John Horton Conway, né le 26 décembre 1937 et mort lors de la pandémie de Coronavirus le 11 avril 2020, est l’un des mathématiciens les plus originaux du XX° siècle. Il est particulièrement connu pour sa création du jeu de la vie, qui est déjà l’objet d’un article de ce blog.
Un cercle dans un triangle
En pleine époque des maths modernes, le malicieux Conway a découvert une propriété du triangle qui aurait pu l’être par Euclide, trois siècles avant notre ère.
Soit ABC un triangle, a, b et c les longueurs des côtés BC, CA et AB. On prolonge les côtés comme indiqué sur la figure, on obtient ainsi six points notés de petits ronds sur la figure. Conway a découvert que ces six points appartenaient à un même cercle, appelé depuis cercle de Conway du triangle ABC en son honneur.
Analyse : centre du cercle de Conway
En supposant que ce cercle existe, on démontre en considérant les couples de points venant du même sommet que son centre appartient à chacune des bissectrices du triangle ABC. Il s’agit donc du centre du cercle inscrit I.
Synthèse : cercle de Conway
On considère les bissectrices PP’, QQ’ et RR’ du triangle ABC et le cercle de centre I passant par l’un des points verts. On démontre de proche en proche qu’il passe par tous les points verts puisque les droites PP’, QQ’ et RR’ sont les médiatrices des couples de points verts contigus.
Les coquilles des escargots sont des spirales qui peuvent croître de manière dextre ou senestre. En fait, ils sont presque tous dextres. Seuls un sur dix mille est senestre dans l’espèce des petits gris mais il existe des espèces où c’est le contraire.
Les tire-bouchons usuels, c’est-à-dire pour droitiers, sont dextres, les tire-bouchons pour gauchers sont senestres.
Les queues de cochons
De même la queue en tire-bouchon des cochons peut être dextre ou senestre. Dans ce cas, il se trouve qu’il y a autant de cochons dextres que de cochons senestres. Le sexe des cochons mâles a la même propriété. Ces différences entre dextre et senestre se retrouvent au niveau des molécules, ce qui a parfois des conséquences sur leurs propriétés.
Le pangolin en boule
Pour échapper à ses prédateurs, le pangolin (oui, le mammifère impliqué dans l’origine du Covid-19) se roule en boule, ce qui le rend vulnérable aux braconniers.
D’où la question : existe-t-il deux sortes de pangolins selon l’orientation de la boule ?
Dans leurs calculs, les statisticiens utilisent la loi des grands nombres. La française des jeux n’opère pas autrement pour gagner de l’argent ! Le hasard n’intervient que pour les joueurs, pas pour elle ! Les compagnies d’assurance agissent de même. Si elles assurent cent mille voitures, elles savent d’avance combien auront d’accidents et quel en sera le coût. La prime d’assurance est calculée en fonction de ce risque qui n’en est plus un dès que l’on applique la loi des grands nombres ! Si 5% des automobilistes ont un accident chaque année, vous ne pouvez prévoir si vous en aurez un. En revanche, votre compagnie d’assurance sait que, sur ses cent mille assurés, cinq mille auront un accident.
La loi des petits nombres
Les particuliers ne raisonnent pas ainsi. Si un événement malheureux mais peu probable se produit deux fois de suite à une année d’intervalle, ils se diront que jamais deux sans trois et prévoiront un troisième pour l’année suivante. A l’inverse, plusieurs années sans accident leur feront croire que plus rien ne peut leur arriver. Autrement dit, ils utilisent une loi des petits nombres et non la loi des grands nombres. Bien entendu, il ne s’agit pas de mathématique mais de psychologie !
Une question de psychologie
Pour un mathématicien, cette loi des petits nombres peut passer pour un canular. C’est pourtant de manière tout à fait scientifique et en utilisant correctement la loi des grands nombres que Daniel Kahneman l’a mise en évidence. Plus précisément, il a étudié expérimentalement le comportement moyen des américains devant l’assurance ! Il apparaît que plusieurs années sans accident pousse la moyenne des américains à résilier ses contrats d’assurance ! Pour cette étude, ce professeur de psychologie à Princeton a obtenu le Prix Nobel d’économie en 2002.
