Suite du billet précédent La révolution copernicienne chez les humanistes provençaux (3) : Peiresc
De l’astronomie à l’atomisme
Pierre Gassendi naît le 22 janvier 1592 près de Digne, dans les Alpes de Haute-Provence. Après avoir commencé ses études au collège de Digne, il suit des cours de philosophie à l’université d’Aix. En 1614, après l’obtention d’un doctorat de théologie à Avignon, il est nommé professeur de rhétorique et chanoine à Digne, puis professeur de philosophie à Aix, dont il semble avoir été chassé par la venue des jésuites. Il terminera sa vie le 24 octobre 1655 à Paris, après avoir été nommé, dix ans auparavant, professeur de mathématiques au Collège Royal (devenu depuis le Collège de France). Gassendi est le type même de l’humaniste polyvalent : il est à la fois astronome, mathématicien, philosophe, théologien et biographe[i]. Mais c’est en astronomie et en philosophie que ses travaux seront les plus durables.
Fils de cultivateurs peu aisés, Pierre Gassendi aurait dès son enfance contracté sa passion pour les choses du ciel en gardant les troupeaux de nuit. Toute sa vie il ne cessera d’observer, utilisant à la fois des lunettes et des instruments à pinnules. Pendant ce premier demi-siècle d’existence des lunettes, les deux méthodes se pratiquent en effet en parallèle : avec les lunettes on cherche à faire des découvertes, avec les instruments traditionnels comme le quart de cercle ou le rayon astronomique que l’on utilise à l’œil nu, on prend les mesures, ce que les lunettes ne permettent pas encore de faire[ii].
Les taches solaires sont l’une des grandes nouveautés révélées par la lunette, mais dans un premier temps elles ne sont pas comprises. A l’époque de Gassendi, il faut multiplier les observations pour essayer de déterminer leur vraie nature. Les taches sont-elles sur la surface du soleil, ou de petits satellites tournant autour de lui ? Sont-elles des nuages, ou bien une imperfection de la lunette elle-même ? Gassendi commence ses observations en 1620 et en fait une longue série, avec un regain d’activité autour de 1626, l’année des premiers travaux de Christoph Scheiner (1575-1650) sur la question, qui prend les taches pour des satellites. Gassendi suit au contraire Galilée, en les considérant comme des marques sur la surface du soleil, et donc une preuve de la rotation de notre étoile. A partir de ses observations des taches, il détermine la vitesse de rotation du soleil, obtenant une estimation de 25 à 26 jours, résultat assez remarquable pour ces valeurs qui varient selon la latitude. Malheureusement, la plupart des observations solaires de Gassendi, faites avant la période où il a conservé systématiquement ses notes dans des cahiers, sont perdues. Par la suite, Gassendi devient l’un des premiers astronomes à comprendre l’importance que peut avoir un recueil d’observations. Le 27 septembre 1635, il écrit à Peiresc que « pour empêcher que ces papillotes ou plumitifs de mes observations ne s’égarent plus, j’ai commencé depuis quelque temps d’écrire le tout en une main de papier toute entière que j’ai cousue et couverte en parchemin à ce dessein. » Son diaire (journal astronomique) est né, en même temps que la reconnaissance de la nature essentiellement historique de l’astronomie, qui le poussera à organiser et préserver ses propres observations.
J’ai parlé dans le billet précédent du projet d’atlas lunaire mené conjointement par Gassendi et Peiresc à partir de 1634. De septembre à décembre 1636, on peut suivre les observations de la lune dans le diaire de Gassendi. Hélas, la mort de Peiresc le 24 juin 1637 met un terme à la préparation de l’atlas. Le graveur Claude Mellan reste à Paris et Gassendi, très affecté, abandonne le projet. Comme il l’explique dans sa Vie de Peiresc, leur objectif, outre le pur intérêt astronomique, était d’ordre cosmologique, s’agissant de mettre en évidence le fait que le globe de la lune est semblable au globe terrestre, et d’avaliser l’intuition de Galilée sur la profonde unité entre la physique terrestre et la physique céleste. Continuer la lecture