petite, maigre, sinistre et querelleuse », avait été élevée par une tante qui avait déjà fini sur le bûcher pour sorcellerie. L’affaire est sérieuse ; les autorités religieuses commandent d’emprisonner et de juger toute personne soupçonnée d’avoir commerce avec le diable, et le prévôt de justice de Leonberg s’y applique avec zèle : cinq « sorcières » de la petite ville de Leonberg sont brûlées dans l’année. Continuer la lecture de Le Songe de Kepler (3/3) : procès en sorcellerie et postérité

Le Songe de Kepler (2/3) : Récit et Structure

Suite du billet précédent  : Genèse et Influences
somniumEdition originale du Songe de KeplerSonge001Traduction française 
Le Récit

Le Songe [1] est le récit d’un rêve que fait Kepler une nuit après avoir observé la Lune et les étoiles. Il dit avoir rêvé d’un livre qui parle d’une aventure vécue par un certain Duracotus.

Le célèbre astronome danois Tycho Brahe (1546-1601) dont Duracotus, alias Kepler, a été l'assistant
Le célèbre astronome danois Tycho Brahe (1546-1601) dont Duracotus, alias Kepler, a été l’assistant

Duracotus, par les hasards d’une vie baignée de magie et d’un peu de sorcellerie, se retrouve adopté par Tycho Brahé pour y apprendre l’astronomie. Devenu érudit, il retourne dans sa patrie pour y retrouver sa mère, Fiolxhilde qui, avant de mourir, lui révèle certains secrets, et plus particulièrement la possibilité qu’elle a d’invoquer certains esprits, notamment un démon qui permet une sorte de voyage astral particulièrement efficace. Avec lui, elle effectue un dernier voyage pour aller retrouver une île nommée Levania, qui n’est autre que la Lune. Seulement, pour s’y rendre, il faut remplir certaines conditions :
« A une distance que cinquante mille milles allemands dans les hauteurs de l’éther se trouve l’île de Levania. La route qui va d’ici à cette île ou de cette île à notre Terre est très rarement praticable. Quand elle l’est, il est aisé pour ceux de notre race de l’emprunter, mais il est extrêmement difficile de transporter des hommes et ils risquent leur vie.
Sorciere-LuneNous n’admettons personne qui soit sédentaire, ou corpulent, ou délicat; nous choisissons ceux qui passent leur vie à monter les chevaux de chasse ou vont fréquemment aux Indes en bateau, accoutumés à se nourrir de biscuit, d’ail et de poisson fumé. Mais surtout nous conviennent les petites vieilles desséchées, qui depuis l’enfance ont l’habitude de faire d’immenses trajets à califourchon sur des boucs nocturnes, des fourches, de vieux manteaux. Les Allemands ne conviennent pas du tout, mais nous ne refusons pas les corps secs des Espagnols. » Continuer la lecture de Le Songe de Kepler (2/3) : Récit et Structure

Le Songe de Kepler (1/3) : Genèse et influences

Autour du « Songe » de Kepler

Johann Kepler (1571-1630) est parfois considéré comme un précurseur des romans de science-fiction avec l’écriture de Somnium, sive opus posthumum de astronomia lunaris [1]. Dans cet ouvrage publié à titre posthume en 1634 par son fils Ludwig, Kepler essaie de diffuser la doctrine copernicienne en détaillant la perception du monde pour un observateur situé sur la Lune. Il explique : « Le but de mon Songe est de donner un argument en faveur du mouvement de la Terre ou, plutôt, d’utiliser l’exemple de la Lune pour mettre fin aux objections formulées par l’humanité dans son ensemble, qui refuse de l’admettre. Je pensais que cette vieille ignorance était bien morte, et que les hommes intelligents l’avaient arrachée de leurs mémoires, mais elle vit toujours, et cette vieille dame survit dans nos Universités. »

somniumEdition originale du Songe de KeplerSonge001Traduction française 

Kepler n’est certes pas le premier à faire le récit fantastique d’un voyage de la Terre à la Lune pour faire « passer un message ». Mais son Songe se singularise sous de nombreux aspects. En premier lieu, son auteur figure parmi les plus grands génies de l’histoire des sciences. Voir à ce sujet les deux biographies (romanesques mais justes sur le plan historique) que je lui ai consacré.

couvDiscordecouvGalilee

En second lieu, il constitue le « chaînon manquant » entre les textes d’imagination pure de Lucien de Samosate, au IIe siècle, et les aventures appuyées sur les découvertes scientifiques d’un Jules Verne, à la fin du XIXe siècle. En troisième lieu, le texte complet présente une extraordinaire structure en récits emboîtés, construite au fil des ans à mesure que l’astronomie nouvelle progressait. Il faut aussi retenir le rôle dramatique que sa diffusion, bien que confidentielle du vivant de Kepler, a eu sur sa propre vie de famille, ainsi que l’influence très profonde qu’il a exercée sur tout un courant de la littérature spéculative axée sur le voyage spatial. Continuer la lecture de Le Songe de Kepler (1/3) : Genèse et influences