Archives pour l'étiquette asile psychiatrique

Contes de l’Outre-temps (2) : Le pavillon 39

Suite de la série de brèves nouvelles fantastiques écrites au fil du temps, que j’envisage de réunir en un recueil intitulé  “Contes de l’Outre-temps”.  Celle-ci est largement inspirée d’un texte inédit de mon ami d’enfance Philippe André, devenu psychiâtre à la clinique Saint-Martin de Vignogoul, dans l’Hérault.

Le pavillon 39

A Philippe André

 

Ce matin, le parc de l’hôpital psychiatrique est encore somnolent lorsque je m’engage dans le sentier qui mène au pavillon 39. Petits pas rapides, je dois me hâter. L’heure de la promenade générale va bientôt sonner. Je ne voudrais rencontrer personne.

Je m’impose cette marche quotidienne dans l’espoir de perdre de l’énergie et diminuer mon obésité. Ce gras est un handicap pour moi et une gêne pour les autres. Je m’en rends parfaitement compte. Ils ne peuvent jamais me regarder en face. Hélas, je sais aussi que le déficit en sueur sera compensé par les boissons que j’ingurgite tout au long de la journée. J’ai une passion sans limites pour l’ingestion d’eau glacée. Le docteur André m’a dit en riant que j’étais atteint de potomanie.

L’herbe est humide. Après quelques minutes de marche, mes pieds sont trempés par la rosée. Jadis, les alchimistes recueillaient à l’aube ces perles d’eau pure, inlassablement, chaque jour. Le millième matin, les gouttes mises en fioles devenaient élixir de longue vie.

J’ai lu aussi, dans une revue de la salle d’attente du pavillon 39, que des astronomes ont détecté des molécules d’eau dans l’espace entre les étoiles. Moi, j’ai juste impression d’en avoir un litre dans chaque chaussure. Je sais, parce que je l’ai observé à plusieurs reprises, que lorsque j’ôterai mes souliers pour vider toute cette eau, je n’en retirerai qu’une paire de chaussettes déteintes. Et alors de quoi aurais-je l’air au pavillon ?

Aussi loin que je m’en souvienne, mon psychisme n’a jamais été solidaire du reste de mon corps. Je ne vis que de façon morcelée dans l’une ou l’autre de ses parties. Pour l’heure je vis dans mes pieds. Je suis mes pieds. Tout à l’heure je serai un doigt, ou un de mes cheveux, ou peut-être une autre région moins avouable. Continuer la lecture