Quatrième livraison des recensions de livres de culture scientifique que j’avais rédigées entre 2001 et 2007 pour la défunte revue Vient de Paraître. Toujours disponibles et d’actualité!
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Marc Lachièze-Rey : Au delà de l’espace et du temps
Le Pommier, Collection : Essais (26 mars 2003) – ISBN: 2746501066
Physicien théoricien et astrophysicien, Marc Lachièze-Rey est Directeur de recherche au CNRS. Il vient de publier un ouvrage sur la « nouvelle physique », qui traduit une profonde réflexion sur la manière dont se construit la connaissance, en particulier la cosmologie du XXe siècle et son ouverture vers une nouvelle physique du XXIe siècle.
Dans quel univers vivons-nous ? Y a-t-il une physique capable de décrire ses propriétés dont les grands intruments de mesure (télescopes, accélérateurs de particlues), ainsi que des arguments théoriques pertinents, nous suggèrent plus que jamais des aspects incoupçonnés ? Pour nous rendre accessibles les grands mystères du cosmos, l’auteur a choisi à juste titre la géométrie. L’efficacité de la description ainsi obtenue est étonnante : elle permet aussi bien d’expliquer la structure des noyaux et la physique des particules que la nature des galaxies et les modèles de big-bang. Elle met aussi en relief la mésentente sous-jacente qui oppose encore les concepts de l’infiniment grand et de l’infiniment petit : physique quantique et relativité se révèlent incompatibles. Aujourd’hui il faut inventer de nouvelles géométries pour tenter de décrire ce qui, dans l’Univers, nous échappe encore : vivons-nous par exemple dans un monde à 10 dimensions, ou granulaire ?
Les premirs chapitres s’adressent à un assez large public car les notions sont déjà connues des amateurs de vulgarisation scientifique. Le désordre commence avec le chapitre justement intitulé « Les désordres de la physique ». Théories de jauge, supersymétrie, cordes, branes, gravité quantique, dimensions supplémentaires, toutes ces approches fascinantes mettent l’eau à la bouche et donnent envie d’approfondir le bouillonnement de la physique contemporaine. Mais que l’on ne s’y trompe pas : devant le catalogue final d’hypothèses, toute prometteuses, mais dont on ignore encore s’il y en aura une « bonne », il en ressort une certaine perplexité que nous devinons volontaire chez l’auteur. C’est ce qui suscite justement toute la passion du chercheur !
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Michel Cassé et Edgar Morin : Enfants du ciel : Entre vide, lumière, matière
Odile Jacob (1 mai 2003) – 141 pages – ISBN : 2738112927
Michel Cassé est astrophysicien au Commissariat à l’énergie atomique et chercheur à l’Institut d’astrophysique de Paris. Il est l’auteur d’ouvrages remarqués, dont Du vide et de la création. Edgar Morin est directeur de recherches émérite au CNRS, penseur et homme de convictions. Il est l’auteur, entre autres avec La Méthode, d’une oeuvre importante pour le débat contemporain.
Ensemble, ils nous entraînent aux confins de l’univers et de l’homme. Qu’est-ce que l’univers ? En quoi est-il le nôtre, non seulement parce que nous y résidons mais aussi parce qu’il nous a produits ? Partant à la redécouverte de la cosmologie, dans un exerciceau style éblouissant où la circulation des cultures et des savoirs n’a d’égale que la rigueur scientifique du propos, Michel Cassé et Edgar Morin convoquent tour à tour les mythes anciens, les poètes (Fang Yi Si), les philosophes (Nietzsche), et bien sûr les savants (Poinacaré), pour rendre compte des révolutions de la physique moderne sur le vide, la matière et le temps.
Exemple rare (contrairement à d’autres « dialogues » parus récemment dans la même collection) d’une rencontre vraie et intime entre la science et la philosophie, ce livre de gai savoir, toujours profond et jubilatoire, nous restitue notre condition d’enfants du ciel.
C’esi ainsi que selon l’humeur, on goûtera des notes légères : “les atomes sont comme des violons”, “l’Univers, une superbe Cadillac” (Michel Cassé) – ou les fréquences graves du lied : “quand vous vous demandiez si l’homme est perfectible, la réponse est, je crois, qu’il ne peut s’améliorer qu’en améliorant sa conscience” (Edgar Morin)… La mélodie est suave, bien dans l’air du temps poétique et scientifique. Or, de la poésie, nous en avons besoin pour vivre, nous qui savons que le Soleil va mourir.
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Roland Lehoucq et Marc Lévy : La force
EDP Sciences, (13 mars 2003), 180 pages – ISBN : 286883633X
Roland Lehoucq est astrophysicien au Commissariat à l’Énergie Atomique de Saclay. Ses recherches portent sur la topologie cosmique. Passionné par la diffusion des connaissances scientifiques, il a écrit plusieurs livres et plus de cinquante articles dans des revues grand public.
Agronome de formation, Marc Lévy travaille dans un bureau d’étude associatif spécialisé dans l’appui aux pays en développement. Il enseigne à l’Institut d’Études Politiques de Paris et à l’Université de Montréal.
