Entre 2001 et 2007 j’étais chargé des recensions de livres de culture scientifique pour Vient de Paraître, une revue trimestrielle d’actualité des livres français, destinée aux médiathécaires et aux libraires de l’étranger. Editée par l’Association pour la diffusion de la pensée française (ADPF) sous la double tutelle des ministères des affaires étrangères et de la culture, elle avait pour ambition de favoriser la diffusion du livre et de l’écrit français hors des frontières. Vient de paraître a … disparu en 2007 en même temps que l’ADPF, lorsque cette dernière a été absorbée par Culturesfrance, aux missions culturelles élargies à de nouveaux secteurs. Mais Culturesfrance n’a survécu que jusqu’en 2010, ayant laissé la place à un “établissement public à caractère industriel et commercial” (EPIC), qui a pris le nom d’Institut français. Valse des étiquettes, changements de direction et revirements illustrent hélas le délitement progressif mais constant de la politique des gouvernements successifs en matière culturelle (c’est encore pire en ce qui concerne la recherche scientifique, mais c’est une autre histoire).
Toujours est-il qu’il m’a semblé utile de reproduire sur mon blog ces recensions passées, restées en leur temps assez confidentielles – d’autant que je les agrémente d’illustrations, absentes des publications originales . Certes, les ouvrages analysés ne sont pas les toutes dernières nouveautés 2013-2014, mais en ce domaine – la culture scientifique -, nombre de textes résistent sans doute mieux à l’épreuve du temps. Par ailleurs, les ouvrages sont encore disponibles en librairie ou sur internet. Ayant fait une bonne centaine de recensions, je ne vous les livre que progressivement. Ceci est ma première “livraison”.
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Michel Cassé : Généalogie de la matière
Odile Jacob (2000), 284 p., ISBN : 2-7381-0846-6.
Michel Cassé est astrophysicien au Commissariat à l’énergie atomique. Il a déjà publié plusieurs ouvrages dans lesquels ses qualités de vulgarisateur se conjuguent à une invention littéraire constante. Son sens original de la métaphore, son lyrisme si particuliers peuvent dérouter le lecteur friand d’une vulgarisation factuelle et purement informative. Les autres se laisseront volontiers emporter par des images souvent saisissantes, et plus profondes qu’il n’y paraît en première lecture.
Généalogie de la matière raconte l’origine des éléments à la lumière de l’astrophysique nucléaire. Le ciel ne nous donne à voir, en première lecture, que les points lumineux des étoiles. Mais sous cette première écriture visible, l’astronomie moderne est parvenue à déchiffrer l’origine des atomes. L’outil de prédilection du généalogiste cosmique est l’astrophysique nucléaire. Cette discipline fascinante, qui jette une passerelle entre le microcosme des atomes et le macrocosme du ciel, explique l’origine et l’évolution des éléments qui composent le réel. En comprenant pourquoi les étoiles brillent, de quel feu elles se consument et quel est le message qu’elles nous transmettent, le lecteur apprend que c’est dans les étoiles que se forment les éléments dont sont faites toutes choses. Pour Michel Cassé, le secret des secrets n’est plus la transmutation des métaux en or, jadis rêvée par les alchimistes – un processus nucléaire banalement réalisé dans le cœur des étoiles massives. C’est l’émergence de la vie. La chair de l’humanité est contenue en germe dans les supernovæ, ces débris d’étoiles explosées.
L’ouvrage de Michel Cassé mêle ainsi vulgarisation de haut niveau (certains passages sont assez techniques) et réflexion philosophique sur la place de l’homme dans la nature. On en sort, non pas écrasé par l’immensité cosmique, mais émerveillé par la subtilité de l’alchimie stellaire, et étonné par la prodigieuse montée de la complexité qui accompagne l’évolution de l’univers depuis le big-bang.
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Claude Ptolémée : Le Livre unique de l’astrologie
Nil Éditions (2000), trad. du grec, annoté et introduit par Pascal Charvet, 280 p., ISBN 2-84111-159-8
Il aura fallu attendre jusqu’à l’an 2000 pour que le livre fondateur de l’astrologie occidentale, Tetrabiblos, écrite au IIe siècle de notre ère par l’immense savant que fut Ptolémée, soit enfin livré au public dans une traduction intégrale, faite à partir de l’original grec. Cet ouvrage mythique ne fut jusqu’à aujourd’hui connu en France qu’au travers d’une traduction de seconde main qui interprétait des versions latines du texte. La présente traduction française rend donc ce livre unique à sa clarté et à sa rigueur, et cela dans un style accessible à tous, voulu par Ptolémée.
