Archives pour la catégorie Histoire

Science et croyance

“Moi, monsieur, je crois en la science”.  Cette parole d’un journaliste sur un plateau télévision rapprochant l’univers de la croyance et celui de la science  est troublant et tient de l’oxymore, c’est-à-dire de l’auto-contradiction.

Le verbe « croire » est peu employé dans le domaine scientifique. Pour donner un exemple, en 1742, Christian Goldbach a affirmé : « tout nombre pair est somme de deux nombres premiers ». Il y croyait mais, à ce jour, personne n’a réussi à prouver ni que cette assertion de Goldbach était vraie, ni qu’elle était fausse. J’oserai par exemple dire : « je crois la conjecture de Goldbach vraie » mais cette croyance sort des mathématiques. En fait, « croire » fait partie du vocabulaire de la religion, pas de la science et encore moins des mathématiques. Dire « je crois en la science » est quasiment un oxymore car la science n’est pas affaire de croyance mais de faits prouvés, ce qui n’exclut pas la possibilité d’erreurs.

Les « fake news » et l’esprit religieux

On retrouve la structure du religieux dans la lutte contre les « fake news » où certains, journalistes ou hommes politiques, s’arrogent le droit de dire la vérité au nom de la science sans la moindre habilitation à le faire. L’Eglise catholique est au moins plus honnête quand elle le fait puisqu’elle cite ses sources : le livre (qu’elle considère comme) sacré. Donner le droit à des hommes politiques de dire « la vérité » dans des domaines hors de leurs compétences n’est pas raisonnable. C’est faire un procès sans débat contradictoire où le juge remplit tous les rôles, celui de bourreau compris.

Science et pseudo-science

Les astrologues utilisent des données scientifiques ce qui donne à l’astrologie une allure de science, mais ce n’est en rien une science ! Si deux personnes partagent les mêmes données, elles ont le même horoscope mais sans doute pas le même avenir. Quand l’astronomie est une science, l’astrologie est une pseudo-science. De même, la chimie est une science et l’alchimie une pseudo-science. Dans chaque cas particulier, on peut distinguer science et pseudo-science mais quel est le critère général permettant de distinguer les deux ?

Pour Karl Popper (1902-1994), la distinction est la réfutabilité. Une science est réfutable, une pseudo-science ne l’est pas car repose sur des dogmes.

Popper est frappé par le fait que la théorie d’Einstein serait intenable si certaines conditions n’étaient pas remplies, en particulier le décalage vers le rouge des lignes spectrales dû au potentiel de gravitation devait ne pas exister, la théorie générale de la relativité serait insoutenable.

Les poèmes de Nostradamus

Quand on parle d’astrologie, difficile de ne pas citer Nostradamus, toujours lu cinq siècles après sa mort. En effet, il a écrit un livre mystérieux qu’il a nommé Prophéties. Il se présente comme une série de quatrains dont la plupart n’ont pas de sens évident et certains ressemblent à des prévisions. Voici le plus célèbre dans lequel on peut lire des allusions à la mort tragique du roi Henry II :

Le lyon jeune le vieux surmontera

En champ bellique par singulier duelle

Dans cage d’or les yeux lui crèvera

Deux classes une, puis mort cruelle.

 

 

 

Jeter le masque ?

La seule méthode de chiffrement démontrée inviolable est le masque jetable … dont il est impératif qu’il soit jeté après un seul usage. Avant d’expliquer pourquoi, il nous faut dire de quoi il s’agit.

Chiffrement par substitution

La méthode de substitution la plus ancienne est attribuée à Jules  César, elle consiste à décaler les lettres du message d’un certain nombre. Si on choisit un décalage d’une lettre, “cesar” devient “dftbs”. Pour un décalage de deux lettres, nous obtenons “eguct” et ainsi de suite. On peut complexifier ce chiffrement en changeant de décalage à chaque lettre, la suite de décalages est la clef de chiffrement. Si on utilise l’alphabet latin (de A à Z), qu’on peut assimiler aux nombres de 0 à 25, ce la donne.