Il semblerait que certains états appliquent cette loi des petits nombres et suppriment des équipements de précaution, comme des masques de protection, quand ils se sont révélés inutiles plusieurs années de suite. D’autres, dans l’affolement, feront des tests de médicaments sur des petits nombres pour en déduire avoir trouvé le traitement miracle.
Prenez un mot de neuf lettres, comme « minutieux », brouillez-les, vous obtenez par exemple XNIIMTUEU. Écrivez-le dans ce nouvel ordre dans un carré 3 par 3 :
Nous avons ainsi formé une grille de notre jeu quatre sur neuf. Le but est maintenant de trouver un maximum de mots français de quatre lettres contenant la lettre centrale (en bleu, ici M) en un minimum de temps. Les accents ne comptent pas, ainsi mute et muté sont considérés comme le même mot.
Si on commence par les mots dont la première lettre est M, nous trouvons rapidement : mite, mine, mixe, mute, muni, muet, meut, etc. Nous pouvons continuer en essayant de placer M dans une autre position : émut, etc.
Quelle est la meilleure stratégie possible ? Chacun la sienne sans doute mais le jeu demande manifestement des qualités de lecture d’un pavé de trois lettres sur trois. Comment voir les chemins intéressants ? Il demande aussi de considérer les digrammes selon leurs fréquences. Par exemple, ici, « en » et « un » sont fréquents donc à considérer pour gagner du temps.
Combien existe-t-il de solutions pour cette grille ? La question est ouverte et la réponse dépend du dictionnaire utilisé. Peut-on trouver une grille sans solution ? Avec une seule ? Deux, etc. ? Toutes ces questions sont ouvertes cher lecteur… et attendent vos réponses. On comprendra, par exemple, que de partir d’un mot de neuf lettres assure la présence de lettres, digrammes et trigrammes relativement fréquents… et donc augmente le nombre de solutions.
Pour vous exercer
Il est facile de créer d’autres grilles, et de même de créer un logiciel pour jouer à ce jeu en français.
On part d’une liste de mots de neuf lettres (il en existe plus de 50 000), d’un générateur de permutations aléatoires d’un ensemble à neuf éléments puis d’un dictionnaire pour vérifier les solutions trouvées. Il reste à ajouter une horloge pour augmenter le stress du joueur. Attention avant de créer ce jeu : il est hautement addictif et son abus peut provoquer de graves ennuis de santé !
Le jeu de la vie, inventé en 1970 par John Conway, n’est pas vraiment un jeu. Ce terme est cependant moins rébarbatif que celui d’automate cellulaire, qui est pourtant plus exact. Il trouve ses origines dans des travaux conduits par John von Neumann dans les années 1940. Nous garderons la métaphore du jeu pour en parler, même si certains trouveront le terme mal adapté quand il s’agit de maladies potentiellement mortelles. L’essentiel est d’aider la compréhension. Voyons quelles en sont les règles.
Les règles du jeu de la vie
Pour jouer, prenez un damier et des pions. Les cases sont considérées comme des cellules ; elles peuvent être mortes ou vivantes. On utilise les pions pour matérialiser les cellules vivantes. Au début du jeu, on place des pions sur n’importe quelle case. On joue ensuite par étapes selon les règles suivantes :
— une cellule morte entourée de trois cellules vivantes ressuscite, sinon elle reste morte ;
— une cellule vivante reste en vie si elle a deux ou trois voisines vivantes, sinon elle meurt.
Bien que l’évolution du jeu soit complètement déterminée par la disposition initiale des cellules, on n’en assiste pas moins à quelques situations qui peuvent paraître surprenantes. Ainsi, en alignant tout simplement trois cellules vivantes les unes à côté des autres, on obtient une situation où les trois cellules se reproduisent, alignées horizontalement puis verticalement et ainsi de suite.
Le jeu des épidémies
Ce jeu est loin d’être un simple amusement : il s’agit d’un exemple de ce que l’on nomme « automate cellulaire », particulièrement utile pour modéliser les processus d’expansion des épidémies comme des épizooties. En préalable à ce type d’application, il est nécessaire d’étendre le damier à l’infini. Au départ, toutes les cellules sont saines. On place une cellule infectée puis on « joue » avec la règle probabiliste suivante :
— les cellules voisines de la cellule infectée sont infectées au coup suivant avec la probabilité p ;
— la cellule meurt ou est immunisée le coup suivant.
