La notion d’enveloppe de droites recouvre deux notions en général équivalentes. D’un côté, il s’agit d’une courbe séparant deux domaines entre eux, de l’autre une courbe tangente à toutes les droites. La seconde se prête mieux au calcul.
Exemple d’une porte d’autobus
Prenons un exemple concret, celui d’une porte d’autobus coulissante à deux battants s’ouvrant selon le schéma :
La projection sur le sol de la porte de droite (sur la figure) est un segment qui définit une droite coupant deux droites perpendiculaires selon un segment AB de longueur constante (celle de la porte entière).
Apparition d’une enveloppe
Il est facile de tracer un grand nombre de segments AB en faisant varier l’angle t de 0 à 90° on voit alors apparaître une courbe en négatif : leur enveloppe.
Si on fait varier l’angle t de 0 à 360°, on obtient une courbe en forme d’astre, appelée pour cela astroïde.
Point de Monge
Gaspard Monge (1746 – 1818), l’un des créateurs de l’école polytechnique et de l’école normale supérieure où il a ensuite enseigné a trouvé un moyen de décrire l’enveloppe d’une famille de droites dépendant d’un paramètre D (t) comme le lieu d’un point mobile, appelé depuis point de Monge en son hommage, ou simplement point caractéristique de D (t). Il se définit comme la limite du point d’intersection de D (t) et D (t + dt) quand dt tend vers zéro, ce qui permet son calcul à travers la notion de dérivée : le point de Monge est à l’intersection de D (t) et D’ (t) qui s’obtient en dérivant l’équation de D (t) par rapport à t.
Pour les férus de calculs, si a est le longueur de la porte, l’équation de D (t) est x sin t + y cos t = a cos t sin t donc les coordonnées du point de Monge est solution du système :
On en déduit ses coordonnées :
ce qui permet de tracer l’enveloppe de la famille de droites D.
Jean-Henri Fabre est connu pour son observation des insectes. Excellent vulgarisateur, il est de ceux qui savent communiquer leurs passions. Les mathématiques en font partie.
Jean-Henri Fabre
Bien que titulaire d’une licence de mathématiques, d’un doctorat en sciences naturelles et de plusieurs autres diplômes, Jean-Henri Fabre est un autodidacte comme il le rappelle lui-même :
Apprendre sous la direction d’un maître m’a été refusé. J’aurais tort de m’en plaindre. L’étude solitaire a sa valeur ; elle ne vous coule pas dans un moule officiel, elle vous laisse votre pleine originalité. Le fruit sauvage, s’il arrive à maturité, a une autre saveur que le produit de serre chaude ; il laisse aux lèvres qui savent l’apprécier un mélange d’amertume et de douceur dont le mérite s’accroît par le contraste.
Son côté autodidacte le rend attachant pour certains et agaçant pour d’autres. Quelques modernes lui reprochent aussi de ne pas avoir épousé les thèses de Darwin qui, en revanche, reconnaissait en lui un observateur incomparable. Il s’explique lui-même dans une de ses lettres à Darwin :
Vous vous étonnez de mon peu de goût pour les théories, si séduisantes qu’elles soient. Ce travers d’esprit, si c’en est un, tient un peu à mes longues études mathématiques qui m’ont habitué à ne reconnaître la vérité qu’à la lueur d’un irrésistible faisceau de lumière. Ne jurant par aucun maître, libre d’idées préconçues, peu enclin aux séductions des théories, je cherche avec passion la vérité, près à l’admettre quelle qu’elle soit et de quelque fait qu’elle vienne. Et comme moyen de recherche, je ne connais qu’une chose : l’expérience.
Par ailleurs, Darwin l’avait chargé d’expériences sur les insectes retournant à leurs nids. Les résultats se trouvent dans l’œuvre de Fabre. De façon générale, on trouvera la plupart des écrits de Fabre sur internet.
Fabre créationniste ?
Parmi les critiques modernes faites à Jean-Henri Fabre, certains le stigmatisent comme créationniste car il ne croyait pas à la théorie de Darwin, qu’il comparait à celle de la génération spontanée. À la défense de Fabre, il faut noter que la théorie originelle de Darwin n’était pas celle qui porte son nom aujourd’hui. Il s’agissait plutôt d’une transposition de la sélection des espèces domestiques, pratiquée depuis longtemps par les éleveurs, en une sélection naturelle sous l’effet de modifications du milieu. Autrement dit, il lui manquait l’explication qui viendra avec la découverte des gênes, par Gregor Mendel au début du XXe siècle. La théorie de l’évolution telle que nous la connaissons est postérieure de vingt ans à la mort de Fabre ! Comment peut-on lui reprocher de ne pas l’avoir reconnue ?
