Suite du précédent billet
Dans les nuits d’automne, errant par la ville,
Je regarde au ciel avec mon désir,
Car si, dans le temps qu’une étoile file,
On forme un souhait, il doit s’accomplir.
François Coppée, Etoiles Filantes (1877)
Nom de baptème
Lors de la pluie de novembre 1833, les nombreux observateurs de la côte Est des Etats-Unis et de la région des Chutes du Niagara avaient vu les météores semblant provenir de la constellation du Lion (Leo). Le nom de Léonides fut alors donné à cet essaim.
A la mi-novembre 1799, un phénomène similaire à la pluie de 1833 avait déjà été observé au large des côtes du Vénézuela par le célèbre naturaliste allemand Alexander von Humboldt, en compagnie du botaniste français Aimé Bonpland (1773-1858) [deux jours après ils partirent explorer le fleuve Orénoque].
Hubert Anson Newton, autre professeur de Yale, subodora donc une périodicité du phénomène. Il rechercha dans les chroniques astronomiques anciennes des allusions aux « météores de novembre ». Il en trouva treize mentions, allant de l’an 901 à 1833. Newton en déduisit une périodicité de 33 ans un quart, et en 1864 il prédit une grande nuit des Léonides pour novembre 1866, année du passage suivant. Sa prédiction fut vérifiée. En novembre 1866, des centaines de météores à la minute furent bel et bien observés partout en Europe, et de nombreux compte-rendus parurent dans les journaux.
On en vit encore en 1867 et 1868, quoique à un rythme moindre. De remarquables gravures de l’époque en attestent, comme celles du génial dessinateur et astronome de l’Observatoire de Paris Etienne-Leopold Trouvelot et celle figurant dans un bel ouvrage d’astronomie populaire d’Emmanuel Liais. [Ce dernier, expulsé de lʼObservatoire de Paris en 1858 par son irascible directeur Urbain Le Verrier, avait poursuivi sa carrière au Brésil].
La comète Tempel-Tuttle, maman des Léonides
Restait à trouver la cause du phénomène. Le voile fut levé par la découverte d’une comète de magnitude 6 nommée Tempel-Tuttle, en hommage à ses deux découvreurs, Ernst Tempel et Horace Tuttle. Le premier la détecta le 19 décembre 1865, le second quelques jours plus tard, le 6 janvier 1866. Cette même année, l’Italien Giovanni Schiaparelli démontrait que l’orbite de cette comète était quasiment identique à celle qu’occupent les particules provoquant l’essaim des Léonides, faisant pour la première fois le lien qui manquait.
Tous les ans donc, aux alentours du 17 novembre, se déroule la nuit des Léonides, du nom de ces belles zébrures brillantes jaillissant de la constellation du Lion. Sous certaines conditions, l’essaim de météores peut se transformer en une tempête d’étoiles filantes. Mais les grosses tempêtes de météores ne peuvent se produire au mieux que tous les 33 ou 34 ans, juste après le passage de la comète près du Soleil. Car si la Terre croise chaque année au même moment le tube de la comète, la comète, elle, se déplace à son propre rythme dans ce tube, en l’occurrence 33 ans un quart.
En agissant sur la partie la plus dense de l’essaim, l’influence perturbatrice de Saturne et de Jupiter fit que l’averse suivante, prévue en 1899, n’eut pas lieu. L’essaim se manifesta de nouveau en 1901 mais le nombre de météores observés ne fut pas exceptionnel. Le retour suivant, en 1932-1933, fut encore plus décevant.
La pluie de 1966
Dans la nuit du 17 novembre 1966, un étudiant du Kansas est réveillé par la sonnerie du téléphone. Sa grand-mère, une bigote, veut absolument lui parler. Mais loin de lui annoncer un malheur familial, comme il le craignait, elle lui intime l’ordre de s’agenouiller et de prier : les étoiles sont en train de tomber du ciel, dit-elle, et la fin du monde est arrivée. Le jeune homme lui répond tranquillement de retourner se coucher, car ce n’est qu’une pluie d’étoiles filantes qui survient tous les ans à la même époque. « Grand-mère, je t’assure, la fin du monde n’est pas pour cette nuit ». Malgré tout, par acquit de conscience, l’étudiant sort du dortoir pour regarder le ciel. Il aperçoit bien quelques étoiles filantes, mais comme la nuit est froide, il retourne se coucher.