La question qui intéresse autant les épidémiologistes que le grand public est donc : « Pour quelles valeurs de p, la maladie se propage-t-elle au monde entier ? »
Un modèle probabiliste
Le modèle est ici « probabiliste », et donc on ne peut prédire à l’avance ce qui va se produire dans un cas particulier. Pour avoir une idée rapide de l’évolution moyenne du système, le mieux est de procéder à une simulation. Pour cela, on « joue » selon les règles énoncées ci-dessus en utilisant un générateur de nombres pseudo-aléatoires et on comptabilise le nombre de cellules infectées. En jouant cent fois de suite et en faisant la moyenne des résultats, on obtient une mesure de l’expansion moyenne de l’épidémie.
Taux critique
En dessous d’un certain taux de contamination p, l’épidémie ne s’étend pas. En revanche, au dessus de ce taux, elle envahit le monde entier. Dans le cadre de notre modèle simplifié, le taux critique se situe entre 30 % et 40 %. Une maladie ne devient épidémique que si ce taux est dépassé. Comment ce modèle peut-il être adapté pour bien modéliser différents types d’épidémies ou d’épizooties ? Tout d’abord, on peut modifier le voisinage de chaque cellule, composé ici de huit cellules — les spécialistes parlent de voisinage de Moore, du nom d’Edward Moore, l’un des fondateurs de la théorie des automates. On utilise souvent un voisinage plus simple, dit de von Neumann, constitué des quatre cellules partageant un côté avec la cellule considérée. Avec ce nouveau modèle, le taux critique pour lequel une maladie devient épidémique se situe aux alentours de 60 %. On peut également améliorer le modèle en tenant compte du temps pendant lequel une cellule infectée est contagieuse puis du taux de mortalité et d’immunité ainsi que du temps d’immunité. On arrive ainsi à retrouver la façon dont se sont propagées des épidémies comme la peste dans l’Europe médiévale. Une première vague a tué le tiers de la population en se propageant à partir d’un épicentre situé dans un port, suivie de plusieurs répliques plus faibles, toutes partant du même point. Ces répliques correspondent à la fin de certaines immunités.
La confrontation avec les données épidémiologiques a permis de montrer que ce type de modèles a une certaine pertinence pour toutes les maladies qui se propagent par contact direct : grippe, tuberculose, coronavirus ou même sida. En revanche, il ne fonctionne plus lorsque la maladie se propage via un agent infectieux, comme dans le cas du paludisme ou du chikungunya.
Géométrie des contagions
Comment considérer maintenant la notion de « cellule voisine » dès que l’on évoque les réseaux de transports aériens, maritimes ou terrestres ? Dans le cas d’une épidémie de grippe humaine, l’aéroport de Paris est voisin de celui de Hong-Kong. Dans le cas d’une épizootie de grippe aviaire, deux élevages fréquentant le même marché aux bestiaux sont voisins. On doit de plus tenir compte des migrations naturelles des oiseaux sauvages. Dans tous ces cas, on retrouve la notion de réseaux.
En modifiant le modèle du jeu, on peut passer du cas où chaque cellule représente un individu à celui où elle représente un domaine où les individus sont en relation constante : un élevage de volaille dans le cas de la grippe aviaire, une ville dans le cas de la tuberculose, du sida ou de la grippe humaine. Ces domaines sont reliés entre eux pour former un réseau. Dans chaque cellule, la modélisation suit une autre logique, celle du modèle « SIR » dû à William Kermack et Anderson Mac Kendrick en 1927 (voir l’article correspondant sur ce blog). Ce modèle compartimente la population en trois classes : S, la classe des individus susceptibles d’attraper la maladie, I, celle de ceux qui en sont infectés (et contagieuses) et R, ceux qui en sont guéris (et immunisés) ou décédés.
Seuil de propagation
On considère l’évolution de ces trois classes dans le temps en fonction de deux taux mesurables expérimentalement. Le premier (a) est le taux de contagion de la maladie pour un infecté, c’est-à-dire la probabilité pour qu’un individu susceptible attrape la maladie après contact avec un individu infecté. Le second taux (b) mesure le passage de l’état I à l’état R.