 

Clair V O I C I L E C L A I R
Clef C E L A E S T L A C L E
Chiffré X S T C M D X N L C T V

 

Chaque décalage correspond à une addition. Pour la première colonne V + C correspond à 21 + 2 = 23 soit X et ainsi de suite. Quand on obtient un nombre supérieur ou égal à 26, on lui retranche 26. Par exemple, à la sixième colonne, L + S correspond à 11 + 18 = 29 reste 3 d’où L + S = D.

Le masque jetable

Plus la clef est longue plus ce chiffre par substitution poly-alphabétique est difficile à décrypter. En 1917, Gilbert Vernam en conclut que l’idéal était que la clef soit aussi longue que le message. Joseph Mauborgne remarqua plus tard qu’il valait mieux qu’elle soit aléatoire et par voie de conséquence qu’on ne l’utilise qu’une fois. En 1949, en créant la théorie de l’information, Claude Shannon démontra que ce chiffre était inviolable. C’est le seul dont on ait démontré qu’il soit indécryptable.

Claude Shannon et une de ses créations : la souris qui sort seule d’un labyrinthe.

Les mésaventures des Soviétiques

Les Soviétiques firent l’erreur d’utiliser deux fois la même clef dans les années 1930 d’après les archives britanniques. Ils persistèrent dans leur erreur après la guerre ce qui facilita le projet Venona américain de décryptement des messages des services de renseignements soviétiques. Trois mille messages furent ainsi décryptés totalement ou partiellement. Une des conséquences a été la détection d’espions soviétiques comme les époux Rosenberg et les cinq de Cambridge dont le célèbre agent double Kim Philby. Cette faiblesse du masque jetable, que Claude Shannon a montré inviolable rappelle la différence entre théorie et pratique et surtout qu’un théorème de mathématiques a des hypothèses strictes, ici le côté aléatoire des clefs et leur utilisation unique. On ne peut l’utiliser en dehors de ses conditions d’application, même si la question est tentante pour qui ne domine pas ces questions.

La faille …

Si on utilise deux fois la même clef, il suffit de faire la différence des deux chiffrés pour faire disparaître la clef. Plus précisément, on obtient le premier message chiffré avec une clef liée au second message. On utilise alors la méthode du mot probable pour décrypter le tout.

Les grands nombres … et les petits

Dans la vie courante, nous avons rarement besoin d’aller au-delà des mille milliards qui, forcément, font penser aux mille milliards de mille sabords du capitaine Haddock, le célèbre compagnon de Tintin.

Nicolas Chuquet (1445 – 1500) inventa pourtant un système pouvant aller bien au-delà. Dans son livre Triparty en la science des nombres, il forgea de nouveaux noms de nombres sur des préfixes correspondants à deux, trois,…, neuf : billion, trillion, quatrillion, quintillion, sextillion, septillion, octillion, nonillion. Le premier (un billion) est un million de millions, chacun est ensuite égal à un million de fois le précédent. Ce système est appliqué en Europe sauf dans les pays de langue anglaise car, malheureusement, les États-Unis ont adopté un système différent où chaque quantité est égale à mille fois la précédente. Ainsi, un billion américain vaut mille millions français donc à un milliard et ainsi de suite. D’autre part, on utilise aussi des préfixes comme déca, hecto, kilo, méga, etc. (voir le tableau système de noms des grands nombres). Ainsi, un kilogramme vaut 1000 grammes, etc. Les premiers ont un sens qui vient du grec où déka signifie dix, ékaton, d’où viennent les hécatombes, cent, kilo, mille, mégas, d’où vient mégalomane, grand, gigas, d’où vient gigantesque, géant, téras d’où vient la tératologie, monstre. Les autres donnent, toujours en grec, la puissance de 1000 utilisée. Ainsi péta vient de penté, qui signifie 5 et qui a donné pentagone, mais pas Pétaouchnock qui, bien qu’imaginaire est censée être une ville très éloignée, quelque part au fin fond de la Sibérie. Exa vient de hexa, qui signifie 6 et qui a donné hexagone. Les derniers sont là pour 7 (zetta) et 8 (yotta) mais sont artificiels.