Mais l’essentiel n’est pas là, il est dans deux choses, sans parler de l’inélégance d’attaquer les morts, qui ne peuvent se défendre. Premièrement, il faut savoir ne pas se tromper d’adversaires. Les obscurantistes que sont les créationnistes ne sont pas les disciples de Jean-Henri Fabre. Ils sont dans des religions qui refusent la science, et malheureusement pas la violence. Deuxièmement, de Jean-Henri Fabre retenons plutôt l’exceptionnel talent de vulgarisateur. Pour finir sur une note poétique et liée à la question de l’évolution, voici l’un de ses commentaires sur la parade nuptiale des scorpions languedociens : La colombe a, dit-on, inventé le baiser. Je lui connais un précurseur : c’est le scorpion.
Jean-Henri Fabre a réussi à me faire regarder les scorpions autrement, c’est pourquoi je me souviens de cette remarque. Aujourd’hui, elle me fait m’interroger : selon la théorie créationniste, parler de précurseur d’une espèce a-t-il un sens ?
Descriptions et mathématiques chez Fabre
Dans ses souvenirs entomologiques, Jean-Henri Fabre dépeint les mœurs des insectes de manière vivante, en les ramenant souvent aux nôtres. Il décrit ainsi le carabe doré en nous emmenant d’abord visiter les abattoirs de Chicago pour comparer ensuite leur efficacité à celles des carabes dont on saisit mieux ainsi la férocité comme la voracité.
Il conclut alors sur nos origines et notre avenir, avec l’abolition de l’esclavage et l’instruction des femmes, les deux voies du progrès moral selon lui. Cette façon de généraliser sera parfois critiquée plus tard, comme peu scientifique. Il est vrai que, par moments, Fabre concluait un peu vite. Par exemple, voici comment il décrit la toile d’une araignée, l’épeire :
Nous reconnaîtrons d’abord que les rayons sont équidistants ; ils forment de l’un à l’autre des angles sensiblement égaux […] les divers tours de spire […] avec les deux rayons qui les limitent, forment d’un côté un angle obtus et de l’autre un angle aigu […] d’un secteur à l’autre, ces mêmes angles, l’obtus comme l’aigu, ne changent pas de valeur, autant que peuvent en juger les scrupules du regard seul.
Fabre reconnaît alors une propriété caractéristique de la spirale logarithmique et en conclut que la toile de l’épeire épouse cette forme, ce qui est rapide surtout quand la mesure a été faite à l’œil. Ceci dit, cela n’enlève rien à la qualité de son travail, et il n’en reste pas moins que, du fait de sa construction, la toile prend une forme de spirale.
De même, c’est de manière très mathématique qu’il explique la forme de poire que le scarabée sacré donne à la bouse dans laquelle il dépose son œuf : une sphère pour minimiser la surface externe afin de réduire la dessiccation, qui rendrait la bouse immangeable pour la larve, coiffée d’une sorte de cylindre contenant l’œuf, qui se trouve ainsi dans un endroit plus aéré.
La numérologie moderne est également nommée arithmancie, mot qui vient du grec et signifie la prophétie par les nombres. Les normes numérologiques ne sont guère fixées. La plus fréquente prétend prédire l’avenir d’une personne en se servant de ses noms et prénoms … pour les transformer en nombres entre 1 et 9. La règle la plus courante est attribuée à un certain Septimus Tripoli, vers 1350. Chaque lettre de A à I se voit attribuer son numéro d’ordre (de 1 à 9), puis on recommence avec les lettres de J à R puis celle de S à Z. Les numérologues déterminent alors trois nombres : le nombre d’expression, le nombre intime et le nombre de réalisation. Le premier est la somme de toutes les lettres de vos noms et prénoms, ramenés à 9, comme dans la preuve par neuf. Le second se détermine de même, mais en ne considérant que les voyelles, tandis que le dernier n’utilise que les consonnes.
Un peu de calcul
Ainsi HERVE LEHNING donne : 8 + 5 + 9 + 4 + 5 + 3 + 5 + 8 + 5 + 9 + 5 + 7, soit 73 donc 7 + 3, soit 10 donc 1. Le nombre d’expression est 1. Pour les voyelles, on obtient 5 + 5 + 5 + 9 soit 24, c’est-à-dire 6. Le nombre intime est 6. Pour les consonnes, on obtient 73 – 24 = 49, soit 4. Le nombre de réalisation est 4.