La tension d’une corde de piano, le magnétisme d’un aimant, la résistance de l’air…, tous ces phénomènes relèvent de l’action d’une force. Mais qu’est-ce qu’une force ? Est-elle liée à la vitesse ? À l’accélération ? L’essentiel de la physique construite depuis l’Antiquité jusqu’au XVIIe siècle a cherché la solution à ce problème. Si Aristote fut le premier à introduire la force comme concept scientifique, ce dernier ne cessa d’évoluer, notamment avec le passage de la mécanique newtonienne à la relativité et à la mécanique quantique. Mais le livre n’interroge pas que les grands bâtisseurs de théories. Il interpelle les sciences de l’homme et leurs inévitables “rapports de force”. A cette passionnante plongée dans les forces de la nature font donc écho les différents aspects des rapports de force dans nos sociétés : interindividuels, à l’échelle du quartier, de la nation et de la planète. Souvent évidents, les rapports de force sont parfois invisibles. Du compromis à la confrontation, là aussi il s’agit de mouvement et de déséquilibre, comme le révèle le dialogue entre la physique et les sciences sociales.
Un mariage qui peut paraître “forcé” pour une nouvelle collection (Mot à mot), voulant allier “deux textes sur un même mot” … mais un mariage réussi.
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Catherine Bousquet : Bêtes de Science
Le Seuil, Collection : Science Ouverte (octobre 2003) – ISBN: 202047478.6
Récemment, des biologistes français ont réussi pour la première fois de l’histoire à cloner des rats. En permettant de faire avancer la recherche sur des maladies humaines comme le diabète ou l’hypertension, ces travaux offrent une nouvelle illustration du formidable apport des animaux de laboratoire à la science. Observés, élevés, cultivés, comptés, mesurés, croisés, testés, disséqués, recombinés, séquencés, ils ont donné leurs corps à la science – depuis des siècles pour certains, des décennies pour d’autres.
Catherine Bousquet leur rend un bel et passionnant hommage dans cet ouvrage joliment intitulé Bêtes de Science (comme on dit “ Bête de scène ”). Biologiste de formation, journaliste et écrivain scientifique, elle était déjà co-auteur, avec Henri Atlan, de “ Questions de vie, entre le savoir et l’opinion ” (Seuil, 1994).
Catherine Bousquet n’a retenu que les modèles incontestés, les animaux qui ont fini par représenter une discipline scientifique. Par ordre d’entrée en scène, elle nous présente la mouche drosophile, le crapaud Xénope, l’escargot de mer Aplysie, le ver Cænorabditis elegans, la souris et le rat, l’embryon de poulet, et pour finir, le poisson zèbre, l’hydre et les planaires. À chacune, un acte de la pièce, car l’histoire de chacune est bien souvent celle d’une discipline tout entière. Mais incontestablement, la souris, la mouche drosophile et le ver sont les trois “stars” du XXe siècle.
Ce livre nous apprend des choses étonnantes. Par exemple, que les animaux de laboratoire ont été entièrement “reconstruits” pour les besoins de la science… Il n’y a en effet rien à voir entre un animal naturel et son équivalent de laboratoire. Si on lâche une drosophile de labo dans la nature, elle ne survivrait pas. Les animaux ont été “reconstruits” sur mesure ! Et pourtant, ces animaux réservent encore des surprises… Et c’est ce qui est le plus excitant pour le chercheur – une excitation que Catherine Bousquet parvient remarquablement à faire passer chez ses lecteurs. Par-delà l’étude de ces 10 ou 15 animaux vedettes, le livre laisse entrevoir une plus large perspective : la nouvelle éthologie, qui consiste à observer les animaux en conditions naturelles ou semi-naturelles, prend davantage en compte la biodiversité et explore la richesse du monde vivant.
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Roland Lehoucq : D’où viennent les pouvoirs de Superman ?
EDP Sciences (septembre 2003) – ISBN: 286883671.2
Comment intéresser les jeunes à la science ? Il est notoire que la plupart des étudiants se désintéressent de la physique, faute de lui trouver des applications dans leur vie quotidienne. Or, si le professeur utilise des exemples tirés des bandes dessinées, les étudiants ne s’inquièteront plus de savoir s’ils vont devoir utiliser cela dans leur vie quotidienne. Si la toile de Spider Man est aussi solide qu’une vraie toile d’araignée, peut-elle supporter son poids tandis qu’il se balance entre les édifices? Quelle force faut-il à Superman pour sauter d’un bâtiment, arrêter un train lancé à toute allure ou s’envoler d’un seul bond? En résolvant les problèmes de physique causés par les super héros lorsqu’ils soulèvent un camion ou parcourent la Terre à une super-vitesse sans boire ni manger, les étudiants doivent bien évidemment appliquer les principes de la physique, depuis les lois de Newton sur le mouvement jusqu’à la biomécanique, en passant par la thermodynamique et la physique quantique. C’est là le grand secret de la physique : en théorie, tout est possible, tout est ludique… tant que cela ne contrevient pas aux règles du jeu, à savoir les lois du monde!
À l’aide des connaissances actuelles de la physique, de la chimie et de la physiologie, l’astrophysicien Roland Lehoucq (Commissariat à l’Énergie Atomique de Saclay), déjà auteur de plusieurs livres à succès, nous montre Superman tel qu’il devrait être constitué pour parvenir à sauver le monde – c’est-à-dire comme nous ne l’avons jamais vu.
Dans cet ouvrage profondément original, il démontre magistralement comment il est possible de dispenser un enseignement de physique à la fois pittoresque et rigoureux. En un étourdissant kaléidoscope, il nous fait visiter tour à tour les domaines des sciences les plus variés : astrophysique, optique, électromagnétisme, physique des particules, acoustique, biologie, biophysique, éthologie, physiologie.
Tout est écrit avec beaucoup de verve et d’humour. Nous attendons avec impatience son prochain titre.
Vous m’avez donné envie d’acheter le livre “enfant du ciel”, et je l’ai fait à l’instant. Si j’étais riche, je les achèterai tous, ces livres