Nom français Nom américain Préfixe Symbole Valeur
dix déca da 10
cent hecto h 100
mille kilo k 1000
million méga M 1 000 000
milliard billion giga G 1 000 000 000
billion trillion téra T 1 000 000 000 000
billiard quadrillon péta P 1 000 000 000 000 000
trillion quintillion exa E 1 000 000 000 000 000 000
trilliard sextillion zetta Z 1 000 000 000 000 000 000 000
quadrillon septillion yotta Y 1 000 000 000 000 000 000 000 000

Le système de noms des grands nombres va au-delà mais les nombres deviennent alors sans véritable utilisation concrète. On peut alors simplifier les mille milliards de mille sabords du capitaine Haddock en un seul péta sabord… mais ce serait moins musical et pourrait être mal interprété.

Les financiers utilisent parfois des expressions telles que kiloeuros (k€) ou millions d’euros (M€), qu’ils seraient plus logique de nommer mégaeuros vu le symbole M utilisé, mais cela n’apparaît pas normalement dans les comptes bancaires des particuliers. Sauf en période d’hyper inflation, comme en Allemagne en 1923 où on imprima des billets de 500 millions de marks, ou au Zimbabwe en 2009 où on alla jusqu’à 100 000 milliards, soit 100 trillions au sens anglo-saxon (voir la photographie un billet sans valeur), les particuliers n’ont pas besoin d’envisager des sommes supérieures au milliard français, donc au billion américain… et les États, guère plus.

Un billet sans valeur

En informatique, l’usage du système binaire fait que les préfixes ont un sens légèrement différent. Kilo signifie alors 1024 car ce nombre est égal à 2 à la puissance 10, méga vaut 1024 kilo, giga, 1024 méga, téra, 1024 giga et péta, 1024 téra, etc.

Les petits nombres

Pris à l’envers, ce système permet également de visiter l’infiniment petit (voir le tableau système de noms des petits nombres). Ici encore, les préfixes ont un sens. Les premiers viennent du grec où micro signifie petit et nano, nain. On passe ensuite à l’italien où piccolo, qui signifie petit, a donné pico. Les autres sont artificiels.

 

Nom français Nom américain Préfixe Symbole Valeur
dixième déci d 0,1
centième centi c 0,01
millième milli m 0,001
millionième micro m 0,000 001
milliardième billionième nano n 0,000 000 001
billionième trillionième pico p 0,000 000 000 001
billiardième quadrillonième femto f 0,000 000 000 000 001
trillionième quintillionième atto a 0,000 000 000 000 000 001
trilliardième sextillionième zepto z 0,000 000 000 000 000 000 001
quadrillonième septillionième yocto y 0,000 000 000 000 000 000 000 001

Système de noms des petits nombres. Le système va au-delà mais les nombres deviennent alors sans véritable utilisation concrète.

 

Le salon de la culture et des jeux mathématiques 2020

Depuis l’an 2000, fin Mai, place saint Sulpice à Paris le salon de la culture et des jeux mathématiques se propose de présenter les mathématiques sous forme tout à la fois ludique et utile. Il attire ainsi chaque année de l’ordre de 20000 personnes, élèves, étudiants, professeurs, parents et passants.

Vue d’une allée du salon

Cette année 2020, la crise sanitaire a mené à son interdiction. Les organisateurs ont décidé de le dématérialiser. Il est donc ici : http://salon-math.fr/ du 28 au 31 Mai.

Comme chaque année, j’y suis responsable d’un stand dédié à la cryptologie et à la cybersécurité, celui de l’ARCSI (association des réservistes du chiffre et de la sécurité de l’information) dont je suis administrateur.

Ci-dessus, j’explique le fonctionnement d’une C-36, machine à chiffrer française de la Seconde Guerre mondiale à Cédric Villani sous l’œil bienveillant du général Jean-Louis Desvignes, président de l’ARCSI.

Nous y organisons des visio-conférences dont la liste et les horaires se trouvent en ligne de même que quelques curiosités et énigmes. Personnellement, j’en donne quatre :

28 Mai 10H-10H 30 Les correspondances personnelles chiffrées du Figaro en 1890
29 Mai 11H-11H 30 La faiblesse du chiffre de l’armée napoléonienne
30 Mai 11H-11H 30 Le chiffre de Marie-Antoinette
31 Mai 11H-11H 30 Les erreurs de cybersécurité sont avant tout humaines

Sur l’espace rencontre du salon en 2019.

