Archives pour l'étiquette LIGO

Evénements ondes gravitationnelles : un résumé en images

Les événements GW150914 et GW151226

Résumé en 5 images extraites d’une de mes présentations powerpoint sur les trous noirs
DiapoGW1
Le mystère des ondes gravitationnelles, posé il y a un siècle par Albert Einstein dans un article paru en mars 1916, met en jeu les infimes variations de courbure de l’espace-temps engendrées par le mouvement d’objets relativistes. En haut à gauche : vue d’artiste figurant les ondes gravitationnelles engendrées par un système binaires d’étoiles compactes (étoiles à neutrons et/ou trous noirs). En haut à droite : vue d’artiste des ondes gravitationnelles engendrées par l’effondrement (non sphérique) d’une étoile en trou noir. En bas au centre : rappel du fait que l’existence des ondes gravitationnelles a d’abord été prouvée indirectement en 1974 grâce à l’analyse d’un pulsar binaire (couple d’étoiles à neutrons), dont la période orbitale décroît à la suite de la perte d’énergie due aux ondes gravitationnelles.

 

DiapoGW2
Les premières détections directes des ondes gravitationnelles ont été effectuées le 14 septembre 2015 (événement GW150914) et le 26 décembre 2015 (événement GW151226) par les deux détecteurs du programme LIGO situés aux Etats-Unis. Séparés par 3000 km, les détecteurs reçoivent le même signal à un centième de seconde d’intervalle, puisque les ondes gravitationnelles se déplacent à la vitesse de la lumière dans le vide, 300 000 km/s.

 

DiapoGW3
La comparaison entre le calcul théorique (en haut) et les données reçues (en bas) montre sans ambiguïté que le signal gravitationnel provient de la fusion de deux trous noirs en un trou noir unique, en trois phases extrêmement brèves (le tout durant moins d’une seconde dans la bande de fréquence dans laquelle les détecteurs sont sensibles): phase d’approche des deux trous noirs, fusion (signal maximum), vibration et stabilisation du trou noir final.

 

La modélisation des événements GW150914 et GW152612 permet notamment de déduire les masses des trous noirs mis en jeu. Il s’agit en l’occurrence de trous noirs “stellaires”, bien que dans l’événement du 14 septembre 2015 les masses sont sensiblement plus élevées que la “normale”, ce qui soulève d’intéressantes questions sur la formation de tels couples. La masse du trou noir final est, dans les deux cas, inférieure à la somme des masses des trous noirs parents : en vertu de la formule E=mc2, la différence a précisément été évacuée sous forme d’énergie gravitationnelle propagée par les ondes. Dans les deux cas aussi, ces événements se sont produits il y a près de 1,5 milliards d’années dans le passé. Notons qu’un troisième événement similaire, semblant lui aussi émaner d’une fusion de trous noirs situés cette fois à plus de 3 milliards d’années-lumière, a été observé le 12 octobre 2015, mais sa signification statistique n’est pas suffisante pour le qualifier. Cela implique d’une part que les couples de trous noirs sont beaucoup plus nombreux que ce que prédisaient les modèles conventionnels, d’autre part que ces détections pourraient être faites à un rythme de quelques dizaines par an, bien plus grand que prévu.

 

DiapoGW5

Et pour approfondir le sujet des ondes gravitationnelles, voir ma suite de 4 billets de février dernier consacrés au sujet :

https://blogs.futura-sciences.com/luminet/2016/02/10/la-lumiere-gravitationnelle-1/

https://blogs.futura-sciences.com/luminet/2016/02/10/la-lumiere-gravitationnelle-22/

https://blogs.futura-sciences.com/luminet/2016/02/13/la-lumiere-gravitationnelle-34-levenement-gw150914/

https://blogs.futura-sciences.com/luminet/2016/02/20/la-lumiere-gravitationnelle-44-le-futur-est-dans-lespace/

