La quadrature du cercle consiste à construire un carré de même aire qu’un cercle donné. Si le cercle a pour rayon R, il s’agit donc de construire un carré de côté R multiplié par la racine carrée du nombre Pi. On peut donc réaliser la quadrature du cercle avec une règle graduée à la précision que l’on veut.
Des règles qui changent tout
Quand le problème est apparu dans l’Antiquité, il n’était pas question d’approximations, la règle était que la construction devait être exacte. Il en existe plusieurs. L’une d’entre elle demande de faire rouler un cercle sur une droite. La voici sous forme de tableau :
En utilisant uniquement le théorème de Pythagore, on démontre que le carré est de côté racine de Pi, ce qui prouve que le carré et le cercle ont même aire (voir à la fin pour une démonstration).
Cette utilisation d’un procédé mécanique (faire rouler le cercle) ne convenait pas aux anciens, il fallait construire le carré à la règle (non graduée) et au compas. Dans ces conditions, le problème devient impossible, ce qui n’a été prouvé qu’au XIX-ième siècle en démontrant que le nombre Pi est transcendant c’est-à-dire qu’il n’est pas solution d’une équation algébrique à coefficients entiers.
De façon étonnante, un problème purement géométrique et très conditionné par des visions antiques a eu des conséquences importantes en algèbre et en analyse.
Un peu de géométrie
La figure essentielle est la suivante :
En appliquant le théorème de Pythagore dans les trois triangles rectangles HBC, HC et ABC, on obtient :
Voici une question autrefois pratique, qui reste aujourd’hui ludique. Elle suppose l’utilisation d’une balance de Roberval, qui fut inventée par Gilles Personier de Roberval (1602 – 1675). Nous en donnons le schéma mais, pour comprendre l’usage que l’on en fait, il suffit de savoir que les deux plateaux s’équilibrent quand les masses qui s’y trouvent sont égales.
Pesée binaire de Leibniz
Leibniz a montré que, si on dispose d’une série de poids dont chacun est le double du précédent, on peut réaliser toutes les pesées possibles. Pour voir comment, imaginons un objet de 713 grammes à peser avec des poids de 1, 2, 4, 8, 16, 32, 64, 128, 256 et 512 grammes. L’objet étant dans un plateau, nous commençons par placer le plus gros poids possible, c’est-à-dire celui de 512 grammes dans l’autre. Nous recommençons ensuite itérativement jusqu’à l’équilibre.
Voyons les étapes de ce processus. Le déficit est de 713 – 512 = 201 grammes. Nous utilisons alors le poids de 128 grammes (le plus gros possible). Il reste 201 – 128 = 73 grammes. Après le poids de 64 grammes, il ne reste plus que 9 grammes. Nous terminons en décomposant 9 en 8 + 1. Finalement, nous avons équilibré le poids de 713 grammes avec les poids prévus. D’un point de vue arithmétique, cela s’écrit :
713 = 512 + 128 + 64 + 8 + 1.
Ce résultat correspond à l’écriture de 713 en base deux : 713 = 29 + 27 + 26 + 23 + 20 ce que l’on peut noter : 1011001001. En base dix, nous écrivons : 713 = 7.102+ 101+ 3.100. La différence apparente est que l’écriture en base deux n’implique que des additions, pas de multiplication. En fait, il n’en est rien puisque les chiffres en base deux sont seulement 0 et 1 au lieu de 0, 1, …, 9. La propriété est générale, notre démarche prouve d’ailleurs que tout nombre s’écrit en binaire.
Pesée ternaire de Bachet
À l’occasion d’une récréation mathématique, Claude Bachet de Mériziac (1581 – 1638) a montré que, à condition d’utiliser les deux plateaux, on peut peser n’importe quel objet à l’aide d’une série de poids dont chacun est le triple du précédent. Voyons comment sur l’exemple précédent et des poids de 1, 3, 9, 27, 81, 243 et 729 grammes. L’idée précédente fonctionne si on dispose de deux poids de chaque sorte. Il suffit d’écrire 713 en ternaire. On commence par retrancher deux fois 243 à 713, il reste 227. On recommence avec deux fois 81, il reste 65. On retranche alors deux fois 27, il reste 11 ce qui fait 9 plus deux fois 1. Cette suite d’opérations fournit l’écriture ternaire : 222102 ce que l’on peut écrire : 713 = 2.35 + 2.34 + 2.33 + 32 + 2.30. Pour conclure, l’idée essentielle est d’éliminer les 2 du membre de droite de cette égalité en remarquant que : 3 = 2 + 1. Plus précisément : 713 + 35 + 34 + 33 + 30 = 36 + 35 + 34 + 32 + 31 ce qui se simplifie en : 713 + 33 + 30 = 36 + 32 + 31, c’est-à-dire en : 713 + 27 + 1 = 729 + 9 + 3. Il suffit donc de disposer des poids de 27 et 1 grammes dans le plateau de gauche et de 729, 9 et 3 grammes dans celui de droite.
