Le 11 octobre 2017 j’ai été invité à prononcer le discours d’ouverture de la 18e Fête des Vendanges de Montmartre, sur le thème des Lumières. J’ai fait précéder mon discours d’un court montage vidéo des plus belles images astronomiques entrelacées avec des reproductions de quelques-unes de mes œuvres graphiques, et illustré musicalement par une pièce d’Astor Piazzolla.
La vidéo est sur YouTube :
Je reproduis ci-dessous mon discours, à la fois hommage au grand poète persan du XIe siècle Omar Khayyam qui a si bien su chanter le ciel autant que le vin et l’amour, et aux merveilleuses découvertes de l’astrophysique contemporaine.
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J’entends dire que les amants du vin seront damnés.
C’est un mensonge évident.
Si les amants du vin et de l’amour vont en Enfer,
Alors le Paradis est aussi vide que la paume de ma main
Donc, bois du vin… C’est lui la vie éternelle,
C’est le trésor qui t’est resté des jours de ta jeunesse :
La saison des roses et du vin, et des compagnons ivres !
Sois heureux un instant, cet instant c’est ta vie.
Bois du vin, car tu dormiras longtemps sous la terre
Seul sans ami, sans camarade et sans femme ;
Surtout, ne dévoile ce secret à personne :
Les tulipes fanées ne refleurissent jamais.
Certains d’entre vous auront peut-être reconnu quelques-uns des fameux Quatrains d’Omar Khayyam, cet immense astronome, mathématicien et poète persan qui vécut entre 1048 et 1131 – il y a donc près de mille ans. Khayyam, considéré comme l’un des plus grands astronomes et mathématiciens du Moyen-Âge – il a notamment dirigé l’Observatoire de Boukhara – était fondamentalement un sceptique, et il a beaucoup raillé la prétention des savants à vouloir déchiffrer seuls l’énigme du ciel.
L’un des ses Quatrains les plus célèbres et que j’aime personnellement beaucoup affirme par exemple :
Ces perceurs maladroits des perles du savoir
Ont dit de l’univers tout ce qu’ils ont cru voir;
Ils n’ont fait, ignorants du mystère du monde,
Qu’agiter le menton avant le grand sommeil noir.
Pour Khayyam, l’homme n’est qu’un pion sans importance sur l’échiquier cosmique. Mieux vaut donc s’adonner aux plaisirs éphémères mais certains du vin et de l’amour. 464 de ses quatrains sont ainsi dédiés au vin !
Mille ans plus tard, ces réflexions philosophiques paraissent toujours d’une sage actualité, du moins en ce qui concerne l’usage du vin et de l’amour. Même si je crains personnellement que dans un futur déjà en préparation, les chantres d’une future société Orwellienne à la Big Brother et à la pensée correcte, qui agissent et sévissent déjà plus ou moins dans l’ombre tout autour de nous, tenteront d’interdire les usages non normés (selon leurs propres critères, notamment transhumanistes) du vin et de l’amour.
Pour ma part, en tant que chercheur professionnel, tout en gardant raison sur les limites de l’investigation scientifique, je ne partage pas la vision désabusée qu’Omar Khayyam se faisait de la recherche scientifique. Certes, nous ne savons encore pas grand chose des mystères de l’univers, mais au moins nous en savons déjà beaucoup plus qu’il y a mille ans. Nous en savons même beaucoup plus qu’il y a seulement 50 ans, tant les progrès des théories et des technologies d’observation ont été fulgurants. Et comment ne pas s’enthousiasmer pour les récentes découvertes d’exoplanètes, de trous noirs, d’ondes gravitationnelles ?
Pour rattacher des récentes découvertes astronomiques à la présente fête des Vendanges de Montmartre, savez-vous par exemple que les développements de l’astronomie dite infra-rouge a récemment permis de mieux étudier la composition chimique du milieu interstellaire – cette matière gazeuse et diffuse qui remplit l’espace entre les étoiles, et dont vous venez d’apprécier sans doute les splendides images. Hé bien il s’avère que ce milieu interstellaire n’est pas seulement rempli d’atomes simples comme l’hydrogène ou le fer, mais de molécules carbonées complexes. En particulier, l’espace est un énorme réservoir d’alcool éthylique – dont la formule chimique, C2H5OH, montre qu’il s’agit déjà d’une molécule complexe. On a ainsi estimé que dans chaque grand nuage d’hydrogène de notre Galaxie il y avait l’équivalent en alcool de dix milliards de milliards de milliards de bouteilles d’armagnac !
