Un premier pas raté vers l’exploitation minière des astéroïdes

Le démonstrateur Arkyd-3, embarqué sur le vol du Cargo Cygnus le 28 octobre.
Le démonstrateur Arkyd-3, embarqué sur le vol du Cargo Cygnus le 28 octobre.

Hier 28 octobre à 22h20 TU, la start-up Planetary Resources, basée à Seattle, espérait lancer  avec succès son premier engin spatial en orbite terrestre – une étape préliminaire dans l’ambitieux projet de la compagnie privée visant à l’exploitation des ressources minières des astéroïdes (métaux, hydrogène, oxygène, glace d’eau). Baptisé Arkyd-3, le nano-vaisseau spatial (33 centimètres de longueur sur 10 cm de large)  était embarqué sur une fusée Antarès aux côtés du cargo spatial Cygnus, chargé d’assurer le ravitaillement de la Station Spatiale Internationale en pièces de rechange et consommables.

Lanceur et cargo spatial ont tous deux été développés par la société privée Orbital Sciences Corporation, sélectionnée par la NASA pour assurer une partie des taches jadis prises en charge par la Navette spatiale américaine jusqu’à son retrait en 2012. Quant au nano-satellite Arkyd-3 développé par Planetary Resources, son objectif est de tester la technologie que la compagnie projette d’utiliser pour sa future flotte de télescopes spatiaux consacrés à la détection des géocroiseurs, c’est-à-dire les astéroïdes circulant sur des orbites proches de la Terre, donc aussi facilement accessibles que la Lune.

Vue d'artiste d'un astéroïde géocroiseur accessible à l'exploitiation minière
Vue d’artiste d’un astéroïde géocroiseur accessible à l’exploitation minière

Las, l’opération s’est transformée en un énorme fiasco : la fusée porteuse Antarès a explosé quelques secondes après son lancement, détruisant du même coup le Cargo Cygnus et le module Arkyd-3.

Un coup dur pour les sociétés concernées, mais qui vient rappeler à quel point la maîtrise de l’espace est loin d’être acquise, particulièrement lorsque les lancements sont assurés par des compagnies privées qui cherchent forcément à réduire les coûts au détriment de la fiabilité.

Si le test Arkyd-3 avait réussi, une autre prototype aurait été lancé l’an prochain, et le premier Arkyd-100 aurait suivi en 2016. Financée par de puissants investisseurs, comme le réalisateur et producteur de cinéma James Cameron, le co-fondateur de Google Larry Page et son PDG Eric Schmidt, ou le fondateur du X-Prize Peter Diamandis, Planetary Resources espère en effet placer en orbite 10 nano-satellites de 11 kg, les Arkyds-100, équipés de petits télescopes chargés de recueillir les signatures spectroscopiques des composants métalliques des astéroïdes, le tout pour un coût d’à peine quelques millions de dollars (contre un milliard de dollars pour le projet de la NASA OSIRIS-REX, dont l’objectif principal est de ramener sur Terre un échantillon de 60 grammes prélevé sur un astéroïde).

Vue d'artiste d'un télescope spatial Arkyd-100
Vue d’artiste d’un télescope spatial Arkyd-100

Une fois que de « bons astéroïdes candidats » auront été sélectionnés par les Arkyds-100, la compagnie projette de déployer une nouvelle version d’engins spatiaux, les Arkyds-200, équipés cette fois de systèmes de propulsion leur permettant de se placer sur la trajectoire d’un astéroïde passant à 30 fois la distance Terre-Lune. Conçus comme des « intercepteurs », ils devront s’assurer de l’accessibilité aux métaux précieux, comme le platine ou l’or, en surface et dans le sous-sol peu profond du petit corps céleste. A moyen terme, de petits « prospecteurs avec rendez-vous », les Arkyds-300, ausculteraient de près l’astéroïde afin de préparer au mieux les futures opérations d’extraction minière.