L’un des problèmes pour construire des fortifications à l’époque de Vauban (1633 – 1707) était :
Comment défiler une fortification des tirs de l’ennemi ?
Le verbe « défiler » doit s’entendre ici au sens commun de « se défiler ». Comment cacher l’intérieur d’un ouvrage aux vues et aux tirs de l’agresseur ? Bien entendu, il suffit de bâtir partout des remparts assez hauts. L’ennui est que la hauteur fragilise les remparts. Le tout doit rester équilibré. Sur le terrain, les bons ingénieurs comme Vauban savaient défiler leurs ouvrages mais comment s’y prendre à partir d’un simple plan côté ?
La géométrie descriptive
Gaspard Monge (1746 – 1818) inventa la géométrie descriptive pour résoudre ce problème. De façon générale, elle permettait d’étudier certains objets de l’espace comme l’intersection de deux tores dans l’épure qui suit. Le résultat pouvait être très esthétique, comme on peut le voir dans ce cas.
Les déblais et remblais
Le même Monge, sans doute également motivé par la construction de fortifications, publia un Mémoire sur la théorie des déblais et des remblais où il se proposait de résoudre un problème très concret : comment déplacer des tas de sable vers un certain nombre de destinations de la manière la plus économique possible ?
Ici il s’agit de déblayer la zone de gauche pour remblayer celle de droite (ou l’inverse puisque les deux problèmes sont équivalents). Dans son mémoire, Monge étudie ce problème mais ne le résout pas dans sa généralité. Voir l’article d’Étienne Ghys dans Image des mathématiques.
Le transport optimal
Ce problème se généralise en problème du transport optimal : comment un fournisseur peut-il livrer un certain nombre de points de vente de façon à minimiser ses coûts ? Le problème de Monge a ainsi été redécouvert par Léonid Kantorovitch (1912 – 1986) qui obtint le prix Nobel d’économie en 1975 pour ses avancées sur la question en ouvrant un nouveau domaine, celui de la programmation linéaire. Plus récemment, Cédric Villani (né en 1973) a obtenu la médaille Fields en revisitant le problème du transport optimal en le rapprochant du problème de la diffusion des gaz. Cette capacité de rapprochement entre des domaines a priori différents est un marqueur des grands mathématiciens.
La notion d’enveloppe de droites recouvre deux notions en général équivalentes. D’un côté, il s’agit d’une courbe séparant deux domaines entre eux, de l’autre une courbe tangente à toutes les droites. La seconde se prête mieux au calcul.
Exemple d’une porte d’autobus
Prenons un exemple concret, celui d’une porte d’autobus coulissante à deux battants s’ouvrant selon le schéma :
La projection sur le sol de la porte de droite (sur la figure) est un segment qui définit une droite coupant deux droites perpendiculaires selon un segment AB de longueur constante (celle de la porte entière).
Apparition d’une enveloppe
Il est facile de tracer un grand nombre de segments AB en faisant varier l’angle t de 0 à 90° on voit alors apparaître une courbe en négatif : leur enveloppe.
Si on fait varier l’angle t de 0 à 360°, on obtient une courbe en forme d’astre, appelée pour cela astroïde.
Point de Monge
Gaspard Monge (1746 – 1818), l’un des créateurs de l’école polytechnique et de l’école normale supérieure où il a ensuite enseigné a trouvé un moyen de décrire l’enveloppe d’une famille de droites dépendant d’un paramètre D (t) comme le lieu d’un point mobile, appelé depuis point de Monge en son hommage, ou simplement point caractéristique de D (t). Il se définit comme la limite du point d’intersection de D (t) et D (t + dt) quand dt tend vers zéro, ce qui permet son calcul à travers la notion de dérivée : le point de Monge est à l’intersection de D (t) et D’ (t) qui s’obtient en dérivant l’équation de D (t) par rapport à t.
Pour les férus de calculs, si a est le longueur de la porte, l’équation de D (t) est x sin t + y cos t = a cos t sin t donc les coordonnées du point de Monge est solution du système :
On en déduit ses coordonnées :
ce qui permet de tracer l’enveloppe de la famille de droites D.
Jean-Henri Fabre est connu pour son observation des insectes. Excellent vulgarisateur, il est de ceux qui savent communiquer leurs passions. Les mathématiques en font partie.
Jean-Henri Fabre
Bien que titulaire d’une licence de mathématiques, d’un doctorat en sciences naturelles et de plusieurs autres diplômes, Jean-Henri Fabre est un autodidacte comme il le rappelle lui-même :
Apprendre sous la direction d’un maître m’a été refusé. J’aurais tort de m’en plaindre. L’étude solitaire a sa valeur ; elle ne vous coule pas dans un moule officiel, elle vous laisse votre pleine originalité. Le fruit sauvage, s’il arrive à maturité, a une autre saveur que le produit de serre chaude ; il laisse aux lèvres qui savent l’apprécier un mélange d’amertume et de douceur dont le mérite s’accroît par le contraste.
