Philippe Leblanc a exposé chez Philomuses, au quartier latin à Paris, une série d’œuvres a priori abstraites. Les titres même font mystère. Par exemple, la suivante se nomme Chinacci 25.
L’écriture chinoise ancienne des nombres
En lisant le tableau en colonne, le mathématicien sera frappé par la régularité des premiers termes : 1, 1, 2, 3, 5 où chaque nombre est la somme des deux précédents. Le suivant peut facilement être interprété comme un 8. De fait, le tableau de Philippe Leblanc utilise un système d’écriture des nombres inventé en Chine quelques siècles avant Jésus-Christ. À cette époque, les Chinois comptaient au moyen de baguettes et non de bouliers comme plus tard. Ils imaginèrent ainsi une façon d’écrire les nombres. Pour cela, ils utilisaient deux notations qu’ils alternaient pour éviter les confusions entre unités, dizaines, centaines, etc. Voici donc les chiffres de 1 à 9 écrits de deux façons différentes.
La suite de Fibonacci
On s’aperçoit ainsi que le tableau représente les 25 premiers termes de la suite de Fibonacci, le dernier terme en bas à droite du tableau valant 75025. Le titre de l’œuvre prend alors son sens, Chinacci 25 étant une contraction de Chinois-Fibonacci, 25 premiers termes. Après cette première analyse, on peut se demander ce que signifient les différences de couleurs, entre jaune et bleu. Pour le voir, il faut réaliser que les bâtons de l’œuvre sont découpés au laser dans une tôle d’acier, qui cache une boîte lumineuse. C’est le fond de cette boîte qui est peinte selon plusieurs bandes verticales dont les largeurs suivent également la suite de Fibonacci : une bande de largeur X en jaune, une deuxième bande de largeur X en bleu foncé, une bande de largeur 2X en jaune orangé, une quatrième bande de largeur 3X en bleu clair. La deuxième œuvre Mayanacci 25 s’éclaire alors d’elle-même.
La suite de Fibonacci s’y écrit en lignes puisque la première se lit 1, 1, 2, 3 en comptant les points. La barre qui suit signifie alors probablement 5. On peut ainsi décrypter les nombres suivants. Il s’agit en fait de l’écriture des nombres qu’utilisaient les Mayas, en base vingt. Les unités, les vingtaines, etc. s’empilent de bas en haut. Les couleurs respectent une règle différente de celle du tableau précédent puisque, dans chacune des cinq lignes et des cinq colonnes, on trouve une et une seule fois chacune des cinq couleurs présentes.
Un pari : présenter le côté culturel des maths sans se perdre dans la technique
Mon pari, en écrivant Toutes les mathématiques du monde, était de présenter ce que sont les mathématiques sans entrer dans la technique. Comment ont-elles évolué de questions concrètes comme le dénombrement et l’arpentage jusqu’à devenir l’archétype de l’abstraction ? Pourquoi ont-elles envahi le monde contemporain ? Peut-on comprendre ce monde sans culture mathématique ? Suivre un simple débat sans cela ? Notre réponse est « non » mais cette culture mathématique est accessible à tous, sans pour autant devenir un spécialiste.
Ce glaçon étrange, que j’ai nommé les colombes givrées s’était détaché d’un glacier pour tomber dans un fjord et était venu s’échouer sur une plage où je venais de débarquer. Un rayon de soleil illuminait cette œuvre d’art éphémère que le hasard avait façonnée, l’art consistait à trouver le bon angle permettant de capturer la lumière malgré la légère pluie qui tombait.
Le glacier à l’origine du glaçon
Voici le front du glacier d’où s’échappent les glaçons plus ou moins gros :
Comme on peut le voir sur cette photographie, la vie animale est riche à l’endroit où le glacier se jette dans la mer. Les oligo-éléments charriés par le glacier attirent le plancton, qui attire le poisson, qui attire des oiseaux pêcheurs et quelques phoques.
En page 72 de mon livre, Toutes les mathématiques du monde, je laisse le lecteur découvrir la belle démonstration du théorème de Pythagore par Léonard de Vinci à travers un simple dessin. ABC y est un triangle rectangle original, ACDE le carré construit sur son hypoténuse, ABFG et BCIH les carrés construits sur les côtés de l’angle droit.
L’idée de Léonard
L’idée originale de Léonard de Vinci est d’introduire deux triangles rectangles égaux à ABC supplémentaires DEJ et FHB. Voici un exposé détaillé de sa façon de s’en servir.
Les deux quadrilatères ABJE (en bleu) et DJBC (en vert) sont égaux car ils se superposent au moyen d’une rotation de 180°. La somme de leurs aires est égale à celle du carré construit sur l’hypoténuse plus deux fois celle du triangle rectangle.
On retrouve les mêmes quadrilatères en AGIC et FGIH sur le côté droit. Dans ce cas, ils se superposent par symétrie d’axe IBG. La somme de leurs aires est égale à la somme des aires des carrés construits sur les côtés de l’angle droit plus deux fois celles du triangle rectangle. On en déduit que l’aire du carré construit sur l’hypoténuse est égale à la somme des aires des carrés construits sur les côtés de l’angle droit, c’est-à-dire le théorème de Pythagore.
