La métaphore par-delà l’infini

clivaz

  • par Clara Clivaz-Charvet
  • 198 pages
  • Editeur : Peter Lang Gmbh (septembre 2016)

Quatrième de couverture :

Comment penser un atome ?
Qu’est devenue la pomme de Newton ?
Sous quelles formes représenter l’Univers ?
Quelle imagerie est la préférée des scientifiques afin de décrire notre monde ?
Comment créer et utiliser les métaphores ?
Le changement de paradigme opéré par la physique au 20e siècle exige de transformer notre système de représentations et de repenser notre cadre référentiel. De la simple comparaison didactique à la métaphore heuristique, cet ouvrage recense les “images vedettes”  à l’œuvre dans la diffusion des connaissances et expose les huit bénéfices principaux inhérents à cette imagerie scientifique. L importance de faire un usage maîtrisé de ces réflexions dépasse largement un transfert d’informations. C’est la raison pour laquelle un guide à l’usage des scientifiques est proposé. Sous la forme de questions-réponses, ce guide pratique avertit des pièges à éviter tout en indiquant les emplois métaphoriques les plus pertinents pour comprendre et se faire comprendre.

Préface

par Jean-Pierre Luminet

(Astro)physicien, écrivain, amoureux de la langue française : j’ai toujours écrit, depuis mon plus jeune âge, poèmes, nouvelles, romans. Lorsque je suis devenu chercheur, un autre type d’écriture s’est imposé à moi par nécessité : la publication scientifique spécialisée. Ce n’est qu’après une dizaine d’années de recherche intensive que j’ai commencé à publier des ouvrages de « vulgarisation » – genre que je préfère qualifier de « culture scientifique ». Dans ces essais, dont certains traitent de sujets fort compliqués (les trous noirs, la forme de l’univers) mais adressés à un public assez large, je me suis toujours efforcé d’utiliser des techniques narratives empruntées à la littérature générale. C’est ainsi que mon premier essai sur les trous noirs avait la structure d’un roman policier : meurtre, enquête, identification des coupables.

Paul Valéry demandait à la littérature qu’elle lui procurât une « sensation d’univers ». De fait, c’est une telle sensation d’univers qui est à l’origine de ma double pratique d’astrophysicien et d’écrivain. Elle a pris un jour le visage d’une émotion déterminante par la grâce d’une métaphore lue dans un livre, dont je me souviendrai à jamais. J’avais une quinzaine d’années et je terminais la lecture d’une encyclopédie d’astronomie, d’une grande aridité de présentation. A la dernière page de l’ouvrage où se trouvait résumé un exposé de la relativité générale et du concept d’espace courbe – auxquels je ne pouvais à l’époque rien comprendre –, je suis tombé sur cette phrase qui m’a stupéfait : « L’espace a ici la forme d’un mollusque. » J’ai plus tard étudié les grilles de coordonnées souples dites du « mollusque de Gauss », qui ont donné après coup un sens mathématique à cette phrase. Je crois pouvoir dire aujourd’hui que c’est le mystère de cette phrase qui a en partie décidé de ma vocation de chercheur, par l’énigme à la fois poétique et scientifique qu’elle me posait. C’est pour expliciter les courbes et les bosses du mollusque universel que j’ai entrepris mes travaux sur la relativité générale, sur les trous noirs et les univers chiffonnés peuplés de galaxies fantômes. Oui, ma « sensation d’univers » m’aura été donnée par le mollusque d’espace-temps !

Aussi est-ce avec un intérêt certain qu’en novembre 2014 j’ai pris connaissance du courriel que Clara Clivaz m’a adressé, m’apprenant que dans le cadre de sa thèse de doctorat en sciences du langage tout juste soutenue à l’Université de Berne, elle avait analysé sous un angle linguistique un de mes livres (ainsi que ceux de quatre autres auteurs), lequel se trouvait être celui que je considère comme le plus abouti parmi mes écrits de culture scientifique. Elle précisait que sa thèse portait sur les différentes images rhétoriques procédant par analogie et permettant la visualisation, l’incarnation puis la compréhension de concepts ou de phénomènes abstraits ou invisibles auprès du grand public, ajoutant avoir eu le plaisir de découvrir dans nos écrits une invention à la fois remarquable et parfaitement adaptée, mais également des « visions du monde » très divergentes.

Clara a depuis poursuivi ses travaux et synthétisé ses idées dans le présent ouvrage. De forme tripartite, il s’applique à répertorier les métaphores contenues dans un corpus d’ouvrages de vulgarisation scientifique dont les auteurs sont eux-mêmes des physiciens et/ou astrophysiciens professionnels. A sa lecture, j’ai été impressionné par la façon dont Clara a vraiment « fouillé la chair » de nos textes, en une analyse extrêmement précise et approfondie.