Son côté autodidacte le rend attachant pour certains et agaçant pour d’autres. Quelques modernes lui reprochent aussi de ne pas avoir épousé les thèses de Darwin qui, en revanche, reconnaissait en lui un observateur incomparable. Il s’explique lui-même dans une de ses lettres à Darwin :
Vous vous étonnez de mon peu de goût pour les théories, si séduisantes qu’elles soient. Ce travers d’esprit, si c’en est un, tient un peu à mes longues études mathématiques qui m’ont habitué à ne reconnaître la vérité qu’à la lueur d’un irrésistible faisceau de lumière. Ne jurant par aucun maître, libre d’idées préconçues, peu enclin aux séductions des théories, je cherche avec passion la vérité, près à l’admettre quelle qu’elle soit et de quelque fait qu’elle vienne. Et comme moyen de recherche, je ne connais qu’une chose : l’expérience.
Par ailleurs, Darwin l’avait chargé d’expériences sur les insectes retournant à leurs nids. Les résultats se trouvent dans l’œuvre de Fabre. De façon générale, on trouvera la plupart des écrits de Fabre sur internet.
Fabre créationniste ?
Parmi les critiques modernes faites à Jean-Henri Fabre, certains le stigmatisent comme créationniste car il ne croyait pas à la théorie de Darwin, qu’il comparait à celle de la génération spontanée. À la défense de Fabre, il faut noter que la théorie originelle de Darwin n’était pas celle qui porte son nom aujourd’hui. Il s’agissait plutôt d’une transposition de la sélection des espèces domestiques, pratiquée depuis longtemps par les éleveurs, en une sélection naturelle sous l’effet de modifications du milieu. Autrement dit, il lui manquait l’explication qui viendra avec la découverte des gênes, par Gregor Mendel au début du XXe siècle. La théorie de l’évolution telle que nous la connaissons est postérieure de vingt ans à la mort de Fabre ! Comment peut-on lui reprocher de ne pas l’avoir reconnue ?
Mais l’essentiel n’est pas là, il est dans deux choses, sans parler de l’inélégance d’attaquer les morts, qui ne peuvent se défendre. Premièrement, il faut savoir ne pas se tromper d’adversaires. Les obscurantistes que sont les créationnistes ne sont pas les disciples de Jean-Henri Fabre. Ils sont dans des religions qui refusent la science, et malheureusement pas la violence. Deuxièmement, de Jean-Henri Fabre retenons plutôt l’exceptionnel talent de vulgarisateur. Pour finir sur une note poétique et liée à la question de l’évolution, voici l’un de ses commentaires sur la parade nuptiale des scorpions languedociens : La colombe a, dit-on, inventé le baiser. Je lui connais un précurseur : c’est le scorpion.
Jean-Henri Fabre a réussi à me faire regarder les scorpions autrement, c’est pourquoi je me souviens de cette remarque. Aujourd’hui, elle me fait m’interroger : selon la théorie créationniste, parler de précurseur d’une espèce a-t-il un sens ?
Descriptions et mathématiques chez Fabre
Dans ses souvenirs entomologiques, Jean-Henri Fabre dépeint les mœurs des insectes de manière vivante, en les ramenant souvent aux nôtres. Il décrit ainsi le carabe doré en nous emmenant d’abord visiter les abattoirs de Chicago pour comparer ensuite leur efficacité à celles des carabes dont on saisit mieux ainsi la férocité comme la voracité.
Il conclut alors sur nos origines et notre avenir, avec l’abolition de l’esclavage et l’instruction des femmes, les deux voies du progrès moral selon lui. Cette façon de généraliser sera parfois critiquée plus tard, comme peu scientifique. Il est vrai que, par moments, Fabre concluait un peu vite. Par exemple, voici comment il décrit la toile d’une araignée, l’épeire :
Nous reconnaîtrons d’abord que les rayons sont équidistants ; ils forment de l’un à l’autre des angles sensiblement égaux […] les divers tours de spire […] avec les deux rayons qui les limitent, forment d’un côté un angle obtus et de l’autre un angle aigu […] d’un secteur à l’autre, ces mêmes angles, l’obtus comme l’aigu, ne changent pas de valeur, autant que peuvent en juger les scrupules du regard seul.
Fabre reconnaît alors une propriété caractéristique de la spirale logarithmique et en conclut que la toile de l’épeire épouse cette forme, ce qui est rapide surtout quand la mesure a été faite à l’œil. Ceci dit, cela n’enlève rien à la qualité de son travail, et il n’en reste pas moins que, du fait de sa construction, la toile prend une forme de spirale.
De même, c’est de manière très mathématique qu’il explique la forme de poire que le scarabée sacré donne à la bouse dans laquelle il dépose son œuf : une sphère pour minimiser la surface externe afin de réduire la dessiccation, qui rendrait la bouse immangeable pour la larve, coiffée d’une sorte de cylindre contenant l’œuf, qui se trouve ainsi dans un endroit plus aéré.
Comment comprendre le monde moderne sans culture mathématique ? Accéder à celle-ci n’exige cependant pas d’apprendre à résoudre la moindre équation.