Suite du billet La Vallée des 10 00 Fumées, Alaska (4/9)
Carnet de voyage d’une expédition effectuée du 17 août au 7 septembre 1992 en Alaska
La vallée des Dix Mille Fumées (Valley of Ten Thousand Smokes) est située en Alaska, au Sud du parc national de Katmai. Elle tire son nom des nombreux panaches de vapeur d’eau qui s’échappaient du sol formé par l’éruption du volcan Novrupta en 1912. Accessible seulement après deux jours de marche à partir de Brooks Lodge – un camp tenu par des rangers-, elle offre des paysages extraordinaires. Avec un groupe de amis nous avons décidé de l’explorer sac à dos et en autonomie complète durant l’été 1992.
Participants:
Philippe A., médecin psychiatre
Arturo F., ingénieur
Marc L., astrophysicien
Jean-Pierre Luminet, astrophysicien
Didier P., astronome.
EPISODE 5 : 27-28 août
Jeudi 27 août
Lever à 6h45 après une nuit de profond sommeil. Brouillard, pluie fine, 12°C. Nous nous préparons quand même. Philippe et moi sommes prêts une demi-heure avant les autres, ce qui m’énerve un peu. Départ à 9h sous la pluie. Je me suis malheureusement réveillé avec la diarrhée, sans doute le Chili con carne lyophilisé d’hier soir. Cela va me gêner toute la journée, j’aurai trois crises de coliques.
Première partie dans les taillis épais et les marécages. Sous la pluie c’est le merdier, on est trempés de sueur sous les capes.
On continue ensuite à descendre le lit de la rivière Mageik, jusqu’à ce qu’elle s’engouffre dans un canyon. Il faut donc remonter sur les hauteurs, le long des flancs d’Observation Mountain. En l’absence de visibilité et avec des cartes incomplètes, il est impossible de s’orienter autrement qu’à la boussole. Ce n’est pas toujours évident mais Didier a une grande expérience de la marche à la boussole, nous le suivons !
Marche forcenée dans des petits canyons et les ruisseaux, sous la flotte. Première pause à l’arrêt de la pluie, après deux heures de marche continue en terrain accidenté. Poursuivant à la boussole, nous débouchons soudain sur un superbe panorama, c’est comme une délivrance : sous l’épaisse couverture nuageuse on voit la vaste plaine alluviale des rivières Mageik et Katmai qui se rejoignent, plus loin la mer où elles se jettent, et tout au fond le profil de l’île Kodiak. Nous voilà tout rassérénés et joyeux.
On descend vite dans la plaine, mais on bute sur le cours impétueux de la Mageik Creek. Trop dangereuse à traverser. Didier, encordé, fait quelques essais, en vain. Nous descendons le cours pour trouver un gué dans un élargissement de la rivière.
Nous découvrons la superbe forêt brulée, des centaines de troncs verticaux de conifères calcinés lors de l’éruption de 1912, dont certains sortent partiellement de l’eau, d’autres sont emprisonnés dans les berges d’argile. C’est une photographie de ce fantastique paysage que Philippe avait vue une année auparavant dans un numéro de National Geographic qui avait déclenché notre envie de faire cette expédition…
Nouvelle tentative de traversée par Didier et Philippe, en prenant relais sur des troncs intermédiaires dressés au milieu du courant, mais Philippe reste coincé au milieu, l’eau lui arrivant en haut des cuisses – la limite raisonnable au-dessus de laquelle on se fait emporter – accroupi et face au courant. Il réussit à revenir, Didier râle en affirmant que c’est parfaitement possible, Philippe râle aussi en mettant en avant sa plus petite taille qui le laisse plus exposé à la profondeur de la rivière. Pour ma part je regrette ma diarrhée et ma fatigue, sinon ça m’aurait plu d’aller tester le fleuve avec Didier. De toute façon Arturo ne veut prendre aucun risque, et on décide donc de continuer à descendre le cours. Nous parvenons à un très grand élargissement, où là il devient effectivement facile, bien que plus long, de traverser. Nous sommes évidemment trempés, mais l’eau n’est pas froide. De l’autre côté de la Mageik on aperçoit Fulton Falls, une belle cascade d’environ 80 mètres de haut, de l’autre côté de la plaine alluviale et sur la gauche, notre destination : l’entrée du canyon de la Katmai River.
Longue traversée de la plaine. Je suis très fatigué par ma diarrhée, vu que je n’ai pas pu m’alimenter normalement en barres de céréales.
Après huit heures de marche, nous trouvons un superbe endroit pour camper, sur le sable, mais juste au moment où les tentes sont dressées il se remet à pleuvoir. Il est 18h45. Tous s’endorment, écrasés de fatigue, sauf Marc et moi qui jouons aux échecs. Marc a parfaitement récupéré, il n’a plus mal aux pieds et suit le rythme. Parfait. Manque plus qu’un peu de soleil. Toujours pas vu d’ours, malgré des traces de pas. Il pleut toute la nuit.
Vendredi 28 août Continuer la lecture