La “lumière gravitationnelle” (4/4) : le futur est dans l’espace

Suite du billet précédent : L’événement GW150914

Pour détecter des ondes gravitationnelles de moindre amplitude ou de plus basse fréquence que celles accessibles à la génération d’interféromètres au sol comme LIGO et VIRGO, il faudra envoyer les détecteurs dans l’espace. C’est tout l’enjeu du projet phare de l’ESA baptisé eLISA (bel acronyme signifiant en anglais european laser interferometric space antenna, soit « antenne spatiale interférométrique à laser »). Il s’agit d’expédier trois satellites en orbite autour du Soleil, disposés chacun aux sommets d’un triangle équilatéral de 5 millions de kilomètres de côté et reliés par des faisceaux laser. Sur une aussi grande longueur, le passage d’une onde gravitationnelle de basse fréquence devrait engendrer une fluctuation significative de la distance entre les satellites, mesurable par les lasers embarqués. Reste bien sûr à stabiliser les distances entre les satellites avec une précision jamais atteinte, ce qui suppose de compenser par exemple la pression du vent solaire et autres influences parasites. C’est pour tester cet élément décisif que l’Agence Spatiale Européeenne a lancé fin 2015 la sonde “d’éclairage” LISAPathfinder, qui en janvier 2016 est parvenue au point de Lagrange L1, à 1,5 millions de km de la Terre et a libéré deux masses-étalon séparées seulement de 38 cm.  Il s’agit de s’assurer qu’en l’absence d’onde gravitationnelle, cette distance ne varie pas de plus d’un millionième de l’épaisseur d’un cheveu humain, auquel cas le passage d’une onde gravitaitonnelle serait détectable.   Si tout fonctionne, l’interféromètre complet eLISA pourrait être placé en orbite en … 2034. Un peu de patience est donc requise…

Le schéma de principe de l’observatoire eLISA consiste en trois satellites en formation équilatérale, séparés chacun de 5 millions de kilomètres, l’ensemble tournant autour du Soleil.

Le schéma de principe de l’observatoire eLISA consiste en trois satellites en formation équilatérale, séparés chacun de 5 millions de kilomètres, l’ensemble tournant autour du Soleil.

eLISA et les interféromètres au sol LIGO et VIRGO seront complémentaires ; leurs domaines de fréquences n’étant pas les mêmes, les sources observables seront différentes. Affranchi des ondes sismiques, eLISA travaillera dans les basses fréquences, comprises entre 0,0001 et 1 hertz – domaine intéressant pour capter les trous noirs massifs.

Les instruments au sol VIRGO et LIGO ne seront pas rendus obsolètes par l’interféromètre spatial LISA, car leurs domaines de fréquences et de sensibilité seront différents. VIRGO et LIGO détecteront les effondrements de supernovae en trous noirs, et les coalescences d’étoiles à neutrons et de trous noirs stellaires. LISA fonctionnera dans la gamme des sources X binaires situées dans notre galaxie, et celle des couples de trous noirs géants dans les galaxies lointaines.
Les instruments au sol VIRGO et LIGO ne seront pas rendus obsolètes par l’interféromètre spatial LISA, car leurs domaines de fréquences et de sensibilité seront différents. VIRGO et LIGO détecteront les effondrements de supernovae en trous noirs, et les coalescences d’étoiles à neutrons et de trous noirs stellaires. LISA fonctionnera dans la gamme des sources X binaires situées dans notre galaxie, et celle des couples de trous noirs géants dans les galaxies lointaines.

L’observation d’une coalescence de trous noirs massifs par eLISA sera spectaculaire. Pour un couple de trous noirs de 1 million de masses solaires chacun, eLISA surveillera les 40 derniers jours de leur phase spiralante, soit 600 orbites, et l’amplitude du signal atteindra 10–17 à la distance fabuleuse de 3 milliards d’années-lumière. Environ 10 000 fois supérieur au bruit, cet intense signal fournira une localisation extraordinairement précise d’un événement, et l’identification optique de l’amas de galaxies où il sera produit déterminera avec une précision du pour cent les paramètres clés des modèles cosmologiques, comme le taux d’expansion de l’Univers et sa densité d’énergie moyenne. On pourra alors confirmer ou non si notre Univers est essentiellement rempli d’une forme d’« énergie noire », dont l’effet accélérateur sur l’expansion cosmique modifierait le destin de l’Univers tout entier.

Malgré l’observation de quelques galaxies géantes à double noyau actif associées vraisemblablement à des couples de trous noirs géants, le phénomène de fusion de tels trous noirs massifs se produit rarement. En revanche, tapi au cœur d’une galaxie, un trou noir massif célibataire capture plus souvent des étoiles. Nous avons vu au chapitre précédent que, lorsqu’elles sont de type solaire, c’est-à-dire peu denses, les étoiles sont détruites par les forces de marée en s’approchant du trou noir. Cependant, les astres compacts comme les étoiles à neutrons et les trous noirs de masse stellaire perdurent sans être brisés et chutent en spiralant jusqu’à l’horizon du trou noir. eLISA détectera les ondes gravitationnelles émises par ce phénomène et assistera à la dernière année de la vie d’une étoile compacte chutant en spirale dans un trou noir de 1 million de masses solaires, et ce jusqu’à une distance de plusieurs centaines de millions d’années-lumière.

