Suite du billet La Vallée des 10 00 Fumées, Alaska (1/9)
Carnet de voyage d’une expédition effectuée du 17 août au 7 septembre 1992 en Alaska
La vallée des Dix Mille Fumées (Valley of Ten Thousand Smokes) est située en Alaska, au Sud du parc national de Katmai. Elle tire son nom des nombreux panaches de vapeur d’eau qui s’échappaient du sol formé par l’éruption du volcan Novrupta en 1912. Accessible seulement après deux jours de marche à partir de Brooks Lodge – un camp tenu par des rangers-, elle offre des paysages extraordinaires. Avec un groupe de amis nous avons décidé de l’explorer sac à dos et en autonomie complète durant l’été 1992.
Participants:
Philippe A., médecin psychiatre
Arturo F., ingénieur
Marc L., astrophysicien
Jean-Pierre Luminet, astrophysicien
Didier P., astronome.
EPISODE 2 : 21-22 août
Vendredi 21 août
Réveil à 6h30. Moustiques. Premier petit déjeuner au muesli. A 8h, la cabane des rangers ouvre. Nous allons aux renseignements. On parle avec un ranger nommé Brian, qui nous donne plein d’indications intéressantes sur le parcours jusqu’à Katmai Pass, mais pas au-delà car il ne connaît plus. Tant mieux. Apparemment très peu de personnes s’aventurent aussi loin. La plupart des randonneurs ne viennent passer que quelques jours ici, au maximum deux semaines car les Américains ont peu de vacances.
Mais la radio de Brian lui apprend qu’un ours s’aventure sur la plage du camp, et il est chargé de la surveillance. Nous le suivons, et on peut photographier une ourse en train de pêcher et de nager dans la rivière avec une facilité déconcertante, accompagnée de ses trois adorables oursons.
Le spectacle nous retient jusqu’à 11h. Enfin, tout est prêt. Nous trouvons une balance pour peser nos sacs. Dans les souvenirs de Philippe et de Didier, nos sacs soigneusement préparés étaient au départ de Paris de poids différents. Après la pesée sur la balance à Brooks Lodge, nous décidons cependant de les équilibrer avant de prendre le chemin, à 56 livres chacun, à l’exception de celui d’Arturo, plus léger à 48 livres. Philippe est chargé du réchaud à essence que Didier s’est mis en tête d’emporter, alors que Philippe et moi avions juste emporté nos réchauds ultralégers Esbit et nos tablettes d’alcool solide, fonctionnant à des températures négatives et à haute altitude, capables de faire bouillir 500 ml d’eau en 7 minutes. Philippe maugrée donc quelque peu de ce changement, étant de plus chargé, en tant que seul médecin de l’expédition, d’une pharmacie conséquente avec injections, etc., pour faire face aux urgences qui pourraient se présenter (mais que faire par exemple si l’un d’entre nous avait une crise d’appendicite aiguë ?).
A 11h30 c’est le grand départ dans la forêt. Il fait 12 °C, le ciel est couvert aux trois-quarts. En raison du poids des sacs nous devrons faire des pauses d’un quart d’heure toutes les heures. Je sens que mon sac (à moins que ce ne soit l’état de mon dos) est bien meilleur que celui que j’avais lors de l’expédition d’Islande en 1989.
La première heure de marche est un peu dure sur la fin. Pour moi c’est la deuxième heure qui est la plus difficile. Pour l’instant ça va bien du côté des pieds. La troisième heure je suis euphorique, je ne sens plus ni pieds ni dos. Philippe en revanche ne cesse de se plaindre, il dit que comme il est moins lourd que moi, son sac qui pèse autant que le mien lui donne davantage de peine. De fait il a beaucoup de mal à démarrer, n’étant pas dans la même forme physique qu’en Islande 1989 suite à une première année de très gros travail dans sa clinique psychiatrique.
Notre but du jour est d’atteindre la première traversée de rivière, à 18 km. Hélas elle est un peu plus loin que prévu.
A la quatrième étape, je m’aperçois soudain qu’une des poches de mon Goretex est ouverte : j’ai perdu ma fiole de vodka, les clés de la maison et une pellicule photo. Que faire ? Je m’accorde vingt minutes pour les retrouver, pendant lesquelles ils m’attendront bien sûr. Je chausse les joggings de Philippe et repars en arrière sans sac, en chantonnant, léger comme une plume. Je retrouve les objets sur le chemin au bout de 10 minutes. J’ai sur moi la bombe anti-ours, aucun n’est en vue.
A nouveau réunis, nous repartons vers la rivière. Cela devient difficile, c’est une heure de marche en trop au cours de laquelle se forment les premières ampoules : des énormes pour Marc, un peu moins pour moi.
Schémas du pied à retenir pour la prochaine fois :
Rivière enfin atteinte à 19h, après 5h30 de marche. Nous plantons les tentes à une cinquantaine de mètres avant la berge. Assez beau temps, température douce, mais l’air est farci de moustiques. Je me lave à poil dans la rivière lorsque j’entends le son d’un véhicule. Je me rhabille vite, croyant que c’est un car de touristes, mais ce n’est qu’un ranger en camion. Il s’arrête pour m’informer que normalement c’est interdit de camper au bord de la piste, et que le ranger suivant nous dira sûrement de décamper. On décide quand même de rester là.