Beaucoup plus près de nous, il y a les comètes, ces vagabondes du ciel qui errent dans notre système solaire et se rapprochent parfois de notre planète en déployant de magnifiques traînées de gaz – les chevelures. En 2015, la comète nommée Lovejoy a été étudiée à l’aide d’un radiotélescope géant, qui a dévoilé sa composition chimique. Parmi les molécules détectées, on a pour la première fois découvert dans une comète la présence simultanée d’alcool éthylique (C2H5OH) et de glycolaldéhyde (CH2OHCHO), qui est un sucre. Alcool éthylique plus sucre, quoi de mieux pour commencer à envisager une cuvée cométaire ? Oh bien sûr ce ne serait pas un grand cru, et il n’y aurait pas de belles grappes de raisin à vendanger…
Mais cela ne nous invite-il pas justement à apprécier à sa juste valeur l’excellence du cru bien terrestre dont nous fêtons ce soir la venue ?
Pour terminer je redonne la parole à Omar Khayyam avec ces deux magnifiques vers :
“Le vin donne des ailes à ceux qui sont atteints de mélancolie
Le vin est un grain de beauté sur la joue de l’intelligence”.
Merci !
Bonjour !
Ce matin, aux aurores, c’est un plaisir, sous mon arbre, de rédiger ce commentaire.
Par Dionysos, quelle histoire ! Notre ménestrel des étoiles, en habit de fantaisie, vient nous servir à boire, sous la tonnelle où « la grappe d’automne devient un lustre qui brille, cachée d’abord par la pudique feuille de vigne, » comme l’écrivait merveilleusement Gaston Bachelard.
Si écrire un commentaire, au fin fond de sa campagne, c’est vouloir tenir la dragée haute au chercheur professionnel ou se donner l’occasion de montrer sa relative érudition, eh bien, mon bon seigneur, autant aller se recoucher bien vite ! Si, au contraire, c’est danser la farandole avec la fée Dragée pour essayer d’extraire de la ballade du maestro, un suc fortifiant et régénérateur, pourquoi diantre, ne point tenter l’aventure ?
Le onze octobre dernier, j’ai préparé un mélange, sorte de miscellanées de feuilles et de boissons pour faire un sirop. Dans un faitout au coin du jardin, c’est en train de macérer et chaque jour, je remue un peu la mixture.
Une recette qui m’a été donnée la veille par des amis, à trois lieues d’ici et chez lesquels, je suis allé déjeuner dans leur dépendance d’un vieux château acheté par des anglais et, maintenant, en vente sur Internet.
Un jour, peut-être, il sera bon à boire avec des gens qui savent le boire, je veux dire qui se souviennent…
Pour l’heure, revenons, s’il vous plaît, au Robaïyat de l’astronome persan.
Quelle ne fut pas la joie d’un ami correspondant de longue date, un jour, d’apprendre que son livre, une adaptation établie et présentée par ses soins des quatrains d’Omar Khayyam, était mentionné par Bernard Pivot dans son « Dictionnaire amoureux du vin » !
Ce brave homme, spécialiste de Spinoza, qui écrivait si bien, me reçut, un jour, chez lui dans son joli manoir sur la côte atlantique. C’était en début août deux mille sept. Heureux de me rencontrer après tant d’années de correspondances, et tout ému, il renversa même sur le parquet, le plateau de vin fin, qu’il s’était empressé de préparer pour son visiteur inattendu.
Dix-huit ans plus tôt, le physicien Bernard d’Espagnat m’avait orienté vers lui, son ami des humanités. Je voulais lui parler de vive voix avant d’accueillir, cette année-là, fin août 2007, l’auteur de « Notre existence a-t-elle un sens ? » qui, s’étant invité à la maison, donna pour l’occasion une conférence au village.
Un autre quatrain du poète astronome :
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« Il faut vivre et aimer sous la céleste sphère
Et savourer le jus de la treille avant tout !
