Vous n’avez très probablement jamais entendu du compositeur et graphiste Tristan Clais. Il vient de décéder le 4 janvier à l’âge de 88 ans. Il était mon ami et ce billet lui rend hommage.
Comme l’a écrit l’un de ses amis, Joseph Mornet, dans un article-hommage, raconter la vie de Tristan Clais tient presque de l’impossible tant elle fut foisonnante. Né en 1929, Tristan avait fait des études musicales et théâtrales au Conservatoire Royal de Bruxelles, à la suite desquelles il s’était engagé comme comédien au Théâtre National de Belgique et autres scènes pendant plusieurs saisons. En 1958, il est entré à la Radio Télévision Belge où il a présenté les programmes musicaux et les concerts publics pendant seize ans. Parallèlement il a mené une carrière de concertiste en tant que baryton, particulièrement en Allemagne (oratorios, lied …), et de récitant dans des œuvres de Henri Pousseur, Michel Butor, Darius Milhaud, etc…
A cette époque il a reçu des cours particuliers de direction d’orchestre avec le grand chef Igor Markevitch. Une bourse du gouvernement italien lui a été attribuée en 1962 pour perfectionner sa formation musicale à l’Academia Belgica de Rome. C’est là qu’il a décidé de se consacrer définitivement à la composition. Pendant toutes ces années, Tristan Clais a participé en parallèle aux activités du groupe surréaliste Phases avec son ami l’excellent peintre belge Jacques Lacomblez, écrivant des textes, participant à des « happenings », réalisant des collages et des graphismes.
A partir de 1971, ses œuvres musicales ont été régulièrement jouées et diffusées, en France et à l’étranger, fréquemment sous sa direction. Plusieurs d’entre elles ont été créées à Montpellier et sa région où le compositeur a vécu la dernière partie de sa vie. Son œuvre compte un nombre important d’opus utilisant divers ensembles instrumentaux, chanteurs et organistes, et montre un intérêt marqué pour la physique fondamentale et l’astrophysique, comme en témoignent les titres de nombre de ses œuvres : Alpha Céphéï II (1973, créé au Festival de Royan par I Solisti Veneti et Ars Nova sous la direction du compositeur), Jeu de Quarks I (ensemble 2E2M, direction Tristan Clais, Théâtre de l’Odéon 1975), et surtout la série des Cygnus initiée par Cygnus X1 pour piano et orchestre (1986, créé par l’ensemble 2E2M sous la direction du compositeur). Le titre est une référence explicite à la source X binaire Cygnus X1 – première source X répertoriée dans la constellation du Cygne, découverte en 1965 et qui, dans les années 1970, s’est révélée abriter le premier « candidat » trou noir de masse stellaire.
C’est en 1988 que Tristan Clais m’a écrit pour la première fois, exprimant son intérêt enthousiaste pour les phénomènes étranges de l’astrophysique. Particulièrement fasciné par les trous noirs, il venait de lire l’ouvrage de vulgarisation que je leur avais consacré en 1987 et souhaitait approfondir la question. Il venait de composer deux autres opus intitulés Cygnus X2 (pour orgue, 1986) et Cygnus X3 (sonate pour piano, 1986), sans doute bien informé que les observations effectuées en rayons X par des télescopes embarqués dans l’espace avaient effectivement découvert deux autres sources X binaires du même nom dans la constellation du Cygne…
Amateur de musique contemporaine et déjà désireux de tisser des liens fertiles entre astrophysique et musique, je lui ai répondu aussitôt. Une relation épistolaire s’est vite nouée. Dès lors Tristan a poursuivi son cycle en s’affranchissant des contraintes de catalogue, puisque la série s’est achevée par un Cygnus X21 parfaitement imaginaire… Écrites pour diverses formations instrumentales, ces pièces tentent toutes de transposer musicalement les phénomènes d’accrétion et d’engloutissement dans un trou noir. Dans Cygnus X-7 pour piano et orchestre, on entend par exemple un sifflement strident, persistant, voire exaspérant, évoquant le trou noir suçotant obstinément son étoile comme l’araignée sa proie. Des cascades pianistiques figurent le gaz qui dégringole en jetant ses derniers feux. Des grappes sonores nommées « clusters », constituées d’au moins trois sons conjoints et simultanés, souvent exécutées avec le poing, le coude ou l’avant-bras, dénotent la coagulation finale dans le trou noir. Certains nostalgiques de Dante y entendront les cris des âmes englouties. L’harmonie des sphères contemporaine n’est vraiment plus ce qu’elle était du temps de Kepler… Continuer la lecture