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Planetary Resources n’est pas la seule société privée à s’intéresser de près aux ressources potentielles de l’espace. Deep Space Industries, jeune compagnie américaine fondée  en janvier 2013, a également pour objectif l’exploitation minière des astéroïdes. Quant à Moon Express, une compagnie de la Silicon Valley fondée en 2010, elle s’intéresse à notre satellite naturel comme source d’éléments rares sur Terre, comme l’Hélium, le Niobium ou l’Yttrium.

deepspace_firefly01-lgCes projets d’exploitation des ressources de l’espace par des compagnies privées ne vont pas sans soulever des problèmes juridiques. Le traité international de l’espace, ratifié en 1967 par les Nations-Unies et relatif à l’exploration et à l’utilisation de l’espace extra-atmosphérique, stipule en effet (quoiqu’un peu pompeusement) que la Lune et les autres autre corps célestes font partie du « patrimoine » de l’humanité toute entière, de sorte qu’aucun Etat, encore moins aucune compagnie privée ou un individu, ne peut en avoir la propriété.

A cet égard, il est bien dommage que l’astéroïde 5523 portant mon nom, gros caillou de six kilomètres circulant sagement entre Mars et Jupiter,  ne soit pas un titre de propriété ! (voir mon ancien billet de blog Tintin au pays des astéroïdes)!

Avec un diamètre de 6,6×5,0×3,4 km, l'astéroïde (5535) Annefranck, photographié ici par la sonde américaine Stardust, doit ressembler comme deux gouttes d'eau (ou plutôt comme deux cailloux du même chemin)  à l'astéroïde (5523) Luminet qui, lui, n'a pas encore été ausculté de près.
Avec un diamètre de 6,6×5,0×3,4 km, l’astéroïde (5535) Annefranck, photographié ici par la sonde américaine Stardust, doit ressembler comme deux gouttes d’eau (ou plutôt comme deux cailloux du même chemin) à l’astéroïde (5523) Luminet qui, lui, n’a pas encore été ausculté de près.

couv-asteroidesJe rappelle que mon ouvrage de vulgarisation intitulé Astéroïdes, la Terre en danger? publié en 2012, n’avait pas pour but d’effrayer les foules en présentant uniquement les risques de collision cosmique entre notre planète et un gros géocroiseur; il abordait aussi l’aspect très “positif” de ces petits corps célestes qui pourraient, à moyen et long terme, assurer la subsistance de l’humanité toute entière en matières premières. Mais, comme le prouve l’incident d’hier, la route de l’espace est encore semée d’embûches.

Pour conclure ce billet je reproduis ci-dessous un extrait de mon livre relatif à l’exploitation commerciale des astéroïdes. Voir aussi mon interview pour Futura Sciences sur le même sujet.

Prospection des astéroïdes

Un intérêt majeur de l’étude des petits corps réside dans leur potentiel économique. Les ressources sur Terre ne sont pas inépuisables, et l’on envisage d’exploiter, dans un futur proche, les richesses minières des astéroïdes.

En 1986, Thomas Paine, directeur de la NASA, avait prophétisé que le développement économique de la Lune, des astéroïdes et de Mars serait la principale source d’investissement du siècle prochain. Nous y voici, au xxie siècle, et nous n’avons encore rien vu venir, sinon un regain des conflits internationaux et la chute des marchés de capitaux. Mais les études prospectives sur l’exploitation commerciale de l’espace sont allées bon train, et il ne fait aucun doute qu’au XXIIe siècle l’homme construira des usines sur les astéroïdes.

Bientôt, l’odyssée de l’espace n’aura plus pour seuls acteurs des militaires et des scientifiques, mais aussi des marchands et des prospecteurs de filons cosmiques. Une mission sur une petite planète pourrait être économiquement rentable. La ruée vers l’or siècle se jouera dans le milieu interplanétaire, et l’espace ne sera plus seulement du ressort gouvernemental. Ce sera un endroit comme un autre, dont les entrepreneurs privés exploiteront les ressources naturelles et les possibilités commerciales. Par exemple, la société Planetary Resources Inc, à laquelle se sont associés de richissimes investisseurs – rien moins que le cinéaste James Cameron et Larry Page, le PDG de Google, entre autres – s’est donnée pour mission de « rendre disponibles pour l’humanité les ressources naturelles quasi illimitées de l’espace », en commençant par mettre sur orbite des télescopes spatiaux destinés à repérer les astéroïdes les plus prometteurs. Nous assistons actuellement à la naissance d’un immense marché, qui dépassera les 100 milliards de dollars dès le milieu du siècle.