Un portrait flatteur
Ces calculs faits, les numérologues fonctionnent comme les astrologues, ils proposent une étude de personnalité que personne ne contestera, en voici un exemple :
Vous avez besoin d’être aimé et admiré, et pourtant vous êtes critique avec vous-même. Vous avez certes des points faibles dans votre personnalité, mais vous savez généralement les compenser. Vous avez un potentiel considérable que vous n’avez pas tourné à votre avantage. À l’extérieur vous êtes discipliné et vous savez vous contrôler, mais à l’intérieur vous tendez à être préoccupé et pas très sûr de vous-même. Parfois vous vous demandez sérieusement si vous avez pris la bonne décision ou fait ce qu’il fallait. Vous préférez une certaine dose de changement et de variété, et devenez insatisfait si on vous entoure de restrictions et de limitations. Vous vous flattez d’être un esprit indépendant ; et vous n’acceptez l’opinion d’autrui que dûment démontrée. Mais vous avez trouvé qu’il était maladroit de se révéler trop facilement aux autres. Par moments, vous êtes très extraverti, bavard et sociable, tandis qu’à d’autres moments vous êtes introverti, circonspect, et réservé. Certaines de vos aspirations tendent à être assez irréalistes.
L’effet Barnum
Un psychologue, Bertram Forer (1914 – 2000), après avoir fait remplir un test de personnalité à ses étudiants, leur avait donné à tous ce même compte-rendu, sans même lire leurs tests, et leur avait demandé de le noter de 1 à 5, 5 signifiant qu’il était excellent. La moyenne des résultats fut 4,26 ! Ce test a souvent été répété, le résultat a toujours été le même. Les numérologues, comme les astrologues ou autres voyants, utilisent ce même procédé. Ce défaut qui nous pousse à accepter si facilement une description, même fausse, de nous-même à condition qu’elle soit flatteuse est souvent appelé effet Barnum, en hommage au maître de la manipulation psychologique que fut l’homme de cirque, Phineas Barnum.
Cosme II de Médicis, Grand-duc de Toscane, avait remarqué qu’en jetant trois dés, le total dix sortait plus souvent que le neuf. Pourtant, il existait autant de façons de décomposer neuf et dix en somme de trois nombres entre un et six, ce qui lui semblait contradictoire.
Ce paradoxe est connu sous le nom de paradoxe de Toscane.
La solution de Galilée
Galilée (1564 – 1642), qui fut le précepteur de Cosme II, trouva la raison de cette bizarrerie. On peut comprendre son mécanisme en considérant le jeu de pile ou face. Si la pièce n’est pas pipée, la probabilité d’obtenir pile est égale à ½ et de même celle d’obtenir face. Si on joue deux fois de suite, chacune des possibilités PP, PF, FP et FF est équiprobable donc leurs probabilités sont toutes égales à ¼. Si on jette les deux pièces à la fois, les probabilités d’avoir deux piles ou deux faces sont égales à ¼ mais celle d’avoir un pile et un face est égale à ½ car elle regroupe les deux cas PF et FP. Il en va exactement de même dans le paradoxe de Toscane. Les décompositions de neuf et dix ne sont pas équivalentes de ce point de vue. La différence tient en la décomposition de neuf en trois fois le même nombre, ce qui est impossible pour dix. Le calcul permet d’établir que la probabilité d’obtenir neuf est égale à 25/216 alors que celle d’obtenir dix est égale à 27 / 216 soit 1/8. Ces deux nombres montrent que Cosme était fin observateur, et vraiment très grand joueur, car les probabilités ne diffèrent que de 1 %.
Gregor Mendel (1822 – 1884) est connu pour avoir posé les premières lois de la génétique. Elles sont de nature si mathématique que Godfrey Hardy, le grand mathématicien britannique du début XXe siècle, connu pour sa critique des mathématiques appliquées, les a prolongées. Imaginons qu’une fleur vienne en deux couleurs : blanche et noire, jamais grise ou autre et que ces deux variétés puissent s’hybrider, c’est-à-dire se mélanger. Imaginons que deux parents à fleurs blanches donnent toujours des enfants à fleurs blanches, alors que les parents à fleurs noires peuvent donner des blanches comme des noires.