Après un laps de temps t, on compte aI S t infectés supplémentaires et R augmente de bI t. La variation du nombre d’infectés est donc égale à aS – b multiplié par I t. La condition pour que la maladie se propage (et donc donne lieu à une épidémie) est que le nombre de malades infectés augmente, c’est-à-dire que : aS – b > 0. Le quotient b / a a donc valeur de seuil. Si le nombre de sujets susceptibles est strictement inférieur à ce seuil, la maladie ne s’étend pas. Sinon, elle donne lieu à une épidémie (ou à une épizootie).
D’une façon qui peut paraître paradoxale, l’apparition d’une épidémie ne dépend donc pas du nombre de personnes infectées mais du nombre de personnes susceptibles d’attraper la maladie ! Cette remarque justifie à elle seule les politiques de vaccination, même avec un vaccin peu efficace.
Dans Les Eléments, Euclide pose plusieurs axiomes et définitions de la géométrie plane puis démontre un certain nombre de théorèmes. Entre les deux, il postule que, par un point donné, il passe une et une seule parallèle à une droite donnée. En apparence, il s’agit d’un théorème sans preuve. Des générations de mathématiciens ont essayé de le démontrer sans jamais y arriver. Avant d’analyser la question, il est nécessaire de revenir sur les axiomes d’Euclide.
Les axiomes d’Euclide
Il serait fastidieux de passer en revue les axiomes et les définitions de la géométrie plane d’Euclide. Pour en comprendre l’origine, il suffit de revenir au mythe de la caverne, une allégorie où Platon estime que le monde réel est rempli d’objets dont les modèles sont ailleurs, dans le monde des idées. De la même façon, les points, droites et angles d’Euclide sont les idées des points, droites et angles réels tels qu’un maçon les utilise. Qu’est-ce qu’une droite ? Pour le comprendre, faites comme le maçon. Prenez une corde et deux piquets. Plantez les deux piquets et tendez la corde. Vous réalisez ainsi le plus court chemin entre eux.
Avec la même méthode et trois piquets, vous fabriquez un triangle donc trois angles.
Une preuve sous condition
Une petite figure suffit pour démontrer ce résultat. Pour la tracer, en plus de notre corde et de nos piquets, munissons-nous d’un rapporteur capable de reporter un angle donné le long d’une droite, en un point.
Considérez un triangle ABC, prolongez le côté AB en BE et du point B, en utilisant le rapporteur, portez la droite BD de sorte que l’angle CBD soit égal à l’angle ACB (en rouge tous les deux). De même, portez la droite BD’ de façon que l’angle EBD’ soit égal à l’angle BAC (en bleu).
Les droites BD et BD’ sont parallèles à la droite AC (les angles rouges et jaunes sont alternes internes). Elles sont donc identiques puisque, d’un point, on ne peut tracer qu’une parallèle à une droite donnée. Les trois angles du triangle ABC se reportent ainsi en B pour former un angle plat, c’est-à-dire 180°. Nous avons ainsi démontré que la somme des angles d’un triangle est égale à 180° … si le postulat d’Euclide est vrai.
L’idée qui dépostule
Quand on dessine la figure précédente sur une feuille de papier, les droites BD et BD’ sont confondues. Coupons le papier le long de la demi-droite BD et déplaçons BD’ sur BD, la feuille se courbe. Elle devient comme un sommet de montagne et la somme des angles du triangle, supérieure à 180°. Au contraire, en écartant BD’ de BD, la feuille se courbe dans l’autre sens. Elle devient comme un col de montagne et la somme des angles du triangle, inférieure à 180°.
Triangle sur la sphère
Pour développer cette idée, reprenons les axiomes d’Euclide sans le postulat en nous plaçant avec nos piquets, notre corde, notre rapporteur et nos définitions sur une sphère. Le plus court chemin entre deux points est obtenu en suivant l’arc de grand cercle entre eux.
Sur une sphère, deux grands cercles se coupent toujours. Autrement dit, deux droites ne sont jamais parallèles ! Le postulat d’Euclide y est faux et notre démonstration lumineuse aussi. Dans ce cas, les deux droites BD et BD’ ne se recoupent pas, l’angle DBD’ n’est pas nul. La somme des angles du triangle est donc supérieure à 180°. Pour vous en convaincre davantage, prenez un globe terrestre miniature, deux points sur l’équateur et dessinez le triangle formé avec l’un des pôles. La somme de ses angles est égale à 180° plus l’angle au pôle, elle est donc strictement supérieure à 180°.
