Le périple imaginaire de Liszt et Wagner dans Venise.
Courant 1882, Richard Wagner s’installe avec sa femme Cosima au Palais Vendramin-Calergi de Venise. Le compositeur de Tristan et Isolde a été conquis par la beauté du lieu au cours de voyages antérieurs. Quelques mois plus tard, en novembre 1882, le père de Cosima, Franz Liszt, rejoint le couple.
L’abbé Liszt, toujours vert, passe des heures à composer au piano quelques-unes de ses plus énigmatiques pages, ouvertes sur la « musique de l’avenir. » Son gendre, souffreteux, affaibli par la maladie, ne peut guère goûter aux plaisirs artistiques offerts par la cité des Doges. Liszt quitte Venise en janvier 1883, et un mois plus tard, le 13 février 1883, Richard Wagner meurt dans le Palais Vendramin. Son cercueil est acheminé sur l’une de ces « lugubres gondoles » que le génial Liszt avait mises en musique de façon prémonitoire au cours de son séjour vénitien – ce qui n’avait d’ailleurs pas manqué d’irriter son hypocondriaque gendre.
Ceci pour l’histoire vraie.
Philippe André, psychiatre, psychanalyste et musicien – qui plus est mon ami d’enfance : nous avons fait ensemble, en autodidactes, notre éducation musicale (voir cet ancien billet de blog) – vient de publier un extraordinaire roman dont je recommande absolument la lecture : Les deux mages de Venise. L’auteur imagine de manière extrêmement originale les derniers jours qu’ont partagé, au crépuscule de leurs vies et dans cette cité fantomatique, ces deux dieux de la musique nouvelle.
En proie à la douleur physique, tourmenté par des cauchemars oppressants, Richard Wagner conte à son épouse Cosima (qu’il affuble toutes les pages de “mon pinson friand de loukoums parfumés à la rose“, “ma chasseresse aux mille parfums d’Orient alambiqués en alcôve”, etc.) les fantastiques péripéties dans lesquelles l’entraîne son beau-père Franz Liszt.
L’abbé, toujours vert, rêve d’un art total qui prendrait forme dans une galère abandonnée transformée en théâtre. Wagner, moins audacieux dans la vie qu’il ne l’est dans ses opéras, suit avec peine. Au cours de leurs errances nocturnes se révèle peu à peu un monde fantastique peuplé de personnages baroques, nains, vieillards diaboliques, incarnations méphistophélesques, enchanteresses au tétin généreux. Sorti d’un conte d’Hoffmann, le professeur Spallanzani, figure brûlée par les acides, emprunte ses traits de cire à Liszt. Sa créature, Olympia, ressemble à Cosima. Du moins Wagner veut le faire croire à son épouse, pour excuser ses frasques et autres fantasmes érotiques. Wagner s’égare dans le labyrinthe vénitien, rêve, cauchemarde et finit par se réveiller, nu, à quelques pas d’un gouffre d’où émerge “le bruissement confus de la damnation”.
Caricature de Wagner écoutant Franz Liszt au piano. |
Philippe André fait ainsi vivre au lecteur, de l’intérieur, seconde après seconde, les ultimes fantaisies du génie qui engendra Tristan et Isolde, Parsifal et l’Anneau du Nibelung.
Style flamboyant, constantes références littéraires et musicales, festin de mots, incessantes trouvailles littéraires. Qui a dit que le roman français se mourait, ou bien s’étiolait dans la disparition du style ?
Un très grand livre, à lire absolument pour tous les passionnés de musique, d’art et de culture.
P.S. : Je recommande à mes amis mélomanes tous les autres ouvrages de Philippe André, consacrés à Franz Liszt Les Années de pèlerinage (2008, 2011), Nuages gris, le dernier pèlerinage de Franz Liszt (Le Passeur, 2014), et à Schumann : Robert Schumann, folies et musiques (Le Passeur, 2014).
Je vais commander ce livre. Il a l’air passionnant.
C’est en effet une excellente idée. Et merci de lire mon blog!