L’an dernier (2019), à l’occasion du cinquantième anniversaire de la mission Apollo 11 qui avait déposé pour la première fois des hommes sur la Lune, j’avais entrepris de retracer la fabuleuse épopée de l’exploration spatiale à travers quarante chroniques, diffusées tout l’été sur les ondes de France Inter.
Un livre était paru dans la foulée, se contentant de reprendre le texte de mes chroniques. Mes éditeurs espéraient que le succès attendu de ce petit livre accessible à tous et qui avait fait l’objet d’une forte promotion radiophonique, leur donneraient l’occasion de publier ultérieurement une version « de luxe », c’est-à-dire illustrée par une riche iconographie. Or, contrairement aux attentes et pour des raisons encore obscures, mon livre a été le pire bide commercial de toute ma production littéraire (25 ouvrages) alors qu’il aurait normalement dû en être le sommet ! Une version illustrée n’a donc aucune chance de voir le jour, et c’est bien dommage car l’iconographie, je le répète, est d’une extrême richesse. Ce blog va me permettre de rattraper un peu cette déception. Voici donc la première de ces « chroniques de l’espace illustrées ». Ceci dit, si vous souhaitez acquérir mon livre dans sa version papier d’origine, ne vous privez pas !
Utopies célestes
Le rêve de quitter la Terre et de voyager dans l’espace a toujours existé. Souvenez-vous du mythe d’Icare, le premier homme à s’élever dans les airs pour s’évader du labyrinthe. Mais son orgueil le fait se rapprocher trop près du Soleil : ses ailes collées à la cire se mettent à fondre, et Icare retombe vertigineusement… Profonde et cruelle métaphore de la condition humaine !
Dans deux romans rédigés au IIe siècle, le Grec Lucien de Samosate conte de manière fantaisiste des voyages sur la Lune, mais à aucun moment les trajets relatés n’ont recours à une technologie vraisemblable. Ce n’est pas encore de la science-fiction, c’est une utopie, exercice philosophique permettant de prendre du recul pour critiquer la société de son époque.
Au Moyen-Âge, le voyage céleste devient un exercice mystique. Il s’agit de rejoindre l’empyrée – la demeure des dieux et des bienheureux. Voilà pourquoi dans sa Divine Comédie, le poète Dante traverse le ciel sans même le regarder…
À la Renaissance, l’attitude de l’Homme face au ciel se fait plus hardie. Le philosophe Giordano Bruno exprime pour la première fois l’ivresse du vol, la joie du voyage sans retour : « C’est donc vers l’air que je déploie mes ailes confiantes. Ne craignant nul obstacle, je fends les cieux et m’érige à l’infini. Et tandis que de ce globe je m’élève vers d’autres globes et pénètre au-delà par le champ éthéré, je laisse derrière moi ce que d’autres voient de loin », écrit-il avant d’être brûlé vif par l’Inquisition en l’an de grâce 1600.
Voir ici le long billet de blog que j’ai récemment consacré à Giordano Bruno.
Peu après, Galilée découvre à la lunette astronomique le relief de la Lune, prouvant qu’elle est de même nature que la Terre. Son contemporain, le génial Johannes Kepler, s’enthousiasme et entrevoit les voyages interplanétaires. Il lui écrit : « Créons des navires et des voiles adaptés à l’éther, et il y aura un grand nombre de gens pour n’avoir pas peur des déserts du vide. En attendant, nous préparerons, pour les hardis navigateurs du ciel, des cartes des corps célestes ; je le ferai pour la Lune et toi, Galilée, pour Jupiter. »
Mais par quels moyens se rendre sur la Lune ? Suivant les goûts de chacun, ce peut être à l’aide d’esprits ou d’anges, d’oiseaux, d’ailes attachées au corps, ou en utilisant une voiture volante.
Dans Le Songe, publié en 1634 à titre posthume, Kepler transporte ses voyageurs sur la Lune à la faveur d’une éclipse et à l’aide d’herbes magiques. Derrière l’apparente fantaisie, c’est en réalité la première description d’une expédition astronautique. Les navigateurs de l’espace sont sélectionnés et préparés par des démons, tout comme les cosmonautes du programme Apollo le seront par les dénommés « sorciers » de la Nasa.
Voir ici les trois billets de blog datant de 2014 dans lesquels j’ai analysé en détail cette œuvre extraordinaire.
Après Kepler, le thème du voyage cosmique devient un genre littéraire à part entière et s’enrichit de mille parures. En 1638, dans L’Homme dans la Lune, de l’évêque anglais Francis Godwin, le héros est emporté par un équipage de grands oiseaux.
Le plus inventif est Cyrano de Bergerac. Dans Histoire comique des États et empires de la Lune et du Soleil il décrit huit techniques pour voler jusqu’à la Lune et quatre pour atteindre le Soleil. L’une utilise des fioles pleines de rosée attachées autour de son corps – car la rosée est naturellement aspirée par le Soleil ; une autre de la moelle de bœuf dont on s’enduit le corps, étant entendu que la Lune suce la moelle des animaux ; il propose surtout un système de fusées à poudre dont les mises à feu successives permettent au héros de s’envoler dans les cieux, anticipant ainsi les fusées à étages modernes.
En 1670, de son côté, Francesco Lana imagine une barque suspendue à quatre sphères métalliques où l’on a fait le vide : le principe des ballons plus légers que l’air est posé.
Le voyage aérien est dans l’heureuse période de ses débuts. Les moyens utilisés pour vaincre la pesanteur et autres résistances physiques ont une fantaisie qui fait leur charme. Ce ne sont encore que des artifices à visée littéraire et philosophique. Le temps du voyage imaginaire à visée scientifique n’est pas encore venu. Il faudra attendre Jules Verne.
PS : J’avais déjà abordé ce thème de manière un peu plus développée dans un billet de 2018 intitulé “Le voyage cosmique dans la littérature et la poésie“
very interesting .. sorry it didn’t sell well 🙁
Bonjour monsieur,
Un plaisir de vous lire. Pour vous, quel est celui à qui vous portez le plus d’intérêt? Votre vision se rapproche plus de l’homme de science, mais pour l’homme de la rue dont on fait partie, Jules Verne me paraît un cas intéressant surtout son fils qui lui a donné du fil à retorde. Votre présence dans le période de confinement fut fort appréciée. Il est surprenant que notre vie quotidienne parfois recoupe notre occupation, l’avez-vous remarqué? Merci!
En parlant de voyage dans le ciel, j’ai vu dans mon jardin je pense que c’était lundi dernier, vers 1h du matin, une dizaine de points rouges avec une forme géométrique En V , Qui sont apparus Tres haut dans le ciel, comme une volute, sont descendus à à peu près 200 m, et ont filés à l’horizontal. C’était peut-être des hologrammes, ou une projection sur les nuages. Ou autre chose qui sait. On voyait les etoiles mais il y avait un peu de brume .
Bonjour!
Un livre qui ne se vend pas , une présence appréciée et des lumières là haut, vues du jardin…Que dire? Qu’en dire?
BRAVO pour ces billets de l’espace!
Chroniques de l’espace sera sûrement un livre intéressant pour les jeunes dans nos écoles afin de les ouvrir à l’intérêt des sciences. Il nous donne l’envie d’en savoir plus sur nous-mêmes et le monde.
Félicitations m. Luminet et ne cessez pas de nous éblouir. Vous avez une écriture instructive, divertissante et pleine de rebondissements.
De l’Amérique, charmé de vous lire.
Merci , c’ est toujours un immense plaisir de lire votre plume. Quelle douceur de partir en apesanteur avec vos articles. Merci pour le partage de vos connaissances.