« A la seconde où tu m’apparus, mon cœur eut tout le ciel pour l’éclairer. Il fut midi à mon poème. Je sus que l’angoisse dormait.»
René Char : Le Météore du 13 Août (Fureur et Mystère, 1948).
Des dizaines d’excellents billets de blog ici et là sont consacrés à l’actualité des Perséides, cette pluie d’étoiles filantes qui illumine chaque année le ciel de la mi-août. Pour ne pas faire redondance, je me contenterai ici de quelques notes astronomico-poétiques.
Comme chacun sait (ou devrait savoir), ces belles mais fugitives étincelles nomades sont des grains cométaires microscopiques qui, en pénétrant dans l’atmosphère, s’échauffent par frottement. Leur température monte à trois mille degrés, et elles se consument dans la haute atmosphère, à quatre-vingts kilomètres d’altitude environ, créant ces traînées lumineuses qui ne durent souvent qu’une fraction de seconde. En fait, ce n’est pas la combustion du grain porté à blanc que l’on voit à si grande distance, mais la traînée d’ionisation qu’il laisse dans l’atmosphère. Les étoiles filantes sont la version miniaturisée et anodine des météores, le « bonzaï » du bolide.
Les étoiles filantes, si elles ne font pas d’argent ni ne répondent aux vœux, font parfois de beaux poèmes:
A la pointe où se balance un mouchoir blanc
Au fond noir qui finit le monde
Devant nos yeux un petit espace
Tout ce qu’on ne voit pas
Et qui passe
Le soleil donne un peu de feu
Une étoile filante brille
Et tout tombe
Le ciel se ride
Les bras s’ouvrent
Et rien ne vient
Un cœur bat encore dans le vide
Un soupir douloureux s’achève
Dans les plis du rideau le jour se lève
Pierre Reverdy, Etoile filante (dans Plupart du temps, 1915-1922)
Leur taille ne dépasse pas quelques millimètres. Ce sont des silicates, analogues à des grains de sable. La luminosité des grains est fonction de leur masse. À la vitesse typique de soixante-dix kilomètres par seconde, un grain de seulement trois millimètres présente une luminosité égale à celle d’une étoile de première grandeur comme Sirius, mais pour un grain caractéristique d’un tiers de millimètre, l’intensité est tout juste visible à l’œil nu.
Lorsque, par une nuit quelconque, vous observez une étoile filante, il s’agit d’un météore sporadique. Par ciel dégagé, on peut en voir quelques-uns par heure, en principe davantage après minuit qu’avant, et davantage en automne qu’au printemps – du moins pour l’hémisphère nord.
Si de nombreux météores apparaissent la même nuit et semblent provenir du même endroit du ciel, il s’agit d’une pluie d’étoiles filantes. On voit alors dix, voire cinquante météores et plus par heure, dans un ciel sombre sans Lune et loin des lumières des villes.
Cet essaim de météores résulte du passage annuel de la Terre dans la traînée de poussières laissée par une comète. En effet, dans sa course folle, l’astre vagabond véhicule et éjecte autour de lui une grande quantité de matière, allant de la poussière au caillou. Une traînée composée de myriades de particules jalonne sa trajectoire elliptique dans le vide interplanétaire. Ces sillages remplis de grains s’étendent sur des centaines de millions de kilomètres pour quelques dizaines de milliers de kilomètres de largeur, ce qui leur confère une forme de tube incurvé.
Les poussières flottent dans ce tube, obscures, et la Terre, en les frictionnant de son atmosphère, les enflamme. Dans un certain sens, c’est plutôt la Terre qui tombe sur elles qu’elles sur nous. Si ce n’est, bien sûr, que notre planète, en croisant un tube, agit comme un aspirateur gravitationnel et engloutit ce qui traîne à la ronde.
Durant les plus belles pluies météoritiques annuelles on peut voir jusqu’à cent météores à l’heure. Et beaucoup plus encore lors de certaines années exceptionnelles – les grands crus -, où l’événement prend l’allure d’une véritable tempête.
