Zéro est-il un nombre ?

Zéro est un symbole utile pour écrire les nombres mais est-il lui-même un nombre ? Si nous restons sur l’idée des nombres naturels, la réponse est « non ». Ils sont faits pour compter, et que signifie dénombrer l’absence ? Zéro est un être troublant. Il n’a été accueilli que tardivement dans la communauté des nombres. À son introduction, zéro était plus la marque d’une absence, pour faciliter la notation positionnelle des nombres, qu’un nombre véritable. 

Naissance de zéro comme nombre

Nous devons son apparition en tant que nombre au mathématicien indien Brahmagupta (598 – 668). Dans le Brahmasphutasiddhanta, ce qui signifie « l’ouverture de l’Univers », écrit entièrement en vers, il donne les règles régissant zéro, ainsi que les nombres positifs ou négatifs, en termes de dettes et de fortunes :

Une dette moins zéro est une dette. Une fortune moins zéro est une fortune. Zéro moins zéro est zéro. Une dette soustraite de zéro est une fortune. Une fortune soustraite de zéro est une dette. Le produit de zéro par une dette ou une fortune est zéro. Le produit de zéro par zéro est zéro. Le produit ou le quotient de deux fortunes est une fortune. Le produit ou le quotient de deux dettes est une fortune. Le produit ou le quotient d’une dette et d’une fortune est une dette. Le produit ou le quotient d’une fortune et d’une dette est une dette.

Chacun reconnaîtra dans ces lignes une version ancienne de la règle des signes, dont un extrait de La vie de Henry Brulard, le roman autobiographique de Stendhal (1783 – 1842) semble un écho humoristique :

Supposons que les quantités négatives sont des dettes d’un homme, comment en multipliant 10 000 francs de dette par 500 francs, cet homme aurait-il ou parviendra-t-il à avoir une fortune de 5 000 000, cinq millions ?

L’usage des termes mathématiques hors contexte peut donner des résultats amusants, cependant la question n’est pas là. L’important est que les règles de calcul habituelles sur les nombres soient respectées, mais revenons à Brahmagupta. Pour lui, zéro n’est pas seulement la notation d’une absence d’unité, de dizaine ou de centaine, etc., comme dans la numération de position, mais aussi un vrai nombre, sur lequel on peut compter. Il le définit d’ailleurs comme le résultat de la soustraction d’un nombre par lui-même. Il donne les bons résultats l’impliquant dans les opérations licites (addition, soustraction et multiplication) mais se trompe en estimant que 0 divisé par 0 est égal à lui-même. On peut le comprendre, la question n’est pas simple. Elle est restée obscure, même pour un grand nombre de mathématiciens jusqu’au XIXe siècle puisque, dans ses Éléments d’algèbre, Alexis Clairaut (1713 – 1765), après avoir donné les règles de calcul, est obligé d’insister sur la nuance entre le signe d’un nombre et celui d’une opération :

On demandera peut-être si on peut ajouter du négatif avec du positif, ou plutôt si on peut dire qu’on ajoute du négatif. À quoi je réponds que cette expression est exacte quand on ne confond point ajouter avec augmenter. Que deux personnes par exemple joignent leurs fortunes, quelles qu’elles soient, je dirai que c’est là ajouter leurs biens, que l’un ait des dettes et des effets réels, si les dettes surpassent les effets, il ne possédera que du négatif, et la jonction de la fortune à celle du premier diminuera le bien de celui-ci, en sorte que la somme se trouvera, ou moindre que ce que possédait le premier, ou même entièrement négative.

Ces questions de fortunes et de dettes, de Brahmagupta à Clairaut font penser que le zéro serait venu d’un problème de comptabilité patrimoniale. Au-delà des termes utilisés, rien ne permet cependant de l’affirmer.

Zéro dans les opérations

La règle d’extension des résultats à zéro n’est pas d’origine philosophique, mais calculatoire. Par exemple, à partir de la définition que donne Brahmagupta de zéro : 2 – 2 = 0, on déduit des règles habituelles de l’arithmétique :

2 + 0 = 2 + (2 – 2) = 4 – 2 = 2

ce qui peut sembler une évidence par ailleurs : quand on ajoute rien, on conserve ce que l’on a… La question est beaucoup moins évidente quand on veut multiplier par zéro. Quel sens cela a-t-il dans l’absolu ? Pour le voir, l’important est de se focaliser sur les règles de calcul, sans y chercher d’autre philosophie. La question se traite de la même manière que la précédente :

3 x 0 = 3 x (2 – 2) = 3 x 2 – 3 x 2 = 6 – 6 = 0.

Bien entendu, dans les raisonnements précédents, les nombres 2 et 3 peuvent être remplacés par n’importe quels autres, le résultat n’est pas modifié. Un nombre multiplié par zéro est donc égal à zéro. Ce résultat, qui peut sembler étrange de prime abord, est nécessaire pour la généralité des règles opératoires.

La méthode permet de trouver des résultats plus étonnants. Par exemple, que vaut un nombre à la puissance zéro ? Pour répondre à cette question, se demander ce que signifie de porter un nombre à la puissance zéro est inutile, voire nuisible. A priori, 2 à la puissance 4 (par exemple) est égal à 2 multiplié 4 fois par lui-même, soit 24 = 2 x 2 x 2 x 2. De même, en remplaçant 4 par n’importe quel nombre entier supérieur à 1, donc 21 = 2. Mais que peut bien vouloir dire un nombre multiplié 0 fois par lui-même ? Se poser la question ainsi, c’est se condamner à ne pas pouvoir y répondre puisqu’elle est absurde. En fait, il faut trouver un principe d’extension. La propriété essentielle est la formule : 24+1 = 24 x 2, valable en remplaçant 4 par n’importe quel nombre. En le remplaçant par 0, nous obtenons : 20+1 = 20 x 21, ce qui donne : 2 = 20 x 2. En simplifiant par 2, nous obtenons : 20 = 1. Ce résultat est encore vrai si nous remplaçons 2 par tout nombre non nul. Ainsi, un nombre non nul porté à la puissance 0 est égal à 1, ou du moins il faut le poser comme définition si on veut que la propriété des puissances vue plus haut (24+1 = 24 x 2) soit générale.

Cette égalité (20 = 1) correspond à une idée subtile : celle de la généralité des calculs. On définit la puissance 0 pour que les règles de calcul connues sur les puissances restent vraies dans ce cas particulier. Il reste malgré tout l’ambiguïté de 0 à la puissance 0.

 

Une réflexion sur “ Zéro est-il un nombre ? ”

  1. 500 x -10 000 = beaucoup plus de dette non ?

    sinon le zero est surtout un marqueur de position, ou l’absence mais qui se note plus {ensemble vide}

    quant au Ordinaux, je me demanderais toujours qui est arrivé avant le premier pour laisser la plus haute marche du podium vide

    j’aime bien aussi quant tout se neutralise, mais là cette état d’équilibre peut-il être signifié autrement que par un descripteur d’état, de type +infini, virgule, ou {aleph0}

    en tout les cas ça met bien la pagaille dans les décomptes en informatique

    quant à l’an 2000 commence-t-il en 1999 ou en 2001 (celle-ci je suis toujours dessus… y’a truc bizarre )

    sinon, grand merci pour les petits piège tendu…
    ils sont toujours interressant

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