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La Vallée des 10 00 Fumées, Alaska (6/9)

Suite du billet La Vallée des 10 00 Fumées, Alaska (5/9)
Carnet de voyage d’une expédition effectuée du 17 août au 7 septembre 1992 en Alaska

La vallée des Dix Mille Fumées (Valley of Ten Thousand Smokes) est située en Alaska, au  Sud du parc national de Katmai.  Elle tire son nom des nombreux panaches de vapeur d’eau qui s’échappaient du sol formé par l’éruption du volcan Novrupta en 1912. Accessible seulement après deux jours de marche à partir de Brooks Lodge – un camp tenu par des rangers-, elle offre des paysages extraordinaires. Avec un groupe de amis nous avons décidé de l’explorer sac à dos et en autonomie complète durant l’été 1992.

Participants:

Philippe A., médecin psychiatre
Arturo F., ingénieur
Marc L., astrophysicien
Jean-Pierre Luminet, astrophysicien
Didier P., astronome.

  EPISODE 6 : 29-30 août

Samedi 29 août

Réveil à 7 h. Pluie fine, ciel très couvert, toujours 12 °C.

Philippe et moi allons voir si le niveau de la rivière a baissé. Nous avions placé la veille un repère à l’aide d’un empilement de petits cailloux. Catastrophe, il a monté ! On se dit que même si nous parvenions à la traverser, rien ne garantit qu’au retour l’eau n’aurait pas encore monté avec la fonte du glacier, et en rendant le passage impossible, nous laisserait coincés du mauvais côté ! En outre, les nuages qui descendent comme un couvercle interdisent l’idée d’escalader pour passer au-dessus de la cascade. Il faut renoncer à explorer les lacs du Katmai !

La mort dans l’âme, nous faisons demi-tour. Nous mettons trois heures à faire les préparatifs à cause du réchaud à essence Whisperlite qui s’est bouché avec un grain de sable.

Après une demi-heure de marche, Philippe aperçoit de la fumée au-dessus d’un torrent. Ce sont les fameuses sources d’eau chaude que nous avions tant convoitées la veille, sans faire cependant l’effort pour les trouver. Ma petite théorie psychologique était bonne. Sur la route des lacs, mus essentiellement par l’idée d’avancer, personne n’avait envie de dévier du chemin et grimper dans tous les petits canyons adjacents pour y dégotter ces sources chaudes bien cachées. En revanche, une fois bloqués par cette rivière sans nom (elle n’est pas sur la carte) et sur le chemin du retour, les randonneurs déçus que nous sommes prennent le temps de tâtonner dans les parages, ce qui nous a permis de tomber inopinément sur les sources.

C’est la consolation du jour. L’eau sort du sol volcanique à 80°C et se mêle aux eaux glacées d’un torrent, ce qui fait que sur de minuscules plages on a de l’eau tiède. Nous voilà donc tous les cinq à poil, se baignant et se lavant dans cette chaleur providentielle.

Les eaux glacées du torrent se mêlent aux eaux brûlantes de la résurgence volcanique. Seule température supportable : entre les deux
« Nous voilà tous les cinq à poil ». On n’en voit que quatre, le cinquième, en l’occurrence Jean-Pierre, prend la photo !

Une heure après nous repartons, ragaillardis. Nous parvenons au fameux passage par le col permettant d’éviter l’éboulis et le passage dangereux le long de la rivière. Philippe et Marc partent soudain devant le long d’une côte très abrupte et interminable. Nous transpirons tous par tous les pores de la peau et arrivons au col, complètement trempés de sueur. En plus on est en plein brouillard. Didier est furax car il n’est pas sûr que ce soit le bon chemin. Il aurait voulu faire le point à la boussole avant de s’aventurer vers le col, mais Philippe et Marc étaient déjà partis devant. Ils se chamaillent un peu.

Maintenant il faut redescendre, et comme on est dans la brume on n’y voit rien. Marc s’écarte pour aller voir un éboulis et disparaît dans la brume en entraînant Philippe, puis il nous appelle pour dire que c’est bon, qu’on peut passer. Didier est fou furieux contre Marc qui, pas plus tard qu’hier, lui avait reproché de s’aventurer seul sans savoir si les autres allaient suivre. Nouvelle dispute lorsque nous les rejoignons.

Après le bain, « nous voilà regaillardis »

Finalement ça se tasse et nous poursuivons la marche dans le lit de la Katmai, dans l’espoir de la traverser pour aller à Fulton Falls. Là encore il faut déchanter. Malgré la séparation des eaux en plusieurs bras dans la plaine alluviale, la rivière reste très puissante. Se pose alors la question de poursuivre en direction de la mer pour tenter de traverser vers l’embouchure, ou bien renoncer à franchir la Katmai et à visiter le site du village de pêcheurs abandonné pour traverser dans l’autre sens et nous engager dans le canyon de Martin Creek. C’est cette option que nous choisissons, par manque de temps.

Cette dernière partie de la marche est pour moi très pénible, car ma tendinite au talon d’Achille s’est exacerbée par mon séjour prolongé dans l’eau de la Katmai, lorsque j’étais allé seul faire des sondages pour tester les possibilités de traversée. Je boitille.