Une vingtaine de tubes de poussières laissées par les comètes sont traversés chaque année, à des périodes bien précises, par la Terre en mouvement sur son orbite. Notre planète prend alors une douche d’étoiles filantes.
Lorsque les particules sont fraîches, c’est-à-dire peu après le passage de la comète et avant qu’elles ne soient dispersées par l’action gravitationnelle des astres environnants, le passage de notre planète dans ce tube donne lieu aux plus belles averses.
Dans les nuits d’automne, errant par la ville,
Je regarde au ciel avec mon désir,
Car si, dans le temps qu’une étoile file,
On forme un souhait, il doit s’accomplir.
Enfant, mes souhaits sont toujours les mêmes :
Quand un astre tombe, alors, plein d’émoi,
Je fais de grands vœux afin que tu m’aimes
Et qu’en ton exil tu penses à moi.
A cette chimère, hélas ! je veux croire,
N’ayant que cela pour me consoler.
Mais voici l’hiver, la nuit devient noire,
Et je ne vois plus d’étoiles filer.
François Coppée, L’Exilée (1877)
Les grosses pluies annuelles d’étoiles filantes portent le nom de la constellation dans laquelle est situé leur « radiant », c’est-à-dire la direction d’où elles semblent toutes provenir. Les plus facilement observables sont les Perséides au mois d’août, et les Léonides en novembre.
Si, pour une raison quelconque, vous ratez les Perséides 2016, vous pourrez vite vous rattraper : la Terre traverse des essaims cométaires pratiquement chaque mois.
Choisissez la bonne nuit pour faire un vœu:
Nom de l’essaim Date Nombre approximatif
de météores à l’heure
Quadrantides 3-4 janvier 90
Lyrides 21 avril 15
Aquarides 4-5 mai 30
Perséides 11-12 août 80
Orionides 21 octobre 20
Léonides 17 novembre 5 à 100 000
Géminides 13 décembre 100
***
À qui donc le grand ciel sombre
Jette-t-il ses astres d’or ?
Pluie éclatante de l’ombre,
Ils tombent…? — Encor ! encor !
Encor ! — lueurs éloignées,
Feux purs, pâles orients,
Ils scintillent… — ô poignées
De diamant effrayants !
C’est de la splendeur qui rôde,
Ce sont des points univers,
La foudre dans l’émeraude !
Des bleuets dans des éclairs !
Réalités et chimères
Traversant nos soirs d’été !
Escarboucles éphémères
De l’obscure éternité !
De quelle main sortent-elles ?
Cieux, à qui donc jette-t-on
Ces tourbillons d’étincelles ?
Est-ce à l’âme de Platon ?
Est-ce à l’esprit de Virgile ?
Est-ce aux monts ? est-ce au flot vert ?
Est-ce à l’immense évangile
Que Jésus-Christ tient ouvert ?
Est-ce à la tiare énorme
De quelque Moïse enfant
Dont l’âme a déjà la forme
Du firmament triomphant ?
Ces feux-là vont-ils aux prières ?
À qui l’Inconnu profond
Ajoute-t-il ces lumières,
Vagues flammes de son front ?
Est-ce, dans l’azur superbe,
Aux religions que Dieu,
Pour accentuer son verbe,
Jette ces langues de feu ?
Est-ce au-dessus de la Bible
Que flamboie, éclate et luit
L’éparpillement terrible
Du sombre écrin de la nuit ?
Nos questions en vain pressent
Le ciel, fatal ou béni.
Qui peut dire à qui s’adressent
Ces envois de l’infini ?
Qu’est-ce que c’est que ces chutes
D’éclairs au ciel arrachés ?
Mystère ! Sont-ce des luttes ?
Sont-ce des hymens ? Cherchez.
Sont-ce les anges du soufre ?
Voyons-nous quelque essaim bleu
D’argyraspides du gouffre
Fuir sur des chevaux de feu ?
Est-ce le Dieu des désastres,
Le Sabaoth irrité,
Qui lapide avec des astres
Quelque soleil révolté ?
Victor Hugo
Les étoiles filantes (dans Les chansons des rues et des bois, 1865).
superbes ces images et ces poesies , l’évasion ideale pour fuir une terre chaotique !