Gregor Mendel (1822 – 1884) est connu pour avoir posé les premières lois de la génétique. Elles sont de nature si mathématique que Godfrey Hardy, le grand mathématicien britannique du début XXe siècle, connu pour sa critique des mathématiques appliquées, les a prolongées. Imaginons qu’une fleur vienne en deux couleurs : blanche et noire, jamais grise ou autre et que ces deux variétés puissent s’hybrider, c’est-à-dire se mélanger. Imaginons que deux parents à fleurs blanches donnent toujours des enfants à fleurs blanches, alors que les parents à fleurs noires peuvent donner des blanches comme des noires.
La mathématique de l’hybridation
Gregor Mendel a étudié ces lois de l’hybridation en pollinisant artificiellement des pois, qui se présentent sous deux formes facilement discernables. Nous ne décrirons pas ses expériences en détail. Son premier résultat est d’ordre statistique. En croisant une fleur noire et une fleur blanche, à la première génération, on obtient des fleurs blanches et, à la seconde, trois quarts de fleurs blanches et un quart de fleurs noires.
Pour le mathématicien, une explication logique est de penser que le gène de la couleur des fleurs se divise en deux moitiés, ses deux allèles : blanc et noir. A priori, il existe donc quatre combinaisons possibles de ces deux allèles : blanc / blanc, blanc / noir, noir / blanc et noir / noir. Cette propriété est cachée car seuls les porteurs du gène blanc / blanc ont des fleurs blanches, tous les autres ont des fleurs noires. C’est pourquoi on parle de caractère dominant pour la couleur noire, et de caractère récessif pour la couleur blanche. Cette domination est cependant très relative car les combinaisons se faisant de façon équiprobable, à la seconde génération, nous trouvons une fois sur quatre la combinaison blanc / blanc, donc des fleurs blanches.
Cette théorie de Mendel ne fut pas comprise en son temps. Les biologistes pensaient que les caractères dominants devaient forcément augmenter dans la population, ce que les calculs précédents nient. Plus étrangement encore, on ne vit pas immédiatement le lien avec la théorie de l’évolution de Darwin, pourtant contemporaine de celle de Mendel.
Le principe de Hardy
Si les mathématiques appliquées ont pu un jour être vues comme « impures » par certains mathématiciens « purs », ce fut le cas de Godfrey Hardy. On s’étonnera alors de voir son nom mêlé à une question de biologie. C’est pourquoi il s’excusa presque de s’immiscer dans ce domaine. En 1908, au cours d’un dîner, on lui demanda s’il était possible de déterminer mathématiquement la proportion d’allèles dominants permettant l’évolution dans une population. Hardy étant un mathématicien pur, sa réponse réclama quelques hypothèses. Tout d’abord, la population devait être de grande taille, sans migration, estimée infinie, les individus s’y croiseraient aléatoirement mais les générations seraient séparées. Enfin, il n’y aurait ni mutation, ni sélection. Tout ceci assure la rigueur du raisonnement suivant.
Considérons un gène à deux allèles A et a possédant les fréquences p et q = 1 – p dans une certaine génération. Quelles sont les fréquences à la génération suivante ?
Pour le déterminer, comptons d’abord les fréquences des diverses combinaisons à la génération suivante : AA, Aa et aa. Il s’agit d’une question élémentaire de probabilité. Pour qu’un individu soit AA, il doit avoir reçu l’allèle A de ses deux parents, supposés aléatoires d’après l’hypothèse de Hardy. La fréquence de chacun étant égale à p, la probabilité est égale à p2. De même, celle de aa est q2. Pour Aa, deux cas sont possibles puisque cela peut provenir d’un A de la mère et d’un a du père, comme du contraire. On obtient donc 2 pq.
Si la population totale de cette nouvelle génération est égale à N, le nombre d’allèles y est égal à 2N. L’allèle A se trouve deux fois dans AA et une fois dans Aa, son nombre est donc égal à 2 p2 N + 2 pq N. Sa fréquence est ainsi égale à p2 + pq = p (p + q) = p puisque p + q = 1. Il en est de même de l’allèle a. Autrement dit, sous les hypothèses énoncées plus haut, la fréquence des allèles ne se modifie pas d’une génération à l’autre.
Ainsi, les relations de dominance entre allèles n’influent pas sur leurs fréquences. Autrement dit, l’évolution est impossible sous les hypothèses de Hardy … il faut tenir compte des mutations.