Sans le savoir, il a manqué un spectacle de toute beauté : à l’ouest des Etats-Unis et au Mexique, l’averse de Léonides de 1966 a atteint le taux record de 150 000 météorites à l’heure, avec un feu d’artifice de cent fusées par seconde au cours du maximum !
Incertaines prévisions météo(ritiques)
Comme la comète Tempel-Tuttle est repassée dans les parages du Soleil au début du mois de mars 1998, les astronomes ont espéré une tempête de météorites pour la nuit du 17 au 18 novembre de la même année.
Cependant, les prévisions sur l’intensité des Léonides doivent être prises avec beaucoup de précautions. Les pics calculés pour 1899 et 1933 n’avaient pas été observés. Cette inconstance est due à divers facteurs, notamment au fait que la distribution de particules entourant la comète est loin d’être uniforme en densité.
Selon les prévisions de l’époque, la Chine, la Sibérie, la Corée et le Japon devaient être aux premières loges. Des expéditions scientifiques furent organisées dans cette partie du monde, dont une de la NASA équipée de deux Boeing 707. Ils en furent pour leurs frais. L’averse eut lieu à 1h55 Temps Universel, soit 16 heures avant les prévisions. Au vu de la rotation terrestre, ce furent les Européens et les Américains qui eurent droit au show céleste. L’averse ne fut pas très drue, mais d’une beauté exceptionnelle. De véritables boules de feu, feux d’artifices rouges, violets, verts ou bleus électriques, churent du ciel au rythme de une toutes les 5, 10 ou 20 secondes. Certaines étaient plus éclatantes que la pleine Lune, et beaucoup laissèrent de brillantes traînées de toutes formes, visibles plusieurs minutes durant, à tel point que le ciel en était parfois strié. Le paysage environnant fut alors visible par flashs, comme illuminé par des éclairs d’orage, et la lumière était suffisante pour donner des ombres portées aux observateurs. Pour être aussi flambants, les grains cométaires devaient avoir la taille d’un pois chiche…
La prédiction ratée de 1998 fut un échec cuisant qui piqua au vif la fierté des astronomes. Aussitôt, plusieurs équipes internationales s’attelèrent à améliorer la modélisation des essaims cométaires. Il s’agissait, à l’aide de l’ordinateur, de modéliser l’essaim des Léonides dans ses moindres détails et de le faire évoluer sur plusieurs siècles, avec la prise en compte de plusieurs millions de particules de taille, de masse et de vélocité différentes, émises à chacun des retours de la comète Tempel-Tuttle. Il fallut aussi appliquer divers facteurs tels que les perturbations induites par la Terre et les planètes géantes, le vent solaire, et tenir compte de l’activité propre du noyau de Tempel-Tuttle.
Le modèle « traînée de poussière »
Le modèle qui en sortit, baptisé « traînée de poussières » par ses principaux auteurs David Asher et Robert Mc Naught, permit d’expliquer à rebours la belle pluie de bolides observée en novembre 1998, la quasi totalité des pluies de Léonides historiques, ainsi que les grands ratés de 1899 et 1933.
Mais si parvenir à expliquer un phénomène a posteriori est une excellente chose, donner des prévisions réalistes pour les années suivantes est autrement plus gratifiant et permet d’asseoir la modélisation. Ainsi, pour novembre 1999, plusieurs pics d’activité furent prédits dont le plus important, selon le modèle « traînée de poussières », devait avoir lieu le 18 novembre à 2h08 TU au dessus du Moyen-Orient et de l’Europe, avec un taux horaire allant de 500 à 1000 météores…
Et qu’advint-il ? Ceux qui étaient dehors dans la nuit du 17 au 18 novembre 1999 ont pu observer les premières Léonides un peu avant minuit, puis le nombre de météores a rapidement augmenté : 500 Léonides vers 1h00 TU, 1000 météores vers 1h30, puis un nombre proprement hallucinant : 3700 à l’heure pendant quelques dizaines de minutes autour de 2h00, le maximum ayant eu lieu à 2h04 avec 4 petites minutes d’avance sur l’horaire présumé !
