Comment mesurer la richesse ou la pauvreté ? En général, on fixe des seuils. Par exemple, en France, certains économistes estiment qu’un ménage sans enfant est riche à partir de 4000 € de revenu mensuel et 400 000 € de patrimoine. D’où vient un tel calcul ? Comme pour le calcul du QI, il vient de la courbe en cloche. Ces chiffres correspondent aux 8 % les plus fortunés. Dans ce cadre, on ne peut les contester. Cependant, ils ne correspondent en rien à ce que l’on nomme réellement « les riches ». Au plus pourrait-on qualifier ces personnes d’aisées. D’autre part, faut-il comprendre qu’un euro seulement sépare le riche du non riche ? Sans doute non. Toutes les tentatives de définition de ce type se heurteront à cette absurdité. La richesse dépend sans doute de bien plus de paramètres et se laisse mal emprisonner dans un seul nombre. Il en est de même de la pauvreté. Dans ce cas, les chiffres utilisés correspondent au côté gauche de la courbe en cloche.
Le Produit Intérieur Brut
Mesurer la richesse individuelle est donc un exercice périlleux. Il semble plus simple pour un pays. On dispose alors d’un indice solide : le Produit Intérieur Brut ou PIB. Il s’agit de la mesure du revenu provenant de la production dans un pays donné. Son calcul est donc purement comptable. En divisant le PIB par le nombre d’habitants, on obtient le PIB par habitant, que l’on utilise souvent comme mesure du niveau de vie d’un pays. Cet indice est critiqué par un grand nombre d’économistes car il est exclusivement monétaire. Il ne tient pas compte notamment que, dans certains pays, on mange très bien pour quelques euros. Il ne tient pas compte non plus du travail bénévole, qui contribue pourtant au niveau de vie. Il ne tient pas compte de tout ce qui fait le sel de la vie comme le disait Robert Kennedy en mars 1968, alors qu’il était candidat à la présidence des États-Unis :
Le PIB ne tient pas compte de la santé de nos enfants, de la qualité de leur instruction, ni de la gaieté de leurs jeux. Il ne mesure pas la beauté de notre poésie ou la solidité de nos mariages. Il ne songe pas à évaluer la qualité de nos débats politiques ou l’intégrité de nos représentants. Il ne prend pas en considération notre courage, notre sagesse ou notre culture. Il ne dit rien de notre sens de la compassion ou du dévouement envers notre pays. En un mot, le PIB mesure tout, sauf ce qui fait que la vie vaut la peine d’être vécue.
Le Bonheur National Brut
Comme le sous-entend ce texte, l’exercice de quantification devient vraiment périlleux quand on veut mesurer le bonheur, et le résumer en un seul chiffre. Une telle évaluation est-elle possible ? C’est ce que veulent croire les dirigeants du Bhoutan, qui ont créé un indice ad hoc, le Bonheur National Brut. Il repose sur quatre principes fondamentaux : croissance et développement économiques, conservation et promotion de la culture bhoutanaise, sauvegarde de l’environnement et utilisation durable des ressources et bonne gouvernance responsable. Ces quatre axes sont évalués à travers 72 mesures. Les résultats sont pondérés pour obtenir un seul nombre, ce qui prête à la même critique que tous les systèmes de notation. D’autre part, certains critères peuvent sembler bien loin du bonheur de tous. Ainsi, la conservation de la culture bhoutanaise pousse à l’exclusion de l’étranger, ce qui s’est effectivement passé avec les résidents d’origine népalaise. Que dirait-on de l’application d’un tel critère en France ? D’autres calculs ont été proposés, ils mélangent, avec une pondération compliquée, économie, environnement, santé physique, santé mentale, bien-être au travail, bien-être social et santé politique. Même si certains critères peuvent être évalués de manière qui semble objective en comptant le nombre de plaintes au travail, le nombre de divorces, la quantité d’antidépresseurs consommés, etc. on peut douter du bien fondé de tels calculs. Vouloir résumer le bonheur en un seul nombre montre plutôt la fascination qu’exercent les nombres sur l’esprit de nos contemporains.