Longue séance d’accrochage des sacs à un arbre, à quatre mètres de hauteur C’est Didier qui fait pratiquement tout le boulot, perché en équilibre durant 1h30 pour faire une belle grappe de sacs perchés. Il faudra lui demander le schéma de montage pour apprendre. Là il m’impressionne, je comprends que c’est lui le plus solide d’entre nous. Marc n’en peut déjà plus, il est farci d’ampoules et a mal à la hanche. Philippe est vanné, il se plaint de son dos cisaillé par le sac ; moi ça va plutôt bien malgré une première ampoule qui s’est formée.
Le dernier 4×4 de ranger passe et ne s’arrête pas. Ouf ! Nous allons manger de l’autre côté de la rivière, en la traversant sur un long tronc d’arbre jeté sur son cours. On se régale avec notre soupe et notre lyophilisé. Mais c’est vraiment infesté de moustiques. En revenant aux tentes, Arturo se casse la figure en glissant du tronc. Sans gravité.
Dans ses propres notes, Didier se remémore qu’au terrain de camping d’Eagle River une jeune gardienne nous avait offert de petits pin’s, lui avait rangé le sien dans son sac mais sa pointe a percé son matelas auto-gonflable Thermarest : il passera ainsi toutes les nuits de la randonnée à plat sur les cailloux !
Nuit dans la tente (Philippe et moi dans l’une, Didier, Marc et Arturo dans l’autre). D’après Philippe ma nuit est très agitée, pourtant je dors bien, rêvant d’ours, etc. Je suis réveillé par Philippe qui a crié dans son sommeil « Au loup ! au loup ! », le lendemain il prétend qu’un ours a grogné au pied de l’arbre puis est venu rôder autour de la tente.
Le vent s’est levé dans la nuit. Sur le plan psychologique, la situation se dégrade entre Philippe et moi. Il ne cesse de me critiquer. Peut-être faudra-t-il changer les équipes. C’est du moins ce que je pense au petit matin après une nouvelle dispute, je suis déçu car c’est mon ami d’enfance. De fait il me dira plus tard que ce qui le mettait en rogne était mon côté trop velléitaire, du genre « il faut en baver » et « en faire toujours plus que ce qu’indique la carte ».
Samedi 22 août
Lever 7h, départ 9h. Marc est dans un piteux état. Nous traversons trois rivières. Mes chaussures de surf, que je mets à chaque traversée, sont géniales ! Didier, lui, n’a pas besoin de chaussures : il traverse pieds nus, je ne sais pas comment il fait. Il n’a d’ailleurs jamais eu une ampoule de sa vie !
Hélas mon pied commence à gonfler, les premières ampoules se forment et je commence déjà à souffrir. Mais ce n’est rien à côté de Marc, dont toute la peau des talons est partie !
Quatre heures de marche. Du vent, donc pas de moustiques. Pas d’ours non plus en vue.
On arrive à 16h au refuge de Three Forks. Superbe panorama sur la Vallée des 10 000 Fumées. On se relaxe deux heures autour d’un thé.
Puis, laissant Marc se reposer, nous allons par un sentier jusqu’aux rapides de la Windy Creek. Six kilomètres de marche supplémentaire, mais quel spectacle ! Fabuleux canyon de terre rougeâtre, un peu comme dans la Death Valley où je me suis rendu en 1989, mais des rapides d’une puissance prodigieuse projetant l’écume à dix mètres de hauteur.
Pour avoir un meilleur point de vue, nous devons sauter par-dessus les rapides. Ce n’est pas large, 1m50, mais si on rate c’est la fin assurée. On tente quand même le coup, avec succès bien sûr. Le spectacle en valait la peine.
En remontant vers la cabane on ramasse des champignons, que l’on prépare pour le dîner du soir. De retour à la cabane, il y a deux nouveaux venus. Le temps est affreux : les deux randonneurs qui reviennent ont été découragés par les mauvaises conditions climatiques. Nous sommes très fatigués, mais excités à l’idée de continuer.
N.B. : Penser pour la prochaine expédition à prendre un foulard blanc ou rouge.
La suite est ici
Récit savoureux de ce qui semble être une sacrée aventure. C’est un plaisir de vous lire. A suivre donc … Suspense …
On s’est vu plusieurs fois au Festival MESSIAEN de LaGrave (je suis compositeur). Votre expédition en Alaska de 1992 a dû être géniale et votre récit est passionnant. Moi qui ai parcouru un certain nombre de volcans, je suis rouge d’envie mais hélas il ne m’est plus possible d’imaginer de pareilles expéditions (à 74 ans !). Peut-être aurais-je le plaisir de vous revoir pour reparler de volcans ou de pulsars ?
Bien à vous
Merci pour votre message. Moi aussi, à 72 ans, je ne peux plus me risquer à pareilles expéditions (j’en raconterai quelques autres, avec quelque peu de nostalgie)! Après le Festival Messiaen je serai au festival Berlioz les 26 et 27 de ce mois, peut-être vous aussi ? Sinon, pour échanger plus commodément : jean-pierre.luminet@lam.fr
Ah, le matériel de randonnée a fait des progrès depuis cette époque. Même avec la chaussure flambant neuve achetée la veille, on risque moins de se ruiner les pieds avant de casser le cuir de la galoche.
Mais pourquoi un foulard blanc ou rouge pour la prochaine expédition ? Et a-t-elle eu lieu ?