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Tommaso Campanella, de l’Apologie de Galilée à la Cité du Soleil

Tommaso Campanella, philosophe italien né en 1568 en Calabre et mort à Paris en 1639, a passé pratiquement la moitié de sa vie dans diverses geôles de l’Inquisition. Opposé à Aristote et adepte d’une philosophie qualifiée de « naturaliste », il a été accusé d’hérésie à plusieurs reprises, mais sa désobéissance et ses récidives lui ont valu en 1602 une condamnation à trente années de prison. Il en effectuera vingt-sept, au cours desquelles il rédigera plusieurs ouvrages, dont L’Apologie de Galilée (1611) et La Cité du Soleil (1623), tout en correspondant avec de nombreux savants, dont l’humaniste provençal Nicolas Fabri de Peiresc. Ce dernier deviendra son ami lorsque, quittant enfin l’Italie en 1634, Campanella se réfugiera en France.

L’Apologie de Galilée est un traité répondant à la question que lui posa en 1611 le Saint Office au sujet de la thèse copernicienne défendue par Galilée : « Le Soleil est le centre du monde, la Terre n’est pas immobile, mais elle tourne autour d’elle-même et autour du Soleil ». Il peut paraître étrange que, sur un sujet aussi sulfureux, l’Église ait demandé consultation à un philosophe qu’elle avait elle-même emprisonné pour sa pensée hérétique ! Mais c’est un signe que, une année seulement après la publication du Sidereus Nuncius où les observations astronomiques rapportées par le savant italien réfutaient la théorie géocentrique de Ptolémée, l’Eglise cherchait des avis éclairés extérieurs à sa congrégation. En outre, Campanella avait connu Galilée à Padoue.

Ce petit traité représente un tour de force dans la mesure où il fut composé en très peu de temps par un homme qui n’avait d’autres ressources que sa prodigieuse mémoire et les innombrables lectures qu’il avait retenues. Sous une forme polémique très virulente, il est néanmoins très persuasif en raison de sa grande érudition. C’est un document historique qui révèle d’une part une dévotion de Campanella envers le savant Galilée plus qu’envers la vérité astronomique ou philosophique elle-même, d’autre part le courage qu’il y avait à risquer une aggravation des maux déjà supportés par le philosophe incarcéré.

L’Apologie de Galilée se termine par une péroraison demandant qu’on n’interdise pas au savant de poursuivre ses études et qu’on ne supprime pas ses écrits, ce qui, annonce-t-il, ferait tomber le ridicule sur les Saintes Écritures. Nous savons que cela n’a guère plaidé favorablement la cause de Galilée, qui sera lui-même condamné pour hérésie en 1633. Nous savons aussi que ce dernier s’est bien gardé de faire le moindre commentaire sur cet ouvrage apologétique, de même qu’il s’était bien gardé de faire la moindre allusion aux écrits de Giordano Bruno, petites lâchetés qui lui seront plus tard reprochées par Johannes Kepler. L’ouvrage ne sera publié en Italie qu’en 1621. Il faudra attendre 2001 pour disposer d’une remarquable traduction en français de Michel Lerner – spécialiste mondialement renommé de cette période charnière de l’histoire de l’astronomie, déjà auteur d’un Nicolas Copernic d’un Monde des Sphères –, accompagnée de 150 pages d’introduction et de 117 pages de notes de premier ordre. A cette époque je présidais la commission scientifique au Centre National du Livre et j’avais chaudement recommandé l’octroi d’une subvention pour l’édition de l’ouvrage !

Bien plus connue est  La Cité du Soleil, utopie sociale et politique composée en latin, à l’exemple de la République de Platon et de l’Utopie de Thomas More (1516). Continuer la lecture

La révolution copernicienne chez les humanistes provençaux (1) : Montaigne

Début d’une série de billets adaptés d’un article paru en anglais dans la revue Inference

Le Soleil fixe au milieu des planètes

Dans le premier livre, je décris toutes les positions des orbes, ainsi que les mouvements que j’attribue à la Terre, afin que ce livre contienne pour ainsi dire la constitution générale de l’univers.
Nicolas Copernic, lettre-préface au pape Paul III, Des révolutions des orbes célestes, 1543 (trad. A. Koyré, Paris, Alcan, 1934)

Manuscrit du Commentariolus

L’œuvre princeps du chanoine polonais Nicolas Copernic (1473-1543), De Revolutionibus orbium cœlestium[i], publiée l’année même de sa mort, a été le fruit d’un long travail préparatoire présenté pour la première fois en 1515 sous forme réduite et manuscrite dans le Commentariolus[ii], diffusé uniquement auprès d’un cercle restreint d’intellectuels. Le traité astronomique complet de 1543 est considéré par les historiens modernes comme étant à l’origine de la vision moderne de l’univers. Il a pour objet d’attaquer, en vue de la remplacer, la thèse géocentrique consacrée par Aristote quelque deux mille ans plus tôt, et confortée par l’astronome alexandrin Claude Ptolémée dans son célèbre Almageste, prestigieux monument de science observationnelle et mathématique écrit dans les années 140 de notre ère, et qui depuis lors régnait sur l’astronomie occidentale et arabe.

Conscient des imperfections du système géocentrique de Ptolémée et soucieux de trouver une harmonie géométrique dans l’organisation du cosmos, Copernic réintroduit le système héliocentrique, modèle astronomique déjà évoqué dans l’Antiquité mais resté en sommeil, selon lequel le Soleil est au centre géométrique du monde tandis que la Terre tourne autour de lui en un an et sur elle-même en un jour. Ravalée au rang de simple planète, c’est-à-dire d’astre errant au même titre que Mercure, Vénus, Mars, Jupiter et Saturne, notre planète cesse ainsi d’occuper une position cosmologique privilégiée.