Triangle sur une selle de cheval
Si nous nous plaçons sur une surface différente comme un col de montagne ou une selle de cheval, la somme des angles d’un triangle devient inférieure à 180°. Sur la figure de notre démonstration, les droites BD et BD’ se couvrent.
Les surfaces comme les plans, les cylindres ou les cônes où la somme des angles d’un triangle est égale à 180° sont dites de courbure nulle, celles comme la sphère ou les ellipsoïdes où la somme des angles est supérieure à 180°, de courbure positive et celles comme la selle de cheval où la somme des angles est inférieure à 180°, de courbure négative. Ces surfaces ne sont pas des plans euclidiens.
Aire d’un cercle
De même, grâce à un piquet et une corde, sur toute surface, nous pouvons tracer un cercle de rayon R. Si la courbure de la surface est nulle, son aire est égale à p R2. Si elle positive, elle est inférieure, sinon elle est supérieure.
Courbure d’un espace
Notre vision en trois dimensions nous permet d’admettre facilement ces résultats. Imaginons des êtres plats « collés » sur une surface de dimension deux pour lesquels, elle serait l’univers entier. Incapable d’en sortir, il ne verrait pas sa courbure. Il pourrait cependant tracer un triangle, mesurer ses angles et déterminer ainsi si son univers a une courbure positive, négative ou nulle.
De même, un extraterrestre vivant et voyant dans un monde en dimension quatre pourrait « voir » la courbure de notre univers. Nous y sommes trop englués pour cela. Le même phénomène existe pourtant et nous pouvons le tester : il suffit de mesurer le volume d’une sphère ou la somme des angles d’un triangle. Jusqu’à présent, les mesures effectuées font penser que notre univers est de courbure quasiment nulle.
Certaines croyances magiques restent attachées aux mathématiques. L’exemple le plus simple est celui du nombre treize qui porte chance … ou malchance selon les personnes. On évite ainsi, même chez certains mathématiciens, d’être treize à table. Cette croyance est extra-mathématique. Elle vient du dernier repas du Christ avec ses apôtres et non pas d’une propriété mathématique du nombre treize. Il en est de même de la plupart des nombres considérés comme magiques ou sacrés, comme sept par exemple. Nous n’insisterons pas sur cette question, et pas davantage sur la numérologie ou sur l’arithmancie qui prétendent prévoir l’avenir au travers de quelques additions. Leurs relations aux mathématiques sont les mêmes que celle de l’astrologie à l’astronomie. Même si certains mathématiciens furent numérologues comme certains astronomes furent astrologues jusqu’à l’époque de Kepler (XVIIe siècle), aujourd’hui, il est difficilement imaginable qu’un mathématicien ou un astronome pratique ce type de pseudosciences.
Les nombres parfaits
Plus étonnants que ces nombres auxquels on attribue un pouvoir surnaturel, d’autres sont considérés comme magiques pour des raisons internes aux mathématiques. Parmi les plus étudiés sont les nombres parfaits dont parle déjà Euclide au IIIe siècle avant notre ère dans ses Éléments. Par définition, les nombres parfaits sont les nombres égaux à la somme de leurs diviseurs autres qu’eux-mêmes. Par exemple, 6 est parfait puisque ses diviseurs stricts sont 1, 2 et 3 dont la somme est égale à 6. La traduction littérale du terme grec utilisé par Euclide pour désigner les nombres parfaits est nombre à qui il ne manque rien ce qui permet de mieux comprendre les définitions de nombre abondant et de nombre déficient : nombre dont la somme des diviseurs est supérieure (respectivement inférieure) au nombre donné. Ainsi 12 est abondant, 3, 4 et 5 sont déficients.
Quand Dieu est contraint à la perfection …
Cela pourrait être une simple curiosité et peu importe le nom utilisé mais, dans l’Antiquité, la perfection de ces nombres était bien vue comme telle. Ainsi, dans La cité de Dieu, on peut lire sous la plume d’Augustin d’Hippone (354 – 430) une vision mystique de cette perfection : Ainsi, nous ne devons pas dire que le nombre six est parfait, parce que Dieu a achevé tous ses ouvrages en six jours : loin de là, Dieu a achevé tous ses ouvrages en six jours parce que le nombre six est parfait ; supprimez le monde, ce nombre resterait également parfait ; mais s’il n’était pas parfait, le monde, qui reproduit les mêmes rapports, n’aurait plus la même perfection.