Certains entrepreneurs, partant de l’idée que le privé peut faire mieux, plus vite et moins cher, veulent établir des mini-NASA privées, utilisant du matériel éprouvé et bon marché. La cible ultime est constituée des quelque 10 000 astéroïdes identifiés à ce jour dans la ceinture flottant entre Mars et Jupiter. Un grand nombre de ces astéroïdes sont des blocs de métaux purs, des roches où la concentration en or, platine, cobalt et autres métaux rares est de dix à cent fois supérieure à celle des mines terrestres. Les minéralogistes ont calculé qu’un kilomètre cube d’astéroïde de type métallique contient 7 milliards de tonnes de fer, 10 milliards de tonnes de nickel, et suffisamment de cobalt pour satisfaire la consommation mondiale pendant 3000 ans. Son exploitation pourrait rapporter cinq mille milliards de dollars.

Une fois résolu le problème du forage, il reste à déterminer s’il vaut mieux descendre à la mine ou la faire descendre vers nous. Selon les astronomes et les ingénieurs, l’approche la plus efficace en termes de coût consisterait à entourer l’astéroïde d’un filet et à le ramener au niveau de l’orbite terrestre à l’aide d’un chalutier cosmique. Le filet serait immatériel, tissé par les lignes d’un puissant champ électromagnétique engendré par des aimants. Quant au chalutier, il serait équipé d’un réacteur alimenté en combustible par l’astéroïde lui-même, éjectant vers l’arrière des fragments à très grande vitesse. Ce mode de propulsion consommerait environ un quart de l’astéroïde en transit, mais il resterait suffisamment de matériau brut pour faire plusieurs fortunes terrestres.

Les astéroïdes pourraient par ailleurs constituer d’avantageuses bases spatiales de pré-colonisation du Système solaire. En effet, grâce à leurs ressources minières, ils peuvent pourvoir les colons en matériaux de construction et satisfaire leurs besoins en eau, carbone et azote.

Les premières missions commerciales d’exploitation des ressources spatiales viseront probablement des astéroïdes-icebergs. On pourra faire fondre la glace qu’ils recèlent pour obtenir de l’eau. Et à partir de l’hydrogène et de l’oxygène obtenus, fabriquer le carburant qui fournira de l’énergie aux vaisseaux en partance pour Mars et au-delà. Vue leur faible gravité, l’énergie requise pour les quitter est beaucoup plus faible que celle qui est nécessaire pour se libérer de l’attraction terrestre. Steven Ostro, chercheur au Jet Propulsion Laboratory, a proposé à la NASA d’étudier pour 2015 une mission d’extraction de l’eau qui abonde sur l’astéroïde 1998 KY 26, boule de glace qui pourrait servir de station-service sur la route de Mars.

Quant aux comètes, elles constituent d’énormes réserves d’hydrocarbures (d’origine non organique, bien entendu) congelés qui pourraient servir de combustible. Le noyau de la comète de Halley, qui revient tous les 76 ans dans les parages de la Terre, contient l’équivalent de 1000 ans de consommation de pétrole.

L’exploitation des ressources de l’espace, pour les besoins des habitants de la Terre ou ceux des astronautes, sera sans aucun doute un jalon marquant dans l’aventure de l’humanité. Jusqu’à présent, nous avons toujours été tributaires des richesses que notre planète pouvait nous donner. Mais nous pourrions bientôt commencer à nous affranchir du sol où nous sommes nés. Nous puiserons dans le reste du Système solaire les moyens supplémentaires de nous développer et de progresser dans notre exploration de l’Univers. Sans doute un jour sera-t-il devenu banal de capturer un astéroïde en route vers Saturne ou Jupiter, tout comme les paquebots actuels peuvent remorquer un iceberg pour s’assurer une réserve d’eau douce.

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