Dans la seconde moitié du XVIe siècle, le premier à mentionner le nom de Copernic en France est Omer Talon (1510-1562), un disciple de Petrus Ramus, dans les Academicae questiones de 1550 : la réception est plutôt favorable, car les ramistes sont hostiles à Aristote[iii]. En revanche, peu de ses contemporains prennent Copernic au sérieux, et les jugements sur l’héliocentrisme sont majoritairement négatifs. On lit notamment des railleries à l’égard de la thèse copernicienne chez les poètes de La Pléiade, comme le célèbre Du Bartas[iv] ou le moins connu Jean Bodin[v]. De fait, la doctrine de Copernic, jugée absurde car contraire à l’évidence sensorielle de l’immobilité terrestre, se répand très lentement ; le terme même de « révolution scientifique » qui lui est attaché n’a fait son apparition qu’au XXe siècle sous la plume de l’épistémologue Thomas Kuhn[vi].

Guillaume de Salluste seigneur du Bartas (1544-1590)

Il se trouve entre nous des esprits frénétiques
Qui se perdent toujours par des sentiers obliques
Et, de monstres forgeurs, ne peuvent point ramer
Sur les paisibles flots d’une commune mer.
Tels sont comme je crois ces écrivains qui pensent
Que ce ne sont pas les cieux ou les astres qui dansent
A l’entour de la terre, mais que la terre fait
Chaque jour naturel un tour vraiment parfait.
Guillaume de Salluste du Bartas, La Sepmaine ou création du monde, 1578.

Cependant, Michel de Montaigne (1533-1592) fait figure d’exception en soutenant, dans ses Essais, non seulement la thèse héliocentrique, mais en percevant aussi l’œuvre de Copernic comme une révolution scientifique en train de s’accomplir. Pour en comprendre les raisons profondes, il faut rappeler la position fondamentalement sceptique de Montaigne concernant la philosophie de la connaissance.

Le système héliocentrique de Copernic, déjà proposé dans l’Antiquité par Philolaos et Aristarque de Samos

Exercice de jugement sceptique sur l’astronomie

Montaigne reçoit une éducation humaniste dès son plus jeune âge ; il fait une carrière de magistrat, exerce la fonction de maire de Bordeaux et prend sa retraite à l’âge de trente-sept ans pour écrire et réviser, de 1571 à sa mort, les fameux Essais, qui sont des exercices de jugement. Continuer la lecture

Mes romans (3) : Le Secret de Copernic

Le secret de Copernic
(Les Bâtisseurs du ciel, tome 1)

EDITION ORIGINALE

381 pages, JC Lattès, Paris, 2006 – ISBN 978-2709625968

CopernicJPL“Le trait de lumière qui éclaire aujourd’hui le monde est parti de la petite ville de Thorn. ” C’est ainsi que Voltaire saluait le génie d’un homme dont l’esprit a effectivement révolutionné notre vision du monde. Et pourtant, en ce début de XVIe siècle en Pologne, lorsque Nicolas Copernic exerce ses multiples fonctions d’astronome, de médecin et de chanoine, les ombres sont menaçantes. Les Chevaliers teutoniques livrent leurs derniers combats, les royaumes cherchent de nouvelles alliances, la Réforme commence à fissurer l’Eglise… Au cœur de ces turbulences, Copernic va renverser les théories établies par Ptolémée et Aristote : la Terre n’est plus le centre de l’Univers, mais le Soleil ! Des ruelles de Cracovie aux universités de Bologne et de Florence, des ateliers de Nuremberg aux couloirs du Vatican, des voyages avec Dürer aux intrigues conduites par les Farnèse, ce roman qui mêle avec vivacité la science et l’histoire nous propulse dans une époque de grands changements et nous éclaire sur les débats théologiques et scientifiques de ce temps. Continuer la lecture

Hommage à Georg Joachim Rheticus, né le 16 février 1514

Il y a exactement 500 ans, le 16 février 1514, naissait Georg Joachim von Lauchen, dit Rheticus. Qui le connaît aujourd’hui, à part quelques historiens des sciences ? Sans lui, pourtant, Nicolas Copernic n’aurait jamais publié son traité De revolutionibus orbium coelestium (« De la révolution des orbes célestes »), l’avènement de la théorie héliocentrique et la révolution scientifique qui a suivi auraient été retardées de plusieurs décennies….

Portrait de Rheticus équipé d'un compas astronomique
Portrait de Rheticus équipé d’un compas astronomique

Pour les lecteurs qui ne sont pas familiers avec l’histoire de l’astronomie, je rappelle que depuis le début des temps et jusqu’à Copernic, en passant par Ptolémée au IIe siècle de notre ère, la Terre était considérée comme immobile au centre de l’univers. A la naissance de Rheticus, Copernic a déjà 40 ans. Il vient de distribuer confidentiellement à quelques savants et lettrés soigneusement sélectionnés des manuscrits de son Commentariolus, dans lequel il pose l’hypothèse que le Soleil est au centre du monde et non pas la Terre ; cette théorie dit « héliocentrique », implique donc que la Terre possède un double mouvement, l’un de rotation sur elle-même en 24 heures, l’autre de révolution autour du Soleil en une année. Deux mille ans auparavant, à Alexandrie, le génial Aristarque de Samos avait déjà émis la même hypothèse. Son ouvrage avait disparu dans l’incendie de la Grande Bibliothèque, mais Cicéron, Plutarque et Archimède l’avaient mentionné. Copernic en avait donc pris connaissance, il cita Aristarque dans son manuscrit initial, mais biffa par la suite toute mention des théories de l’astronome antique. Continuer la lecture