Parmi ses nombreuses trouvailles, certaines ont plus particulièrement attiré mon attention en entrant en résonance avec ma propre expérience. C’est ainsi qu’elle démontre avec brio la manière dont les scientifiques-écrivains ont déjà intégré dans leurs ouvrages grand public le changement de paradigme opéré par la « nouvelle physique », notamment par une utilisation plurielle de la métaphore. Elle nomme «  polymorphisme figuratif » la façon de re-présenter un objet de la physique sous une multitude d’aspects. De l’univers-nourriture (champagne, œuf, orange, purée, soupe) à l’univers-objet (caverne d’Ali Baba, gant, jeu, manège, miroir, peau de chagrin, tableau, toile) en passant par l’univers-terre (arbre, champ, désert, fruit, graine, paysage, pierre, terrain, territoire), ces variations plurielles d’objets fluctuants sont par exemple un moyen d’intégrer la relativité einsteinienne dans nos modèles cognitifs. Comme Clara l’écrit très justement, « ces démultiplications des sens – aussi bien géométriques que sémantiques — opérées grâce à ces nébuleuses de l’imaginaire, permettent non seulement de s’initier à un autre mode de pensée, mais aussi d’élargir nos horizons conceptuels. »

J’ai aussi été heureux de voir explicitée une analyse qu’à titre personnel j’avais intuitivement perçue sans jamais la formuler clairement, à savoir l’acte de résistance identitaire que constitue la vulgarisation scientifique dite « à la française », opposée à celle pratiquée dans les pays anglo-saxons (qui, en outre, envahit de plus en plus en librairie les rayonnages déjà maigres consacrés au genre). En effet, la vulgarisation francophone se montre généralement plus soucieuse de considérations à la fois épistémologiques et éthiques. Mais surtout, l’un de ses enjeux majeurs est d’éviter une certaine « phagocytation culturelle » impliquant que les objets de la physique soient quasi systématiquement désignés de la même façon par les auteurs de langue anglaise, comme s’ils les puisaient dans un catalogue normatif fixé une fois pour toutes. Clara prend l’exemple frappant de la métaphore de la matière-corde, devenue l’une des figurations les plus en vogue pour décrire les différentes particules fondamentales. Si cette métaphore constituait au départ une avancée remarquable en remplaçant la traditionnelle analogie du « point » ou de la « bille » par une entité dynamique vibrante et possédant une certaine extension, elle a été tellement diffusée et répétée à satiété qu’elle en est venue à attester la validité d’un modèle physique très hypothétique encore en construction (la théorie des cordes), excluant de ce fait d’autres approches comme celle de la gravitation quantique à boucles ou la géométrie non-commutative. La vulgarisation francophone tente ainsi de proposer d’autres modèles ou visions d’un même objet pour s’opposer à une normalisation d’un concept non vérifié, refusant l’imposition d’une « vérité » unique et revendiquant une plus grande liberté de pensée. Le certain recul et la tempérance qui en découlent ont notamment pour vertu de rééquilibrer les rapports de forces entre différentes écoles de pensée scientifiques.

Enfin, ayant moi-même assez profondément exploré la question dans un ouvrage de 1996, « Les poètes et l’univers », j’ai été comblé de constater que Clara Clivaz soulignait le rôle absolument capital joué dans le discours scientifique vulgarisé par « l’imagerie première », à savoir celle de nos origines – qu’elles soient personnelles à travers les réminiscences de notre enfance, ou collectives à travers les différentes et très riches mythologies. A la suite de Gaston Bachelard (à juste titre amplement cité par Clara) et de sa disciple Hélène Tuzet (dont le magistral ouvrage de 1965, « Le cosmos et l’imagination », est malheureusement méconnu et aujourd’hui introuvable), le travail de Clara Clivaz démontre la persistance d’un fonds conceptuel premier repérable chez tous les auteurs considérés, constitué « d’images originelles » aussi bien collectives qu’individuelles. Ces chaînes des origines qui aliènent l’homme à sa propre condition révèlent un problème épistémologique essentiel que Clara Clivaz excelle à commenter.

Tel est probablement le principal bénéfice à retirer de cette étude, qui réaffirme avec force que toute réflexion et dissertation sur les thèmes a priori complexes de l’astrophysique, de la relativité générale et de la physique quantique s’insèrent dans un contexte culturel extrêmement large. Il est indispensable de rappeler que l’approche scientifique du monde a toujours eu des résonances avec les grandes questions philosophiques, métaphysiques, anthropologiques et sociétales.

2 réflexions sur “ La métaphore par-delà l’infini ”

  1. Bonjour,
    Il me semble que tout est plus simple si on peut exprimer le monde sous forme mathématique. Cet ouvrage fort intéressant, nous permet d’approcher l’intelligence scientifique dans ce qu’elle nous offre de meilleur.Merci de partager ce bel enthousiasme qui vous caractérise.Comme un musicien, son plaisir est de jouer avec d’autres… Que vaut sa musique si elle est juste pour lui-même? Ainsi, le langage du savant nous instruit.

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