Compter les grains de sable avec Archimède

Archimède (287 – 212 avant Jésus-Christ) inventa une méthode pour décrire les grands nombres dans un but purement théorique, pour montrer que le nombre de grains de sable contenus dans l’univers n’était pas infini, mais juste très grand. C’est d’ailleurs ainsi que commence l’Arénaire :

Il est des personnes, ô roi Gélon, qui pensent que le nombre des grains de sable est infini. Je ne parle point du sable qui est autour de Syracuse [mais] d’un volume de sable qui fût égal à celui de la Terre.

Pour cela, Archimède commence par évaluer le périmètre de la Terre, en voulant être sûr que la mesure réelle soit inférieure à celle qu’il donne, il multiplie donc par dix les mesures connues :

Cela posé, que le contour de la Terre soit à peu près de trois cent myriades de stades mais non plus grand. Car tu n’ignores point que d’autres ont voulu démontrer que le contour de la Terre est à peu près de trente myriades de stades.

Dans le système de numération grec, la myriade était l’unité suivant directement le millier. Elle valait donc dix mille. Le stade est une mesure que nous avons tous en tête car elle a donné la longueur de nos stades. Il mesurait donc un peu moins de 200 mètres, mais cela importe peu ici. À partir de ces données, il est possible de calculer le volume de la Terre. Archimède évalue alors que, dans un volume équivalent à une graine de pavot, il n’y a pas plus d’une myriade de grains de sable, avant de constater qu’il fallait aligner 40 graines pour obtenir la largeur d’un doigt. Archimède a alors tous les éléments pour faire son calcul. Il lui manque simplement un système de numération.

Le système de numération d’Archimède

Archimède commence par décrire le système en usage en Grèce à son époque :

On a donné des noms aux nombres jusqu’à une myriade et au-delà d’une myriade, les noms qu’on a donné aux nombres sont assez connus, puisqu’on ne fait que répéter une myriade jusqu’à dix mille myriades.

Il en fait la base de son système :

Que les nombres dont nous venons de parler et qui vont jusqu’à une myriade de myriades soient appelés nombres premiers [pas dans le sens actuel], et qu’une myriade de myriades des nombres premiers soit appelée l’unité des nombres seconds ; comptons par ces unités, et par les dizaines, les centaines, les milliers, les myriades de ces mêmes unités, jusqu’à une myriade de myriades.

Ces nombres premiers et seconds permettent d’aller jusqu’aux milliers de billions de Nicolas Chuquet, soit jusqu’aux billiards ! (voir le tableau équivalents des nombres premiers et seconds dans le système de Nicolas Chuquet).

nombres rang noms équivalent Chuquet
premiers 1 unités unités
2 dizaines dizaines
3 centaines centaines
4 milliers milliers
5 myriades dizaines de milliers
6 dizaines de myriades centaines de milliers
7 centaines de myriades millions
8 milliers de myriades dizaines de millions
seconds 9 unités centaines de millions
10 dizaines milliards
11 centaines dizaines de milliards
12 milliers centaines de milliards
13 myriades billions
14 dizaines de myriades dizaines de billions
15 centaines de myriades centaines de billions
16 milliers de myriades billiards

Équivalents des nombres premiers et seconds dans le système de Nicolas Chuquet.

Archimède continue de même pour définir les nombres troisièmes et ainsi de suite. Il atteint les limites du système de Nicolas Chuquet, soit le nonillion, avec la centaine de myriade des nombres septièmes du premier ordre ! Il continue jusqu’aux nombres huitièmes :

Qu’une myriade de myriades des nombres seconds soit appelée l’unité des nombres troisièmes ; comptons par ces unités, et par les dizaines, les centaines, les milles, les myriades de ces mêmes unités, jusqu’à une myriade de myriades ; qu’une myriade de myriades des nombres troisièmes soit appelée l’unité des nombres quatrièmes ; qu’une myriade de myriades de nombres quatrièmes soit appelée l’unité des nombres cinquièmes, et continuons de donner des noms aux nombres suivants…

Archimède appelle « première période », les nombres qu’il a définis jusqu’aux nombres huitièmes et commence une seconde période :

Quoique cette grande quantité de nombres connus soit certainement plus que suffisante, on peut cependant aller plus loin. En effet, que les nombres dont nous venons de parler soient appelés les nombres de la première période, et que le dernier nombre de la première période soit appelé l’unité des nombres premiers de la seconde période. De plus qu’une myriade de myriades des nombres premiers de la seconde période soit appelée l’unité des nombres seconds de la seconde période…

En faisant des calculs d’ordre de grandeurs, pour l’univers, tel qu’il était vu à son époque, Archimède trouve :

il s’ensuit que le nombre des grains de sable contenus dans une sphère aussi grande que celle des étoiles fixes supposée par Aristarque, est plus petit que mille myriades des nombres huitièmes.