Terrien, agis en homme habitant sur la Terre
Non comme si, déjà, tu habitais dessous ! »
L’homme qui pense et vit avec la science, un esprit fin qui a beaucoup apprécié, un jour, le vin moelleux que votre serviteur lui a fait porter par un auteur parisien, a écrit ces lignes pleines de bon sens et qu’il ne messied pas en tel commentaire de reproduire :
« Dionysiaque, apollinien…le vieux dilemme demeure actuel, mais il est faux : il convient d’être l’un et l’autre. Avec cependant une révérence particulière pour Apollon, qui symbolise la structure vraie probable de la réalité voilée : Dionysos montre seulement – me semble-t-il – quelques chemins agrestes montant vers elle. Dommage que la mode soit à la vision inverse ; celle d’un ordre fugace et d’un chaos fondamental. Ceux qui défendent cette opinion confondent l’événement, concret mais « trop humain » avec la structure stable sous-jacente que laissent entrevoir les lois fondamentales. Si l’étude des fondements les avait retenus, l’événement leur apparaîtrait comme purement phénoménal ; ce désordre, dont ils font grand cas, ce n’est pas l’élément ultime de l’Être mais, l’irisation d’un phantasme qui à bon droit nous est très cher. (Fin de citation)
Et comment de nouveau ne point citer Gaston Bachelard dans « Études » ? _ :
« Mon être, c’est ma résistance, ma réflexion, mon refus (…) C’est par le renoncement que le monastère est une communauté. En fait, nous ne sommes originaux que par nos fautes. Nous ne sommes vraiment des êtres que par une rédemption. Cette rédemption a un sens foncièrement créateur. Une faute est toujours un déficit d’être. L’effort métaphysique pour saisir l’être en nous-mêmes est toujours une perspective de renoncements. Où trouver alors le sujet pur ? »
De l’Olympe au cybersexe, l’érotisme. Une terra incognita à conquérir et à humaniser, peut-être…
Écart, durée, médiation : l’érotisme comme croyance, quelque chose comme une religion immanente pour notre planète, sorte d’échappée physique pour l’éternité (Pierre-Marie de Biasi).
Élisa, Élisa, où vont de tels mots, vers quel incertain rivage ?
Et voici le fameux substantif arrivant en force dans vos florilège et discours, Monsieur Luminet.
Dans un chapitre sur le réel voilé (A la recherche du réel, page 100), le physicien aime à revisiter le personnage allégorique « Amour » du premier dialogue du Court Traité de Spinoza.
Personnage aspirant à un objet capable de le contenter pleinement, qui demande à la Raison et à l’Entendement de lui faire connaître cet objet. Juste pour nous rappeler, que Spinoza entrevoit là, une lueur qui, sous des dehors divers et des images énigmatiques, fait l’intuition majeure de toutes les cultures et de tous les temps.
Puissions-nous, un jour, trouver dans nos verres avec les mots de l’auteur de « La terre et les rêveries du repos » la dialectique du subtil et du corroborant !
Une bonne nouvelle :
Aux beaux jours, le préfacier de « La valeur inductive de la relativité » et des « Intuitions atomistiques », viendra sous mon arbre partager mon brouet, avec son épouse.
Peut-être, aimeriez-vous, cher éminent homme de science, cher Monsieur, vous joindre à nous ? Si tel est le cas, vous êtes cordialement invité. Vous pourrez à loisir deviser sur le mouvement newtonien (Newton est mentionné une bonne douzaine de fois dans le premier et deux fois dans le second) avec ce grand spécialiste universitaire de Gaston Bachelard et, votre serviteur, échanson à n’en point douter, vous laissera dans la cuisine – céans point de salon ! – pérorer en toute liberté et partira avec vos dames dans le pré voir les génisses et parler au ruisseau, comme je l’ai fait un beau jour avec Jean Lescure, abandonné au journaliste, palsambleu !
Une occasion de goûter mon sirop et de méditer sur l’esprit de vin sans se référer aux boissons de l’esprit de sel du jardinier du sérail scientifique, n’est-ce pas ?
En effet, Monsieur Jean-Marc Lévy-Leblond dans une lettre à je ne sais qui, directeur de recherches au CNRS, insérée dans « L’esprit de sel », page 192, vide sa salière :
« On ne compte plus les panacées intellectuelles sur le marché des idées : l’élixir catastrophique de Maître Thom, le Sirop de Sirop, méthodologico- biologico- ecologico-etc de l’abbé Morin, la liqueur aux extraits du réel voilé du professeur d’Espagnat (…) »
Alors, peut-être, au pays des chansons d’Aristide Bruant et de Gaston Couté, ferons-nous, demain, ensemble, d’autres vendanges pour chanter les vins du regard unissant des provinces sensibles et, dans une douce ivresse géographique, imaginer un confluent des régions séparées.
A bientôt dans la contrée…
Bien cordialement
Garo
Magnifique vidéo assemblant merveilles cosmiques et superbes lithographies ! “Oblivion” accompagne merveilleusement ce voyage.
Merci Jean-Pierre Luminet de ce moment de plaisir et des “Rubaiyat” d’Omar Khayyâm , qui décidément, me rappelle un homme de science contemporain..!
Dominique Lambert