La galaxie active Markarian 315 possède un noyau double, résultant de la fusion de deux galaxies. Chaque noyau abrite vraisemblablement un trou noir massif, en orbite l’un autour de l’autre. Actuellement distants de 6 000 années-lumière, ils finiront par fusionner et par produire une bouffée d’ondes gravitationnelles de forte amplitude mais de basse fréquence, détectable par un interféromètre spatial.
La galaxie active Markarian 315 possède un noyau double, résultant de la fusion de deux galaxies. Chaque noyau abrite vraisemblablement un trou noir massif, en orbite l’un autour de l’autre. Actuellement distants de 6 000 années-lumière, ils finiront par fusionner et par produire une bouffée d’ondes gravitationnelles de forte amplitude mais de basse fréquence, détectable par un interféromètre spatial.

L’enregistrement du signal gravitationnel durant cette année de chute permettra de cartographier la structure de l’espace-temps autour du trou noir massif. On comparera alors cette structure observée à la solution mathématique de Kerr qui décrit les trous noirs en rotation. Cette solution prédit une forme de la courbure de l’espace-temps spécifique aux trous noirs : ni étoile ni amas d’étoiles ne peuvent courber l’espace-temps de cette manière. On pourra alors conclure définitivement à l’existence des trous noirs dans l’Univers.

L’histoire récente de l’astronomie a prouvé que, chaque fois que l’homme a scruté le ciel par d’autres yeux que les siens, de nouvelles merveilles lui sont apparues, le forçant à réviser ses conceptions et améliorant un peu plus sa compréhension de l’Univers.

Avec la détection de l’événement GW150914 en septembre 2015, la fenêtre gravitationnelle vient juste d’être ouverte. Maintenant que les premiers signaux directs sont captés, l’information sur le mouvement et la nature des sources reste encore noyée dans beaucoup de bruit parasite. Mais, animés de la certitude que l’astronomie gravitationnelle est celle des siècles futurs, nous lancerons bientôt dans l’espace de gigantesques interféromètres parfaitement isolés des secousses telluriques et de l’agitation humaine…

La “lumière” gravitationnelle (3/4) : l’événément GW150914

Suite du billet précédent : De la barre à l’interféromètre

L’annonce historique de la première détection directe des ondes gravitationnelles a bel et bien été faite le jeudi 11 février 2016 par les équipes de chercheurs travaillant sur les interféromètres LIGO et VIRGO.

Il y a eu tant d’articles, billets de blog et autres interviews délivrés depuis dans les médias du monde entier que je ne vais pas développer longuement mon point de vue sur la découverte elle-même. Son intérêt majeur (on fera l’impasse sur les titres idiots du genre “Einstein avait raison”) n’est pas la détection en soi, prédite et attendue, mais:
1/ la confirmation directe de l’existence des trous noirs, vivement décriée par certains,
2/ non pas la fin d’une grande aventure scientifique comme c’était le cas avec la découverte du boson de Higgs-Englert (qui mettait un point final au modèle standard de la physique des particules, sans aller au-delà), mais au contraire le début d’une nouvelle ère pour l’astronomie expérimentale. Les fabuleuses prouesses technologiques mises en œuvre dans les interféromètres LIGO et VIRGO ont permis d’ouvrir enfin la fenêtre de l’astronomie gravitationnelle, avec vue à venir sur d’immenses territoires encore inconnus.

Au moment de l’annonce j’étais en voyage au Maroc. Je n’ai donc pas  pu assister à la conférence de presse, encore moins répondre aux nombreuses demandes d’interviews pour la presse écrite, la radio et la télévision.  Peu importe, de nombreux chercheurs l’ont fait et très bien fait, notamment mon ancien collègue à l’Observatoire de Paris Thibault Damour dans cette excellente interview pour le journal Le Monde. Ayant été l’un des premiers théoriciens à calculer les courbes d’émission gravitationnelle issue de la coalescence de trous noirs, Damour mériterait de figurer sur la liste des physiciens nobélisables, au même titre que son homologue américain Kip Thorne ou que le directeur du programme LIGO, David Reitze. Hélas, l’histoire montre que les prix Nobel de physique sont rarement donnés aux théoriciens qui prédisent tel ou tel phénomène, ils sont très généralement attribués aux expérimentateurs qui confirment la prédiction (à cet égard  le prix Nobel attribué à Higgs et Englert a été une heureuse exception).