On trouve des idées voisines dans Arithmetica d’un philosophe néo-pythagoricien comme Nicomaque de Gérase (Ier siècle de notre ère), pourtant véritable mathématicien puisqu’il découvrit le quatrième nombre parfait : Il arrive que, de même que le beau et le parfait sont rares et se comptent aisément, tandis que le laid et le mauvais sont prolifiques, les nombres excédents et déficients sont en très grand nombre et en grand désordre ; leur découverte manque de toute logique. Au contraire, les nombres parfaits se comptent facilement et se succèdent dans un ordre convenable ; on n’en trouve qu’un seul parmi les unités, 6, un seul dans les dizaines, 28, un troisième assez loin dans les centaines, 496 ; quant au quatrième, dans le domaine des mille, il est voisin de dix mille, c’est 8128. Ils ont un caractère commun, c’est de se terminer par un 6 ou par un 8, et ils sont tous invariablement pairs.
Des conjectures à la pelle
À l’heure actuelle, le dernier point évoqué par Nicomaque de Gérase reste une conjecture. Personne n’a encore réussi à prouver qu’il n’existait pas de nombres parfaits impairs, même si le fait que personne n’en ait jamais trouvé un seul milite dans ce sens. De même, l’existence d’une infinité de nombres parfaits pairs est une conjecture. Les quatre premiers sont connus depuis l’Antiquité : 6, 28, 496 et 8128 et, à l’heure actuelle, nous n’en connaissons que 49 ! Les plus grands n’ont été découverts que récemment et ont plusieurs dizaines de millions de chiffres. Ils sont tous d’une forme liée à la notion de nombre premier, ce que nous verrons plus loin.
Les temps ont changé et plus personne ne comprend l’expression « nombre parfait » dans le sens d’une perfection externe aux mathématiques.
Le mathématicien John Nash (né en 1928) est mort le 23 Mai 2015 en compagnie de son épouse Alicia (née en 1933) dans un accident de taxi dans le New Jersey. Ils revenaient d’Oslo où John avait reçu le prix Abel, considéré comme le prix Nobel des mathématiques, le 19 Mai en compagnie de Louis Nirenberg (né en 1925) pour leurs contributions fondamentales et absolument remarquables à la théorie des équations aux dérivées partielles non linéaires, et à ses applications à l’analyse géométrique.
Théorie des jeux
John Nash est plus connu pour son apport à la théorie des jeux pour lequel il a obtenu le prix Nobel d’économie en 1994. Pour simplifier, la théorie des jeux est l’étude des comportements rationnels des individus en situation de conflit d’où ses applications en économie, stratégie et politique. Les équilibres de Nash sont les issues du jeu où aucun joueur ne regrettera son choix a posteriori. Prenons l’exemple de la course aux armements du temps de la guerre froide. Les États-Unis comme la Russie gagnent à ne pas dépenser leur argent inutilement mais ils perdent d’arrêter la course si l’autre la poursuit. Le jeu a ainsi deux équilibres de Nash : les deux pays courent ou les deux s’arrêtent.
Une femme d’exception
John Nash est également connu pour le film qui lui a été consacré dont le titre français est Un homme d’exception, qui décrit son combat contre la schizophrénie dans lequel son épouse Alicia fut véritablement une femme d’exception.
Quelle est la différence entre 98 € et 100 € ? Mathématiquement parlant, la réponse est 2 €. Au niveau psychologique ou émotionnel, la différence est bien plus importante. Pour ne pas en être victime, la méthode est simple : arrondissez ! Si on vous dit 98 €, traduisez en 100 € et vous ne serez pas piégé.
Vision psychologique des prix
Dans l’esprit de l’acheteur, 98 € signifie 90 € plus quelques euros. Il raisonne en logique additive. Sauf pour les produits de prestige, qui doivent être chers, il vaut mieux afficher ses prix dans la dizaine inférieure. Plusieurs expériences ont été menées aux États-Unis. En particulier, l’envoi de deux catalogues identiques, l’un affichant des prix ronds comme 10 $ et l’autre des prix minorés de 1 cent, comme 9,99 $, a montré que le second catalogue apportait plus de ventes.