À l’époque où les jeunes filles de la cour d’Espagne étaient très surveillées, elles inventèrent un code fondé sur la position et les mouvements de leurs éventails, qui devinrent ainsi des instruments de séduction. Par exemple, le placer près du cœur signifiait « tu as gagné mon amour », bouger l’éventail entre les mains, « je te hais », le faire glisser sur la joue pour aller jusqu’au menton, « je t’aime », le placer sur les lèvres, « embrasse-moi ». Il existait ainsi une trentaine de codes, assez pour faire passer ses sentiments et ses envies à celui qui est face à vous. La connaissance de ces codes est utile pour comprendre certains films, même si les mimiques peuvent aussi suggérer le message. Il s’agit d’une sorte de cryptographie gestuelle.
Sur la toile de Klimt, la façon dont la femme tient son éventail signifie « tu as gagné mon amour ». L’histoire ne dit pas si Klimt l’a placé ainsi volontairement.
Sur les sentiers de montagne, on rencontre souvent des promeneurs armés de jumelles essayant de distinguer quelques chamois au loin, sur les sommets. Nul ne semble espérer voir un chamois de très près.
L’art de surprendre un chamois
C’est cependant plutôt facile en tenant compte de plusieurs caractéristiques de cet animal. Premièrement, même si sa vue n’est pas si mauvaise quand il s’agit de repérer un animal en mouvement, il distincte mal un objet immobile. Par exemple, le jeune chamois sur la photo ci-dessus se doute visiblement de ma présence mais n’arrive pas à me distinguer car je me suis immobilisé, même si je me tiens debout à une dizaine de mètres de lui. J’ai pu m’approcher d’aussi près car je me suis déplacé contre le vent pour qu’il ne me sente pas, de plus le vacarme d’un torrent en contrebas ne lui a pas permis pas de m’entendre. Deux personnes bruyantes arrivant de l’autre côté l’ont fait s’enfuir quelques minutes plus tard. Elles ont été étonnées d’apprendre qu’un chamois broutait tranquillement quelques instants plus tôt au lieu même où elles se trouvaient.
La Terre a déjà connu plusieurs fins du monde, plus précisément cinq extinctions de masse. Les géologues l’ont découvert au XVIIIe siècle en étudiant les couches de sédiments empilées sous nos pieds, cinq ne contiennent quasiment aucune trace de vie. La plus médiatique de toutes les extinctions de masse est la dernière en date, celle qui a vu disparaître les dinosaures voici 65 millions d’années.
La fin catastrophique des dinosaures
Depuis les années 1970, cette fin du monde des dinosaures est souvent expliquée par une catastrophe. Par un malheureux hasard, la trajectoire de notre planète aurait rencontré celle d’un astéroïde de 10 kilomètres de diamètre. Événement peu probable mais qui s’est effectivement produit aux environs de cette époque, à Chicxulub au Mexique. Telle une bombe thermonucléaire, cet astéroïde a projeté un immense nuage de poussière dans l’atmosphère, voilant le soleil et créant une espèce d’hiver nucléaire. Les dinosaures seraient donc morts de ce que redoutaient les hommes au temps de la guerre froide. L’idée qu’ils auraient disparu à la suite de l’impact d’un astéroïde est d’ailleurs due à un physicien nucléaire américain, Luis Walter Alvarez (1911 – 1988), prix Nobel de physique en 1968, qui participa à la mise au point des détonateurs de la bombe atomique au plutonium et qui avait donc réfléchi aux conséquences que pouvaient avoir l’usage de cette arme. Plus profondément, il est intéressant de constater que l’imaginaire de chaque époque se projette sur ses explications, scientifiques ou autres.
Mis à part ce fait troublant, il est permis de se demander pourquoi les petites bêtes ont survécu. Pourquoi les extinctions sont-elles aussi sélectives ? C’est le point le plus gênant de cette théorie des catastrophes. De plus, l’explication, qui n’est pas valable pour les autres extinctions dont celle, plus importante, de la fin du Permien (voici 500 millions d’années), est-elle valable pour celle des dinosaures ? Il est permis d’en douter depuis que certaines études montrent que l’impact de l’astéroïde incriminé serait antérieur de 300 mille ans à leur disparition. Une bien longue survie pour une agonie !
La fin par le changement de milieu
À cette explication des extinctions par le hasard, d’autres paléontologues ont préféré avancer un modèle probabiliste tenant compte du métabolisme des animaux. Pour donner un exemple, quelle serait l’influence d’une baisse de la proportion de l’oxygène dans l’air ? Certains animaux s’adapteraient très bien, d’autres non. Sans doute pourrait-on établir une corrélation entre la concentration en oxygène et la probabilité de survie d’une espèce donnée. Cette corrélation serait fonction du métabolisme et expliquerait facilement aussi bien les disparitions que les survies. Rassurez-vous, l’homme est très compétitif dans ce domaine ! Nous nous adaptons très bien à la raréfaction de l’oxygène.
