
L’artiste et compositeur Mikalojus Konstantinas Čiurlionis (1875-1911) est une figure clé de l’art symboliste, et l’un des créateurs les plus célèbres de son pays, la Lituanie. Il se distingue dans l’histoire de l’art pour son approche multidisciplinaire, appliquant notamment des structures musicales à ses peintures. Il a d’ailleurs souvent donné à ses œuvres des titres empruntés à la musique, comme sonates, fugues et préludes, pour illustrer leur construction harmonique et rythmique.
Né la même année que Ravel (il mourra la même année que Gustav Mahler !), Čiurlionis a d’abord étudié en classes de piano et de composition au Conservatoire de Varsovie. À partir de 1901 il a poursuivi sa formation en classe de composition avec Carl Reinecke au Conservatoire de Leipzig, en Allemagne, ville où il a enrichi sa culture générale, s’intéressant également à l’astrologie, à la chimie, à la philosophie et à la mythologie, et ce jusqu’à la fin de sa vie. De retour à Varsovie en 1904 il y a intégré l’École des Beaux-Arts, désirant se consacrer à la peinture. Ont suivi plusieurs années – agrémentées de voyages en Allemagne et en Autriche durant lesquels il a parfait son éducation artistique – où il a mené conjointement une double carrière de compositeur et de peintre, avant que cette dernière ne prenne le dessus.
En tant que musicien il est l’auteur de quelque 300 compositions dans des domaines variés. Les plus importantes sont le poème symphonique La Mer (1903-1907), contemporaine du triptyque pour orchestre composé sous le même titre en 1905 par Claude Debussy, et son opéra inachevé Jurata (1908-1909).
En peinture, Čiurlionis a créé environ 300 tableaux, dans la mouvance du symbolisme et de l’Art nouveau, s’inspirant de thèmes spirituels, cosmiques et mythologiques, tout en explorant des concepts liés à l’infini et à la nature.
Sonate du Soleil (Saulės sonata en lituanien), une de ses œuvres majeures peinte en 1907-1908, incarne parfaitement cette approche synesthésique fusionnant musique, peinture et spiritualité. L’artiste cherche à dépasser les frontières des disciplines pour créer une vision unifiée de l’univers, où rythmes cosmiques et harmonies musicales se rejoignent.
Conservée à la Ciurlionis Painting Gallery du Lyceum de Vilnius, en Lituanie, l’œuvre est composée de quatre panneaux correspondant aux mouvements d’une sonate musicale : Allegro, Andante, Scherzo et Finale.

63 × 59,5 cm. Détrempe sur papier

63,2 × 58,4 cm. Détrempe sur papier

63 × 58,5 cm. Détrempe sur papier

63 × 59,6 cm. Détrempe sur papier
Les panneaux peuvent aussi évoquer le cycle du jour ou de la vie (matin, midi, soir, crépuscule), une réflexion sur le passage du temps et l’éternel retour. Cette structuration est typique des œuvres de Čiurlionis, où chaque panneau représente un mouvement distinct, mais relié à un thème central, ici le soleil, la force cosmique et universelle qui relie toutes choses. Le soleil est à la fois un symbole cosmique (source de vie et d’énergie) et spirituel (illumination, transcendance). Représentant la divinité, la renaissance et l’éternité, le soleil est aussi un motif central dans les mythologies européennes et païennes, notamment baltes, dont s’inspire Čiurlionis.
L’artiste mélange des éléments figuratifs (outre le soleil, on voit des paysages stylisés, des formes architecturales) et des formes abstraites évoquant des ondes lumineuses ou des motifs musicaux. Le traitement des couleurs se fait par tons dorés où jaunes et orangés dominent, évoquant la chaleur et l’éclat du soleil. Ces couleurs sont mêlées à des bleus et des verts, représentant les paysages terrestres ou célestes. Comme dans d’autres œuvres de Čiurlionis, Sonate du Soleil dépasse ainsi les simples paysages pour exprimer une vision cosmique et spirituelle unifiée, où l’homme, la nature et l’univers sont interconnectés.
Čiurlionis s’inscrit dans le courant symboliste, ce mouvement artistique européen privilégiant l’expression d’idées spirituelles et de vérités universelles au-delà du monde matériel. Apparu d’abord en poésie dans les années 1880 autour de Mallarmé, Verlaine et Rimbaud, il a ensuite gagné la peinture (Puvis de Chavannes, Odilon Redon, Gustave Moreau, les préraphaélites anglais), la musique (Richard Wagner, Claude Debussy, Erik Satie) et le théâtre (Maurice Maeterlinck) pour connaître son apogée dans les années 1900-1910.
Avec Sonate du Soleil et d’autres œuvres, Čiurlionis est également considéré comme un précurseur de l’art abstrait. Dépassant la simple représentation figurative, il s’affranchit des conventions symbolistes de son époque pour exprimer des concepts musicaux, émotionnels et spirituels. Ses œuvres intègrent aussi des influences de l’art traditionnel lituanien, des cosmogonies païennes et de sa propre sensibilité musicale.
Outre sa Sonate du Soleil, Mikalojus Konstantinas Čiurlionis a réalisé des « cycles » ambitieux, tels La Création du Monde (Pasaulio sutvėrimas), cycle de treize tableaux de 1905-1906, ou Le Zodiaque (Zodiakas), cycle de douze tableaux de 1907.


Célébré dans son pays, Čiurlionis a été redécouvert en Occident après sa mort, notamment grâce à son rôle pionnier dans la fusion des arts. Sonate du Soleil est aujourd’hui considérée comme une œuvre clé de son corpus. Elle a influencé des mouvements artistiques postérieurs, comme l’abstraction et le surréalisme, en raison de son caractère universel et intemporel. L’œuvre est également vue comme un manifeste visuel pour une nouvelle compréhension de la relation entre art et science, nature et cosmos.