Cela fait beaucoup plus que l’on ne peut compter dans le système de Nicolas Chuquet d’origine, puisque ce nombre est égal à 1 suivi de 63 zéros ! Si on le prolonge par des décillions valant chacun un million de nonillions, ce nombre est égal à 1000 décillions. On peut comparer au nombre estimé d’électrons de l’univers, qui est égal à 1 suivi de 81 zéros, ce que l’on note 1081. Dans le système d’Archimède, ce nombre vaut une dizaine des nombres troisièmes de la seconde période.

Le problème de Napoléon

Le problème de Napoléon que nous voulons évoquer ici n’est pas d’ordre militaire ou climatique, comme celui qui lui fit oublier qu’il pouvait faire froid en Russie en hiver. Non, il est d’ordre mathématique, de géométrie très classique.

L’énoncé du problème

Le voici : un cercle étant donné (sans son centre), il s’agit de le trouver en utilisant seulement un compas (donc sans la fameuse règle des constructions usuelles). Pour ceux qui s’intéressent à cette question d’un autre temps, le petit dessin qui suit montre comment s’y prendre.
Ce dessin résume la construction du centre du cercle : on choisit A sur le cercle puis on construit les points B, C, … jusqu’à G qui est le centre cherché.

Un intérêt marqué pour les sciences

L’intérêt que portait Bonaparte aux sciences ne se limitait pas à ce problème dont on ne sait si la solution ci-dessus est de lui ou non. Sous son règne, les sciences étaient à l’honneur et les scientifiques aussi. Ainsi, le grand mathématicien Joseph Fourier fut aussi préfet de l’Isère. A ce titre, on lui doit la route de Grenoble à Briançon passant pas le col du Lautaret. L’appétit de Napoléon pour les sciences ne prit pas fin avec son règne puisqu’il emporta une vraie bibliothèque scientifique dans l’île de Sainte Hélène, dont le cours de mathématiques de Sylvestre-François Lacroix, qu’il annota de sa main.

Le cercle de Conway

John Horton Conway, né le 26 décembre 1937 et mort lors de la pandémie de Coronavirus le 11  avril 2020, est l’un des mathématiciens les plus originaux du XX° siècle. Il est particulièrement connu pour sa création du jeu de la vie, qui est déjà l’objet d’un article de ce blog.

Un cercle dans un triangle

En pleine époque des maths modernes, le malicieux Conway a découvert une propriété du triangle qui aurait pu l’être par Euclide, trois siècles avant notre ère.

Soit ABC un triangle, ab et c les longueurs des côtés BC, CA et AB. On prolonge les côtés comme indiqué sur la figure, on obtient ainsi six points notés de petits ronds sur la figure. Conway a découvert que ces six points appartenaient à un même cercle, appelé depuis cercle de Conway du triangle ABC en son honneur.

Analyse : centre du cercle de Conway

En supposant que ce cercle existe, on démontre en considérant les couples de points venant du même sommet que son centre appartient à chacune des bissectrices du triangle ABC. Il s’agit donc du centre du cercle inscrit I.

Synthèse : cercle de Conway

On considère les bissectrices PP’, QQ’ et RR’ du triangle ABC et le cercle de centre I passant par l’un des points verts. On démontre de proche en proche qu’il passe par tous les points verts puisque les droites PP’, QQ’ et RR’ sont les médiatrices des couples de points verts contigus.

L’inversion et la chasse au lion

Hector Pétard, gendre du divin Bourbaki, mathématicien de génie, sut appliquer les transformations géométriques les plus abstraites à des domaines aussi concrets que la cynégétique.

La chasse au lion

Le lion est un animal constamment sur ses gardes. Comment l’attraper vivant sans éveiller ses soupçons ? Hector Pétard, illustre mathématicien du XXe siècle, apporta des réponses magistrales à ce problème. La principale concerne la géométrie.