Pour ma modeste part, je n’ai jamais travaillé directement sur le sujet des ondes gravitationnelles, mais je l’ai souvent évoqué dans des interviews (ci-dessous, sur ma chaîne youtube)

Pour en savoir beaucoup plus...

ainsi que dans mes articles et livres de vulgarisation. J’ai mis à profit les deux nuits blanches passées dans mon hôtel de Casablanca pour rédiger les deux billets de blogs précédents, ici et ici, qui reprenaient pour l’essentiel (en les actualisant légèrement) des éléments du chapitre que j’avais consacré à “La lumière gravitationnelle” dans mon livre de 2006, Le Destin de l’Univers : trous noirs et énergie sombre. Dans ce troisième billet je quitte le livre pour délivrer mes premières impressions sur la découverte annoncée jeudi. Dans un quatrième et dernier billet, je discuterai du futur de l’astronomie gravitationnelle. Continuer la lecture

La “lumière” gravitationnelle (2/4) : de la barre à l’interféromètre

Suite du billet précédent  Principes de base

Nouvelles lucarnes

Un mot un seul mot suffit
à perturber l’espace
Jean-Marc Debenedetti

Pour capter la lumière, il faut des télescopes. Comment concevoir un télescope gravitationnel ?

Le principe est simple. De même que les ondes électromagnétiques font vibrer une antenne réceptrice, les ondes gravitationnelles font vibrer d’une certaine façon la matière qu’elles rencontrent ; les « rides de courbure » faisant légèrement onduler le tissu élastique de l’espace-temps allongent ou raccourcissent les distances sur leur passage. Si, par exemple, le détecteur est un bloc de matière solide, ses différentes parties sont enclines à se mouvoir dans différentes directions à la traversée de l’onde gravitationnelle. Remarquons que, en raison de la traversée permanente d’ondes gravitationnelles, aucun corps matériel, aussi rigide soit-il, n’est strictement indéformable.

Une collision de deux trous noirs stellaires au centre de la Galaxie se traduirait par un déplacement de 10–14 millimètre des extrémités d’un détecteur ayant la forme d’une barre de 1 mètre de long. L’amplitude correspondante, qui est le rapport entre le déplacement et la taille du détecteur, est donc de 10–17. Le même phénomène se déroulant dans l’amas de galaxies de la Vierge, à 60 millions d’années-lumière, ne nous offrirait plus qu’une amplitude de 10–20.

À titre de comparaison, lorsqu’une onde gravitationnelle de cette nature traverse notre planète, elle ne fait varier le diamètre du globe (12 700 kilomètres) que de la largeur d’un atome. La construction d’un détecteur d’ondes gravitationnelles est donc un véritable défi technologique.

Joseph Weber et sa barre gravitationnelle en 1965
Joseph Weber et sa barre gravitationnelle en 1965

En 1965, Joseph Weber fit construire à l’université du Maryland un grand cylindre d’aluminium de 50 centimètres de diamètre pour 2 mètres de long, censé répondre par une oscillation de ses extrémités aux ondes gravitationnelles en provenance du centre galactique. Quand une onde gravitationnelle traverse le cylindre, l’effet de marée qui en résulte tend à éloigner puis à attirer les deux extrémités de la barre métallique. Weber crut avoir observé des effets positifs et l’annonça avec fracas ; mais, comme l’ont montré diverses expériences analogues, réalisées par la suite dans plusieurs pays (dont une, en France, à l’observatoire de Meudon), il s’agissait d’une interprétation incorrecte d’erreurs expérimentales. En effet, une explosion de supernova dans le centre galactique produirait au mieux une onde d’amplitude 10–18, alors que la meilleure des barres de Weber ne pourrait détecter qu’une amplitude 10 milliards de fois plus grande. De plus, la détection gravitationnelle d’une supernova dans le centre de la Galaxie relèverait d’un hasard invraisemblable : dans l’ensemble de la Galaxie, il ne doit pas exploser plus d’une supernova tous les dix ans, et l’impulsion gravitationnelle d’une explosion ne dure qu’une fraction de seconde. Continuer la lecture