La mathématique de l’hybridation
Gregor Mendel a étudié ces lois de l’hybridation en pollinisant artificiellement des pois, qui se présentent sous deux formes facilement discernables. Nous ne décrirons pas ses expériences en détail. Son premier résultat est d’ordre statistique. En croisant une fleur noire et une fleur blanche, à la première génération, on obtient des fleurs blanches et, à la seconde, trois quarts de fleurs blanches et un quart de fleurs noires.
Pour le mathématicien, une explication logique est de penser que le gène de la couleur des fleurs se divise en deux moitiés, ses deux allèles : blanc et noir. A priori, il existe donc quatre combinaisons possibles de ces deux allèles : blanc / blanc, blanc / noir, noir / blanc et noir / noir. Cette propriété est cachée car seuls les porteurs du gène blanc / blanc ont des fleurs blanches, tous les autres ont des fleurs noires. C’est pourquoi on parle de caractère dominant pour la couleur noire, et de caractère récessif pour la couleur blanche. Cette domination est cependant très relative car les combinaisons se faisant de façon équiprobable, à la seconde génération, nous trouvons une fois sur quatre la combinaison blanc / blanc, donc des fleurs blanches.
Cette théorie de Mendel ne fut pas comprise en son temps. Les biologistes pensaient que les caractères dominants devaient forcément augmenter dans la population, ce que les calculs précédents nient. Plus étrangement encore, on ne vit pas immédiatement le lien avec la théorie de l’évolution de Darwin, pourtant contemporaine de celle de Mendel.
Le principe de Hardy
Si les mathématiques appliquées ont pu un jour être vues comme « impures » par certains mathématiciens « purs », ce fut le cas de Godfrey Hardy. On s’étonnera alors de voir son nom mêlé à une question de biologie. C’est pourquoi il s’excusa presque de s’immiscer dans ce domaine. En 1908, au cours d’un dîner, on lui demanda s’il était possible de déterminer mathématiquement la proportion d’allèles dominants permettant l’évolution dans une population. Hardy étant un mathématicien pur, sa réponse réclama quelques hypothèses. Tout d’abord, la population devait être de grande taille, sans migration, estimée infinie, les individus s’y croiseraient aléatoirement mais les générations seraient séparées. Enfin, il n’y aurait ni mutation, ni sélection. Tout ceci assure la rigueur du raisonnement suivant.
Considérons un gène à deux allèles A et a possédant les fréquences p et q = 1 – p dans une certaine génération. Quelles sont les fréquences à la génération suivante ?
Pour le déterminer, comptons d’abord les fréquences des diverses combinaisons à la génération suivante : AA, Aa et aa. Il s’agit d’une question élémentaire de probabilité. Pour qu’un individu soit AA, il doit avoir reçu l’allèle A de ses deux parents, supposés aléatoires d’après l’hypothèse de Hardy. La fréquence de chacun étant égale à p, la probabilité est égale à p2. De même, celle de aa est q2. Pour Aa, deux cas sont possibles puisque cela peut provenir d’un A de la mère et d’un a du père, comme du contraire. On obtient donc 2 pq.
Si la population totale de cette nouvelle génération est égale à N, le nombre d’allèles y est égal à 2N. L’allèle A se trouve deux fois dans AA et une fois dans Aa, son nombre est donc égal à 2 p2 N + 2 pq N. Sa fréquence est ainsi égale à p2 + pq = p (p + q) = p puisque p + q = 1. Il en est de même de l’allèle a. Autrement dit, sous les hypothèses énoncées plus haut, la fréquence des allèles ne se modifie pas d’une génération à l’autre.
Ainsi, les relations de dominance entre allèles n’influent pas sur leurs fréquences. Autrement dit, l’évolution est impossible sous les hypothèses de Hardy … il faut tenir compte des mutations.
La même courbe se retrouve-t-elle dans les galaxies, certains mollusques et les toiles d’araignées ? Enquête sur la spirale logarithmique.
La spirale d’Archimède
Imaginez ! Une droite tourne à vitesse angulaire constante autour d’un point O. Si, partant de O, un point M parcourt cette droite à vitesse constante, on obtient une spirale d’Archimède. On démontre facilement que les spires y sont régulièrement espacées.
La spirale logarithmique
Si, toujours partant de O, le point M parcourt la droite à une vitesse proportionnelle à la longueur OM, il dessine une autre courbe, appelée spirale logarithmique depuis Pierre Varignon (1654 – 1722) mais étudiée auparavant par René Descartes (1596 – 1650) avant d’être choisie par Jacques Bernoulli (1654 – 1705) pour orner sa tombe. Malheureusement, le sculpteur ignorait cette courbe et grava une spirale d’Archimède.