L’idée géniale d’Hector Pétard pour chasser le lion sans danger est de disposer d’une cage dans laquelle il s’enferme seul. A l’instant initial, le lion est donc à l’extérieur. Il opère alors une transformation échangeant intérieur et extérieur de la cage. De ce fait, le lion se trouve dans la cage et lui à l’extérieur. L’idée générale étant trouvée, quelle cage et quelle transformation utiliser ?

L’étude des transformations géométriques donne la solution : la cage doit être sphérique et la transformation, une inversion, dont on comprend à ce propos le nom. Il s’agit d’inverser cage et monde extérieur !

La transformation qui à M associe M’ vérifiant : OM.OM’=R² échange extérieur (en vert) et intérieur (en orange) de la sphère de centre O et de rayon R.

Capture du lion

Prenez une inversion à effet limité afin d’éviter la surpopulation dans votre cage. Placez-la à proximité du lion, avec vous à l’intérieur. Opérez l’inversion. Vous vous trouvez à l’extérieur, et le lion à l’intérieur. Malgré la simplicité de la méthode, nous vous conseillons toutefois de l’essayer d’abord sur un chat domestique avant de vous lancer dans la chasse au lion. Je décline toute responsabilité en cas d’accident de chasse.

Cette méthode fait honneur à l’esprit mathématique le plus abstrait. Mais le génie d’Hector Pétard ne s’arrêtait pas là. Il sut imaginer des méthodes purement physiques, par exemple celle-ci que nous vous conseillons : un lion est de masse non nulle si bien qu’il a des moments d’inertie. Attendez l’un d’eux. Quand il se produira, vous n’aurez aucun mal à l’attraper !

L’humour mathématique

 

Ralph P. Boas (1912-1992), chasseur de lions

Cet article sur la chasse au lion est un exemple caractéristique d’humour mathématique. Celui-ci frise souvent l’absurde. Hector Pétard est le pseudonyme de Ralph P. Boas. Ses articles les plus cocasses ont été rassemblés par la Mathematical Association of America dans Lion hunting & other mathematical pursuits. Contemporain de la grande époque Bourbachique (1930-1960), il s’est imaginé converger en justes noces avec la fille du maître polycéphale. Son faire-part de mariage évoque ce temps béni des structures abstraites. Ma vocation de vulgarisateur des mathématiques est née de leurs dégâts collatéraux, quand leurs prosélytes ont créé un enseignement « moderne » des mathématiques, oubliant leurs applications. Nous dédions cette sonnerie aux morts à notre magistral chasseur de lions.

Faire-part de mariage de Betti Bourbaki

Monsieur NICOLAS BOURBAKI, Membre Canonique de l’Académie Royale de Poldévie, Grand Maître de l’Ordre des Compacts, Conservateur des Uniformes, Lord Protecteur des Filtres, et Madame, née BIUNIVOQUE, ont l’honneur de vous faire part du mariage de leur fille BETTI avec Monsieur HECTOR PETARD, Administrateur Délégué de la Société des Structures Induites, Membre Diplômé de l’Institute of Class Field Archeologist, secrétaire de l’Œuvre du Sou du Lion.

Monsieur ERSATZ STANISLAS PONDICZERY, Complexe de Recouvrement de Première Classe en retraite, Président du Home de Rééducation des Faiblement Convergents, Chevalier des Quatre U, Grand Opérateur du Groupe Hyperbolique, Knight of the Total Order of the Golden Mean, L.U.B., C.C., H.L.C., et Madame, née COMPACTENSOI, ont l’honneur de vous faire part du mariage de leur pupille HECTOR PETARD avec Mademoiselle BETTI BOURBAKI, ancienne élève des Bien Ordonnées de Besse.

L’isomorphisme trivial leur sera donné par le P. Adique, de l’Ordre des Diophantiens, en la Cohomologie principale de la variété universelle le 3 Cartembre, an VI, à l’heure habituelle.

L’orgue sera tenu par Monsieur Modulo, Assistant Simplexe de la Grassmannienne (lemme chanté par la Schola Cartanorum). Le produit de la quête sera versé intégralement à la maison de retraite des Pauvres Abstraits. La convergence sera assurée. Après la congruence, Monsieur et Madame BOURBAKI recevront dans leurs domaines fondamentaux. Sauterie avec le concours de la fanfare du 7e Corps Quotient. Tenue canonique (idéaux à gauche à la boutonnière)

C.Q.F.D.