La traversée de la plaine sablonneuse sombre, jonchée de carcasses blanches de bois éreinté aux formes diverses me fait songer à un vaste champ d’ossements de grands animaux disparus ; ici un fémur, là une côte, plus loin un crâne de mastodonte, et dans l’état réduit à sa plus simple expression dans lequel je me trouve – marcher, boire, manger, pisser, dormir -, proche de celui de l’homme primitif, je me sens reporté des millions d’années en arrière, traversant les grandes plaines d’Amérique du Nord à l’époque où le limon et l’argile n’avaient pas encore recouvert les carcasses des dinosaures.

Traversée de la plaine sablonneuse

Après avoir franchi en sens inverse la rivière Mageik au même gué qu’à l’aller (nous avions planté un pieu en guise de repère), nous arrivons, tous épuisés, au campement, à l’entrée de Martin Creek. Il pleuviote, tout est noyé dans la brume, on ne voit pas la mer qui est de toute façon distante de 15 km. Le lieu du campement est couvert de traces de pattes et de crottes d’ours, mais on n’en a cure. On s’engouffre dans les tentes, on fait chauffer notre eau et nos aliments à l’Esbit, et une longue nuit de réparation physique nous attend.

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La Vallée des 10 00 Fumées, Alaska (5/9)

Suite du billet La Vallée des 10 00 Fumées, Alaska (4/9)
Carnet de voyage d’une expédition effectuée du 17 août au 7 septembre 1992 en Alaska

La vallée des Dix Mille Fumées (Valley of Ten Thousand Smokes) est située en Alaska, au  Sud du parc national de Katmai.  Elle tire son nom des nombreux panaches de vapeur d’eau qui s’échappaient du sol formé par l’éruption du volcan Novrupta en 1912. Accessible seulement après deux jours de marche à partir de Brooks Lodge – un camp tenu par des rangers-, elle offre des paysages extraordinaires. Avec un groupe de amis nous avons décidé de l’explorer sac à dos et en autonomie complète durant l’été 1992.

Participants:

Philippe A., médecin psychiatre
Arturo F., ingénieur
Marc L., astrophysicien
Jean-Pierre Luminet, astrophysicien
Didier P., astronome.

  EPISODE 5 : 27-28 août

Jeudi 27 août

Lever à 6h45 après une nuit de profond sommeil. Brouillard, pluie fine, 12°C. Nous nous préparons quand même. Philippe et moi sommes prêts une demi-heure avant les autres, ce qui m’énerve un peu. Départ à 9h sous la pluie. Je me suis malheureusement réveillé avec la diarrhée, sans doute le Chili con carne lyophilisé d’hier soir. Cela va me gêner toute la journée, j’aurai trois crises de coliques.

Départ dans le brouillard

Première partie dans les taillis épais et les marécages. Sous la pluie c’est le merdier, on est trempés de sueur sous les capes.

On continue ensuite à descendre le lit de la rivière Mageik, jusqu’à ce qu’elle s’engouffre dans un canyon. Il faut donc remonter sur les hauteurs, le long des flancs d’Observation Mountain. En l’absence de visibilité et avec des cartes incomplètes, il est impossible de s’orienter autrement qu’à la boussole. Ce n’est pas toujours évident mais Didier a une grande expérience de la marche à la boussole, nous le suivons !

Le point carte et boussole

Marche forcenée dans des petits canyons et les ruisseaux, sous la flotte.  Première pause à l’arrêt de la pluie, après deux heures de marche continue en terrain accidenté. Poursuivant à la boussole, nous débouchons soudain sur un superbe panorama, c’est comme une délivrance : sous l’épaisse couverture nuageuse on voit la vaste plaine alluviale des rivières Mageik et Katmai qui se rejoignent, plus loin la mer où elles se jettent, et tout au fond le profil de l’île Kodiak. Nous voilà tout rassérénés et joyeux.

La plaine alluviale de la rivière Katmai. Au fond, l’océan.

On descend vite dans la plaine, mais on bute sur le cours impétueux de la Mageik Creek. Trop dangereuse à traverser. Didier, encordé, fait quelques essais, en vain. Nous descendons le cours pour trouver un gué dans un élargissement de la rivière.

Tentative de traversée. Le courant est trop fort

Nous découvrons la superbe forêt brulée, des centaines de troncs verticaux de conifères calcinés lors de l’éruption de 1912, dont certains sortent partiellement de l’eau, d’autres sont emprisonnés dans les berges d’argile. C’est une photographie de ce fantastique paysage que Philippe avait vue une année auparavant dans un numéro de National Geographic qui avait déclenché notre envie de faire cette expédition…