Au lieu d’être régulièrement espacées, les spires suivent une progression géométrique de raison constante. Autre propriété de la spirale : elle coupe le rayon OM suivant un angle constant.
Le développement du nautile
Le nautile est un mollusque marin dont la coquille est en forme de spirale. L’espace entre les spires étant triplé à chaque enroulement, elle évoque une spirale logarithmique. Pour examiner si cette forme est fortuite ou non, il est nécessaire d’en comprendre la provenance.
La coquille du nautile est divisée en chambres closes, l’animal n’occupant que la dernière. Les autres sont remplies d’un mélange de liquide et de gaz, toutes communiquent entre elles au moyen d’un siphon.
Ces chambres correspondent à l’évolution progressive du mollusque. Quand il grossit, ne pouvant agrandir la chambre où il se trouve, il en crée une autre dans son prolongement, un peu plus grosse mais semblable.
Pour montrer que cette idée mène effectivement à une spirale logarithmique, prenons comme modèle de la coquille une suite de triangles rectangles d’angle au sommet constant égal à 30°. Le rapport entre un triangle et son suivant est de 115 % (l’inverse du cosinus de 30° soit 2 divisé par racine de 3 pour être précis), ce qui correspond bien à une spirale logarithmique. L’idée correspond à un accroissement progressif de la taille de l’animal. Il n’est pas besoin d’imaginer de plans compliqués inscrits dans les gènes du nautile pour cela, juste une façon de croître.
La spirale logarithmique se retrouve pour les mêmes raisons dans d’autres animaux, comme la planorbe, un escargot marin très utilisé dans les aquariums car il se nourrit d’algues et de plantes à la limite du pourrissement.
Les toiles d’araignées
La toile d’araignée est avant tout un piège destiné à attraper des insectes. Certaines espèces tissent des toiles où il est bien difficile de reconnaître la moindre régularité.
Les espèces les plus communes en France, les épeires, fabriquent cependant des toiles en forme de spirales. Après avoir bâti un cadre entre quelques branches, l’araignée tisse un réseau régulier de segments rectilignes partant tous d’un même point. Un fois ce travail fini, elle forme une spirale en les reliant. Le célèbre entomologiste Jean-Henri Fabre (1823 – 1915) a voulu y reconnaître une spirale logarithmique, tout en remarquant que l’action de la pesanteur transformait chaque segment en chaînette, la forme que prend naturellement un fil pesant comme les câbles électriques ou les chaînes que l’on porte autour du cou.
Les scientifiques essayent d’expliquer le monde dans lequel ils vivent, en utilisant du mieux qu’ils le peuvent leurs connaissances, fondées sur l’observation. Cela n’a pas été toujours sans difficultés, erreurs et tâtonnements en fonction des savoirs du moment. Ainsi en a-t-il été de la forme de la Terre ou de sa position et de son mouvement dans le système Solaire.
Le goût des métaphores
Aux époques où l’érudition, et le savoir en général, était, dans chaque pays, détenu par les autorités religieuses, les débats se sont souvent enlisés dans des joutes stériles entre rationnel et irrationnel. Les religions se sont, en général, construites sur des écrits d’époques reculées ou l’emploi de métaphores était courant. Ainsi l’affirmation que l’on trouve au chapitre 5 de l’évangile de Matthieu “vous êtes le sel de la Terre” n’indique pas que les disciples de Jésus étaient faits en sel et non en chair et en os ! Il en est de même des quatre coins de la Terre !
Le géocentrisme fait de la résistance
Ces époques lointaines devraient être révolues car si la fabrication du savoir est entre les mains de scientifiques de plus en plus performants, la connaissance que l’on a de ce savoir est maintenant l’affaire de chacun, de sa propre culture et de son accès à l’information. Quelques cas resteront cependant irréductibles : en 1999, année de l’éclipse totale de Soleil en France, j’ai été pris à parti un jour dans un café, par un consommateur qui croyait encore et doit croire toujours que le Soleil tourne autour de la Terre. Mais, hélas, la crédulité des uns fait le bonheur des autres.
La Terre est plate !
Les peuples de marins peuvent difficilement ignorer que la Terre est ronde. Même par ciel dégagé, les bateaux disparaissent graduellement derrière l’horizon. Ceci ne s’expliquerait pas si la Terre était plate. En revanche, si elle est sphérique, c’est logique. De nos jours, nous disposons d’une preuve qui semble incontournable : les photographies prises de l’espace.