 

(Henri) Quatre sur (le pont) Neuf

Prenez un mot de neuf lettres, comme « minutieux », brouillez-les, vous obtenez par exemple XNIIMTUEU. Écrivez-le dans ce nouvel ordre dans un carré 3 par 3 :

Une grille de quatre sur neuf.

Nous avons ainsi formé une grille de notre jeu quatre sur neuf. Le but est maintenant de trouver un maximum de mots français de quatre lettres contenant la lettre centrale (en bleu, ici M) en un minimum de temps. Les accents ne comptent pas, ainsi mute et muté sont considérés comme le même mot.

Si on commence par les mots dont la première lettre est M, nous trouvons rapidement : mite, mine, mixe, mute, muni, muet, meut, etc. Nous pouvons continuer en essayant de placer M dans une autre position : émut, etc.

Quelle est la meilleure stratégie possible ? Chacun la sienne sans doute mais le jeu demande manifestement des qualités de lecture d’un pavé de trois lettres sur trois. Comment voir les chemins intéressants ? Il demande aussi de considérer les digrammes selon leurs fréquences. Par exemple, ici, « en » et « un » sont fréquents donc à considérer pour gagner du temps.

Combien existe-t-il de solutions pour cette grille ? La question est ouverte et la réponse dépend du dictionnaire utilisé. Peut-on trouver une grille sans solution ? Avec une seule ? Deux, etc. ? Toutes ces questions sont ouvertes cher lecteur… et attendent vos réponses. On comprendra, par exemple, que de partir d’un mot de neuf lettres assure la présence de lettres, digrammes et trigrammes relativement fréquents… et donc augmente le nombre de solutions.

Pour vous exercer

Il est facile de créer d’autres grilles, et de même de créer un logiciel pour jouer à ce jeu en français.

On part d’une liste de mots de neuf lettres (il en existe plus de 50 000), d’un générateur de permutations aléatoires d’un ensemble à neuf éléments puis d’un dictionnaire pour vérifier les solutions trouvées. Il reste à ajouter une horloge pour augmenter le stress du joueur. Attention avant de créer ce jeu : il est hautement addictif et son abus peut provoquer de graves ennuis de santé !

Le postulat d’Euclide et la courbure de l’espace

Dans Les Eléments, Euclide pose plusieurs axiomes et définitions de la géométrie plane puis démontre un certain nombre de théorèmes. Entre les deux, il postule que, par un point donné, il passe une et une seule parallèle à une droite donnée. En apparence, il s’agit d’un théorème sans preuve. Des générations de mathématiciens ont essayé de le démontrer sans jamais y arriver. Avant d’analyser la question, il est nécessaire de revenir sur les axiomes d’Euclide.

Les axiomes d’Euclide

Il serait fastidieux de passer en revue les axiomes et les définitions de la géométrie plane d’Euclide. Pour en comprendre l’origine, il suffit de revenir au mythe de la caverne, une allégorie où Platon estime que le monde réel est rempli d’objets dont les modèles sont ailleurs, dans le monde des idées. De la même façon, les points, droites et angles d’Euclide sont les idées des points, droites et angles réels tels qu’un maçon les utilise. Qu’est-ce qu’une droite ? Pour le comprendre, faites comme le maçon. Prenez une corde et deux piquets. Plantez les deux piquets et tendez la corde. Vous réalisez ainsi le plus court chemin entre eux.

En tendant une corde entre deux piquets, on obtient une droite.

Avec la même méthode et trois piquets, vous fabriquez un triangle donc trois angles.

En tendant une corde entre trois piquets, on obtient un triangle Mesurez les angles et faites-en la somme. Comme vous connaissez déjà le résultat, vous trouverez 180°.

Une preuve sous condition

Une petite figure suffit pour démontrer ce résultat. Pour la tracer, en plus de notre corde et de nos piquets, munissons-nous d’un rapporteur capable de reporter un angle donné le long d’une droite, en un point.