Le meilleur prix psychologique
De façon plus étonnante sans doute, le meilleur prix pour maximiser le profit sur un produit n’est ni le plus petit, ni le plus grand possible.
Ce prix, qui peut être déterminé au moyen d’un sondage, est appelé le « prix psychologique ». En dessous de ce prix, le produit semble de qualité insuffisante à l’acheteur potentiel. Au-dessus, il paraît trop cher.
En revanche, si vous voulez écrire un livre de conseils pour réussir, mieux vaut en proposer 31 que 29 car ce nombre sera perçu comme bien plus grand.
La façon de dire les nombres en français a des variantes locales. Ainsi comment doit-on lire, ou écrire en toutes lettres, le nombre 283 ? La logique du français voudrait : deux cent huitante-trois… pourtant cela ne s’écrit ainsi que dans certaines régions de l’Est de la France et dans quelques cantons suisses. Les Belges préfèrent : deux cent octante-trois et la majorité des Français, comme des Canadiens : deux cent quatre-vingt-trois. Ces quatre-vingts viendraient d’une ancienne façon de compter en usage autrefois en France et dont nous aurions hérité des Celtes. En effet, on la retrouve en Bretagne comme au pays de Galles et en Irlande. Le principe est partout le même, il s’agit d’un usage partiel de la base vingt. Il nous en reste le quatre-vingts de nos comptes mais aussi un hôpital parisien : celui des Quinze-Vingts, fondé par saint Louis (1214 – 1270) pour accueillir 15 fois 20, c’est-à-dire 300, vétérans aveugles. Il est toujours spécialisé en ophtalmologie.
Des traces chez Molière …
Cette façon de compter se retrouvait autrefois plus souvent qu’aujourd’hui, ainsi, dans L’avare de Molière, à la scène 5 de l’acte II, Frosine dit à Harpagon :
Par ma foi ! Je disais cent ans ; mais vous passerez les six vingts.
Six vingts signifiait 120. Pour 100 cependant, Frosine ne dit pas cinq vingts.
… Et chez Victor Hugo
Dans Notre-Dame de Paris, Victor Hugo (1802 – 1885) nous fait découvrir une autre trace de ce système quand il relate l’assaut de Notre-Dame par les truands (au livre X, chapitre 4) :
Clopin Trouillefou, arrivé devant le haut portail de Notre-Dame, avait en effet rangé sa troupe en bataille. Quoiqu’il ne s’attendît à aucune résistance, il voulait, en général prudent, conserver un ordre qui lui permît de faire front au besoin contre une attaque subite du guet ou des onze vingts.
Au Moyen-Âge, les onze vingts étaient un corps de police de 11 fois 20, c’est-à-dire 220, membres.
Que dit la grammaire (d’époque) ?
Cet usage de compter par vingtaines était alors plus général que le montre ces quelques vestiges, comme Charles-Pierre Girault-Duvivier (1765 – 1832) le note dans sa grammaire des grammaires :
Six vingts vieillit ; on dit plus ordinairement cent-vingt ; on disait encore dans le siècle passé sept vingts ans, huit vingts ans : depuis six ou sept vingts ans que l’église calvinienne a commencé (Bossuet) – Des femmes enceintes au nombre de huit vingts et plus – l’Académie ne condamnait pas autrefois cette manière de s’exprimer, et en permettait l’usage jusqu’à dix-neuf vingts en excluant seulement deux vingts, trois vingts, cinq vingts et dix vingts.
Une fois admis ce compte particulier en vingtaine pour la quatrième, il est logique de continuer jusqu’au seuil de la cinquième, c’est-à-dire jusqu’à 99. Nonante est ainsi devenu quatre-vingts dix, écrit depuis quatre-vingt-dix. En revanche, en Belgique, 90 est resté nonante sauf pour parler du roman de Victor Hugo : Quatre-vingt Treize. Une étrangeté reste et concerne le pluriel mis à vingt. On écrit quatre-vingts mais quatre-vingt-un et non quatre-vingts et un comme le voudrait l’imitation des cas de vingt à soixante, de plus vingt perd son pluriel et se trouve au singulier alors que le nombre a augmenté ! Ce problème de choix ou non du pluriel est bien singulier !
Comment comprendre le monde moderne sans culture mathématique ? Accéder à celle-ci n’exige cependant pas d’apprendre à résoudre la moindre équation.