Pour certains, cela prouve simplement l’existence d’un complot international pour faire croire que la Terre est ronde ! L’obscurantisme a toujours fait recette à travers les siècles. D’autres sont des personnes cultivant un sens de l’humour atypique. Ainsi, on peut lire sur internet, plaisanterie ou délire ?
La Terre est plate, elle a la forme d’un disque avec, au centre, le Pôle Nord et les continents groupés autour de lui sauf l’Antarctique qui correspond en fait à la circonférence du disque. Personne n’est jamais tombé du disque car personne n’a jamais pu traverser l’Antarctique…
Les expériences d’un ingénieur anglais
Au XIXe siècle, un ingénieur anglais et original, Samuel Rowbotham (1816 – 1864) décida de réaliser des expériences pour décider si la Terre était ronde ou plate. L’idée était de vérifier, en utilisant un télescope, si une rivière, la Bedford, en l’occurrence s’incurvait ou pas. Si la Terre est bien ronde, on ne peut voir un bateau plat sur une rivière à plus de cinq kilomètres… or Rowbotham réussit à en voir un à plus de dix kilomètres ! Preuve que la Terre est plate ? Non, sans doute mais l’expérience est troublante… En fait, elle s’explique par la réfraction de la lumière, le phénomène qui explique les mirages dans le désert. Même si notre ingénieur était animé d’un esprit malicieux, sa démarche était sans contexte de nature scientifique… et son expérience ne fait que raffermir la théorie selon laquelle la Terre est ronde.
La Terre est creuse !
L’existence de vastes cavernes souterraines est une évidence. Tous les spéléologues peuvent en témoigner. Les théories selon lesquelles certaines seraient occupées par des animaux fantastiques ou des civilisations intra-terrestres sont plus hasardeuses. C’est parfait quand elles ne sont que l’occasion d’œuvres littéraires fantastiques, comme chez Jules Verne et son Voyage au centre de la Terre et chez Edgar Jacobs et L’énigme de l’Atlantide.
C’est beaucoup plus ennuyeux quand certains commencent à croire à une Terre réellement creuse et habitée à l’intérieur. Au XVIIe siècle, l’astronome Edmund Halley, celui qui prédit correctement le retour de la comète qui depuis porte son nom, a envisagé une Terre creuse faite de plusieurs coquilles séparées par des atmosphères. Son but était d’expliquer des anomalies dans le champ magnétique. L’hypothèse d’une atmosphère lumineuse à l’intérieur de la Terre expliquait de plus les aurores boréales en s’échappant vers l’extérieur… d’où l’hypothèse d’entrées au niveau des pôles. Halley alla jusqu’à émettre l’hypothèse que ces trois mondes intérieurs pouvaient être habités.
Cette hypothèse n’a pas convaincu ses collègues scientifiques de l’époque… mais plaît davantage à toutes sortes d’ésotériques modernes. Certains voient même un soleil intérieur et des habitants vivants dans un monde concave, donc les pieds en l’air, ce miracle ayant lieu grâce à la force centrifuge. Bien entendu, la physique nous apprend que c’est impossible !
L’annulation du champ magnétique
Le champ magnétique terrestre s’inverse avec une période fluctuant entre quelques milliers et quelques millions d’années, c’est-à-dire que le pôle nord magnétique est parfois au pôle nord géographique, parfois au pôle sud. La polarité des roches magmatiques, qui dépend du champ magnétique à l’époque de leur solidification, montre que celui-ci s’est inversé plusieurs fois. Que se passe-t-il entre ces deux phases ? Si un champ passe de la valeur –1 à la valeur +1 de manière continue, il semble clair qu’il doit passer par 0 entre les deux. Quand le champ est annulé, le pire devient probable sinon certain, car le magnétisme terrestre est une protection contre les bombardements cosmiques ! On ne peut cependant pas attribuer les principales extinctions de masse (celle du Permien, celle des Dinosaures ou celle des Mammouths) à une inversion du champ magnétique terrestre, comme certains l’ont proposé, car les dates ne correspondent pas ! De plus, un champ continu sur une sphère peut s’inverser sans jamais s’annuler. Il s’agit d’un résultat mathématique. En revanche, il est exact qu’une valeur réelle continue ne peut changer de signe sans s’annuler. Le danger de l’annulation du champ magnétique terrestre est un mythe.