Considérez un triangle ABC, prolongez le côté AB en BE et du point B, en utilisant le rapporteur, portez la droite BD de sorte que l’angle CBD soit égal à l’angle ACB (en rouge tous les deux). De même, portez la droite BD’ de façon que l’angle EBD’ soit égal à l’angle BAC (en bleu).

En B, on reporte les angles en rouge et en bleu, on obtient deux droites BD et BD’. D’après le postulat d’Euclide, ces droites sont confondues. Les angles du triangle ABC se retrouvent donc en B et forment un angle plat c’est-à-dire 180°.

Les droites BD et BD’ sont parallèles à la droite AC (les angles rouges et jaunes sont alternes internes). Elles sont donc identiques puisque, d’un point, on ne peut tracer qu’une parallèle à une droite donnée. Les trois angles du triangle ABC se reportent ainsi en B pour former un angle plat, c’est-à-dire 180°. Nous avons ainsi démontré que la somme des angles d’un triangle est égale à 180° … si le postulat d’Euclide est vrai.

L’idée qui dépostule

Quand on dessine la figure précédente sur une feuille de papier, les droites BD et BD’ sont confondues. Coupons le papier le long de la demi-droite BD et déplaçons BD’ sur BD, la feuille se courbe. Elle devient comme un sommet de montagne et la somme des angles du triangle, supérieure à 180°. Au contraire, en écartant BD’ de BD, la feuille se courbe dans l’autre sens. Elle devient comme un col de montagne et la somme des angles du triangle, inférieure à 180°.

Triangle sur la sphère

Pour développer cette idée, reprenons les axiomes d’Euclide sans le postulat en nous plaçant avec nos piquets, notre corde, notre rapporteur et nos définitions sur une sphère. Le plus court chemin entre deux points est obtenu en suivant l’arc de grand cercle entre eux.

Ligne droite sur une sphère.

Sur une sphère, deux grands cercles se coupent toujours. Autrement dit, deux droites ne sont jamais parallèles ! Le postulat d’Euclide y est faux et notre démonstration lumineuse aussi. Dans ce cas, les deux droites BD et BD’ ne se recoupent pas, l’angle DBD’ n’est pas nul. La somme des angles du triangle est donc supérieure à 180°. Pour vous en convaincre davantage, prenez un globe terrestre miniature, deux points sur l’équateur et dessinez le triangle formé avec l’un des pôles. La somme de ses angles est égale à 180° plus l’angle au pôle, elle est donc strictement supérieure à 180°.

Triangle sur une sphère. En mesurant ses angles, on montre que leur somme est supérieure à 180°.

Triangle sur une selle de cheval

Si nous nous plaçons sur une surface différente comme un col de montagne ou une selle de cheval, la somme des angles d’un triangle devient inférieure à 180°. Sur la figure de notre démonstration, les droites BD et BD’ se couvrent.

Un triangle sur une selle de cheval.

Les surfaces comme les plans, les cylindres ou les cônes où la somme des angles d’un triangle est égale à 180° sont dites de courbure nulle, celles comme la sphère ou les ellipsoïdes où la somme des angles est supérieure à 180°, de courbure positive et celles comme la selle de cheval où la somme des angles est inférieure à 180°, de courbure négative. Ces surfaces ne sont pas des plans euclidiens.

Aire d’un cercle

De même, grâce à un piquet et une corde, sur toute surface, nous pouvons tracer un cercle de rayon R. Si la courbure de la surface est nulle, son aire est égale à p R2. Si elle positive, elle est inférieure, sinon elle est supérieure.

Courbure d’un espace

Notre vision en trois dimensions nous permet d’admettre facilement ces résultats. Imaginons des êtres plats « collés » sur une surface de dimension deux pour lesquels, elle serait l’univers entier. Incapable d’en sortir, il ne verrait pas sa courbure. Il pourrait cependant tracer un triangle, mesurer ses angles et déterminer ainsi si son univers a une courbure positive, négative ou nulle.

De même, un extraterrestre vivant et voyant dans un monde en dimension quatre pourrait « voir » la courbure de notre univers. Nous y sommes trop englués pour cela. Le même phénomène existe pourtant et nous pouvons le tester : il suffit de mesurer le volume d’une sphère ou la somme des angles d’un triangle. Jusqu’à présent, les mesures effectuées font penser que notre univers est de courbure quasiment nulle.