Ce succès était-il à mettre au crédit de la « traînée de poussières », ou dû à un pur effet du hasard ?
L’observation des Léonides 2000 acheva de confirmer le modèle de façon … éclatante. Le premier pic d’activité observé, dû à la rencontre de particules vieilles de 2 révolutions cométaires (donc émises en 1932) eut lieu avec 17 minutes de retard sur l’horaire prévu ; le deuxième pic, attribuable à la rencontre avec la traînée de poussière de 1733 (8 révolutions) n’eut que 20 minutes d’avance, tandis que le troisième et dernier pic (particules de 1866, vieilles de 4 révolutions) survint avec 38 minutes d’avance seulement. Dans tous les cas, la fréquence horaire observée fut remarquablement comprise dans la fourchette prédite.
Étincelle nomade qui meurt dans son incendie (René Char)
Maintenant que les prévisions météorologiques sur les pluies météoritiques peuvent être explicitées avec une précision remarquable, tant au niveau des dates et horaires de survenue qu’au niveau du nombre de météores à l’heure, aucune incertitude ne plane plus sur la qualité du spectacle, et les passionnés sont prêts à courir aux antipodes pour jouir au mieux de ces illuminations. Une de mes connaissances s’est rendue en Australie pour admirer les Léonides du 18 novembre 2001. Dans l’hémisphère sud, la constellation du Lion est basse sur l’horizon, et donc la trajectoire des météorites est rasante, ce qui a aussi pour effet de rendre les traînées beaucoup plus longues. Les observateurs qui se trouvent à la verticale de la constellation voient les traînées « en raccourci », tandis qu’en Australie ou au Chili, celles-ci peuvent parcourir tout le ciel d’un horizon à l’autre. Cette nuit-là, mon ami fut récompensé par une pluie d’environ une étoile filante par seconde — exactement de qui était prévu.
La prochaine tempête de Léonides est attendue pour 2032, nouveau passage au périhélie de la comète-mère. En attendant, contentons-nous de pluies de moindre intensité. Que nous réserve le cru 2018 ? Je vous l’ai dit au début de mon premier billet. Sinon, je vous invite tout simplement à sortir de chez vous la nuit du 17 et de lever le nez au ciel (sans oublier de bien vous couvrir) …
Finissons avec ce beau poème intitulé Les étoiles filantes, de notre grand Victor Hugo.
À qui donc le grand ciel sombre
Jette-t-il ses astres d’or ?
Pluie éclatante de l’ombre,
Ils tombent…? — Encor ! encor !
Encor ! — lueurs éloignées,
Feux purs, pâles orients,
Ils scintillent… — ô poignées
De diamant effrayants !
C’est de la splendeur qui rôde,
Ce sont des points univers,
La foudre dans l’émeraude !
Des bleuets dans des éclairs !
Réalités et chimères
Traversant nos soirs d’été !
Escarboucles éphémères
De l’obscure éternité !
Extrait des Chansons des rues et des bois, 1865.
Salut!
Des étoiles me disent:
Le feu qui descend du ciel pour moi ressemble à cela… Monde de glace… de pluie d’étoiles si seules dans leur descente… Ne voient-elles pas cette Terre que j’habite en expirant:
https://youtu.be/cmduvqGDNiM
N’est-ce pas dans un fracas inimaginable et en de multiples éclats de lumière semblables à une colère venue du ciel à notre rencontre.
Bonsoir!
10 novembre 2018.
Comme toujours, belle leçon de l’astrophysicien et commentaire touchant de Monsieur Gabbro.
Où êtes-vous Roxane et Guillaume?
Je vous imagine lisant la fin de “L’exilée” (1877), dont vous avez lu plus haut dans la seconde partie des léonides du présent billet, les premiers vers mis en exergue.
“Mais voici l’hiver, la nuit devient noire
Et je ne vois plus d’étoiles filer”.(F.Coppée)
Et relisant avec ferveur l’extrait des “Chansons des rues et des bois” qui s’arrête net, là où commencent les questions
(18, je crois, dans ce beau poème) En voici une pour le plaisir :
“Nos questions en vain pressent
Le ciel fatal ou béni.