La Terre, être vivant !
1979, un chimiste, James Lovelock, puisant dans la mythologie, assimila la Terre à un organisme vivant, qu’il nomma Gaïa, du nom de la déesse grecque qui personnifie notre planète. En fait, son idée personnelle n’était pas aussi radicale. Il voyait plutôt l’atmosphère terrestre comme un système autorégulé, pas comme un être vivant. Malheureusement, comme on pouvait s’y attendre, cette idée a suscité un bon nombre de dérives mystiques aussi dangereuses qu’inconséquentes. Nous voyons les dangers d’une déification de notre planète ! Respecter notre environnement est une chose, sacrifier l’humanité à une soi-disant déesse en est une autre.
Si le fragile vaisseau Terre doit être préservé, c’est essentiellement pour offrir à l’humanité qui y vit la meilleure chance de se développer.
Au musée des sciences naturelles de Bruxelles, se trouve un os strié de nombreuses entailles, découvert dans les années 1950 à Ishango au Congo belge (devenu RDC) par Jean de Heinzelin de Braucourt (1920 – 1998). Cet os daté de 20000 ans avant notre ère n’est pas le plus ancien artefact de ce type connu, mais le nombre de ses entailles a donné un grand nombre d’hypothèses.
Compter les entailles
Si on sait chercher, on y trouve le nombre 60 qui, depuis les Mésopotamiens, est lié à l’astronomie, des nombres premiers comme 11, 13, 17 et 19, etc. Certains en ont déduit qu’il s’agissait d’un calendrier lunaire car 60 correspond presqu’au nombre de jours de deux lunaisons. La somme des nombres de deux colonnes se retrouvant parfois ailleurs, d’autres y voient l’ancêtre de la calculatrice. Une autre hypothèse proposée est qu’il s’agirait d’un jeu mathématique qu’aurait pratiqué l’homme d’Ishango.
Calcul des probabilités
La multiplicité des hypothèses montre que leur origine commune réside dans le calcul des probabilités : plus vous considérez de nombres, plus vous y trouverez de relations entre eux et avec d’autres. Il est cependant probable que l’os d’Ishango n’ait été destiné qu’à compter, peut-être du gibier. C’est le plus important car cela prouve que l’homme d’Ishango savait compter, même s’il n’était pas le premier.
En grec ancien, speirao signifiait « enrouler », de bandelettes en particulier, mot qui rapprochait les langes des enfants de ceux des momies. Notre mot « spirale » en dérive… pourtant, de ce temps, « spirale » se disait éliks … qui a donné notre « hélice ». Les deux mots viennent donc de l’idée d’enrouler, mais les spirales sont tombées dans le monde à deux dimensions tandis que les hélices se sont élevées dans celui à trois dimensions. Hélas, les spirales de la violence comme celles du chômage, ou d’autres encore, nous enfoncent sans cesse et sont donc plutôt des hélices que des spirales.
De façon plus gaie, nous devons à cette confusion première, entre hélice et spirale, les carnets à spirales, si chers à William Sheller, qui pourtant sont à hélices, pas celles des avions, celles plus prosaïques des mathématiques.
Les hélices, des mathématiques aux bateaux et aux avions
Quel rapport entre les hélices des mathématiciens et celles des avionneurs ? A priori, aucun. Pourtant, le premier engin destiné à mouvoir un liquide était la vis d’Archimède, qui est bien construite sur une hélice circulaire. Cette origine explique l’utilisation du terme « hélice » pour tous les engins destinés à mouvoir un fluide, ou à mouvoir un objet dans un fluide.
Sous l’impulsion de la dynastie Rossignol, la cryptographie française a connu une première apogée aux XVIIe et XVIIIe siècles.
La régression de la Révolution et de l’Empire
L’excellence française en matière de cryptographie se perdit à la Révolution. Une des raisons pour cela est sans doute la dissolution du cabinet noir, ce qui était une des doléances importantes de 1789. Une expertise qui se transmettait de génération en génération semble alors s’être perdue. En particulier, la faiblesse de ne chiffrer que les parties qu’on veut garder secrètes devint presque systématique dans l’armée révolutionnaire et dans l’armée impériale qui lui succéda. On y distinguait deux types de chiffres, les petits et les grands, même s’il ne serait pas exagéré de dire qu’ils étaient tous rendus petits par leurs utilisateurs, comme cela ressort des papiers de George Scovell , le décrypteur du général britannique Wellington au Portugal et en Espagne.