Cet ouvrage est l’œuvre d’un grand scientifique – féru d’astrologie mais surtout astronome, géographe, physicien, mathématicien, musicien et philosophe. Soucieux de comprendre la complexité du cosmos et d’en restituer l’unité et l’ordre, ce Grec, qui vivait sous l’empereur Hadrien, n’a rien d’un superstitieux. Dès les premières pages, il distingue nettement la science exacte qui produit des certitudes astronomiques et l’art des probabilités astrologiques, désignant, avec une lucidité critique, les limites qu’il convient de poser à la conjecture astrale. Héritier des savoirs égyptiens et chaldéens, Ptolémée en fait la synthèse pour enrichir le vaste système astrologique qu’il propose et qu’il semble, défiant le temps, bâtir pour l’éternité. Sa lecture permet de dépasser tous les sectarismes.
Pour faire de cette « bible » un véritable manuel selon la volonté exprimée par Ptolémée qui entendait conduire son propos « à la manière d’un manuel d’enseignement systématique », de nombreux commentaires, des exemples de thèmes de naissance et une foule de documents visuels accompagnent le texte de manière à rendre chaque fois palpables les réalités célestes évoquées.
Le traducteur et commentateur Pascal Charvet, helléniste et professeur de chaire supérieure de langues anciennes, a travaillé avec un astrophysicien spécialiste de l’astronomie antique, Robert Nadal ; un ethnologue, Yves Lenoble ; et un autre helléniste, Jean-Marie Kowalski.
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Tommaso Campanella : Apologie de Galilée
Belles Lettres (2001), trad. du latin, introduction et notes par M. Lerner, 336 p., ISBN 2-251-34509-4
L’Apologie de Galilée est un traité apologétique du philosophe italien Tommaso Campanella composé au début de 1616 en prison, où Campanella purgeait une peine de trente ans infligée par l’Inquisition. L’œuvre de Campanella veut répondre à la question posée par le Saint Office à ses consulteurs : « Le Soleil est le centre du monde, la Terre n’est pas immobile, mais elle tourne autour d’elle-même et autour du Soleil », autrement dit la thèse copernicienne défendue par Galilée. Il peut paraître étrange que, sur un sujet aussi sulfureux, l’Église ait consulté un philosophe lui-même emprisonné pour sa pensée hérétique !
L’Apologie de Galilée représente un tour de force dans la mesure où elle fut composée en très peu de temps par un homme qui n’avait d’autres ressources scientifiques que sa prodigieuse mémoire et les innombrables lectures qu’il avait retenues. Sous une forme polémique très virulente, elle est néanmoins très persuasive en raison de sa grande érudition. C’est un document historique qui révèle une dévotion de Campanella envers le savant Galilée plus qu’envers la vérité astronomique ou philosophique elle-même, et le courage qu’il y avait à risquer une aggravation des maux déjà supportés par le philosophe emprisonné. L’Apologie de Galilée se termine par une péroraison demandant qu’on n’interdise pas au savant de poursuivre ses études et qu’on ne supprime pas ses écrits, ce qui ferait tomber le ridicule sur les Saintes Écritures. Nous savons que cela n’a guère plaidé favorablement la cause de Galilée, nous savons d’autre part que ce dernier s’est bien gardé de faire le moindre commentaire sur cet ouvrage apologétique, de même qu’il s’était bien gardé de faire la moindre allusion aux écrits de Giordano Bruno, petites lâchetés qui lui seront plus tard reprochées par Johannes Kepler.
Le maître d’œuvre de la traduction, de l’annotation et de la présentation générale de l’ouvrage est Michel Lerner. Directeur de recherches au CNRS et spécialiste mondialement renommé de cette période charnière de l’histoire de l’astronomie, il est déjà auteur d’un Nicolas Copernic aux éditions du CNRS et d’un Monde des Sphères aux Belles Lettres, ouvrages très érudits et richement documentés. Ce livre important et souvent cité de Campanella n’était pas disponible en français. Il a été publié avec le concours du Centre national du Livre.
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Pietro Corsi : Lamarck. Genèse et enjeux du transformisme.
CNRS Éditions (2001), 438 p., ISBN 2-271-05701-9
Professeur d’histoire des sciences à l’université de Paris-Sorbonne et directeur d’études à l’EHESS, Pietro Corsi consacre ses recherches à l’histoire des théories de l’évolution. Dans cet ouvrage, il suit le rayonnement de la pensée transformiste dans l’Europe du XIXe siècle à travers la vie et l’oeuvre de Lamarck. Contrairement à une idée largement répandue, Lamarck ne fut ni un prophète isolé, ni un précurseur injustement oublié de Darwin, ni un savant dépassé par les travaux novateurs de ses contemporains Lavoisier, Cuvier ou Haüy. Le naturaliste participa pleinement aux grands débats de son temps sur l’extinction des espèces, la réforme de l’histoire naturelle, les théories de la terre et bien d’autres sujets brûlants. Lamarck occupe ainsi une place de choix en physique, en chimie, en météorologie et en géologie. Pietro Corsi nous offre une passionnante restitution des grands débats scientifiques et idéologiques de l’époque, et nous fait comprendre la permanence des thèmes lamarckiens dans la culture scientifique européenne.
Réjoui d’avance de la publication de ces recensions.
Ma pile de livre à parcourir va s’en trouver allongé.
Merci pour le partage ce travail.