Mon premier contact avec les travaux de Stephen Hawking remonte à 1975, année où j’ai quitté mes études de mathématiques pures à l’Université de Marseille pour suivre un D.E.A. de physique théorique et de cosmologie à la faculté de Montpellier sous la direction du professeur Andrillat. De fait je n’ai guère fréquenté les cours, car durant les précédentes vacances d’été j’avais déjà lu et assimilé l’excellente monographie sur la relativité générale et la cosmologie qu’Andrillat avait publiée en 1970. Du coup, j’ai pris l’initiative de me lancer dans la lecture de deux tout nouveaux ouvrages de haut vol parus en 1973 : The large scale structure of space-time de Stephen Hawking et George Ellis, et Gravitation de Charles Misner, Kip Thorne et John Wheeler. Ces livres émanant des deux grandes écoles anglo-saxonnes de physique théorique de l’époque, celle de Cambridge en Angleterre et celle de Princeton aux Etats-Unis, allaient vite devenir de vraies bibles de la discipline, en traitant la théorie d’Einstein selon des angles différents mais complémentaires.
Si la partie technique de ces livres était trop ardue pour ma formation de l’époque, j’en avais quand même retiré un immense intérêt pour les méthodes de physique mathématique développées par l’école de Cambridge, créée par Dennis Sciama dans les années 1960 et dont les plus remarquables disciples étaient Roger Penrose, Stephen Hawking, Brandon Carter et George Ellis. Ces méthodes permettaient notamment de traiter de manière originale des sujets comme la structure globale de l’espace-temps, les propriétés des trous noirs et les singularités inhérentes à la théorie de la relativité générale.
A la fin de cette année de DEA j’ai d’ailleurs rédigé un gros mémoire intitulé « Groupes d’isométries en relativité générale ». C’était en fait de la pure « géométrie différentielle » appliquée à la théorie gravitationnelle d’Einstein, directement inspirée par la lecture du livre de Hawking et Ellis. C’est alors que le professeur Andrillat m’a vivement conseillé d’aller poursuivre mes études à l’Observatoire de Paris-Meudon, où existait depuis peu un « Groupe d’astrophysique relativiste ». Recruté par le CNRS, Brandon Carter venait de quitter Cambridge pour en prendre la direction, et il sut faire confiance au jeune étudiant enthousiaste que j’étais. Collègue et ami personnel de Stephen Hawking, il m’a dirigé vers un sujet de thèse riche mais complexe concernant les singularités qui apparaissent dans certains modèles de la cosmologie relativiste. C’est ainsi que l’on désigne les points de l’espace-temps où certains paramètres physiques deviennent infinis. Le centre des trous noirs est une singularité de l’espace-temps, un point où la gravité devient infinie, ainsi que le début de l’Univers tel qu’il est décrit par la théorie du Big Bang. Par essence, on ne peut appréhender les singularités avec les outils de l’astrophysique, seulement avec ceux de la physique mathématique. Hawking et Penrose avaient justement démontré l’occurrence inévitable de singularités en relativité générale, moyennant quelques hypothèses plausibles. Ce sujet me convenait parfaitement !
Au bout d’un an, j’ai obtenu une bourse du British Council me permettant d’aller travailler trois mois à l’université de Cambridge, dans le laboratoire de Stephen Hawking. Il était déjà connu dans le petit monde des physiciens mais sans plus, et j’étais très impressionné d’avoir un bureau au DAMTP (Department of Applied Mathematics and Theoretical Physics), laboratoire prestigieux situé à l’époque dans une ancienne usine reconvertie, rue Silver Street. Encore plus impressionné le premier jour où, assistant à un séminaire au DAMTP, j’ai vu arriver Stephen Hawking en fauteuil roulant, la tête inclinée de côté, rictus sur le visage mais le regard toujours extraordinairement vif.
Dans les mois qui ont suivi j’ai eu l’occasion de mieux connaître Stephen. Je me souviens notamment d’un repas à la cantine de l’université, montrant les extraordinaires difficultés auxquelles Stephen était en permanence confronté pour accomplir les actes les plus simples de l’existence. Je me souviens aussi du jour où, voulant assister à un séminaire se tenant loin du DAMTP et nécessitant un déplacement en voiture, Stephen avait demandé si je pouvais le conduire avec mon propre véhicule. Je l’avais donc soulevé de son fauteuil roulant et pris dans mes bras pour le déposer sur le siège avant, m’étonnant de son poids qui ne devait guère dépasser les 40 kilos. Mais mon incapacité à communiquer vraiment avec lui était embarrassante. A cette époque en effet son élocution était déjà fortement altérée par sa maladie, de sorte que seules les personnes le connaissant très bien pouvaient comprendre ses paroles, ce qui pouvait créer des malentendus. Continuer la lecture