Comme ils le feront ensuite au cours des deux guerres mondiales, les Britanniques systématisèrent l’interception et le décryptement des messages en créant, sous les ordres de Scovell, un corps d’éclaireurs chargé, en plus de la mission habituelle de guider l’armée, de porter les messages, d’intercepter ceux de l’ennemis et de les décrypter. Bien entendu, ces éclaireurs étaient choisis pour leur connaissance du français, de l’espagnol et de l’anglais, en plus de leurs qualités proprement militaires. En ce qui concerne l’interception, les éclaireurs de Scovell furent aidés par la guérilla qui rendit les routes peu sûres pour l’armée française, si elle ne se déplaçait pas en nombre. Les petits chiffres pouvaient être de simples substitutions alphabétiques.
Un exemple lors de la campagne d’Allemagne en 1813
Les dépêches de la Grande Armée étaient envoyées en plusieurs exemplaires. L’ennemi récupérait souvent plusieurs exemplaires du même message ce qui aurait pu ne pas être grave s’ils avaient tous étaient chiffrés de façon identique. La reproduction se faisait apparemment à partir de l’original non chiffré ce qui donne, par exemple, ces deux exemplaires chiffrés différemment de la même dépêche du Maréchal Berthier en septembre 1813, un mois avant la bataille de Leipzig.
L’empereur ordonne que vous vous portiez le plus tôt possible 167. 138. 169. 106. 171. 15. 117 avec son infanterie, sa cavalerie et son artillerie, en ne laissant 15. 164. 138. 169. 176. 166. 35. 138. 169. 81 que ce que Sa Majesté a désigné pour 106. 78. Son principal but sera de rester 107. 87. 176. 169. 53. 52. 167. 52. 35. 138. 6. 85. 82. 52. 106. 171. 171. 15. 117 et de chasser 117. 107. 156. 169. 145. 171. 115. 167. 68 qui manœuvrent dans 20. 176. 131. 75. Vous pouvez vous rendre en droite ligne 156. 169. 40. 35. 138. 169. 81. 167. 138. 169. 87. 53. 91.
Le Prince Vice-Connétable, Major Général,
Berthier
Conséquences
Grâce à cette maladresse, si les deux messages sont interceptés, l’ennemi peut commencer à les décrypter. Par exemple, la première phrase « L’empereur ordonne que vous vous portiez le plus tôt possible » appelle en suite « sur une ville ou un lieu. Il est vraisemblable que 167 signifie S, 138, U et 169, R. De même, « en ne laissant » appelle « à » donc 15 signifie probablement A. En reportant ceci dans le texte, on découvre à la fin de la dépêche :
« Vous pouvez vous rendre en droite ligne 169. R. 40. 35. UR. 81. S U R 87. 53. A. » ce qui signifie vraisemblablement : Vous pouvez vous rendre en droite ligne par telle ville (40. 35. UR. 81.) sur telle autre (87. 53. A). Le nom de la première ville, qui est allemande, finit sans doute par « burg » donc 35 signifie B et 81, G.
La partie entièrement chiffrée commence alors à se dévoiler. Par exemple, le « vous vous » a été chiffré en 175. U. S. 164. 90. U. S. donc 175 signifie VO, 164, V et 90, O. Ces équivalences permettent de progresser au point que l’avant dernière ville se dévoile, il s’agit de Coburg. Une carte d’Allemagne nous permet alors de penser que la dernière ville, dont le nom finit par A, est Iéna. En continuant ainsi, on finit par découvrir la dépêche de Berthier :
L’empereur ordonne que vous vous portiez le plus tôt possible sur la Saale, avec son infanterie, sa cavalerie et son artillerie, en ne laissant à Wurtzburg que ce que sa Majesté a désigné pour la garnison. Son principal but sera de rester maître des débouchés de la Saale et de chasser les partisans ennemis qui manœuvrent dans cette direction. Vous pouvez vous rendre en droite ligne par Coburg sur Iéna.
Généralité de l’erreur
Cette erreur de chiffrer de deux façons différentes la même dépêche se retrouve à d’autres époques. Ainsi, la machine de Lorenz utilisée par les Allemands pour les dépêches entre le quartier général à Berlin et les armées fut décryptée suite à une erreur de procédure de ce type. Même si les méthodes ont changées, les leçons du passé restent valables.
Comment comprendre le monde moderne sans culture mathématique ? Accéder à celle-ci n’exige cependant pas d’apprendre à résoudre la moindre équation.