La forêt fantôme
Les conifères calcinés lors de l’éruption de 1912

Nouvelle tentative de traversée par Didier et Philippe, en prenant relais sur des troncs intermédiaires dressés au milieu du courant, mais Philippe reste coincé au milieu, l’eau lui arrivant en haut des cuisses – la limite raisonnable au-dessus de laquelle on se fait emporter – accroupi et face au courant. Il réussit à revenir, Didier râle en affirmant que c’est parfaitement possible, Philippe râle aussi en mettant en avant sa plus petite taille qui le laisse plus exposé à la profondeur de la rivière. Pour ma part je regrette ma diarrhée et ma fatigue, sinon ça m’aurait plu d’aller tester le fleuve avec Didier. De toute façon Arturo ne veut prendre aucun risque, et on décide donc de continuer à descendre le cours. Nous parvenons à un très grand élargissement, où là il devient effectivement facile, bien que plus long, de traverser. Nous sommes évidemment trempés, mais l’eau n’est pas froide. De l’autre côté de la Mageik on aperçoit Fulton Falls, une belle cascade d’environ 80 mètres de haut, de l’autre côté de la plaine alluviale et sur la gauche, notre destination : l’entrée du canyon de la Katmai River.

Longue traversée de la plaine. Je suis très fatigué par ma diarrhée, vu que je n’ai pas pu m’alimenter normalement en barres de céréales.

Après huit heures de marche, nous trouvons un superbe endroit pour camper, sur le sable, mais juste au moment où les tentes sont dressées il se remet à pleuvoir. Il est 18h45. Tous s’endorment, écrasés de fatigue, sauf Marc et moi qui jouons aux échecs. Marc a parfaitement récupéré, il n’a plus mal aux pieds et suit le rythme. Parfait. Manque plus qu’un peu de soleil. Toujours pas vu d’ours, malgré des traces de pas. Il pleut toute la nuit.

Vendredi 28 août Continuer la lecture

La Vallée des 10 00 Fumées, Alaska (4/9)

Suite du billet La Vallée des 10 00 Fumées, Alaska (3/9)
Carnet de voyage d’une expédition effectuée du 17 août au 7 septembre 1992 en Alaska

La vallée des Dix Mille Fumées (Valley of Ten Thousand Smokes) est située en Alaska, au  Sud du parc national de Katmai.  Elle tire son nom des nombreux panaches de vapeur d’eau qui s’échappaient du sol formé par l’éruption du volcan Novrupta en 1912. Accessible seulement après deux jours de marche à partir de Brooks Lodge – un camp tenu par des rangers-, elle offre des paysages extraordinaires. Avec un groupe de amis nous avons décidé de l’explorer sac à dos et en autonomie complète durant l’été 1992.

Participants:

Philippe A., médecin psychiatre
Arturo F., ingénieur
Marc L., astrophysicien
Jean-Pierre Luminet, astrophysicien
Didier P., astronome.

  EPISODE 4 : 25-26 août

Lever 7h. Ciel couvert, le plafond de nuages recouvre les sommets. La seule course que nous puissions faire est celle conduisant aux lacs Mageik. Arturo préfère rester se reposer, ainsi que Marc qui soigne ses plaies.

Nous partons, il n’y a pas de vent, mais la pluie ne tarde pas à tomber. Premier lac Mageik, d’une belle couleur.

Le premier lac Mageik

Nous traversons trois rivières et parvenons au second lac après 4h de marche : cascades, superbes canyons.

Le Canyon du Léthé
Pierres et sables du Léthé
Cascades et coulées de lave sculptées par les glaciers près du lac Mageik Ouest.
Le second lac Mageik

Il pleut de plus en plus. Retour droit au refuge. 7h de marche maintenant. La fin est épuisante, p… de Baked Mountain ! Nous charrions pour nos gourdes de l’eau grise prise dans le Léthé. Traces d’ours dans la Vallée. Cette « montagne cuite » ressemble à un énorme gâteau avec un fruit confit posé dessus ; tout entourée de solfatares éteints, lorsque les explorateurs de 1916 ont dû la découvrir, elle fumait, cela devait vraiment ressembler à un gâteau cuit. Cela dit, sur le chemin du retour, sous la pluie et la fatigue, en plein milieu de l’immense vallée de pierre ponce, Baked Mountain avec son mamelon me fait plutôt songer à un jeune et tendre sein, aux pentes douces et au mamelon durci sous le plaisir…

Le mamelon de la Montagne Cuite…

Retour au refuge. Les allemands sont partis du petit cabanon, nous nous y installons et il est bien plus chaud. Nous faisons un gros dîner et préparons le grand départ du lendemain (sauf s’il fait très mauvais) : un périple de dix jours passant par Katmai Pass, puis Katmai Canyon, et la mer avec ses arbres calcinés. Si le temps est mauvais (il y a de fortes chances pour qu’il le soit), ça va être l’Enfer !

J’apprendrai bien des années plus tard que les deux cabanons de la  Baked Mountain  ont été détruits lors d’une tempête en 2018, et ne peuvent plus être utilisés comme abri…

 Note pour une prochaine expédition : se mettre des élastoplasts avant le départ, et entourer les doigts de pied comme ceci :

Mercredi 26 août

Excellente nuit bien au chaud. Lever à 6h. Temps couvert mais pas de vent. Donc, départ pour Katmai Pass. Petit déjeuner, nettoyage du refuge. Départ à 8h30. Les sacs sont plus légers, on marche plus vite et plus longtemps.

Départ pour Katmai Pass

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