De façon moins évidente, il en est de même du calcium. Les animaux à squelette important en dépendent de manière cruciale. Les dinosaures en faisaient partie. On dénombre sept facteurs favorables à la bio-minéralisation du calcium : ions calcium Ca2+ sursaturés, température chaude et tropicale, bas niveau de dioxyde de carbone CO2, calme volcanique (et orogénique), pH neutre ou alcalin, niveau d’oxygène favorable, chaîne alimentaire intacte. Bien entendu, les facteurs opposés sont perturbateurs de la bio-minéralisation du calcium. Un compte des facteurs positifs et négatifs permet d’estimer la probabilité de bio-minéralisation du calcium. Si elle est faible, la survie de certaines espèces devient difficile. Certains paléontologues en ont déduit un modèle probabiliste : les facteurs perturbateurs de la bio-minéralisation du calcium seraient les causes des extinctions de masse. Pour simplifier, disons que plus on compte de facteurs perturbateurs, plus on risque une extinction massive et plus celle-ci est importante.
Voyons ce modèle à l’œuvre pour les dinosaures. Pour eux, on dénombre cinq facteurs perturbateurs : glaciations, niveau élevé de CO2, activité orogénique et volcanique intense, augmentation de l’acidité du pH, rupture des chaînes alimentaires (au niveau des planctons). On a donc ici un score de 5 sur 7 ! Pour l’extinction du Permien, c’est pire : 6 sur 7 ! Pour les autres extinctions de masse, les scores varient entre 2 et 3 sur 7. Chaque fois, le score est proportionnel à l’importance de l’extinction.
La sixième extinction
Pour certains chercheurs, la sixième extinction massive a commencé voici cent mille ans. Pourquoi ? Ils constatent d’abord qu’une espèce de mammifères et une espèce d’oiseaux disparaissent chaque année, ensuite que la durée moyenne de vie des espèces fossiles est de l’ordre du million d’années. Il existe actuellement 5000 espèces de mammifères et 10000 d’oiseaux. S’il n’y avait pas extinction, la moyenne annuelle de disparition devrait donc être mille fois plus faible que celle constatée ! Retrouve-t-on l’extinction actuelle dans le modèle probabiliste ? Bien entendu, oui, à cause de l’effet de serre qui est lié au CO2 !
À chaque époque sa fin du monde ?
Les extinctions de masse seraient donc dues, en particulier, à l’effet de serre. Le seul doute que nous puissions formuler contre ce modèle probabiliste est notre remarque précédente sur la disparition des dinosaures. Chaque époque retrouve ses problèmes dans le passé. Chacune a la fin du monde qu’elle redoute, bombe atomique ou effet de serre pour ne citer que les dernières. Le hasard, qui est le moteur de l’évolution, peut cependant nous réserver bien d’autres surprises. L’expérience montre que les fins du monde restent cependant des événements rares : cinq en plus d’un milliard d’années alors que la sixième fin du monde, celle qui pourrait nous concerner, a été annoncée plusieurs centaines de fois.
La méthode la plus rapide pour se rendre à Namché Bazar, puis vers l’Everest et d’autres sommets himalayens, est de prendre l’avion de Kathmandou à Lukla, ville située à 2900 mètres d’altitude, sur un piton rocheux. Il est possible ensuite de se rendre à Namché Bazar en une ou deux étapes à pied.
L’arrivée sur l’aéroport est impressionnante. De loin, la piste ressemble à celle d’un porte-avions perché en altitude. Le bout de piste est au sommet d’une barre rocheuse de 700 mètres de haut. Après quelques dizaines de mètres à plat, elle s’incline de 15 % pour redevenir horizontale au niveau du parking, après 350 mètres. La pente permet un atterrissage plus court. En observant la piste, on remarque qu’elle s’incurve progressivement. Quelle est la courbe empruntée entre les deux morceaux droits ?
La première partie permet la prise de contact avec le sol mais le freinage se fait essentiellement dans la partie en pente. Bien entendu, il n’est pas question de raccorder brutalement les deux droites. On peut imaginer de le faire au moyen d’un cercle de rayon R comme sur la figure ci-dessus. Dans ce cas, l’avion serait soumis brutalement à une accélération centrifuge égale à V2 / R où V est sa vitesse, ce qui aurait comme conséquence de le déstabiliser.
Une clothoïde
Il est donc nécessaire de raccorder les deux droites avec le cercle, exactement comme on le fait pour les voies de chemin de fer ou les échangeurs d’autoroutes. La courbe la plus souvent utilisée pour cela est une clothoïde, obtenue en faisant varier la courbure (l’inverse du rayon) linéairement entre 0 (pour la droite) et 1 / R (pour le cercle).
Comment comprendre le monde moderne sans culture mathématique ? Accéder à celle-ci n’exige cependant pas d’apprendre à résoudre la moindre équation.