Qui peut dire à qui s’adressent
Ces envois de l’infini?
Une guitare, une voiture de luxe dans un clip…Pourquoi pas? Même seul dans sa chambre, “l’homme habite en poète”, disait
quelqu’un.
Celle ou celui qui pense et vit avec la science, comme l’auteur du billet sur la pluie céleste de novembre, a bien le droit de rêver.
La lune change de jardin dans le météore aoûtien de René Char et un chant d’oiseau surprend la branche du matin.
On dira en citant un autre auteur que le vent paraclet a choisi un autre jardin…métaphysique, sans nul doute, en quelque presbytère.
Quid de cette éthique qui tombe des cieux? Manne biblique ou cognée du poète…Pourvu qu’elle vienne jusqu’à nous, pauvres gens!
Et Monsieur Luminet de nous parler d’un célèbre naturaliste / chimiste allemand en ouvrant son livre à la page d’une gravure.
Et c’est dans ce même livre où Gaston Bachelard a tiré cette citation :”La meilleure description est celle qui fait de l’oreille un œil”
(Voir “La terre et les rêveries du repos”, page 88)
Il y a trois cent quatre -vingt-dix-neuf ans, jour pour jour ou nuit pour nuit, un jeune soldat était seul dans sa chambre sans guitare mais avec un traité de musique. Pas de grand-mère pour le rassurer dans la tempête qui fait grincer les enseignes…Et le jeune homme de se rendormir rapidement. Il fait trois songes et il est persuadé que l’esprit de vérité a voulu lui ouvrir les trésors de toutes les sciences et il exulte.
C’était à Neubourg, en Saxe-Wurtemberg et ce jeune homme s’appelait René Descartes.
“Plaise au ciel que rien ne nous arrête dans ce monde aventureux!”
Paroles d’une artiste de variétés ou d’un essayiste d’outre-Rhin? Qu’importe!
Il suffit peut-être de prêter l’oreille et nous verrons bien…
Bonne nuit et faites de beaux rêves.
Garo
Bonjour!
Oui, je suis bien là, mais que dire, que vous dire Garo, Gabbro?
En ce jour de mémoire unique où l’on fête à grands coups de cloches dans tout le pays et même plus loin, la VICTOIRE, que restent-ils de nos descentes d’étoiles et de nos envolées lyriques qui ne touchent pas terre? Que reste-t-il de toute cette science incapable de soulager nos corps et nos âmes dans cette vallée de cendres et de larmes? Quid de ce savoir, de cette érudition sans bornes, si telle aventure livresque est incapable d’étancher notre soif dans cet enfer moderne?
Que peut inventer un cœur aventureux quand la langue tire la science et ses fusées alors que des millions de citoyens contribuables tirent le diable par la queue pour essayer de survivre dans leur sphère sociale sans sourire, entre les écrans et les chariots du supermarché?
Les seules étoiles à portée de main sont celles de étalages de Noël où les marchands vendent du rêve à gogo et dans la chambre vide des décorations, il y a comme une absence et si plein est ce néant, Mesdames et Messieurs les savants professionnels, actifs et retraités, donnez-nous, s’il vous plaît, la preuve de son existence!
Puisse cette déesse advenir ici-bas, chers lecteurs de ce commentaire! Une petite victoire dans le roman de la vie, peut-être…
A l’instant, je viens de recevoir cette citation matutinale :
“La paix est une création continue.”
( Raymond Poincaré)
Bonne journée
Roxane
Oui, je suis là moi aussi.
je suggère une petite réflexion au sujet de la venue de la déesse dont parle Roxane. Il me semble qu’un chercheur des secrets de l’univers peut dire qu’il est athée pour exprimer son désaccord avec une religion, ou pour exprimer son désespoir, mais cela n’a rien à voir avec la vérité de la déesse, ni avec la vérité de l’être qui peut faire descendre ici la déesse, et encore moins avec la vérité de leur rencontre. Les apparences qui suivent sont alors faites d’accords et d’espoirs, parce-qu’est devenue claire la raison de la bassesse, et claire aussi la raison de la grandeur.
(Et renouvelée la formule Divine, clef de voûte de l’édifice de l’être)